Music— Il n’avait pas vraiment dormi de la nuit. En fait, il avait ressassé énormément de choses. Que ce soit son absence, ce qu’il avait envie de dire, ou ce qu’il avait envie de faire... Son esprit avait été torturé dans les mains de ses propres regrets, un genre de rituel incessant qui ne trouvait de paix qu’une fois trop fatigué pour penser. Il s’était réveillé une bonne dizaine de fois, c’était fait du café, du chocolat chaud, du thé, avait pris un bain, avait regardé quelques programmes de la nuit sans bien trouver son bonheur. Qu’importe, tant que ça lui occupait l’esprit. Mais rien ne marchait, il y avait bien trop de choses importantes dedans de toute façon. Il pensait à Charlotte, mais aussi à Cassie, et bien sûr, Sam. M’enfin, son mari (futur ex mari ?) pour le moment pouvait se débrouiller seul, une urgence à la fois. Une urgence qu’il avait, d’ailleurs, lui même provoqué.

A présent, il était bien neuf heures et il ne savait toujours pas trop quoi dire et quoi faire. Il ne pouvait pas simplement aller sur google et taper: que faire pour se faire pardonner après avoir ghosté sa fille pendant sa chimio ? C’était pas le genre de sujet qui avait plein d’articles explicatifs et des listes de produits à commander sur Amazon. Il fallait qu’il fasse marcher un peu son esprit même s’il était totalement embourber dans la fatigue et le stress. Ses chiennes, aussi, sentaient largement son malaise et n’arrêtaient pas d’essayer de lui monter sur les genoux ou dans les bras. Mais Joseph n’avait juste pas la tête pour les câlins ou jouer. Il s’était pris deux thés bien serrés sans sucre pour se réveiller l’esprit. Il aurait besoin de toutes ses facultés.

Il pris son téléphone et envoya un bref SMS aux urgences pour expliquer qu’il n’était disponible qu’en cas d’urgence absolue car il avait des choses à faire. Cela faisait quand même des mois qu’il n’avait pas fait cette requête, ils lui devaient bien ça. En général, Jo était la bonne poire qui acceptait de tout laisser en plan pour aller dépanner les urgences sur ses jours de congé et de repos. Il partait de ses séances de cinéma ou il demandait un doggybag aux restaurants... Il préférait largement être présent plutôt qu’on ne lui rapporte la dernière grosse urgence de son service. Il n’était pas du genre à rester dans son bureau éternellement et à ne rôder dans les couloirs que pour surprendre ses docteurs sur le vif. Il aimait avoir les mains dans le cambouis, dans la zone de combat avec ses hommes. Mais aujourd’hui, il faudrait mettre tout ça de côté, il avait une urgence d’un autre genre à gérer. Une urgence qui n’avait que trop attendue et dont il était totalement responsable.

Il essaya de se rendre à peu près présentable. Un t-shirt noir, un pantalon gris, des baskets... Il enfila un manteau et se dirigea vers le centre ville. Il passa par une boutique pour acheter des lys blancs et une boite de truffes au chocolat. Il aurait bien voulu acheter toute la boutique en fait, mais il avait peur d’empirer la situation en ayant l’air de vouloir acheter son pardon alors que ce pardon, il ne le méritait pas vraiment.

Il pris le métro jusque dans le Queens, tenant ses fleurs et sa boite de chocolat comme à des bouées de sauvetage. Son regard était à moitié vide, comme un condamné marchant jusqu’au gibet... Il savait qu’il devait le faire, mais ça ne rendait pas toute cette entreprise moins terrible. Il entra dans l’immeuble en utilisant sa clé de rechange et monta directement jusqu’à l’appartement. Il inspira et toqua rapidement, ne voulant pas de défiler lâchement et partir en courant pour aller se cacher sous un pont.

Il inspira et observa un instant les lys et la boite de chocolat. Il savait que ça ne réglerait rien, mais au moins il avait voulu faire des efforts... Et maintenant il ne fallait plus que attendre la pire chose qu’il avait jamais vécu : le regard déçu de ses enfants. Encore pire que les blessures ou le mépris de son mari.