Retour à la case départ, c'est-à-dire à la rue. Tôt ou tard, c'est toujours la même histoire : elle se fait virer de son dernier squat en date, et forcément c'est en pleine nuit que l'intruse s'est faite débusquer. Dès les premiers éclats de voix qui l'ont sorti de son sommeil, là voilà qui rassemble son peu d'affaires – elle veut déguerpir avant que l'homme n'ait l'idée d'appeler la police. Elle n'est pas d'humeur à gueuler cette fois-ci. D'ailleurs, elle ne dit pas un mot entre le moment où il l'aura surprise et celui où elle s'échappe des lieux.
Les yeux encore marqués par le sommeil, autant dire qu'elle n'est pas extatique de se retrouver dehors en plein mois de décembre, mais c'est sans un regard en arrière qu'elle avance. Sans savoir où elle va non plus. Difficile de savoir où s'imposer à une heure pareille, surtout qu'elle n'a pas envie de s'éterniser à marcher en vérité. La nuit est froide, elle le sent d'autant plus qu'elle est fatiguée. Et il ne lui reste plus beaucoup d'alcool sous la main, que le fond d'une flasque, pour lui tenir chaud (ou plutôt, lui faire oublier qu'elle a froid). Au moins il ne neige pas. Pas encore. Alors elle se résigne finalement à finir sa nuit dehors, plutôt que de chercher une autre option qu'elle ne trouverait possiblement pas. Et c'est tout en bas d'un escalier conduisant à un sous-sol qu'elle finit par se réfugier, là sur le pas de cette porte, où le vent ne devrait pas venir la chercher.
Déjà, elle se laisse tomber contre le mur attenant à la porte, déploie sa couverture sur elle et se recroqueville sur sa chaleur corporelle. Elle prend tout de même le temps de boire les dernières gorgées alcoolisées à sa disposition, tel un remède à sa situation pour les quelques heures à venir. Elle pourrait aussi avaler les restes d'un bagel qu'elle a sur elle, mais ce dernier finit abandonné à côté d'elle. Elle n'a pas faim. Et tout en gardant la main sur le reste de ses affaires, elle se laisse finalement prendre par un semblant de sommeil qui ne serait, certes, plus vraiment réparateur.
Bientôt, ce n'est plus seulement le froid, mais les bruits d'une ville s'éveillant peu à peu, qui jouent les trouble-fêtes et lui font entrouvrir un œil... elle n'a pas encore la foi de bouger un seul muscle pour autant, ainsi assiégée par la torpeur du froid et de la fatigue. Alors l'éclosion des premières lueurs du jour ont beau se faire voir, elle ne sort pas de son trou pour autant. Et ce n'est que lorsqu'on vient l'y chercher qu'elle s'anime finalement : un foutu chien vient de dévaler les escaliers pour s'inviter à sa hauteur. Certainement que son reste de bagel à l'abandon n'y est pas pour rien dans cette histoire. Déjà, elle gueule, la gosse.
- Tsss, dégage sale clébard ! Et quand bien même l'animal bat en retraite avec un petit couinement, elle ne résiste pas à l'envie de fracasser sa flasque vide derrière lui, là contre les escaliers. Les éclats de sa mauvaise humeur. Voilà qui devrait le dissuader de revenir.

Aussitôt que Bianca a fini de donner de l'élan à cette flasque – qui s'écrase contre les escaliers – elle s'empresse de réfugier son bras sous la couverture : elle a eu un avant-goût du froid qui l'attend. Certainement que son inaction des dernières heures n'aide pas non plus. Comme si elle ne lutte pas déjà contre ce sentiment glaçant, malgré ces vêtements et ce manteau qu'elle porte encore, et cette couverture par dessus. Elle est fatiguée. Son mal de dents s'est réveillé aussi, tiens. Elle a soif, mais elle n'a, ni alcool, ni eau, à portée de main. Autant de raisons qui la rendent de bien mauvaise humeur. Qu'est-ce qui pourrait bien la motiver à s'activer et sortir de là ? Peut-être ce foutu chien qui rapplique à nouveau !
- Putain mai- Il n'est pas seul. Ce chien n'est pas seul. Maintenant qu'elle le regarde, c'est vrai qu'il ne peut être errant, bien portant comme il est. Et ce doit donc être son maître qu'elle aperçoit derrière lui, tenter de maitriser ses ardeurs. Là voilà donc, la véritable raison qui la pousse à se redresser : la présence d'un homme qu'elle ne connaît pas, et qui, instinctivement, la met sur ses gardes. Pour autant, elle tente de ne rien en laisser paraître, jusqu'à s'en tenir à son habituelle amabilité.
- Ouais, il est envahissant vot' chien. C'est pas comme si elle aussi n'a rien à faire là. Elle squatte quand elle non plus n'a aucun droit, mais puisqu'elle est la première à avoir posé ses affaires ici, ça signifie donc qu'elle a la priorité sur les lieux ? Du moins, c'est comme ça que ça marche d'habitude – avec d'autres squatteurs. Seulement comment faire comprendre à l'animal qu'il n'a rien à faire ici ? Elle pensait avoir réussi, à éclater cette flasque sur son passage. Non, le problème, c'est son maître. C'est lui qui l'inquiète. Quelque chose dans son regard peut-être, qu'elle juge menaçant, et sa carrure imposante aussi. Et pourtant, ce dernier propose de lui offrir un nouveau bagel. De lui payer à manger. Mais n'est-ce-pas justement une raison de plus de s'alarmer, cet intérêt qu'il manifeste ? Encore une fois, elle tente de ne pas laisser ses inquiétudes transparaitre.
- C'est sûr que je risque pas de le bouffer maintenant qu'il a bavé dessus. Parce que même sans ça, elle en aurait eu l'envie ? Ce petit bout de bagel tout sec, qu'elle n'avait déjà plus l'envie de manger hier. Surtout qu'en l'occurrence, elle a fait fuir l'animal alors qu'il ne faisait que renifler : il n'y a pas mis un croc, et encore moins bavé dessus. Mais puisque c'est Bianca, et qu'elle est de mauvaise humeur, elle exagère ! Quand bien même elle n'est pas aussi sereine qu'elle le prétend à cet instant. D'ailleurs, elle ne tarde pas plus à prendre une décision : elle commence à rassembler ses affaires, pour escompter déguerpir dans la foulée. Elle ne veut pas s'attarder avec cet homme, là où ils ne peuvent être vus. Bianca peut prétendre à tout va se foutre de ce qui lui arrive, il en reste qu'elle a bel et bien un instinct de survie qui lui dit de ne pas trainer là. Certes, l'inconnu ne fait pas mauvais genre, mais ça ne veut rien dire au fond. Heureusement pour elle, ce n'est pas vraiment comme si elle s'était mise à l'aise sur le pas de cette porte, lorsqu'elle n'a que cette couverture à replier... et ce reste de bagel qui traine. Alors elle se relève, brusquement, puis prudemment, avec son sac dans une main, dans lequel elle s'efforce ensuite de caser sa couverture. Pas de quoi se risquer à perdre l'étranger de l'œil pour autant, tandis qu'elle s'essaye à le distraire avec sa conversation – et puis sait-on jamais, si elle peut gratter un peu d'argent au passage.
- Je peux aller me le chercher toute seule, si t'as de quoi payer.