|	My strange addiction ; Shawn & Neva

Animé par le besoin irrépressible d'accaparer ton attention, le volant glissant entre mes mains, mon cerveau fonctionne à toute allure pour tenter de trouver une raison suffisamment pertinente pour te voir. Je pourrais simplement t'envoyer un message, te dire que j'ai besoin de passer du temps avec toi, mais j'ai aucune envie que tu me prennes pour un type lourd, et que tu n'aies plus jamais l'envie de me voir. Le meilleur moyen de te retrouver, ce serait de dénicher un prétexte en mesure de justifier des retrouvailles fortuites et l'étonnante capacité de mon esprit à s'épanouir dans les situations les plus rocambolesques me pousse à envisager l'imprévisibilité d'un accident qui serait, pour le coup, parfaitement planifié.

Aux abords de cette route bien trop calme, je distingue les ombres de grands arbres se dressant vers le ciel, détaché du paysage par la lumière éblouissante et blafarde de mes phares dans la nuit. L'accélération doit être suffisante pour causer un minimum de dégâts, alors mon pied se pose lourdement sur la pédale de droite. Le compteur indique une vitesse toujours plus grande, et lorsque la dernière voiture que je croise s'évanouit dans la pénombre de mon rétroviseur central, je braque brutalement le volant et fonce droit sur l'un des grands platanes ornementaux.

Noir. Lorsque je rouvre les yeux, quelques bribes de souvenirs me reviennent en mémoire. La route. La nuit. Le moteur qui vrombit jusqu'à l'impact, bien plus brutal que ce que je ne m'étais imaginé. Face à moi, l'immensité sombre est seulement éclairée par deux larges faisceaux lumineux, qui laissent entrevoir des nuages de fumée émanant du capot, complètement défoncé par la violence du choc. Une douleur sournoise irradie alors soudainement dans mon crâne et un rapide coup d'œil dans le rétroviseur me permet de constater qu'une tache sombre serpente le long de mon front. Mes doigts s'aventurent sur celles-ci, et entrent en contact avec le liquide visqueux, chaud et sombre. Du sang.

Déboussolé, mais n'en oubliant pas mon objectif initial, j'attrape mon téléphone, abandonné sur le siège passager. Il y a très peu de réseau ici, mais suffisamment pour que je puisse passer un appel, un appel de la plus haute importance. Lorsque tu décroches, j'affaiblis d'autant plus ma voix pour susciter encore plus d'inquiétude en toi. Mais c'est sans hésitation que tu viens lorsque je te le demande, parce que je sais que cette complicité qui nous lie n'était pas que le fruit de mon imagination. Lorsque nous raccrochons, je te partage ma position, afin que tu puisses me retrouver plus facilement au milieu de cet endroit perdu. Et à présent, je n'ai plus qu'à attendre. Attendre que tu apparaisses tel un ange pour m'arracher des enfers. Et c'est exactement ce que tu fais.

Tu surgis dans la nuit avec tes ailes invisibles, bienveillante. Tu consacres toute ton attention à moi, et c'est exactement ce que je voulais. Je sors de l'habitacle lorsque tu t'approches et m'avance d'un pas hésitant dans ta direction. Je porte ma main à mon front, comme pour soutenir ma tête qui aurait été alourdie par le poids de la douleur. Finalement, une grimace véridique déforme mon visage, cette douleur n'étant pas tant simulée que ça finalement. J'y suis vraiment allé trop fort cette fois. Mais dès que j'entends le son de ta voix, la souffrance s'envole, laissant place à la satisfaction de te voir aussi prévenante à mon égard.

- Merci d'être venue aussi vite. Et désolé de t'avoir dérangé mais je ne savais pas vraiment qui appeler.

C'est faux. J'aurais pu appeler n'importe qui, mais c'est toi que j'ai choisi. Parce que c'est toi que j'avais décidé de voir ce soir.

- Oui, oui, ça va... Enfin, ne crois. J'ai la tête qui tourne un peu.

Un sourire crispé se pose sur mes lèvres pour te laisser entendre que j'essaye juste de te rassurer, de faire en sorte que tu ne t'inquiètes pas trop.

Je tourne alors la tête vers ma voiture, toujours immobile, le pare-chocs avant fendu en deux.

- Par contre, ma bagnole, je crois qu'elle est foutue.

Un désagrément qui aurait pu contrarier n'importe qui, mais que je parviendrai à faire disparaitre en utilisant l'argent engendré par les faux que je parviens encore et toujours à écouler.

- Tu penses que tu pourrais me ramener chez moi ?

Je sais que tu ne pourras pas refuser. Après tout, j'ai toujours été là dans les mauvais moments. Je sais que tu sauras parfaitement me renvoyer l'ascenseur.