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A découvrir Climb to the top [PV Brad Miller]
@ Invité
La forêt commençait à s'illuminer des couleurs vives d'une femme rousse, son corps de racines noueuses encore enveloppé d'une robe de mousse verte. Kirk marchait droit devant lui, son bâton à la main, suivant le sentier où il était déjà venu plusieurs fois, des années plus tôt. Son chien furetait à ses côtés, le nez au sol dans les buissons, et parfois sursautait à la vue d'un orvet ou d'une souris. A sa ceinture, l'homme portait un pistolet d'alarme, chargé de projectiles de caoutchouc, juste au cas où il croiserait un ours ; il valait toujours mieux y être préparé. Il ne se voyait pas grimper dans un arbre pour lui échapper, surtout que ces sales bêtes-là grimpaient aussi.
Ce n'était pas un rêve chargé de flashbacks ; il était bien réveillé, il retraçait juste les chemins d'une de ses anciennes randonnées. Et il n'était pas seul. Il y avait avec lui son copain Brad de la salle de sport, qui avait été curieux de découvrir ses circuits de balades d'autrefois, après avoir accidentellement appris que Kirk, dans sa grande époque, était un croqueur de montagnes. Il ne s'était pas embarqué dans une vraie expédition depuis six ans maintenant ; et il n'était pas revenu se promener sur ces sentiers-ci depuis... huit ans ? Dix ans ? Qu'il était donc vieux ! Oui, c'est ça, huit ans, avec ses parents qui aimaient les promenades pas trop loin de New York, qu'on pouvait faire sur un week-end sans prendre l'avion. Une randonnée comme quand il était gamin. Entre un père médecin hospitalier et une mère militaire, ils avaient eu parfois du mal à se retrouver tous les trois pour un week-end entier, alors ils en profitaient.
Il n'était jamais venu avec son chien. Ce chien n'avait pas connu l'ancien Kirk. C'était bizarre à se dire, en regardant la queue touffue du bestiau se promener sous les branches, comme un pompon de fête foraine. Il aurait fait un loup très nul, celui-là.
Il avait plu la veille et le terrain était plus glissant que prévu, mais c'était sympa comme ambiance, un peu feutré, avec les feuilles mortes collées à la terre noire, les parfums d'humus qui remontaient des sous-bois pleins de champignons, et les écureuils qui faisaient leurs réserves. On se serait cru dans un livre pour enfants. La bonne fatigue lancinante de la marche avait réglé le souffle de Kirk sur un rythme régulier, et l'avait débarrassé de son hyperactivité citadine. Il aimait ça, cette tension dans les muscles de ses jambes, le poids du sac sur son dos, l'air frais qui s'engouffrait dans ses poumons, c'est ce qui donnait tout son plaisir au camping par la suite, face au beau panorama conquis de haute lutte. Il parlait moins à tort et à travers, et il profitait davantage de ce qui l'entourait. C'était agréable de partager ça avec quelqu'un qu'il fréquentait à la salle de sport ; un peu comme une continuation des machines, sous une forme plus brute.
Et puis, ils arrivèrent devant un petit ruisseau qui coupait le sentier, dévalant la pente avec des éclats cristallins et une joyeuse petite musique. Il ne s'en rappelait pas, de celui-là. C'était peut-être un phénomène récent. En tout cas, Kirk s'arrêta. Son chien se mit à galoper dans le petit creux de terrain, bondissant d'une rive à l'autre ; pour un humain normalement constitué et chargé d'un sac à dos, il fallait descendre la pente en s'accrochant aux racines, et grimper un peu en face. Quelques cailloux sortis de terre formaient de petites plates-formes où l'on pouvait poser le pied. C'était l'affaire de quatre ou cinq pas vers le bas, quatre ou cinq pas vers le haut.
Kirk était parfaitement immobile, le regard fixé vers le bas. Avant même d'essayer quoi que ce soit, il savait d'avance qu'il n'allait pas y arriver. Son chien revint lui lécher la main, et il n'eut aucune réaction. Il n'était plus complètement là. Son coeur commençait à battre de plus en plus vite.
