Du plus loin que je me souviens, la peinture a toujours eu le pouvoir de m’apaiser et de mettre de l’ordre dans mes pensées. Après chaque coup dur, il est certain que je me retrouvais devant une toile. Après la mort de Jenna, j’ai passé un bon nombre d’heures à peindre différentes toiles. C’était ma façon de faire mon deuil. Après chaque blessures qu’Eddy a pu avoir, il y a une toile qui a vu le jour. Heureusement que ce n’est pas arrivé souvent ! Inversement, après de bons moments aussi j’ai besoin de mettre sur une toile mes pensées et émotions. Par exemple, dans notre maison, il y a une toile qui représente notre mariage à Edouard et moi. Et une pour la naissance de nos trois enfants. La peinture est réellement ma façon de m’exprimer, surtout de moi à moi. Ça me permet de voir mes pensées d’une façon beaucoup plus clair, donc je peux ainsi mieux comprendre comment je me sens.

Une psychologue que j’ai vu après la mort de Jenna m’a conseillé de peindre ma vie, même si ça prendrait plusieurs toiles. De fractionner ma vie en différente toile pour la visualisé. Selon elle, ça me permettrait de mieux surpasser la mort de ma grande sœur pour laquelle je ressentais beaucoup de culpabilité. Je n’étais pas là pour elle et je le regrette tellement. Je n’avais jamais réellement pris le temps de faire cet… exercice puisque je ne comprenais pas vraiment ce que ça allait m’apporter. Alors quand je suis tombé en congé de maternité lors de ma grossesse d’Andrek, je me suis dis que c’était le moment.

J’ai commencé par la petite enfance, de ma naissance jusqu’à l’adoption des Crawford. Une grande partie de la toile s’est retrouvée noire, très sombre, avec à peine quelques couleurs ici et là. Je n’ai pas eu de difficulté à comprendre la signification de cette toile en fait. Le noir, très présent dans le bas de la toile – partie qui représente les années où je vivais avec mes parents biologiques, représente la maltraitance, la négligence que nous avons vécu dans notre enfance. Je n’ai pas beaucoup de souvenirs de cette époque puisque j’étais très jeune, mais j’en garde tous les traumatismes dans mon inconscient malgré tout. Après tout, pas besoin d’avoir de souvenirs clairs pour être traumatisée face à des coups et des agressions sexuelles.  Et, putain, que tous ça m’a bien pourri la vie. Heureusement qu’après chaque tempête le soleil brille, même si ce n’est pas pour longtemps. Après chaque coups, Jenna ou Wilhem me consolaient. Ils faisaient de leur mieux pour que mon enfance soit la plus belle malgré notre réalité. Mon enfance, mais aussi celle de mon jumeau. Ils nous faisaient toujours rire malgré les larmes qui séchaient sur nos joues. Jen et Wilh étaient vraiment nos rayons de soleil dans toute cette tempête. Ce sont les touches de couleurs dans cette partie sombre de ma toile. Puis, en remontant dans la toile, c’est de moins en moins sombre. Ce n’est pas clair, comme de la neige, ou remplie de belles couleurs encore, mais ce n’est plus sombre comme une nuit sans lune. C’est gris – gris foncé comme lorsque le ciel se prépare à faire éclater un orage – avec quelques touches de couleurs ici et là. Ce n’était pas tout beau encore puisqu’on changeait régulièrement de maison. Je réalise maintenant que ce n’était pas parce qu’on ne méritait pas l’amour de ces familles d’accueil, mais bien parce qu’on était trois enfants avec beaucoup de problèmes, que c’était trop pour ces familles. Donc, oui, ce n’était plus qu’une longue tempête parsemée de rayons de soleil. C’était une simple succession de journées nuageuses où le soleil pointait le bout de son nez par moment. Les coups, les visites nocturnes qui font mal, la peur, tout ça c’était fini et on était toujours tous les quatre. Du moins, presque tous les quatre puisque Jenna est partie seule en appartement.  Les couleurs représentaient toujours ma fratrie, mais, à ce moment-là de ma vie, ça symbolisait aussi les familles d’accueil qui nous ont recueilli parmi eux, même si ce n’était pas pour longtemps. Malgré le peu de temps qu’on pouvait passer avec eux, ils nous donnaient de l’amour, de la sécurité et de beaux moments avec des parents et une famille aimante, ce qu’on n’a jamais vraiment connu avant. Puis, le haut du tableau est d’une nuance de gris beaucoup plus pâle et la couleur commence réellement à se faire une place. C’est le moment où les Crawford sont arrivés dans notre vie et qu’ils nous ont adopté. Ce n’était toujours pas tout beau puisqu’on vivait encore avec nos traumatismes de notre enfance et qu’il y avait toujours cette peur de devoir changer de maison un jour ou l’autre. Peur qui s’est estompé après l’adoption officielle. La vie commençait à sembler à de belles journées où le soleil allait être le seul à briller dans le ciel.

