Pour la première fois de sa vie, enfin, sans exagérer non plus, Eoghan avait besoin d'aide. Il devait faire quelques fouilles au sujet d'une personne et il était dépourvu de moyen. Il avait tenté de faire les recherches par lui même mais il était si nul avec l'informatique qu'il s'était vite laissé découragé. Quel piètre détective il faisait là! D'habitude, il s'arrangeait avec le côté paperasse sans problème, mais là il avait besoin d'une aide plus spécifique, et il ne savait pas assez se servir d'un ordinateur pour y aller à fond. Aussi, il lui fallait quelqu'un qui était sur les réseaux sociaux, quelqu'un qui avait l'habitude avec ça parce que lui, était introuvable informatiquement parlant et il comptait bien le rester. Il savait les dommages qu'on pouvait faire avec un ordinateur, surtout en ce qui concernait de sauvegarder ses données en toute sûreté. Et il était assez parano pour ne pas tomber dans le piège. Il faisait très attention à sa boite mail et ne divulguait aucun détail par mail ou même par skype ou discord. Ses entrevues, il ne les faisait que face à face, pour plus de sûreté.

Aussi, il avait fait appel à une flic pour l'aider. Une flic avec qui il était sur l'affaire d'un triste meurtre depuis quelques mois déjà, sans qu'il n'arrive lui même à trouver le coupable. Ce n'était pas tant son boulot de faire ça, mais il s'était quand même essayé à l'exercice, parce qu'il avait adoré la personne qui avait été tuée mais ses recherches n'avaient rien donnée pour le moment. Cela le frustrait, mais il ne se décourageait pas pour autant.
Il avait donné rendez vous à Ariadne dans un café pour manger des pancakes. En même temps, ce rendez vous servait à la revoir parce qu'il aimait beaucoup sa compagnie et que s'il faisait à elle ça n'était pas pour rien. Il pensait avoir discerné le profil du tueur, mais il n'en était pas encore sûr.
Il attendit sur le perron l'arrivée de son amie et lorsqu'il l'a vit, il fit de grands signes de ses bras et de ses mains.

"Salut mon p'tit chat! Tu vas bien depuis nos messages?"

Un instant de pause avant d'ajouter :

"On entre à l'intérieur? C'est pas qu'il fasse froid mais je commence à me les peler ici!"

A ses mots, il lui serra son bras du sien et l’entraîna à l'intérieur du café. Il n'y avait pas trop de monde et beaucoup de tables étaient libre. En même temps, il n'était que quinze heure de l'après midi, les gens ne mangeaient pas encore à cette heure ci.
Ils s'installèrent ainsi à une table près de la fenêtre et lorsqu'un serveur vint les accoster, il se commanda ses pancakes comme prévu, avec une pinte de bière. Le tout n'allait pas forcément ensemble mais il en avait que faire.

"Alors cette nuit de folie, tu me racontes? Vous avez fait quoi?" demanda-t-il en se frottant les mains.

Son alarme sonne juste avant quatorze heure. À treize heure cinquante pour être précis. Elle se lève, quand même bien reposée. Une douche, un petit café, elle prépare son sac à dos pour se changer au boulot, probablement après son rendez-vous avec Eoghan. Elle devait dormir, elle en avait besoin. C’est difficile de dormir le jour. il doit faire très noir et ce n'est jamais aussi calme que la nuit, même si, bon Manhattan n'est jamais très silencieux, mais bon, le penthouse est quand même bien isolé. C'est plus facile ici que lorsqu'elle dormait chez sa mère,  il y a quelques mois. Elle a mis plusieurs jours avant d'arriver à remettre les pieds au penthouse. C'était bien, chez sa mère, c'était rassurant, familier, ses frères et ses soeurs y étaient. Glitter a moins apprécié, à vrai dire. Beaucoup trop bruyant et accaparant. Enfin.

- Salut ! répond-elle avec enthousiasme. Oh oui, j’ai très bien dormi !

Parce que c’était ce qu’elle avait fait, entre le moment ou elle avait répondu au texto d’Eoghan et son arrivée ici. Et étonnamment bien dormi, parce qu’elle a toujours cette pointe d’appréhension quand elle rencontre Eoghan. Elle devra penser à Alyson, parler d’Alyson et pire, évoquer sa mort. Elle va sans doute encore pleurer. Elle n’arrive pas encore à parler d’Alyson sans avoir les larmes aux yeux, même si ce qu’elle raconte est un heureux souvenir. En fait, c’est sans doute ce qui est le plus douloureux, les bons souvenirs. Parce que c’était tellement bien. Et parce qu’il n’y en aura plus, de ces moments heureux, avec Alyson.

- Oui, d’accord, j’ai un peu faim, j’ai bien envie de ces pancakes. C’est mon petit dej après tout, dit-elle avec un sourire à moitié sincère, à moitié inquiet.