Ce n'était pas un rêve chargé de flashbacks ; il était bien réveillé, il retraçait juste les chemins d'une de ses anciennes randonnées. Et il n'était pas seul. Il y avait avec lui son copain Brad de la salle de sport, qui avait été curieux de découvrir ses circuits de balades d'autrefois, après avoir accidentellement appris que Kirk, dans sa grande époque, était un croqueur de montagnes. Il ne s'était pas embarqué dans une vraie expédition depuis six ans maintenant ; et il n'était pas revenu se promener sur ces sentiers-ci depuis... huit ans ? Dix ans ? Qu'il était donc vieux ! Oui, c'est ça, huit ans, avec ses parents qui aimaient les promenades pas trop loin de New York, qu'on pouvait faire sur un week-end sans prendre l'avion. Une randonnée comme quand il était gamin. Entre un père médecin hospitalier et une mère militaire, ils avaient eu parfois du mal à se retrouver tous les trois pour un week-end entier, alors ils en profitaient.
Il n'était jamais venu avec son chien. Ce chien n'avait pas connu l'ancien Kirk. C'était bizarre à se dire, en regardant la queue touffue du bestiau se promener sous les branches, comme un pompon de fête foraine. Il aurait fait un loup très nul, celui-là.
Il avait plu la veille et le terrain était plus glissant que prévu, mais c'était sympa comme ambiance, un peu feutré, avec les feuilles mortes collées à la terre noire, les parfums d'humus qui remontaient des sous-bois pleins de champignons, et les écureuils qui faisaient leurs réserves. On se serait cru dans un livre pour enfants. La bonne fatigue lancinante de la marche avait réglé le souffle de Kirk sur un rythme régulier, et l'avait débarrassé de son hyperactivité citadine. Il aimait ça, cette tension dans les muscles de ses jambes, le poids du sac sur son dos, l'air frais qui s'engouffrait dans ses poumons, c'est ce qui donnait tout son plaisir au camping par la suite, face au beau panorama conquis de haute lutte. Il parlait moins à tort et à travers, et il profitait davantage de ce qui l'entourait. C'était agréable de partager ça avec quelqu'un qu'il fréquentait à la salle de sport ; un peu comme une continuation des machines, sous une forme plus brute.
Et puis, ils arrivèrent devant un petit ruisseau qui coupait le sentier, dévalant la pente avec des éclats cristallins et une joyeuse petite musique. Il ne s'en rappelait pas, de celui-là. C'était peut-être un phénomène récent. En tout cas, Kirk s'arrêta. Son chien se mit à galoper dans le petit creux de terrain, bondissant d'une rive à l'autre ; pour un humain normalement constitué et chargé d'un sac à dos, il fallait descendre la pente en s'accrochant aux racines, et grimper un peu en face. Quelques cailloux sortis de terre formaient de petites plates-formes où l'on pouvait poser le pied. C'était l'affaire de quatre ou cinq pas vers le bas, quatre ou cinq pas vers le haut.
Kirk était parfaitement immobile, le regard fixé vers le bas. Avant même d'essayer quoi que ce soit, il savait d'avance qu'il n'allait pas y arriver. Son chien revint lui lécher la main, et il n'eut aucune réaction. Il n'était plus complètement là. Son coeur commençait à battre de plus en plus vite.
@ Invité
L'air était chargé de l'humidité qui s'était déversée la veille sur la région, la forêt s’épanouissant dans cette moiteur ambiante, qui étouffait leurs pas sur le sentier. C’est Brad, qui avait eu l’idée de cette randonnée dominicale, poussant Kirk à lui faire découvrir quelques-uns des chemins qu’il ne connaissait pas. Ils avaient discuté de tout et de rien sur la route, un bavardage joyeux ponctuant jusqu’à leurs premiers pas de cette randonnée. Puis, la conversation s’était faite plus éparse, laissant place aux sons de la nature et à une communion d’un autre type.
Ce n’était pas gênant pour Brad, et cela ne semblait pas plus l’être pour Kirk, qui marchait à ses côtés. De temps à autre, le bricoleur pointait du doigt un coin de l’espace, attirant l’attention de son ami sur telle ou telle chose, parfois en accompagnant le geste d’un nom d’espèce lorsqu’il était capable de reconnaître ceux qui les entouraient, et dont ils visitaient le domaine.
