Le bruit la saisit, l'avale tout entière et ça lui fait du bien, autant que se noyer dans la foule. Dix minutes à peine dans un taxi et elle ressent déjà le besoin de retrouver son souffle, son espace, les lèvres d'autrui peut-être... Leah passe une main à travers ses boucles brunes et se laisse prestement absorber par la boîte de nuit trop pleine – tant pis pour la transpiration, pour les corps trop collés, et pour l'odeur de bière renversée et tout ce qu'elle déteste d'habitude : pour l'instant, tout ce dont elle a besoin c'est de quiétude dans la clameur, de distraction dans ce couple qui lui dit plus rien. Ce soir c'est la fin : chacune le sent mais aucune ne le dit. Ou si Artemisia essaie d'aborder le sujet, elle cache bien son jeu. “Ça te va ici ?” qu'elle demande pourtant contre l'oreille de la jeune femme, saisissant à nouveau sa main dans la sienne, davantage par habitude que par réel confort. Ça la pousse à s'interroger : est-ce qu'Artemisia, elle aussi, sent à quel point c'est forcé ? combien tout semblant de naturel entre elles n'est venu qu'à la suite d'un acharnement à faire en sorte que ça le soit ? Elle sonde ses yeux, un court instant, avant que l'obscurité ne les englobe encore trop et elle n'y trouve rien. Leah, de toute façon, ne souhaite pas parler. Elle ne trouve rien de réconfortant aux discussions sérieuses qui la mettent trop à poil, trop à fleur de peau ; elle leur préfère mille fois la fois de trop, le mot trop blessant. Ils sont directs. Personne ne s'y perd.
Pas comme avec Noé.
Puis de toute façon, que dit-on, dans ce genre de cas ? Désolée, j'aime encore mon ex et je suis pas prête pour une nouvelle relation ? Ça sonne bancal et surtout, c'est injuste.
“Tu veux boire quoi ?” qu'elle relance, désinvolte – presque trop.
L’idée l’effleure que peut-être a-t-elle toujours été injuste, avec Artemisia. Quelle idée de sortir le soir où chacune sent que ce sera terminé le lendemain ? Une façon de déculpabiliser, peut-être, d'aborder la chose avec légèreté ? Être trop ivres pour s'en faire pleurer ? Leah l'ignore, parie davantage sur l’idée qu’au fond, telle a peut-être toujours été leur dynamique - se noyer dans le monde pour éviter de se noyer entre elles.
Quitte à en oublier fondamentalement le reste du monde, aussi, qui ne leur revient que lorsque le barman leur lance un “Hé, z’avez vu ? Apparemment, y a eu une fusillade dans le quartier voisin…” Lointaine, Leah ne fait qu’acquiescer vaguement et rétorquer en réclamant un bourbon première qualité. Pour l’instant, la perspective d’un assassin en cavale l’inquiète moins que leur relation sur la sellette. Les vigiles qui affluent à l’entrée et se disputent avec un client un peu trop sur les nerfs ne l’interpelle pas davantage, d’ailleurs. Si elle avait su...

