i'm ready to dig into all of it, abandonnement issues, dissociative episodes, my dad...


A Merry Little Time (1998)

« Sutton, on t’attend dans cinq minutes sur le plateau, dépêches-toi. » La petite fille regarde intensément son reflet dans le miroir, prend une grande inspiration puis sourit largement à la maquilleuse qui a vaguement poudrer ses traits enfantins pour des raisons d’éclairage. « Merci pour tout! » Il faut toujours remercier les gens qui travaillent pour toi, c’est poli. Et puis, ils pourraient dire du mal de toi dans ton dos et tu n’aurais plus de travail. Une leçon de vie importante à assimiler avant ses 12 ans, du moins, c’est ce que sa mère a pensé. Et une des nombreuses anomalies de sa vie de future enfant star et actuelle actrice surbookée qu’elle considère comme parfaitement ordinaires. Sutton trottine derrière sa mère et sa tutrice privée, qui semble désespérée d’obtenir plus de temps de travail. « C’est une enfant brillante Mme Young, assidue, si nous avions juste une ou deux heure de plus... » Mais elle est balayée d’un geste autoritaire de la main, qui ne répond pas à l’éthos tant prêché auprès de l’enfant. « Tu es prête Sutton? » Elle hoche la tête, essayant de trouver le bon équilibre entre une mine timide et déterminée. Une autre petite fille et une adulte incarnant leur mère sont réunies face à la caméra. Qu’importe qu’aucune de ses actrices asiatiques n’est vraiment les mêmes origines ou nationalités. Qu’importe que tout l’humour du film repose entièrement sur le fait que cette famille de restaurateurs chinois et leurs voisins juifs vont sauver Noël et New-York! Ville où ni Sutton, ni sa jeune co-star n’ont encore jamais mis les pieds et dont elles ne comprennent certainement pas les caractéristiques culturelles. Ce qu’elles savent, c’est que ce week-end, elles pourront jouer dans la neige, derrière le grand hôtel canadien où l’équipe de production s’est installée. Et qu’en attendant, elles jouent à être soeurs pour enrichir leurs parents.

Disney Channel presents : Kim’s Big Adventure (2003)

« J’ai réfléchi à ce que tu nous as dit hier et... » Sutton hausse les sourcils, effarée, regardant autour d’elle avec une mine panique. « Chuuuut Papa! » Il réalise sans doute qu’il a failli commettre une erreur et se lève pour fermer la porte de la petite loge des studios de Burbank, où il a soudain décidé de se rendre. Pour “faire une surprise” à sa grande fille chérie. Allez savoir ce qu’il a pu faire de Grace, l’insupportable gremlin qui sert lui sert de petite soeur. Peut-être est-elle à l’école, pour une fois. Sutton ne suit pas exactement le calendrier des vacances scolaires, mais il lui semble beaucoup trop souvent coïncider avec son temps libre. Qui se retrouve donc envahi par le monstre. Et voilà que son cher papa veut “lui parler.” Ca ne peut pas être bon signe. Avec sa mère, elle sait à quoi s’attendre: des réprimandes, des infos sur son prochain tournage, des conseils qui sonnent plus comme des reproches, son itinéraire de la journée, quelques complaintes. Mais son père… A part plaisanter autour du dîner - quand ils arrivent à être tous à la même table - ou lui remettre solennellement une carte sentimentale pour son anniversaire, il a rarement quelque chose à dire.

Mais au vu de la conversation en question, Sutton a bien une petite idée de ce qu’il va pouvoir dire. Elle sert donc les dents, regrettant immensément la révélation faite à ses parents. Maman ne lui a toujours pas adressé la parole, elle a besoin de réfléchir à la gestion de crise que cela représente pour elle, sans doute. « Désolé, je ne voulais pas causer d’ennuis. Je voulais juste te dire que... » Tu me déshérites? « Que je sais que ça a été dur pour toi. Et que je t’avoue que ça me dépasse un peu, mais, je veux juste que tu sois heureuse. Je sais que c’est compliqué, avec tout ça. » Un vague geste de la main englobe l’adolescente en crop top et la salle aux vives lumières et, symboliquement, l’usine à produits dérivés et starlettes qui finance leur troisième maison, à Palm Springs. « Mais, je peux parler à ta mère, on peut trouver des solutions. Si… tu rencontres quelqu’un et que tu as envie de, d’être plus libre. » La brune manque d’éclater de rire. Elle n’a pas été libre de commander un burger à In-N-Out depuis quatre ans et, soudain, elle serait libre d’avoir des relations amoureuses? Avec une fille. Certainement pas. Mais, c’est l’intention qui compte alors Sutton sourit, pose une main sur le bras de son père, qui ne lui a jamais paru aussi vieux et d’une voix douce, chaleureuse, souffle exactement au bon volume. « Merci Papa. » Vraiment, elle mériterait un deuxième Teen Choice Awards, si quelqu’un avait vu ce moment.