Pour le bricoleur, il ne s’agissait ni plus ni moins que d’une énième randonnée, comme il en avait fait des centaines et en ferait bien d’autres encore. Il appréciait le temps, certes humide mais en soit parfaitement frais pour être juste bien. Il se sentait revigoré et appréciait cette marche, son sourire s’étirant souvent à la vue du chien qui trottinait à leurs côtés, et réagissait au moindre son avec un enthousiasme des plus adorables.
Lorsqu’ils arrivèrent à la rivière, ou plutôt au ruisseau, il ne fut pour sa part guère surpris. Brad avait en effet demandé suffisamment de précisions sur l’endroit où ils allaient marcher pour pouvoir sortir lui-même les cartes du coin et tracer le sentier à parcourir avant d’arriver sur place. C’était une habitude, qui tenait de la préparation de ses différentes virées et qu’il aimait à réaliser. Cela lui permettait de ne pas être pris au dépourvu, certes, mais aussi d’avoir un objectif positif devant lui lorsque ses semaines se faisaient un peu trop intenses. C’était également une précaution. La responsabilité d’une expédition, aussi banale soit-elle, ne pouvait en effet pas échoir à la seule personne ayant organisé la sortie ou ayant déjà parcouru le terrain.
Ainsi donc, le ruisseau n’était pour lui qu’un marqueur supplémentaire sur le parcours, qu'une étape à franchir avant l’arrivée à l’endroit où ils monteraient leur campement. Alors, lorsque Kirk s’arrêta, il prit tout naturellement la tête, se penchant pour agripper une grosse racine qui affleurait au niveau de l’escarpement, en vérifiant la solidité d’un geste sec avant de descendre une jambe dans le fossé.
Ce n’est que lorsque le chien, déjà passé de l’autre côté, sauta en sens inverse pour rejoindre son maître, que Brad releva la tête, pour apercevoir l’expression sur le visage de Kirk, ses yeux perdus dans le vide. Il ne pensait pas l’avoir déjà vu aussi pâle.
« Kirk ? »
Pas de réponse. Il remonta dans la foulée, ses deux mains en appui pour plus d’efficacité, peu importe la boue. Son camarade n’allait pas bien, c’était évident, même s’il ne comprenait absolument pas quel était le problème. Une chute de tension ? Manque de sucre ? Réaction allergique ? A peu près tout et n’importe quoi lui passait par la tête, si ce n’est un blocage traumatique.
« Kirk, ça va ? Viens t’asseoir. »
Sans attendre, et sans se préoccuper de ses mains boueuses, il le manoeuvra doucement en direction d’un rocher qui pourrait lui servir de banc, à quelques pas de là. Sans comprendre ce qu’il se passait, il craignait et anticipait une chute soudaine.
Ce n’était pas gênant pour Brad, et cela ne semblait pas plus l’être pour Kirk, qui marchait à ses côtés. De temps à autre, le bricoleur pointait du doigt un coin de l’espace, attirant l’attention de son ami sur telle ou telle chose, parfois en accompagnant le geste d’un nom d’espèce lorsqu’il était capable de reconnaître ceux qui les entouraient, et dont ils visitaient le domaine.
Pour le bricoleur, il ne s’agissait ni plus ni moins que d’une énième randonnée, comme il en avait fait des centaines et en ferait bien d’autres encore. Il appréciait le temps, certes humide mais en soit parfaitement frais pour être juste bien. Il se sentait revigoré et appréciait cette marche, son sourire s’étirant souvent à la vue du chien qui trottinait à leurs côtés, et réagissait au moindre son avec un enthousiasme des plus adorables.
Lorsqu’ils arrivèrent à la rivière, ou plutôt au ruisseau, il ne fut pour sa part guère surpris. Brad avait en effet demandé suffisamment de précisions sur l’endroit où ils allaient marcher pour pouvoir sortir lui-même les cartes du coin et tracer le sentier à parcourir avant d’arriver sur place. C’était une habitude, qui tenait de la préparation de ses différentes virées et qu’il aimait à réaliser. Cela lui permettait de ne pas être pris au dépourvu, certes, mais aussi d’avoir un objectif positif devant lui lorsque ses semaines se faisaient un peu trop intenses. C’était également une précaution. La responsabilité d’une expédition, aussi banale soit-elle, ne pouvait en effet pas échoir à la seule personne ayant organisé la sortie ou ayant déjà parcouru le terrain.