@Artemisia Fleming

Elle s'était jeté un peu à corps perdu dans cette relation. Un peu par dépit, histoire de ne pas être seule, de ne penser à rien d'autre qu'elle. Bien sûr, c'était un échec de taille monumentale. Au fond d'elle, Artemisia avait honte d'avoir prise Leah pour une idiote. A deux, elles avaient passé de bons moments, mais l'ombre d'Eliah flottait un peu trop lourdement autour de cette mascarade. Ce soir, les masques allaient tomber une bonne fois pour toute. Pas besoin de se faire du mal plus longtemps et pour rien du tout. Au temps qu'elles vivent leur vie de côté, sans perdre plus de temps. Cette sortie en boîte de nuit allait être la parfaite occasion pour se dire adieu. Le bruit pourrait éventuellement cacher quelques reproches ou remarques qui dépasseraient leurs pensées. Et puis, Leah et Artemisia pourraient se détendre comme il faut. Elle aura un goût amer-doux cette soirée, la jeune femme le sait. « Mouais » dit-elle quand elle lui demande si cet endroit lui convient. Elle ne prend même pas la peine de regarder sa petite amie, préférant regarder son reflet dans la vitre du taxi et se perdre dans ses pensées. Comment lui dire ? Pour le moment, elle l'ignorait. Ça va, l'ambiance a l'air bonne. Pas trop mal, ça fera l'affaire, après tout. Elles filent directement vers le bar, Artemisia profite pour adresser quelques sourires à ceux qui voulaient bien lui répondre. Tu prends quoi ?, elle soupire et hausse les épaules. L'alcool lui était interdit. « Juste un coca, ça ira. Je bois pas d'alcool ». Elle peut s'en passer sans problèmes. L'alcool avait détruit sa mère et elle avait hérité de son taux à la naissance. Le barman se tourne pour préparer leurs boissons. « Faut que je te dise un truc, Leah ». Il y a pas de bons moyens de le dire. Elle ferme les yeux et lâche : « J'ai couché avec Eliah, la semaine dernière. » et c'est pas la première fois. « Je suis désolé, mais je crois que nous deux ça va pas le faire. ». Le Karma avait décidé de venir les faire chier, on dirait. Une alerte pour un gars armé, fallait que ça tombe maintenant. Elle soupire et se tourne vers le barman. « C'est sûrement des gamins qui jouent avec des pétards. Les gens sont prêts à tout de nos jours. ». Elle pose un regard sur la foule. Une foule qui devenait de plus en plus dense. Elles pourront vraiment se donner en spectacle ce soir. Great.

Le ton est aux confidences et aux mauvaises nouvelles et potentiellement à une mémorable cuite et cette sensation étouffante empêche Leah de correctement se délecter du doux parfum de déodorant Axe mélangé à la clope et à la transpiration du serveur. Et le pire, c'est qu'elle continue, Artemisia. Faut que je te dise un truc, Leah. La concernée, elle, retient un roulement d'yeux vers le plafond et plonge ses lèvres dans le bourbon fraîchement servi. Bien sûr, qu'il faut qu'elle lui dise un truc. Artemisia dissimule aussi bien ses émotions qu'elle cache les sextoys dans sa chambre, et le niveau est pourtant très bas. “Ah”, qu'elle rétorque, très connement, parce que de toutes les variantes auxquelles elle s'était préparée elle avait complètement oublié de considérer celle-ci, “je vois.” Je vois. Même pour Leah, c'est peu expressif. Elle espère que le bourbon qu'elle s'enfile entier l'aidera à maintenir sa contenance et à garder son apparence de cool en toute circonstance, parce qu'elle est incapable de trouver quoi faire d'autre. En même temps, que dit-on à ces choses-là ? C'est fini entre nous ? Déjà fait. Alors, quoi ? Se sent-elle trahie ? Ou particulièrement triste ? Abandonnée ? Pas spécialement. Ça ne laisse pas grand-chose d'autre à dire, à part je vois. “Je vois je vois.” À tel point même qu'elle le répète.
Peut-être est-ce le karma, ou la fâcheuse tendance qu'à la vie à vous en foutre par la gueule en paire, mais la foule se densifie et s'épaissit vers le fond avant même que le premier cri prophétique ne résonne par-dessus la musique.
Et d'un coup c'est le chaos. Les tabourets sont balayés par des danseurs hâtés, les verres tombent par terre dans des bruits étouffés par la masse et le premier coup de feu semble presque couler de source lorsqu'il résonne. “Des pétards, hein ?” qu’elle glisse à Artemisia. C’est plus fort qu’elle. Le cynisme semble avoir repris sa place comme ultime mécanisme de défense, loin devant toute envie de fuir. Les portes de la boîte se ferment, les cloitrant à l’intérieur pour les protéger du cinglé dans la rue, et curieusement, Leah se prend à penser que grâce à son intervention, elle n’aura pas à épiloguer davantage sur le sujet. “J’espère que tu ne comptais pas rentrer tôt pour voir Eliah.” Mais c’est plus fort qu’elle, toujours en rajouter une couche.

@Artemisia Fleming