The Neighbors (2016)

« Alors, alors? » Face au silence de sa fille, Mme Young aurait pu faire une pause, regarder son visage tiré, ses yeux brillants. Mais cela lui aurait sans doute demandé d’utiliser des facultés émotionnelles qui ne sont pas tout à fait au point. « Sutton? Ils t’ont dit quoi? Ce suspense va me tuer! » Elle s’assoit, toujours plus drama queen que son actrice de fille. « Ils ne sont pas intéressés mais me remercie de mon enthousiasme et penseront à moi pour de futurs projets. » Son ton est mécanique. La jeune femme est en train d’assimiler l’information, la digérer en temps réel et en accéléré. Après tout, elle a un autre film à aller promouvoir. Une comédie des plus intellectuelles, sur une querelle de voisinage! Et des garçons lubriques! Et, ew, James Franco. Une comédie pour adultes, d’une artiste libérée de la franchise aux grandes oreilles pour poursuivre des projets enrichissants, culturellement significatifs pour elle et sa communauté. Et lucratifs, aussi, parfois. « Comment ça? Ils… Mais… Crazy Rich Asians! Si ce n’est pas toi, qui? » Excellente question. Sa mère et sa soeur remplissent à merveille les conditions du premier adjectif, son père et elle-même contribue principalement au second et tous entrent dans les critères du nom. Pas pour les producteurs apparemment. « Pas assez “Asian.” Apparemment. » Mais Awkwafina ou qu’importe son pseudonyme absurde, sortie du Trou du Cul de Long Island et qui se prend pour 50 Cent à ses heures perdues, ça, c’est authentique. Mais la jalousie est un vilain défaut, après tout. Alors, Sutton s’assoit près de sa mère, qui commence à s’agiter et menacer d’appeler des producteurs, de faire jouer ses relations. « C’est pas grave Maman. C’est pas grave. On trouvera autre chose. »

Le travail ne manque pas, surtout quand on est une force brute comme Sutton Young, qui n’a jamais passé plus d’un an sans faire partie d’un projet au cinéma, à la télévision ou, brièvement, sur les planches. Trop de variables dans le théâtre à son goût. Et elle a produit l’album obligatoire, comme stipulé dans un de ses nombreux contrats que ses parents n’ont pas lu d’assez près. Et face à l’échec, il faut redoubler d’efforts. Une philosophie qui paie beaucoup plus au travail que sa vie personnelle.

Untitled Project (2018)

« Honnêtement, je ne sais pas si je ne devrais pas être un peu vexée, c’est le troisième rôle de mère qu’on me propose en deux ans! » Son assistante ne dit rien mais hausse légèrement les sourcils, coulant un regard vers la cuisine, où Gaby est affairée. Et qui, fort heureusement, ne l’entend pas. « Ne me regarde pas comme ça, tu m’as très bien compris. Mère à Hollywood, ça veut dire vieille. Excuse-moi si je veux encore pouvoir jouer la protagoniste d’une comédie romantique, plutôt que sa meilleure amie vieille fille ou sa mère! » Se pourrait-il que la vitesse à laquelle Sutton s’est sentie visée illustre des problèmes sous-jacents dans sa vie personnelle, dont elle devrait potentiellement parler en profondeur avec sa femme ou sa psy plutôt qu’à travers des conversations tout en sous-entendus avec ses employés? Possible. Le fera-t-elle? Certainement pas.