Ainsi donc, le ruisseau n’était pour lui qu’un marqueur supplémentaire sur le parcours, qu'une étape à franchir avant l’arrivée à l’endroit où ils monteraient leur campement. Alors, lorsque Kirk s’arrêta, il prit tout naturellement la tête, se penchant pour agripper une grosse racine qui affleurait au niveau de l’escarpement, en vérifiant la solidité d’un geste sec avant de descendre une jambe dans le fossé.
Ce n’est que lorsque le chien, déjà passé de l’autre côté, sauta en sens inverse pour rejoindre son maître, que Brad releva la tête, pour apercevoir l’expression sur le visage de Kirk, ses yeux perdus dans le vide. Il ne pensait pas l’avoir déjà vu aussi pâle.
« Kirk ? »
Pas de réponse. Il remonta dans la foulée, ses deux mains en appui pour plus d’efficacité, peu importe la boue. Son camarade n’allait pas bien, c’était évident, même s’il ne comprenait absolument pas quel était le problème. Une chute de tension ? Manque de sucre ? Réaction allergique ? A peu près tout et n’importe quoi lui passait par la tête, si ce n’est un blocage traumatique.
« Kirk, ça va ? Viens t’asseoir. »
Sans attendre, et sans se préoccuper de ses mains boueuses, il le manoeuvra doucement en direction d’un rocher qui pourrait lui servir de banc, à quelques pas de là. Sans comprendre ce qu’il se passait, il craignait et anticipait une chute soudaine.
- Spoiler:
@ Invité
C'était la chute.
Kirk tombait. Il se sentait tomber.
Son oreille interne lui disait qu'il était parfaitement immobile, et son cerveau lui hurlait qu'il était en train de se précipiter dans un gouffre sans fond. Pourquoi le vent ne sifflait-il pas à la dite oreille, c'était une chose que le cerveau n'arrivait pas à concevoir. C'était un peu l'inverse d'un mal de mer, où l'oeil constate un environnement stable et l'oreille se sent monter et chuter sans cesse ; et le décalage donnait l'impression à son système d'être sous le coup d'une illusion fiévreuse, reproduisant les symptômes dans une tentative pour ramener le corps à la normale.
La nausée montait rapidement, mais Kirk savait parfaitement qu'elle n'aurait rien de libérateur. Il tremblait et ses dents cherchaient à claquer, mais il serrait les mâchoires pour les contenir. Il ramena ses deux mains raidies à son col pour le desserrer rapidement, sous l'impression d'un étouffement grandissant ; il jeta son bonnet à terre, qui lui donnait l'impression d'écraser son crâne. Il se sentait à la fois brûlant et glacé, comme si une cascade de sueur froide circulait juste sous sa peau. Pourtant en touchant son visage, il sentait bien qu'il était sec et que sa température était normale.
"J'ai du gingembre dans ma poche," marmonna-t-il d'une voix mal assurée en tâtant son manteau. Il fallait qu'il croque un des petits morceaux confits, le sucre lui donnerait un coup de fouet et la racine calmerait son estomac. Le vertige le rendait incapable de se reposer sur les surfaces stables qui semblaient pouvoir le placer hors de danger ; il sentait bien le rocher sous leurs corps, la terre où ses semelles étaient enfoncées, et les mains de Brad qui le maintenaient, mais tout tournait et rien ne semblait réel. Ces surfaces lui semblaient prêtes à se dérober d'une seconde à l'autre, pour ne laisser que le vide, le gouffre, et la chute.
"Vertige", expliqua-t-il brièvement, dodelinant de la tête. "Pas grave."
Le seul fait de former des mots lui donnait l'impression qu'il allait vomir. Mais il se sentait responsable de l'expédition, et il tenait à rassurer Brad qui devait se poser toutes sortes de questions. Quand il eut calé entre ses dents le morceau de gingembre pour le mâcher patiemment, concentré sur le rythme de ses mouvements pour oublier sa terreur, comme sur une tâche répétitive, il parvint peu à peu à se détendre. Les yeux fermés, une main serrée sur celle de son camarade dans une poigne un peu trop crispée pour son bien, il atteignit le point où la chute s'inversait ; il avait réintégré son corps et l'environnement immédiat, il savait où il était et ce qu'il risquait – c'est à dire, absolument rien – il était juste complètement vidé.