Elle suit Eoghan à l’intérieur et s'assit face à lui, parce qu’à côté, c’est moins facile pour bavarder, elle trouve. Elle préfère toujours faire face aux gens. Le temps de retirer son manteau, qu’elle pose sur la chaise à côté d’elle, le serveur approche et leur demande ce qu,ils voudraient prendre. Elle commande aussi des pancakes, après tout, c’est Eoghan qui lui a vanté le produit, alors elle compte bien l’essayer. Mais elle choisit un café bien fort, au lieu de la bière. Non, c’est pas très conseillé avant d’aller bosser. Non, au boulot, elle est irréprochable. D’autant plus qu’après un retour après deux mois d’absences, c’était mal venu de provoquer les réprimandes. Et pis bon, il faut bien l’avouer, au boulot, Ari est un peu rabat-joie. Enfin, beaucoup rabat-joie.

- Enfin, tout dépend ce que tu entends par nuit de folies. On a étrangement eu beaucoup d’appels. Surtout à la sortie des bars, on a fait une arrestation assez musclée… j’ai un bleu gros comme ça sur la cuisse, dit-elle en souriant, tout de même.

Après, bon, c’est un peu les risques du métier quand même. Les bousculades ne sont pas rares, mais jusqu’à maintenant, elle s’en sort assez bien. Elle est prudente, ça va.

- On est aussi intervenus pour arrêter une hystérique qui hurlait dans son appartements. C’était triste, elle était complètement déconnectée… on l’a conduit à l’hôpital. Triste, mais je comprend les voisins. Je crois que c’est ce qui m’a prit le plus d’énergie. Tenter de la raisonner, tout d’abord, puis devoir la maîtriser et tout ça.

Elle hoche la tête, un peu dépitée. Elle ne peut pas sauver tout le monde. Elle ne peut pas non plus se préoccuper de tout le monde. Ni se soucier de tout le monde. Il y en a beaucoup trop.

Eoghan appréciait grandement la compagnie d'Ariadne. C'était comme une évidence, il l'aimait beaucoup. Pas au point de la séduire même si c'était un joli brin de fille, mais il lui vouait une forte amitié. Aussi, manger des pancakes en sa compagnie était quelque chose qu'il considérait comme normale. Il avait envie de passer plus de temps avec elle, de sortir et de s'amuser. Le lien qui les unissait était bien triste puisqu'il enquêtait toujours sur la mort d'Alyson, la meilleure amie d'Ariadne, qui avait perdu la vie suite à une fusillade. Les hommes, cagoulés, n'avaient pas encore été attrapés et couraient toujours dans la nature. Bien que la police était sur le coup, Eoghan s'évertuait à mener son enquête, sans qu'il ne trouve quoique ce soit pour le moment.

"C'est mon p'tit dej aussi! J'ai passé la matinée à comater sur le canapé à vrai dire. J'attendais de te voir avec impatience!"

Ils s'installèrent à une table où un serveur n'avait pas tardé à venir prendre commande. Il y avait peu de monde à cette heure ci, ils avaient tout le loisir de patienter tranquillement, sans le brouhaha habituel des petits restaurant. C'était assez moderne comme décoration, blanc aux carreaux noirs, un véritable petit fast food du pancakes. Ils en commandèrent tous les deux puis Ariadne lui parla de sa nuit de folie qu'elle avait passé. Eoghan était en quelques sortes admiré. Il avait déjà travaillé avec la police, aussi, il savait que ça n'était pas tous les jours facile comme boulot.  Et en cette période de fêtes de fin d'année, il n'était pas étonné de ce que lui disait son amie.

"Ma pauvre, t'as été assez chamboulée! Et ça va?"

Une fois les pancakes servis, Eoghan commença à manger avec avidité. Cela faisait un moment qu'il n'avait pas mangé véritablement, et ça lui faisait du bien. Même si son estomac avait du mal à encaisser autant de nourriture d'un seul coup...

"Bon, moi j'ai besoin de toi Ari" dit-il entre deux bouchées. "Ce serait pour faire la fouine. Est ce que tu sais comment relever les dernières dépenses de quelqu'un via son relevé bancaire?"

D'habitude, il savait comment s'y prendre mais son ordinateur était tombé en rade.

- Oh, moi c’était ma… ma nuit, disons. J’ai un horaire pas très régulier, je me suis mise disponible tout le temps ou presque… j’aurais peut-être pas dû… je sais pas trop, ça commence à être un peu trop. Je fais souvent des shift coupés, mais comme il y a plus de chance qu’on m’appelle pour un shift de nuit que de soir, eh bien je préfère dormir le jour...

Elle n’est toutefois pas tout à fait convaincue. Ouais, peut-être ce serait préférable de ne pas se rendre aussi disponible… elle finira peut-être par y laisser sa santé à force d’avoir des horaires bizarre comme ça. Elle ne bavarde pas tant que ça, légèrement, juste pour le plaisir de bavarder ces temps-ci. Depuis juin en fait. elle travaille, pratique avec Golden Dandelions ou joue de la musique toute seule. elle n’avait pas envie de sortir, en fait, mais elle sait que de voir Eoghan lui fera du bien. Elle a peut-être quelques recherches à lui faire faire sur une certaine personne. Ça ne lui avait jamais effleuré l’esprit jusqu’à maintenant, mais…

- Ouais, c’était pas la meilleure des nuits, disons, mais ouais, ça va.