Après quelques jours, j’avais terminé la première toile qui allait représenter ma vie. J’avais pris un pause parce que, mine de rien, c’était dur de se replonger dans tous ses souvenirs. En plus, mon mari avait passé quelques jours à la maison alors il n’était pas question que je ne profite pas de chaque seconde avec lui. Nos deux princesses demandaient beaucoup de temps et d’attention, donc on a fait plusieurs sorties en famille ou de simple activité à la maison. À ce moment-là, j’en ai profité pour parler de mon idée à Edouard. Avec un troisième enfant, une maison avec une grande cours, ça pourrait être une bonne option. On a donc fait appel à la même agente immobilière, Henley, qui a réussi à trouver nos chez soi depuis quelques années pour trouver cette maison. Cette maison que je décore encore. Je profite de mon congé maternité pour tout placer et peindre les chambres des enfants dans un thème spécifique et ce n’est pas qu’une simple couleur au mur. Bien sûr que non. C’est bien trop simple. Donc, Andrek a une belle chambre au couleur des peuples des Premières Nations. On ressent vraiment l’inspiration dans sa chambre et je crois bien qu’il l’adore. Et je suis certaine que ça touche beaucoup mon Doudou et que ça va toucher son père lorsqu’il va venir voir notre maison. Elsa, le thème de sa chambre est les princesses. Pas nécessairement les princesses Disney, même si je me suis inspirée du château de Disney pour celui que j’ai peint dans sa chambre. Elle aime tellement les princesses qu’elle était émerveillée de voir que tous les meubles dans cette pièce donnaient un style royale à cet endroit. Et, pour notre plus grande, Nina, elle est comme son père. C’est sa copie conforme. J’ai réellement l’impression de voir mon mari dans plusieurs agissement de Nina. Et comme elle lui ressemble autant, ils partagent la même passion pour le hockey et le rodéo. Alors sa chambre a été difficile à décorer, car il fallait que je fasse un choix entre ces deux passions. Finalement, c’est le hockey qui a gagné. Sa chambre est très bleue puisque c’est les deux couleurs présentent dans les deux équipes que mon mari a faites. Une moitié de sa chambre se consacre un peu plus à l’époque où il faisait partie des Canadiens de Montréal avec son ancien chandail encadré et l’autre moitié se consacre à sa nouvelle équipe, les Rangers de New-York. Comme il fait encore partie de l’équipe, je n’ai pas pu y mettre son chandail. J’en ai acheté un à la place. Sa chambre à un petit air d’Arena et de musée commémoratif d’Edouard. Après tout, Nina aime conserver tous les souvenirs qui touchent à son père au hockey. C’est tellement mignon. C’est pour tout ça que j’ai tardé le moment de continuer la série de toile. J’avais un nouveau projet à préparer : un déménagement et de nouvelles idées de décoration. C’est un soir, peu après le départ de mon mari pour une nouvelle série de game à l’extérieur que j’ai peint la seconde toile. Je n’arrivais pas à dormir, je revoyais Doudou tomber sur la glace après un coup un peu trop violent et j’étais en train de devenir complètement folle à revoir cette scène. Je ne comprenais pas pourquoi j’étais toujours autant sur les nerfs puisque je l’ai eu un téléphone et il m’a assuré que tout allait bien pendant presque une heure. Alors, comme c’était visiblement inutile que je reste dans le lit, j’ai enfilé un vieux hoodie d’Eddy et je me suis installée devant une toile vierge pour y peindre une nouvelle fraction de ma vie.