La tension musculaire se dissipa, le laissant aussi mou qu'un pantin dont on a coupé les fils, et son coeur qui cognait frénétiquement dans sa poitrine adopta des battements de plus en plus lents. Il aurait pu s'évanouir. Mais au moins, l'éblouissement qui l'accablait maintenant était logique et explicable, et tout était réel. Cette seule pensée le rassurait. Il se contenta de se laisser aller un peu, respira profondément l'air frais qui semblait dégager ses poumons des fumées toxiques du cauchemar ; et finalement, tenta de se redresser l'air de rien.
"C'est bon ! C'est fini."
Il faudrait bien franchir cette fosse, cependant. Mais il n'en était pas là. Maintenant, son ami attendait une explication. Kirk lui sourit d'un air coupable, en cherchant par où il allait commencer. Il aurait dû le prévenir.. mais il aurait vraiment voulu ne pas en avoir besoin.
Kirk tombait. Il se sentait tomber.
Son oreille interne lui disait qu'il était parfaitement immobile, et son cerveau lui hurlait qu'il était en train de se précipiter dans un gouffre sans fond. Pourquoi le vent ne sifflait-il pas à la dite oreille, c'était une chose que le cerveau n'arrivait pas à concevoir. C'était un peu l'inverse d'un mal de mer, où l'oeil constate un environnement stable et l'oreille se sent monter et chuter sans cesse ; et le décalage donnait l'impression à son système d'être sous le coup d'une illusion fiévreuse, reproduisant les symptômes dans une tentative pour ramener le corps à la normale.
La nausée montait rapidement, mais Kirk savait parfaitement qu'elle n'aurait rien de libérateur. Il tremblait et ses dents cherchaient à claquer, mais il serrait les mâchoires pour les contenir. Il ramena ses deux mains raidies à son col pour le desserrer rapidement, sous l'impression d'un étouffement grandissant ; il jeta son bonnet à terre, qui lui donnait l'impression d'écraser son crâne. Il se sentait à la fois brûlant et glacé, comme si une cascade de sueur froide circulait juste sous sa peau. Pourtant en touchant son visage, il sentait bien qu'il était sec et que sa température était normale.
"J'ai du gingembre dans ma poche," marmonna-t-il d'une voix mal assurée en tâtant son manteau. Il fallait qu'il croque un des petits morceaux confits, le sucre lui donnerait un coup de fouet et la racine calmerait son estomac. Le vertige le rendait incapable de se reposer sur les surfaces stables qui semblaient pouvoir le placer hors de danger ; il sentait bien le rocher sous leurs corps, la terre où ses semelles étaient enfoncées, et les mains de Brad qui le maintenaient, mais tout tournait et rien ne semblait réel. Ces surfaces lui semblaient prêtes à se dérober d'une seconde à l'autre, pour ne laisser que le vide, le gouffre, et la chute.
"Vertige", expliqua-t-il brièvement, dodelinant de la tête. "Pas grave."
Le seul fait de former des mots lui donnait l'impression qu'il allait vomir. Mais il se sentait responsable de l'expédition, et il tenait à rassurer Brad qui devait se poser toutes sortes de questions. Quand il eut calé entre ses dents le morceau de gingembre pour le mâcher patiemment, concentré sur le rythme de ses mouvements pour oublier sa terreur, comme sur une tâche répétitive, il parvint peu à peu à se détendre. Les yeux fermés, une main serrée sur celle de son camarade dans une poigne un peu trop crispée pour son bien, il atteignit le point où la chute s'inversait ; il avait réintégré son corps et l'environnement immédiat, il savait où il était et ce qu'il risquait – c'est à dire, absolument rien – il était juste complètement vidé.
La tension musculaire se dissipa, le laissant aussi mou qu'un pantin dont on a coupé les fils, et son coeur qui cognait frénétiquement dans sa poitrine adopta des battements de plus en plus lents. Il aurait pu s'évanouir. Mais au moins, l'éblouissement qui l'accablait maintenant était logique et explicable, et tout était réel. Cette seule pensée le rassurait. Il se contenta de se laisser aller un peu, respira profondément l'air frais qui semblait dégager ses poumons des fumées toxiques du cauchemar ; et finalement, tenta de se redresser l'air de rien.