Mais bon, elle ne fait pas ce boulot pour avoir de bonnes journées ou nuits. Non, elle fait ce métier pour protéger les gens et les victimes. En général, c’était surtout de la prévention. Et c’était l’important. Elle aime bien Eoghan. Il a été d’un grand secours et d’un grand support depuis juillet, quand la famille d’Alyson a décidé de mettre Eoghan sur le cas d’Alyson en parallèle avec la police. Elle avait sans doute raconter un peu trop son lien avec Alyson au début, mais ça lui faisait un bien fou de parler de sa meilleure amie à quelqu,un qui n’était pas là pour l’écouter avec des “ hum hum “ bien placé comme avec son psy. Évidemment, elle pleurait toujours, beaucoup au départ, maintenant, un peu. Mais elle savait qu’avant un an, c’était normal.

- Bah il faut remplir un formulaire et passer par la voie officielle, parce que sinon, y a de bonne chance que ce soit illégale et irrecevable en cours, tu sais.

Oui, parce que bon, elle est flic, elle a pas le choix de passer par la voie officielle. Ou du moins le prévenir. C’est effectivement irrecevable en cours, mais ça peut donner des idées. Tout dépend sur quoi ou surtout sur qui Eoghan enquête. Eh pis bon, elle est flic, même si là elle n’est pas en service, mieux vaut ne pas faire ça ici.

- Mais il y a toujours moyen.

Mais elle ne ferait pas ça avec son propre téléphone quoi. Ni avec son propre matériel si ce n'est pas pour elle-même.

Visiblement, Ariadne était fatiguée. Pas forcément physiquement mais moralement. Dans ce qu'elle lui racontait, Eoghan comprenait qu'elle en avait marre et que ce n'était pas passionnant. Mais mis à part ça, il ne comprenait pas tout ce qu'elle disait. Lorsqu'elle lui parlait de shift, c'était une chose inconnue pour lui. Mais il fit semblant d'avoir compris et secoua la tête en guise d'approbation.

"C'est pas faux." finit-il par dire. "Si tu en as marre, alors arrête et fais autre chose!" lui proposa-t-il ensuite.

Il secoua la tête lorsqu'elle lui dit que ce n'était pas sa meilleure des nuits et il fit comprendre qu'il voulait bien la croire. Lui non plus n'avait pas des nuits forcément gracieuse, la plupart du temps, il était obligé de cavaler derrière les gens pour les photographier dans un moment intime et les livrer ensuite à leur destinataire. Ce n'était pas toujours rigolo mais il ne s'était jamais fait avoir. Jamais.

Puis Ariadne répondit à sa question. Elle lui fit comprendre que ce n'était pas forcément légal et irrécevable en cours, mais que ça pouvait toujours se faire. Eoghan eut un large sourire.

"Et tu pourrais le faire?"

Il continua de manger ses pancakes goulûment et une fois qu'il avala le tout, il ajouta :

"Relax, c'est pour retrouver un môme qui s'est égaré avec la carte bancaire que lui a filé ses parents. Ce serait une piste pour savoir où il peut être passé et savoir l'état de ses activités. Tu vois un peu?"

Rien de très grave en soi, enfin, à ce qu'il pourrait penser. Pourvu que ça ne soit pas un kidnapping quoi.

Marre ? Marre de quoi ? D’être flic ? Non. Elle a toujours voulu être flic… depuis aussi loin qu’elle se souvienne. Mais elle avait une version romantique du métier de policier. Sauver et protéger les gens et tout ça. Peut-être que ce n’est pas ce qu’elle aurait dû faire. C’est tellement injuste le métier de policier… elle voudrait bien pouvoir aider plus les gens. Les victimes… les proches des victimes… ceux qui subissent tout ça. Les enfants de la dame qu’elle a arrêté quelques heures plus tôt. Ils auraient besoin d’aide, de support. Mais… comment pourrait-elle les réconforter quand ils l’ont vu maîtriser leur mère la ramener au poste ? C’est pas comme ça qu’elle voyait les choses. Elle sourit et secoue la tête. Rire doux-amer.

- J’ai l’impression de parler comme ces agents en fin de carrière qui aspirent à autre chose. Ça fait même pas dix ans que je suis flic. C’est mal barré, tu penses pas ?

De toute évidence, il tient à avoir ce relevé d’opération bancaire. Si elle peut le faire ? Oui, bien sûr, mais… mais pourquoi risquer sa crédibilité pour un relevé d’opérations ? Elle ne faisait rien qui pourrait lui nuire sans avoir toutes les informations nécessaires. Elle aime bien… non, elle veut savoir ce qu'elle fait. Et pourquoi elle le fait. Un môme ? Une carte de crédit ?

- Un môme ? Mais il a quel âge ? Si c'est un mineur, il ne devrait pas avoir de cartes de crédit. Et si la carte de crédit est aux parents, ils ont accès aux relevés. S'il y a le moindre danger, les parents devraient déclarer la fugue si c'est un mineur.

Ce n'est pas un jeu. Mais bon, c'est pas ce qu'il lui a demandé. Elle le sait, mais elle a une éthique rigoureuse.