Cette toile commençait plutôt de façon claire, avec beaucoup de couleurs. Après tout, on avait enfin une famille qui nous aimait et qui nous protégeait. Bien sûr, il y avait toujours des zones sombres. Par exemple, je faisais toujours une crise de larmes et de panique lorsque notre papa adoptif rentrait dans ma chambre sans maman le soir pour me border. Et même ses câlins, je n’arrivais pas à les apprécier totalement. Avec maman, il n’y avait aucun problème. Je voyais bien, du haut de mes presque 9 ans que ça blessait papa, mais… c’était plus fort que moi. On a fini par comprendre le pourquoi lorsque j’ai commencé à voir un psychologue pour enfant. Selon lui, j’étais trop jeune pour en garder des souvenirs et, que si j’avais été en mesure d’en garder, je les avais refoulés le plus loin possible puisque je ne voulais pas ternir l’image que j’avais de mon père – si on peut appeler ça un père. En fait, grâce à lui, on a découvert que notre père biologique avait abusé de moi avant qu’il ne perde notre garde. Quand Jenna a appris ça, elle a fondu en larmes en répétant « je croyais avoir tout fait pour qu’il ne la touche pas ». C’est là que j’ai compris que ma sœur m’avait protégé de son mieux pendant tout ce temps, qu’elle a subi l’enfer pour me l’épargner même si ça n’avait pas totalement marché. Malgré la tristesse de cette révélation, on s’est encore plus rapproché. Bien vite, pendant que je peignais, je me suis figée, le pinceau dans les airs prêt à peindre la toile. J’étais rendue au moment où mon jumeau a perdu la vie. Je n’ai pas vu l’accident, mais je l’ai vu sans vie devant la voiture puisque j’allais le voir pour qu’il joue avec moi à la princesse et au chevalier. Jenna devait repartir et je voulais continuer à jouer, mais pas au ballon. Je me souviens avoir figé et avoir fondu en larmes, mais après c’est flou. Jenna m’a pris dans ses bras pour rentrer dans la maison. Pleins de personnes sont venues à la maison pour repartir rapidement. Jenna qui n’a pas quitté mon chevet pendant un bon moment. Tout en me remémorant ces douloureux souvenirs, la toile s’assombris sur une partie de plus en plus grande puisque ce moment a été suivis d’un déménagement à New-York. J’avais perdu mon jumeau et, en plus, j’avais perdu la maison où tous nos souvenirs se trouvaient et où lui reposait. Heureusement que Jenna a suivi, même si elle s’est repris un appartement. Mais, comme si ce n’était pas assez dur comme ça, mon grand-frère a commencé une thérapie et n’était plus totalement le même. J’avais l’impression d’avoir tout perdu et c’est plutôt comprenable sachant que j’avais à peine dix ans. Heureusement, cette période sombre n’a pas duré longtemps, du moins si on veut. Je vivais toujours la perte de mon jumeau, mais la vie a continué. Wilhem allait mieux, il a rencontré une fille avec qui je m’entendais super bien. J’arrivais a apprécié les câlins de mon père et je paniquais de moins en moins lorsqu’on se retrouvait que tous les deux dans ma chambre le soir lorsqu’il venait me border. Je continuais d’avoir de super note à l’école, ce qui a confirmé à mes parents que c’était la meilleure décision de me faire sauter la deuxième année du primaire. J’ai toujours voulu apprendre et rien n’allait assez vite pour moi alors maman m’a aidé à apprendre à lire et écrire avant le temps, ce qui m’a permis d’avoir ce passe-droit. La toile qui se trouvait devant moi devenait à nouveau un peu plus clair, malgré la douleur de la perte qui ne partait pas. Les années ont suivi avec moins de nuages gris dans le ciel et plus de soleil chaque jour. J’ai tenu la promesse que j’avais fait à Max avant de partir pour New-York : j’allais vivre notre vie pour nous deux. J’ai alors profité un maximum tout en continuant d’apprendre sur un tas de sujet puisqu’on adorait apprendre ensemble. J’ai vécu et fait plusieurs premières fois pour nous deux. Les party, j’adorais ça ! Ça