"C'est bon ! C'est fini."
Il faudrait bien franchir cette fosse, cependant. Mais il n'en était pas là. Maintenant, son ami attendait une explication. Kirk lui sourit d'un air coupable, en cherchant par où il allait commencer. Il aurait dû le prévenir.. mais il aurait vraiment voulu ne pas en avoir besoin.
@ Invité
Brad remonta encore plus vite qu'il n'était descendu dans le fossé. Sans savoir, sans comprendre, ce qui était en train de se passer, il ne pouvait que faire quelques conjectures hasardeuses. Son premier réflexe fut donc déjà de pousser Kirk à s'asseoir, afin d'éviter une éventuelle chute. La possibilité semblait en effet plus que tangible... Et tandis qu'il commençait à le manoeuvrer pour lui faire parcourir les quelques pas qui les séparaient du rocher où il pourrait s'asseoir, Brad sentait sous ses mains les tremblements distincts de Kirk.
Bien qu'il soit quelqu'un de plutôt curieux et qu'il s'était intéressé à certains pans du domaine de la santé, Brad n'avait rien d'un docteur et surtout, il n'avait aucune prétention à l'être, de prêt ou de loin. En d'autres mots, il était out of his depth. Alors, bien sûr, les choses se bousculaient dans son esprit, les symptômes se listaient, se liaient puis se séparaient, mais rien n'en sortait réellement, d'autant moins avec le léger vent de panique qui, il faut bien l'admettre, commençait à souffler.
Du gingembre dans une poche, lui indiqua-t-on, et Brad, sans être totalement soulagé, fut tout de même heureux de s'entendre souffler un possible début de solution au problème. Il plaça d'abord l'autre homme sur le rocher, puis, sans cesser de l'assurer pour éviter toute chute, il essuya sans vergogne sa main sur le manteau de son ami. Enfin, il repoussa la main de Kirk pour fouiller lui-même dans sa poche. Ses doigts y rencontrèrent effectivement un petit sachet qu'il se hâta de défaire pour en sortir un bout de fruit confit et le lui fourrer dans la bouche sans autre forme de procès.
Ne sachant trop ce qu'il pouvait faire d'autre, il se contenta de le regarder mâchonner tout en le maintenant en place. Une de ses mains glissa tout de même le long du bras de Kirk pour saisir son poignet, compter les battements de son pouls. Trop rapide. Son ami lui semblait reprendre vaguement quelques couleurs au fil des secondes, mais ce n'était pas très folichon pour autant. Quand il entendit le mot vertige, il supposa un vertige dû au malaise, et non pas un malaise dû au vertige. C'était, après tout, complètement incohérent pour quelqu'un qui avait pratiqué l'escalade pendant des années. Brad continua de compter en silence, concentration oblige, sentant finalement les pulsations ralentir doucement, et la main crispée sur la sienne se détendre peu à peu. Lorsque Kirk annonça que c'était terminé, cependant, Brad n'en était pas le moins du monde convaincu.
« “C’est fini” ? T’es blanc comme un linge ! »
Son ton était quelque peu accusateur, mais plus parce qu’il était inquiet qu’autre chose et cela pouvait aisément se ressentir, d’autant plus en ayant son expression sous les yeux. La vérité est que Kirk venait de lui foutre une sacrée trouille, l’air de rien. Brad ne s’était pas du tout attendu à cela, et son propre coeur commençait tout juste à se calmer.
Même s'il pouvait concevoir qu’ils ne se connaissaient pas encore très bien, et que si le jeune homme avait des problèmes de santé, il n’avait pas forcément eu envie de les étaler simplement au cas où, il aurait aimé être prévenu. Ne serait-ce que pour pouvoir prévoir un plan de secours en conséquence. Et savoir comment agir. Réagir. Pour le moment, il était encore sous l'effet de la peur, et la critique se faisait donc plus aisément accessible que la logique dans sa petite caboche.
« Qu’est-ce qu’il s’est passé ? »
Et, sous entendu derrière la question, un certain t’es sûr que ça va aller ? se profilait déjà. Il allait peut-être lui falloir sortir la carte afin de vérifier où se trouvaient les points d'accessibilité des secours.
