Il préfère ne pas répondre. L’argent a toujours été un sujet sensible pour eux. Comme la famille de Jake. À quoi bon, c’est un cercle vicieux. Une remarque en entraine une autre et ainsi de suite. Cette incapacité à communiquer fait sûrement parti des choses qui ont eu raison de leur couple. Il y a eu un moment où crier puis se réconcilier sur l’oreiller, assaillant l’autre de mots durs puis de douces paroles n’ont plus eu l’effet escompté. C’est pure illusion que de croire qu’ils pourraient redémarrer et pourtant, il y a une partie de Jake, qui se dit qu’il pourrait, que ses sentiments sont toujours bien présents, que son désir pour lui est aussi toujours bien présent, qu’il n’aurait qu’à faire quelques concessions pour continuer à avancer ensemble, pour redevenir cette famille qu’ils étaient. Mais le propre de l’illusion est que ce n’est pas réel et Jake le sait aussi. Il a changé. Modelé par les idées de sa famille, par les codes à respecter dans ce milieu qui est le sien. Pourtant, les idéaux de justice qui lui étaient propre quelques années avant, étaient toujours présentes dans un coin de sa tête.

C'est marrant: en venant ici, j'avais qu'une seule trouille, c'était de regretter cette dernière année. Mais il ne t'a même pas fallu cinq minutes pour me rappeler que finalement, c'était probablement une des meilleures décisions de ma vie.

Il a l’impression de se prendre un coup de poing dans le ventre. Il aurait voulu dire quelque chose, s’énerver encore sans doute, mais c’était comme s’il avait le souffle coupé. Il manquait d’air, manquait de mots. Il n’avait pas le droit de dire ça. C’était tellement douloureux. Il en avait encaissé des sales réflexions, des sous entendus vicieux mais là, c’était pas un sous entendu, il le lui disait, droit au but, comme toujours. Il l’avait aimé pour sa franchise, il la détestait maintenant. Jake baisse la tête, les yeux tournaient sur le comptoir de la cuisine, il fixe un point, un point de repère pour pas couler totalement dans l’océan de tristesse et de haine qu’il pouvait ressentir. Mais il avait pas le droit de craquer maintenant, pas alors qu’il était encore là. Il inspira, et fit comme il l’avait dit, il termina de mettre la table, avec des gestes automatiques, pour faire taire la douleur sourde dans son ventre.

Il finit alors par monter, une fois le dernier verre poser. Il a la mâchoire contracté, réussit difficilement à esquisser un sourire. Leurs regards se croisent, et cette fois ci, il le soutient ce regard, comme un défi, il tiendra. Il avait besoin de se prouver que malgré ce qu’il pensait, il n’avait pas besoin de lui, que son retour ne l’affectait pas plus que ça. Des mensonges dont il avait besoin pour ne pas flancher et le foutre à la porte sur le champ.

Jake s’écarte doucement avec un rire pour laisser place à la fillette qui dévale les escaliers. C’est fou cet effet qu’il a sur elle. Un simple sourire, cet éclat dans ses yeux bleus et il se sentait mieux. Il avait pleuré, bien sûr qu’il avait pleuré, de joie, quand on lui avait mis sa fille dans ses bras. Il l’avait tellement désiré. La tentative de prévention de son ex tombe à l’eau, elle est sûrement déjà en bas, à grimper sur une chaise pour se servir. Elle a même pris l’habitude de le descendre sur les fesses pour s’en faire un toboggan. Et Nick a raté ça. Il a raté les fous rires qu’ils ont eu, les quelques bleus aussi. Il avait raté tellement de choses.

Il le regarde en silence, ils se dévisagent, Jake encore trop choqué de ce qu’il a dit pour faire quoi que ce soit. Il est prêt à tourner les talons pour rejoindre sa fille quand il le voit faire un pas vers lui. Quand il le sent le prendre dans ses bras. C’était bien la dernière chose à laquelle il s’attendait venant de lui, après le coup porté plus tôt. Il a un temps de réaction, avant de finalement l’entourer de ses bras. Parce qu’il en avait eu besoin de cette étreinte. Parce que malgré tout, il lui avait manqué, malgré tout, il l’aimait. Il était le père de sa fille, ils avaient une famille.

La rupture est trop brusque, trop soudaine, il aurait encore pu rester là longtemps. Il pourrait presque le retenir mais il lui manque cette audace qu’il avait pourtant eu quand ils étaient étudiants, quand leur histoire n’en était même pas encore une. Il le regarde disparaître dans l’escalier, il entend en bas Ella l’accueillir avec un crie de joie. Il attend un peu, que la vague d’émotion passe, il attend d’être capable d’aligner deux mots correctement. Parce qu’il n’y a pas tellement de mots pour décrire la tempête qui se passait actuellement dans sa tête. Il finit par inspirer, par descendre à son tour. Ella a du chocolat déjà tout autour de la bouche, Nicholas rit à côté. Il s’assoit alors, à sa place et avec un naturel qui le surprend, rejoint les rires et les blagues. Il lança alors un regard entendu à Nick, ils allaient s’en sortir, difficilement, mais ils allaient s’en sortir. Ils s’en sortaient toujours.