Devant Julliard's,
06.PM,

«  Hé Soso ! Tu viens avec nous ? On va prendre un verre ? »

Lui avait lancé une voix familière et amicale alors que, ses longs cheveux blonds ballottés par le vent d'hiver gorgé de flocons translucides, elle sortait du bâtiment, ses partitions serrées entre ses bras menus. Ses lèvres qui s'étiraient en un radieux sourire alors que, pressant le pas, elle rejoignait ses amis. Les vrais. Ceux qui la connaissaient au-delà de ces apparences qu'elle s'efforçait encore et contre tout de maintenir le reste du temps. Eux, se fichaient pas mal de son nom, de la position ou de la fortune de ses parents. Eux, partageaient sa soif d'absolu et, lorsqu'ils se laissaient aller à refaire le monde, leurs bouches étaient emplies de notes, de portées et d'accords … et non de cours de la bourse, de sombres jeux politiciens ou d'alliances et de mariages qui relevaient toujours plus du montage financier que d'amour, d'ailleurs... Elle laissait l'un de ses amis passer son bras autour de ses épaules, riait aux éclats devant ces blagues potaches dont un autre était spécialiste quand, d'un coup, son visage s'assombrit. Ses traits qui s'étaient durcis et sa peau déjà pâle qui avait blêmi quand, en un seul regard, elle l'avait reconnue. Cette somptueuse berline aux vitres teintées qui arrivaient, si lentement, dans sa direction et s'immobilisait à quelques pas à peine de l'endroit où elle se trouvait. Soupirant, la tête déjà baissée, elle avait repoussé le bras reposant sur elle et, après avoir murmuré quelques excuses du bout des lèvres elle s'était avancée vers cette voiture. Un chauffeur en habit qui en sortait, la saluant de quelques mots et d'une main à sa casquette avant que de venir ouvrir la portière arrière. Pour mieux laisser se déplier la si haute silhouette de son frère.

« Edward ? Mais qu'est-ce que tu fais là ? »
« Ne serait-ce pas plutôt à moi de te poser la question ma chère petite sœur ? » avait-il dit en venant à elle et, une main sur son épaule, il se pencha et baisa la joue de sa cadette. Se relevant, l'invitant déjà à prendre place dans le véhicule, il avait murmuré, le mépris au bord des lèvres «  Je suppose que ni Père ni Mère ne sont au courant ? »
« Non, et je te serais gré de bien vouloir garder tout cela pour toi, s'il-te-plaît... »

Un soupir, l'un de ceux que la petite blonde ne supportait plus d'entendre dès lors qu'elle osait se montrer comme elle était vraiment. La portière que le chauffeur refermait sur eux et ces instructions que son aîné donnait : ils rentraient à la maison. Celle de leurs parents, bien évidemment... Alors qu'elle rajustait du bout des doigts le tissu de son pantalon, elle avait senti peser sur elle le regard si lourd de reproches de celui qui, sans même la regarder, n'en jeta pas moins

«  Pourquoi devrais-je donc mentir pour toi ? Pourquoi cacherais-je tes frasques ? »
« Parce que ce ne sont ni des lubies ni des frasques ! J'aime étudier le piano ! J'aime Julliard ! »
«  Et demain qu'en sera-t-il ? Toi aussi tu rêveras de monter sur les planches ? Comme ton pauvre crétin de cousin ? Sais-tu ce que l'on dit dans le milieu ? Que l'héritier Blackson se baladerait en slip doré pour gagner sa misérable vie ? Quelle honte ! Est-ce vraiment à cela que tu veux ressembler Sophia ? A un déchet ? »

