Dimanche, 12h. Les yeux endormis de Vera papillonnent sur l’heure qui s’affiche en gros chiffres rouges sur son réveil face à elle. Elle éteint l’insupportable alarme qui résonne dans sa chambre et se tourne pour enfouir son visage fatigué dans son oreille. Il lui faut quelques secondes supplémentaires pour réaliser qu’elle est déjà en retard, qu’aujourd’hui n’est pas un dimanche classique, et qu’il faut urgemment qu’elle saute de son lit pour se préparer si elle ne veut pas subir les foudres d’Addison Gardner.

Addison est une femme effrayante, même si son côté drama queen peut parfois sembler l’adoucir, ou en tout cas, lui donner figure humaine. Femme instruite, très centrée sur sa famille, chef d’entreprise, sociable et aimant se montrer aux yeux du monde, Addison dispose de nombreuses casquettes et les gens qui la sous-estiment ont souvent tort. Même si elle a parfois l’air de n’être que l’épouse de son mari, attachée à des traditions machistes, pratiquant un peu trop vivement la religion catholique aux yeux de sa fille, Addison n’en demeure pas moins une femme complexe qui peut aisément servir d’inspiration. Pour être tout à fait honnête, Vera devrait compléter ce tableau en ajoutant que, malgré son âge, son caractère bien affirmé et ses principes, elle a un peu peur de la mère de famille. Aussi, elle se hâte de sortir de son lit, file dans la salle de bain se brosser les dents et camoufler les cernes de la soirée de la veille d’un coup de maquillage. Elle enfile une robe légère - la chaleur écrase les rues New-Yorkaises depuis quelques semaines maintenant - attrape un sac et saute dans un taxi dans lequel elle entreprend de terminer sa très courte nuit.

Quand elle sonne à la porte de la maison, il est 13h pile. Addison apparait dans l’encadrement de la porte, mi-joviale, mi-contrariée, et s’empresse de lui faire remarquer qu’une fille bien élevée ne se contente pas d’arriver pile à l’heure, mais prend généralement un peu d’avance.

- Mes amis sont déjà là, elle souligne en croisant les bras.

Vera fronce les sourcils en dévisageant sa mère, et comprend rapidement que ce déjeuner, qu’elle avait naïvement interprété comme étant un déjeuner de famille, est en fait un traquenard organisé par Addison pour tenter de lui refourguer un mari. Ce qui pourrait être drôle si elle n’avait pas dormi quatre heures, une énorme barre dans le front, et l’envie irrésistible d’aller se recoucher. Le dévouement avec lequel sa mère tente de la caser lui arrache une grimace de dégoût - personne ici ne semble s’intéresser au fait qu’elle, elle n’est pas prête à avoir une vie de famille.

- Tes amis ?

Pas le temps d’avoir de précision, Addison tire sa fille à l’intérieur et la pousse jusqu’au jardin où les "invités" se pressent. Vera marque un temps d’arrêt, plisse les yeux pour être sure de bien voir ce qu’elle est en train de voir.

- Je présente ma nouvelle amie et son fils, Adriel.

For Christ’s sake, Vera espère que c’est une blague. Elle sourit poliment à la mère d’Adriel et dévisage ce dernier, la suspicion la gagnant à vitesse grand V, comme à chaque fois qu’il s’agit de lui.

- Adriel, elle réplique en assassinant sa mère du regard qui feint de n’avoir pas vu ce qu’il se passait.

Addison leur sert à chacun une coupe de champagne et attire son amie vers le fond du jardin - son potager. Au loin, le père de Vera, Daniel, s’attèle à faire griller un barbecue. Theo, le petit frère de Vera, est là aussi, un peu plus loin, ce qui signifie que Nate, en revanche, sera aux abonnés absents. Comme elle ne peut pas demander de comptes à sa mère, elle se tourne vers Adriel, profitant d’un instant de répit.

- Je peux savoir ce que tu fous là ?

Evidemment, il fait forcément partie de ce plan bizarre. Ils avaient connu une trêve, depuis quelques temps - well, depuis cette matinée étrange dans son appartement à lui - mais apparemment, il a décidé de rouvrir le bal des hostilités. Vera ne peut pas croire que sa présence ici soit un hasard.