me permettait de me sentir vivante. La toile qui se tenait devant moi devenait de plus en plus colorer. Il y avait plus de couleurs que de gris et de noir maintenant et ça me faisait sourire. Ma nièce est née à cette époque, mais Wilh l’a adopté presque directement. La raison est bien l’une des raisons du gris et du noir encore présent. Ma grande sœur était toujours prise par le passé et c’était en train de la détruire, comme toutes ces merdes qu’elle prenait et qui lui a fait faire des overdoses à plusieurs reprises. On aurait dit un chat avec ses neufs vies. À ma grande surprise, j’ai fini la toile par une grande ligne rose. J’ai su directement que ça représentait le mariage de mon frère. J’étais si heureuse de le voir devant Emma à se dire qu’ils allaient s’aimer pour le meilleur et pour le pire, jusqu’à ce que la mort les sépare. Il y avait bien que cette possibilité qui allait pouvoir les séparer, j’en étais convaincue. Ils s’aimaient tellement.

Cette toile, je l’ai fait en une nuit. J’étais tellement prise par le tourbillon de couleur que je n’ai pas vu le temps passé et que j’ai reposé mon pinceau au bout rose, j’ai vu les premiers rayons du soleil pointer leur bout de leur nez dans la pièce. J’ai ramassé le tout rapidement et je suis allée me coucher après m’être assurée que mes deux princesses dormaient encore paisiblement. Je savais que je pouvais appeler maman pendant la journée si je me sentais trop fatiguée alors je me suis endormi tranquillement le visage dans l’oreiller de mon mari qui portait encore sa si douce odeur.

Quelques jours plus tard, les filles étaient parties avec leurs grands-parents au zoo et l’envie de continuer cette série m’a prise après quelques heures à me sentir nauséeuse à cause de ma grossesse. J’ai alors commencé la toile par une petite ligne rose dans le bas pour faire un rappel avec la toile précédent. J’ai continué avec des tourbillons de couleurs avec juste assez de gris et un peu plus de rouge que toutes les autres couleurs. Ces tourbillons représentent le moment où je suis partie étudiée au Québec. Maxence voulait voir le monde. Il voulait être libre et apprendre sur tout et partout alors je trouvais que c’était une belle façon pour lui rendre hommage. J’avais 17 ans et je me retrouvais seule à Montréal Nord. C’était un truc de folie, mais étrangement j’ai adoré tout de cette expérience. Comme j’avais fini le lycée un an en avance, j’avais pu partir un an en avance. J’étais donc la plus jeune dans chacune de mes classes alors que j’avais été la plus vieille pendant si longtemps. C’était tellement étrange, mais si excitant. Mon appartement, ce n’était pas le plus luxueux, mais j’avais réussi à lui donner un certain charme. Au début, je galérais tellement avec mes cours puisque mon français n’était vraiment pas aussi bon que je le pensais. Heureusement que j’ai fait la connaissance de mon voisin d’en face assez rapidement. Edouard O’Bomsawin. Le plus bel homme que j’ai pu voir dans ma vie. Ça lui arrivait de partir pendant plusieurs jours à cause de son métier. Il était hockeyeur professionnel. J’aimais déjà ce sport, mais là je ne pouvais pas m’empêcher de regarder chacun de ses matchs. En fait, plus que j’apprenais à le connaître et plus je voulais tout savoir de lui, rien manquer dont un match. À chaque coup qu’il recevait, j’avais peur qu’il soit blessé. Même au tout début. Grâce à lui, j’ai pu améliorer bien plus vite mon français et, grâce à moi, il a amélioré rapidement son anglais. Les tourbillons ont fini par laisser la place à des traits de couleurs qui s’entremêlaient sur la toile. C’était mon fleuve tranquille. Le début et la suite de notre relation. Évidemment, comme cette toile représentait ma vie, il y avait du gris qui se mêlait à toutes ces couleurs. Chaque fois que j’ai eu peur qu’Edouard soit blessé après une mise en échec trop violente. Chaque fois que je me disais que je