Elle lance elle-même un regard furtif à son incroyable épouse, dont une des mèches blondes s’est échappée de son chignon et vient l’embêter, alors qu’elle touille une marmite, place quelque chose dans le four, vérifie un détail dans son livre de recettes. Elle adore la regarder concentrée, immergée dans ce qu’elle fait. Personne avant Gaby n’avait su lui faire aimer ces instants de domesticité, les petits gestes du quotidien. Avant, elle n’aurait pas pris le temps de s’interrompre, de la regarder un instant et de se rappeler tout ce qu’elle avait la chance d’avoir, même quand elle n’était pas sur un plateau. Mais Sutton a littéralement construit son identité devant les caméras. Parfois, elle ne sait pas qui elle est, quand elle est seule avec la personne qu’elle aime le plus au monde. Elle se demande parfois si toutes ses idées, ses paroles, ne sont que des réactions aux gens, au monde qui l’entoure. Si un arbre tombe dans la forêt et que personne ne l’entend, est-il vraiment tombé? Si Sutton exprime une émotion et que personne n’est là pour l’immortaliser sur un écran, l’a-t-elle vraiment ressentie?

« Que voulez-vous faire Miss Young? » La voix de son assistante la sort de sa rêverie et elle soupire légèrement. « Je suis navrée de t’avoir gardée aussi longtemps Kaitlyn, tu peux reprendre le script. Et dire à Pauline que ce sera non. » Elle sort un billet de son portefeuille, posé sur un buffet et le tend à la jeune fille. « Tiens pour ton Uber, garde la monnaie. A demain et bonne soirée! » Elle regarde la jeune étudiante s’envoler, se demandant pourquoi autant de gamines bien plus intelligentes qu’elle ne l’a jamais été font ce genre de boulot. Tout en les payant grassement pour les encourager à ne pas partir vers de meilleurs horizons. Tout le monde à Hollywood sait que de bons assistants font toute la différence et Kaitlyn est une perle, qui n’a pas rechigné à signer son accord de confidentialité, ce qui est toujours un bon indicateur. La brune se dirige alors vers la cuisine, pour prendre sa femme dans ses bras et temporairement oublié la pile de mauvais scripts qu’elle a lu cette semaine.

New-York City, 2020

Sutton sort d’un taxi jaune, son sac de voyage Ralph Lauren à la main, protégée de la pluie battante par un assistant tenant un parapluie. Elle laisse un pourboire au chauffeur, puis se dépêche pour ne pas que le pauvre garçon finisse trempée. Il repart, lui aussi avec un petit billet pour ses services et l’actrice pousse la porte de l’immeuble de briques. Elle est accueillie par un concierge, qui l’informe que toutes ses affaires sont bien arrivées et ont été installées comme convenu. Elle le remercie et il lui donne le code de l’ascenseur, qui la conduit au dernier étage. De là, la vue est incroyable, mais la brune ne s’y attarde pas plus que ça. Elle aura tout le temps d’en profiter. Le tournage de sa nouvelle série est partie pour durer plusieurs mois et si le show est renouvelé, elle pourrait bien rester. Et pour d’autres raisons, évidemment.

Le silence et le vide de ce nouvelle appartement, malgré les plantes vertes et les doux tapis, soigneusement choisis par sa décoratrice d’intérieur, ne font que lui rappeler l’autre raison pour laquelle elle est là. L’échec cuisant qui l’a forcée à quitter sa Californie natale, où il fait actuellement beau et chaud, pour essayer de recoller un peu les morceaux, de réparer ce qui est réparable. Evidemment, elle sait qu’elle a gaspillé toutes ses chances. Elle sait que Gaby aurait eu toutes les raisons de la quitter il y a un an, trois ans, cinq ans. Qu’elle peut s’estimer heureuse qu’elle ai été si patiente, si compréhensive, si généreuse de son temps et de sa personne. Mais, la voilà tout de même, à minuit passé, un verre de vin rouge sur la table basse, une seule lampe de chevet allumée, fixant l’écran éblouissant de son smartphone. Il fallait qu’elle essaye. Alors, elle appuie sur la petite flèche d’envoi puis allume la télé, tombant à point nommé sur une rediffusion de Quand Harry Rencontre Sally. Quoi de mieux pour lui remonter le moral qu’un film entièrement basé sur l’incompatibilité entre deux personnes et le pire timing possible?