La colère qui montait en elle au point de faire rougir ses joues et se serrer ses petits poings. S'il était une chose que la toute jeune femme détestait c'était bien que l'on critique ainsi l'un des deux êtres les plus importants de son existence ! Aidan et Matt étaient ses piliers, ses meilleurs amis et ceux qui, rien que par leur présence et leur amour, lui rendaient la vie supportable. Oh oui ! Elle savait bien que son cousin n'avait pas fait que de bons choix dans la vie et, plus d'une fois, elle s'était désespérée de le voir ainsi se perdre. Mais, jamais, elle ne l'avait rejeté ! Parce qu'elle savait ce qu'il traversait, elle ! Elle savait les difficultés qu'il devait affronter ! Elle savait et, jamais, elle ne l'abandonnerait ! Pas comme cet homme, si beau et propre sur lui engoncé dans son costume de chez Dior. Lui, ce frère qui réussissait absolument tout ce qu'il entreprenait ! Du moins si réussir était se plier à devenir ce que l'on avait prévu pour lui depuis l'instant même de sa naissance... Lui, le fils, l'aîné et l'héritier se lancerait dans la diplomatie ou peut-être même la politique ? Elle... Elle était condamnée à reprendre les activités de diamantaire de sa mère... Oh pas toute la vie, non... Jusqu'à ce qu'elle se marie à ce bon parti que ses parents ne manqueraient pas de lui trouver... Et qu'elle puisse aimer une femme, ou un homme né bien loin de leur milieu était une possibilité que ses parents avaient enterrée pour elle depuis sa naissance aussi. Sophia ne vivait pas. Elle n'était qu'une poupée de chiffons entre les mains de ses marionnettiste de parents... Du moins était-ce ce qu'elle tentait encore de leur faire croire... Mais, pour combien de temps encore ? Si Edward parlait alors s'en serait fini de sa minuscule petite bulle de liberté ! Si son frère la trahissait alors...

« S'il-te-plaît … Ed... S'il-te-plaît... »
«  Je ne dirais rien, sois rassurée. Et cesse donc de t'agiter ainsi ! Tu vas ressembler à une pauvresse devant les parents ! »

Il l'aiderait ? Mais pourquoi ? Pareil élan de bonté ne lui ressemblait en rien... Et avant même que son aîné n'ait ouvert la bouche la jeune femme sut que cette aide providentielle aurait un prix. Au sens propre du terme, d'ailleurs, comme l'énonçait maintenant le politicien en devenir.

«  J'ai besoin que tu m'aides Soso... »

Soso ? Là, c'est que ce devait être grave pour que son frère l'appelle par ce surnom qu'il abhorrait et n'avait plus utilisé depuis plus d'une décennie. Les sourcils de l'intéressée se froncèrent tandis que d'un geste de la main, elle l'invitait à poursuivre.

«  Disons que j'ai du faire face à certains... revers de fortune... récemment. Des mauvais placements et j'ai besoin de trésorerie. »

Ils y étaient donc. Jamais Edward n'irait demander le moindre cent à leurs parents. Non pas que ceux-ci auraient refusé, non... Ils ne refusaient jamais rien à leur prodige d'héritier. Mais, lui, n'avouerait jamais avoir pu faire preuve de faiblesse, avoir échoué !

« Combien ? »
«  250K... »
« Pardon ?! Mais … comment ? Je veux dire comment as-tu pu perdre autant ? »
«  Tu comptes m'aider, oui ou non ? »
« En échange tu me promets de ne rien dire aux parents ? »
«  Evidemment ! »
« Laisse-moi vingt-quatre heures. Je vais téléphoner à mon conseiller privé pour lui demander de débloquer les fonds et tu les auras demain soir. Mais, Edward, j'exige une reconnaissance de dettes écrite. »
«  Tu oserais demander cela à ton propre frère ?! »
« Disons que si je me fiche de l'argent je tiens à ce que tu tiennes parole. Et cette reconnaissance en sera la garante. Parle, trahis moi et je la montrerai aux parents. Tais-toi et ton secret sera lui aussi bien gardé. C'est à prendre ou à laisser. L'offre expire dans très précisément soixante secondes. »
  « Je signe... si tu montes à 300K »
« Marché conclu. C'est toujours un plaisir de faire affaire avec toi grand-frère. »

Les sommes, astronomiques, n'étaient pourtant que vétilles pour ceux qui nageaient dans les milliards de leur famille. Et, oui, sa tranquillité valait bien quelques centaines de milliers de dollars ! Edward ne dit plus un mot de tout le trajet. Il avait obtenu ce qu'il souhaitait. Sophia aussi. Et, quand bien même elle répugnait à user de telles méthodes elle n'hésitait pas. Elle était une Swindell, et les affaires, elle les avait dans le sang, quoiqu'elle en dise ! Son téléphone qui vibrait. Aidan ! Elle décrocha ::

« Alors ? Raconte-moi ! C'est comment Phily ?! »