Ton plus gros problème à l’heure actuelle ? Si seulement il n'y en avait qu'un. C'est bien ça, le problème, d'ailleurs. Des gros problèmes à régler, j'ai l'impression de n'avoir que ça - mais s'il faut en choisir un, j'imagine que trouver un appartement pour m'accueillir avec les enfants est celui que je dois résoudre en premier. Parce que si je passe encore quelques semaines chez mes parents, je pense que je vais finir par commettre un meurtre. Ou au moins une séquestration, quelque chose dans le genre. En deuxième position, j'aimerais bien que ma procédure de divorce parvienne à son terme histoire de pouvoir respirer un peu. Mon psy pense que ça ne changera rien et qu'il faut que je fasse le deuil de mon mariage en dehors de tout achèvement d'une procédure quelconque - mais en réalité, on s'en fiche un peu, de l'avis de mon psy, non ?

Une addiction à déclarer ? (Le café et les réseaux sociaux comptent aussi bien entendu on est là pour être honnêtes). Écrire ici

Comment s’est terminé ta dernière relation ? Ahahahaha. Sérieusement ? Ma dernière relation - mon mariage, en réalité - s'est mal terminée. Ou est en train de mal se terminer, je ne sais même pas. Figurez-vous un soir chaud au début du printemps, sur une chaise longue. Un portable abandonné quelques instants, et mes yeux curieux, attirés par une réalité qui commençait à se dessiner dans mon esprit naïf. J'ai vite compris ce que les noms des filles qui défilaient sur l'écran voulaient dire. Le lendemain matin, je suis partie avec les enfants et deux énormes valises. Ensuite, s'en est suivie une longue tragédie grecque - on a tenté de travailler sur notre couple, de faire une thérapie, de revivre ensemble. Jusqu'à ce que je reçoive une belle enveloppe kraft avec les papiers du divorce à l'intérieur. Je me demande encore pourquoi il a choisi ce moment-là pour me les adresser - j'ai du mal à comprendre. Surtout que depuis, Monsieur a l'air de vouloir revenir sur sa décision. Et moi, je lutte tant bien que mal pour tâcher de me défaire de cette relation. Talk about a challenge.

Le dernier texto que tu as envoyé ? Il est 21h10, tu ne penses pas qu'il serait bon que les enfants soient avec moi pour qu'ils puissent aller se coucher ? Ils ont école demain.

Ta relation avec tes parents on en parle cinq minutes ? Vraiment, vous avez le don pour poser les bonnes questions. Comment vous parler de ça en 5 minutes ? Ma relation avec mon père est relativement stable, même s'il est bien trop exigeant pour moi. En revanche, ma relation avec ma mère est une catastrophe à sens unique ; si elle a sans doute l'impression que l'on s'entend à merveille et que tout va bien, la réalité est toute autre. Elle respire mon oxygène de manière un peu trop assidue, si vous voyez ce que je veux dire. Je n'ai jamais été assez bien pour elle, et je ne le serai sans doute jamais assez - heureusement, mon frère et ma soeur sont là pour rattraper le coup. Trop gourmande, trop paresseuse, trop fragile, trop bordélique, pas assez mince, pas assez ambitieuse, pas assez douée pour garder un mari, pas assez forte pour réparer mon couple, pas assez intelligente pour faire autre chose que de la pédiatrie - bref, vous voyez le genre.

En dehors du boulot, des études, tu fais quoi ? Je cuisine, beaucoup. L'avantage de squatter la maison parentale, c'est que la cuisine est énorme. De quoi m'amuser, vraiment. Sinon, je voyage, je lis beaucoup, je vais au cinéma, au théâtre. J'aime sortir, aussi - mais je trouve peu de candidats pour m'accompagner.

Un fait peu glorieux à nous raconter ? Il m'arrive encore de sangloter en regardant le profil instagram de mon mari. Et oui. Et le pire, c'est que j'adore instagram - j'y poste mes plus belles réussites culinaires sans arrêt.