ne pouvais pas avoir droit à tout ce bonheur. Qu’Edouard allait finir par partir, tanné de mes cauchemars et mes traumatismes qui continuaient à me hanter malgré tous les efforts que je faisais pour les faire taire. Malgré toutes mes peurs et angoissent, rien de catastrophique arrivait. Edouard revenait chaque fois d’une série de matchs et s’était encore plus parfait et magique que la fois d’avant. Quand je le pouvais, j’allais le voir jouer. Après à peine un an de relation, j’ai déménagé chez lui. Pour économiser puisqu’on passait tout notre temps ensemble alors pourquoi payer deux appartement encore ? C’était l’une des raisons, c’est vrai, mais pas la principale. Ça aurait pu être causer par ma peur de me retrouver seule dans mon appartement après la fusillade qui a eu lieu dans notre appartement, mais non. Je crois bien que la vraie raison de ce déménagement était qu’on ne voulait pas avoir d’excuse pour ne pas rester chez l’autre. On voulait vivre quotidiennement ensemble. Ce déménagement est symbolisé par de belles lignes droites et horizontales de toutes les couleurs. J’étais si heureuse avec lui que j’avais peur de tout perdre. Et cette peur, j’ai cru qu’elle allait devenir réalité lorsque mon Doudou a été blessé. J’avais tellement eu peur de le voir allongé là, sur la glace, sans bouger. Et dire qu’il était à des milliers de kilomètre de moi, je ne pouvais même pas être à ses côtés ! Un trait gris mélangé avec du rouge pour symboliser cette peur et mon amour pour lui. Le gris a fini par disparaître de la toile pour laisser place à un mélange de rose et de rouge les années qui ont suivis sur la toile. Après cette blessure, Edouard m’a demandé en mariage. Ou c’est moi qui l’aie fait ? Est-ce vraiment important ? Pas vraiment. L’important c’est que nous nous sommes dit oui devant nos familles et qu’on était maintenant lié pour la vie symboliquement. Tout était beau, je commençais réellement à penser que j’avais le droit maintenant qu’au bonheur. Que j’avais assez souffert comme ça. Quelle pensée stupide. Alors que je ne m’y attendais aucunement, maman m’a appris que Jenna avait fait une overdose qui lui avait été fatale. Je n’ai pas voulu y croire, mais à son sanglot je n’ai pas pu faire autrement que de me dire que c’était la réalité. Nos parents biologiques avaient réussi à la briser totalement. J’étais au doctorat à ce moment-là. Je commençais ma dernière année en fait. Alors avec ma directrice de doc, j’ai réussi à pouvoir la terminer en grande partie à distance pour être auprès de ma famille dans ce dur moment. Je me suis installée chez mon frère le temps que je trouve un appartement. Il avait déjà vu son frère mourir devant ses yeux, j’avais peur de ce qui pourrait se passer avec ce nouveau décès. Je voulais être présente pour lui, c’était le dernier membre de notre fratrie toujours vivant, je ne voulais pas le perdre lui aussi. La toile s’assombrissait à nouveau. En plus de devoir faire le deuil de ma grande sœur, je devais vivre avec le manque de mon mari, de l’homme de ma vie. On était si habitué de se voir tous les jours que c’était une vraie torture de se retrouver si loin l’un de l’autre. On profitait de mes cours séjours au Québec pour mon doctorat pour se voir puisque je m’arrangeais du mieux que je le pouvais pour que ce soit lorsqu’il y était aussi. On ne manquait aucune occasion pour se voir. La toile a retrouvé un peu plus de couleurs lorsque Doudou m’a appris qu’il allait être échangé aux Rangers de New-York. Quelle chance il avait de se faire échanger, mais en plus que ce soit ici, à New-York ? C’était un signe du destin que je devais rester à New-York auprès de mon frère. Je n’aurais pas le choix déchirant de devoir choisir entre vivre auprès de mon mari ou auprès de mon frère et j’en remerciais le ciel pour ça. Et j’ai terminé cette toile sur cette nouvelle, sur ce mélange de couleurs. Rouge, blanc et bleu.

