la cartouche || swann

Elle était en retard, c’était rare certes, mais là elle était en retard. Il fallait dire qu’avec le rythme de la boutique, elle n’avait plus trop l’habitude d’avoir du temps libre et se retrouvait rapidement dépassée. Heureusement pour elle que Louisa était là pour lui rappeler ses obligations sociales, comme par exemple, retrouver son meilleur ami chez lui. Sac sous le coude avec des feuilles pleines d’idées, elle se dépêchait comme elle pouvait avec ses pauvres pieds. Il fallait vraiment qu’elle investisse dans un vélo un de ces quatre, ça ne serait pas au goût de sa riche revenante de femme, mais elle s’en fichait pas mal.

Il lui fallut une bonne poignée de longues minutes pour arriver à destination et sonner aussi vite qu’elle le pouvait. Elle savait que son ami ne lui en voudrait pas, mais personnellement, elle détestait être en retard, c’était une quasi-phobie chez la jeune femme. Et puis ça lui ferait du bien de parler un peu de jeu de rôle, un sujet bien plus agréable que celui de la revenante. Et elle était tout de même curieuse de connaître un peu le quotidien actuel de son meilleur ami, vu que les deux zigotos étaient du genre à avoir de jolis hauts et bas.

Elle grimpa quatre à quatre et offrit son sourire le plus lumineux à son meilleur ami. « Hey ! Désolée pour le retard ! Je suis vraiment tête en l’air en ce moment ! » Et ce n’était pas un mensonge, loin de là, elle avait tellement à penser qu’elle perdait souvent le fil. « Je t’ai apporté plein de nouvelles idées pour les prochaines parties, j’espère que t’es concentré parce qu’il va falloir écouter ! » Et non, elle ne ferait aucun commentaire sur sa femme. Elle ne voulait pas en parler, elle voulait avoir une journée sans si c’était possible parce que là, elle allait exploser.

Cela faisait un moment que je n'avais pas passé une journée à écrire. Ou du moins, à tenter, d'écrire. J'avais le scénario d'une nouvelle coincé dans la tête depuis des mois, le plan de construction de celle-ci, les fiches de chaque personnage. Pourtant, impossible pour moi de me concentrer sur autre chose que sur Liam, alors chacune de mes tentative d'écritures avait été vaine.
Sauf aujourd'hui. J'écris quatre phrase, j'en efface une, je recommence, mais c'est bon signe. L'inspiration me revient. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle je ne me rends pas compte du retard de Jack, qui doit se rendre chez moi pour parler d&d. Pas que j'avais oublié sa venue, non, mais j'étais juste bien trop concentré sur ma nouvelle pour regarder l'heure tourner.

Je ne pose mes yeux sur l'horloge en bas à droite de mon ordinateur que lorsque j'entends que l'on sonne en bas du bloc appartement. Je me hâte à lui ouvrir, pour laisser mon amie monter. Je déverrouille la porte, me disant qu'elle savait qu'elle serait invitée à rentrer comme elle veut. Ma maison est la sienne aussi, après tout. Je vais dans la cuisine préparer deux mugs et faire bouillir de l'eau, pour nous servir un thé chacun. « Hey, j'suis dans la cuisine ! » Je lance, alors qu'elle s'excuse de son retard. « T'inquiètes pas, c'est pas comme si c'était une habitude ! » Au contraire, Jack est toujours à l'heure quand elle n'est pas en avance, et puis c'est pas comme si je l'attendais assis sur une chaise depuis une heure; je n'avais même pas vu le temps passer. « Je suis toujours concentré, » comme en témoigne mes yeux fatigués à force d'avoir passé la journée collés à mon écran d'ordinateur. « mais avant ça, comment ça va ? » Je ne compte pas éviter la conversation qu'elle redoute. Elle m'a dit par messages ce qu'il s'était passé, et je veux lui en parler. Il faut bien qu'elle se rende compte qu'elle fait une bêtise. Et je ne tiens pas à devoir ramasser ma meilleure amie à la petite cuillère dans deux semaines, elle a déjà trop souffert dans sa vie pour mériter qu'on lui fasse encore du mal.

Jack avait déposé ses affaires sagement dans l’entrée. Certes, elle savait pertinemment qu’elle avait le droit de faire comme chez elle, mai la politesse avant tout. Elle garda, cependant, avec elle ses prises de notes et autres idées à présenter à son ami. Elle vint le rejoindre dans la cuisine et ne put s’empêcher de sourire en le voyant ainsi en forme. Les deux s’étaient respectivement connu dans de sales états. Comment oublier les fois où il venait crécher chez elle le temps de la voir sortir du canapé pour s’ouvrir une nouvelle fois au monde, et inversement. Ces deux-là étaient une comédie dramatique à eux seuls. Ils étaient capables de se balancer des horreurs au visage avant de venir s’excuser à chaudes larmes en s’effondrant dans les bras.

Bref, là n’était pas le sujet du jour. Jack avait hâte de lui parler de cette nouvelle quête où les aventuriers allaient devoir s’égarer dans une mystérieuse et sombre contrée pour pourfendre un dragon millénaire aveugle contrôlé par une perfide sorcière on ne peut plus effrayante. Totalement une représentation de son idiote de femme manipulée par sa garce de mère. Mais elle tairait cette information. Elle s’appuya contre un meuble de cuisine, croisa les bras pour mieux observer Swann. Il avait quand même les yeux explosés de celui qui avait passé trop de temps sur les écrans.