@ Invité
Le goût du gingembre était un rappel un peu piquant à la civilisation ; c'était aussi une dose de sucre, mais surtout, la substance chimique contenue dans la petite bouchée déclenchait quelque chose dans son organisme ; il ne savait pas quoi au juste, mais son ventre était moins noué d'un coup, comme quand il faisait du bateau avec ses parents dans son jeune âge, et qu'on lui donnait ça pour calmer le mal de mer.
Ça marchait toujours sur lui, même si c'était en partie psychosomatique. Et en ce moment, ce qu'il avait était un monstre à plusieurs tentacules, qui engluait à la fois le physique, le mental, tout. Une sorte de paralysie qui l'écrasait dans un étau d'acier, et le laissait tremblant quand elle le relâchait enfin.
Il n'avait plus de forces. S'il n'avait pas été assis à côté de Brad, il serait juste tombé à terre et aurait dormir une heure ou deux. Il n'aurait pas pu faire autrement.
"C'est rien. Vraiment. Pas cardiaque... Je ne suis pas en danger," affirma-t-il, autant pour se persuader lui-même que pour s'affirmer devant l'autre homme.
Alors que le malaise retombait peu à peu, comme un voile soulevé par le vent qui se repose et recouvre le décor – au point qu'il se disait que c'était sa comédie habituelle qui cherchait à se remettre en place – Kirk dut prendre une décision. Il était évidemment dans un état désastreux. Il n'aurait pas pu se lever et marcher pour sauver sa vie ; si d'aventure un ours avait déboulé de nulle part, avec une fourchette et un couteau à la main, il se serait laissé boulotter sans réagir. C'était comme s'il n'avait plus une goutte de sang dans les veines. Et pourtant, à le voir, il était tout sauf anémié. Donc, il fallait donner une explication.
"C'est un truc qui arrive."
Il aurait pu mentir, et dire qu'il souffrait d'une condition physique qui lui donnait parfois de petites baisses de tension. Ça aurait tout désamorcé, l'inquiétude et les questions. Mais ça n'aurait pas été honnête. Et vu le parcours qu'ils avaient devant eux, peut-être que l'occasion se serait présentée à nouveau pour Brad de constater qu'il y avait un problème fondamental avec les hauteurs. Il n'était pas con, il allait finir par relier les points. Et là, Kirk aurait l'air encore plus con d'avoir essayé de cacher le problème.
De toute façon, il n'était pas en état de faire dans la grande stratégie.
"J'ai eu le vertige," résuma-t-il d'un air de défaite, en laissant retomber sa tête dans ses mains. Les coudes bien calés sur les genoux, il était stable. Ses cheveux pleuvaient autour de son visage et le cachaient comme il faut. Il pouvait même se permettre une grimace de rage et de honte. Il détestait ça. Il s'était promis que ça n'arriverait plus. Et voilà. Voilà qu'il fallait traverser ce trou qui, à ses yeux, était un gouffre, et la petite voix angoissée au fond de sa tête lui répétait qu'il n'y arriverait jamais. Elle ressemblait beaucoup à la voix de sa mère, à l'hôpital, qui le suppliait en pleurant de ne plus jamais risquer sa vie.
"Je suis tombé souvent, ça ne m'avait jamais arrêté. Mais la dernière fois..." Comment expliquer la dernière fois ? Surtout quand c'était ce qu'il avait le moins envie de faire au monde. Il aurait voulu pouvoir tenir la main de Brad et que, par miracle, celui-ci ait un éclair de compréhension, que le souvenir passe directement de son esprit dans le sien, et qu'il n'y ait plus rien à expliquer. "Désolé. Je suis vraiment désolé. C'est nul, ça devrait être réglé depuis longtemps. Bon, on bouge ? On va pas planter la tente ici."
En se composant un sourire, il redressa la tête et fit un mouvement pour se rattacher les cheveux en chignon. Ça l'aiderait de reprendre un peu de dignité, sur le plan du style au moins. Mais rien que se redresser trop vite l'avait secoué, et cette couleur grise reprit place un instant sur son visage, tandis qu'il se laissait quelques secondes.
"Faut qu'on trouve un moyen de passer ce fossé, je vais probablement me rendre assez ridicule, mais je finirai par y arriver. Tu sais quoi ? Pars devant, je fais ça à mon rythme et je te rattrape."
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