Ça m’a pris un long moment avant de terminer cette série de toile. Ma grossesse avançait de plus en plus et l’odeur de la peinture me donnait la nausée à chaque fois que j’essayais de peindre. À la place, je dessinais dans mon calpin les idées que j’avais pour les chambres de mes enfants dans la nouvelle maison. Quatre chambres à décorer, ça demandait beaucoup de planification. Et il y avait l’été aussi qui rimait avec Edouard bien plus souvent à la maison avec nous. Donc, ce projet de toile de la vie avait été mis de côté un moment. Plusieurs mois en fait. Jusqu’à ce que j’accouche de mon petit Andrek.

La dernière toile commençait tranquillement. Ni trop de couleur, ni trop de gris et de noir, ni trop éclatante. Juste sobrement. Doudou et moi on s’installait dans notre premier appartement new-yorkais et je commençais à enseigner un cours d’histoire de l’art et un d’allemand à Columbia et un cours de français de première année de lycée au Lycée de Staten Island. Rapidement, la chambre de libre est devenu la chambre de Nina, notre première princesse qui est symbolisé par un beau vert jade sur la toile. C’est elle qui voulait que je rajoute ce vert jade à ma collection de couleur. Rapidement, le vert jade s’est assombri avec du noir, car la femme de mon frère et son bébé à naître son décédé dans un crash d’avion. Je ne savais tellement pas quoi faire face à la détresse de mon frère que j’ai été soulagé de voir Lorenzo prendre la relève et l’amener avec lui en Italie, même si ça rimait avec le fait que je ne sois pas à ses côtés. Mon frère avait tellement perdu de monde dans sa vie, pourquoi la vie lui faisait subir ça encore une fois ? On n’avait pas assez souffert comme ça ? Le gris et le noir ont lentement laissé la place à des couleurs à nouveau. J’avais repris mon boulot assez rapidement après la naissance de Nina. Elle était un ange, un enfant tellement pas difficile. C’est aussi grâce à ma mère, qui gardait Nina avec un grand plaisir, que j’ai pu recommencer à enseigner rapidement. Sans être trop planifier, j’ai été une nouvelle fois enceinte deux ans plus tard d’une autre princesse : Elsa. Un beau cadeau de Noël un peu en avance. Cette fois, c’est un beau violet qui symbolise l’arrivé de ma deuxième fille dans ma vie. Un violet de princesse, comme elle le nomme. Comme c’était une grossesse surprise, j’ai arrêté d’enseigner assez tard et j’ai recommencé lentement pas trop tôt, mais mon congé ne s’est pas éternisé non plus. J’aime tellement enseigner que je ne peux pas rester à la maison trop longtemps. Ça me manque trop. Et, finalement, un orange brûlé se démarque d’un mélange de couleur : l’arrivé d’Andrek. Notre petit guerrier. Ma vie est comblée. Trois amours et l’homme de ma vie. La toile se termine dans un mélange de vert jade, de violet, d’orange brûlé et de rouge. Les quatre amours de ma vie qui me rendent si heureuse.

Je ne sais pas vraiment quoi ressortir de cet exercice. J’ai pu voir que j’ai eu plusieurs coups durs que j’ai réussi à surmonter. Je suis plus forte que ce que je pouvais penser. Je crois que j’ai compris aussi que la mort de Jenna n’était pas ma faute, que je n’aurais pas vraiment pu y changer quoi que ce soit. Les responsables, ce sont nos parents biologiques. Pas moi. Malgré le début de ma vie difficile, j’ai réussi à me construire une merveilleuse et magnifique vie que je n’échangerais pas pour tout l’or du monde. C’est ma vie et je l’aime.