Ah. La fameuse question, celle qu’elle voulait éviter à tout prix après leurs derniers messages envoyés. Monsieur ne lâcherait pas l’affaire, elle le savait mais il n’obtiendrait pas ce qu’il voulait sur un plateau d’argent, elle ne céderait pas aussi facilement. « Bah écoute, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. » répondit-elle en se passant une main dans les cheveux. « La boutique marche tellement bien que je songe à recruter deux personnes supplémentaires. Oh, et je pense avoir trouver l’illustrateur idéal pour mon bouquin. » Quelle bonne technique que de le noyer dans une vague d’informations n’est-ce pas ? Il ne pouvait pas en vouloir à Jack de vouloir respirer un coup. Elle avait l’impression que sa vie ne lui appartenait plus ces temps-ci. Elle avait besoin de reprendre pied. « Et toi ? Qu’est-ce que tu deviens ? »

Si elle osait penser que je lâcherais l'affaire avant de lui faire une leçon de morale, ça serait mal me connaître. Jack sait comment je suis, j'ai tendance à étaler mes avis là où on ne me demande rien, surtout quand il s'agit d'elle. Ce n'est pas contre elle, bien au contraire, si je considère Jack comme une de mes meilleures amies, je ne pourrais jamais la laisser faire une connerie sans le lui rappeler en pleine tronche. Et puis, c'est aussi à ça que servent les bons amis, non ? Secouer l'autre quand iel en a le plus besoin. « Grave cool, c'est vraiment une bonne idée. Si ça peut te soulager d'une partie de la charge de travail. »  En tant que gérante, Jack bosse beaucoup, et même si elle aime son métier, il ne faudrait pas qu'elle s'épuise avant d'avoir exploré entièrement le potentiel de sa boutique. Mais elle tourne autour du pot, Jack, et elle le fait exprès. Parce qu'elle sait parfaitement que ce n'était pas ça que je voulais comme réponse. Il faut qu'on parle de sa femme ou son ex, or whatever the hell they are. « Moi ben... ça va. Autant que ça puisse aller. » Je me racle la gorge. « Liam est partit. » Je me contente de dire, Jack sait la relation spéciale qui nous lie avec celui que j'ai longtemps considéré comme mon meilleur ami. On est passés d'amis proches à ennemis, et elle est bien l'une des seules personnes à qui je m'étais confié quand j'ai commencé à douter de la nature de mes sentiments pour Liam. Il ne saura jamais ce que j'ai vraiment ressenti pour lui, et ce que je ressens toujours. C'est peut-être cette douleur, de l'ignorance qui m'a aidé à écrire aujourd'hui. L'inspiration est peut-être revenue avec la souffrance. C'est toujours assez ironique, mais c'est bien souvent comme ça que ça se passe, dans mon cas.

« Mais tu sais que c'est pas là où je voulais en venir. » Je lâche alors que la bouilloire siffle. Je suis bien content de changer de sujet de conversation. Pas envie de pleurer pour Liam aujourd'hui, même si ce n'est pas l'envie qui m'en manque. Je me retourne vers la sifflante, pour nous servir chacun son thé préféré. Pas besoin de lui demander avant, je la connais par coeur, et je sais déjà quel thé Baker choisirait. « Elle est revenue, du coup. » Je lui tends une tasse, et garde la deuxième en main. Je m'appuie à mon tour contre un meuble de la cuisine, me positionnant face à elle. Ma main libre dans ma poche, l'autre serrant la hanse du mug. « Racontes moi ce qu'il s'est passé. » Faut pas abuser, je ne suis pas non plus du genre à la sermoner avant d'avoir chaque détail de l'histoire. Peut-être qu'elle avait une bonne raison, qui sait. (J'en doute fortement.)

Allait-il mordre à l’hameçon ? Jack l’espérait fortement tout comme elle en doutait, après tout, ils se connaissaient par cœur. Elle vint croiser les bras contre sa poitrine comme une sorte de bouclier face à la dangereuse vague qui s’approchait. Il fallait se dire qu’elle avait gagné quelques minutes de répit avant qu’il ne revienne à la charge. Mais voilà qu’une nouvelle vint ébranler le barrage en cours de construction, elle ne s’était pas attendue à ce que Swann se confit ainsi. Liam, oh oui qu’elle le connaissait bien, trop même. Elle pouvait très bien imaginer la douleur qui devait exister en son ami à cet instant précis, les rebondissements tumultueux de cette relation avaient failli avoir raison de la patience de la libraire.

Ses lippes s’ouvrirent pour tenter de le calmer, de le soutenir dans cette épreuve mais il fut plus rapide, trop rapide. Et voilà la vague qui s’abattait sur son barrage en mousse. Aïe, c’était pas du tout agréable de se faire piéger comme ça. « Oui, elle est revenue. » soupira-t-elle, détournant le regard de peur de voir un quelconque jugement dans celui de son ami. Elle le comprenait, c’était lui qui s’était occupé de ramasser les morceaux, de la sortir de son lit pour ne pas qu’elle se laisse mourir de faim. Il avait vu les dégâts d’un tel départ et devait sûrement s’inquiéter d’un tel retour.

« Louisa m’a envoyé un message, un soir, pour me dire qu’elle l’avait vu devant la boutique. J’osais pas le croire… Et… Et un jour, elle s’est pointée dans la boutique sans prévenir et j’ai perdu raison. On s’est embrassées sans réellement que je te dise pourquoi puis je lui ai demandé de se voir dans un café. » Elle prit une profonde inspiration. « J’avais besoin de savoir pourquoi elle était partie sans rien me dire, sans rien dire à personne. » Foutue marâtre. « Sa mère l’a menacé, elle et moi, et elle a paniqué et a décidé de partir pour me protéger mais elle a jamais su renoncer à nous… »