Ton plus gros problème à l’heure actuelle ? Son plus gros problème est indéniablement la maîtrise des folles embardées de ses parents, et notamment de sa mère, qui croit utile de publier toute sa vie privée sur les réseaux sociaux. Comme par exemple sur instagram où elle adore poster des photos d’elle et de sa petite amie à un cocktail dinatoire où son père est également présent. Divorcés ? Non, loin de là. En union libre, parfois en trouple, voyez-le comme vous voulez ; sa mère est trop moderne pour que Tristan puisse suivre sereinement en tout cas, c’est certain. Et comme ils partagent le même nom et qu’il est lui-même présent sur les réseaux, je vous laisse deviner l’enfer que tout cela peut devenir.

Une addiction à déclarer ? (Le café et les réseaux sociaux comptent aussi bien entendu on est là pour être honnêtes). La musique, le thé, son téléphone portable, instagram, son piano, la perspective des voyages, la cigarette.

Comment s’est terminé ta dernière relation ? Il n’a jamais été en couple, donc n’a pas connu de « dernière relation » qui se serait terminée d’une façon particulière. L’idée de se mettre en couple lui fait peur, et ce d’autant plus qu’il apprend chaque jour lui même à se connaître.

Le dernier texto que tu as envoyé ? « Please just delete it already my god ».

Ta relation avec tes parents on en parle cinq minutes ? Elle est compliquée, sa relation avec ses parents. Nombreux sont les gens qui vous diront que Tristan est un garçon chanceux. Ses parents sont très riches, sa mère est célèbre, il ne manque de rien. Ils sont ouverts d’esprit, généreux, inventifs, compréhensifs et encourageants. Il n’empêche que parfois, Tristan apprécierait que ses parents soient des gens plus simples, et qu’ils foutent moins le bordel dans sa vie ; que sa mère arrête d’être aussi moderne, aussi libérée, aussi extravagante et aussi originale, que son père se comporte comme un père comme les autres. Il les aime, ses parents, mais ils ajoutent à son quotidien une dose d’angoisse qu’il a parfois du mal à extérioriser.

En dehors du boulot, des études, tu fais quoi ? Il joue du piano, beaucoup. Il sort, il voyage quand il le peut. Il est investi dans une association caritative et donne de son temps pour les bonnes causes, il participe aux évènements familiaux même s’il en a peu envie. Il lit beaucoup et travaille la musique sans relâche.

Un fait peu glorieux à nous raconter ? Sa mère s’appelle Isolde et a eu le trait d’humeur subtile, fin et légèrement oedipien de l’appeler Tristan - voilà une chose qui à elle seule justifie bien des moqueries qu’il a subi au long de sa vie.

Les fêtes attirent les gens. Ce n’est pas encore le vif succès escompté, celui qui vous prend aux tripes d’angoisse parce que vous vous inquiétez de ne pas vouloir satisfaire tout le monde. Et il faudra sans doute jeter le trop plein de fleurs d’il y a quelques jours, celles qui vous déjà grise mine. Parfois, il les regroupe pour les déposer dans une maison de retraite non loin de là. Il ne sait pas ce que les infirmières en font, mais lui, ça lui fait moins mal au cœur que de tout jeter. Ce soir, cela dit, il voudrait rentrer tôt ; la fatigue habille ses traits. Les festivités de Noël l’ont laissé fatigué, et tout ce qui arrive n’arrange en rien les perspectives. Les essayages, l’organisation d’un mariage qui n’a pas franchement toutes les cartes en main pour être un succès – le Nouvel-An. Toutes ces fêtes qui lui semblent un peu dérisoires. Personne ne le comprend vraiment, mais il trouve volontiers du réconfort dans cette petite boutique qui ne paye pas de mine. Il a de grands projets – si le succès est au rendez-vous, il finira par racheter le petit local à côté pour s’agrandir. De préférence, sans taper dans l’argent de ses parents. Mais quelque chose le coince, le ramène éternellement à ses angoisses d’enfant. Il y travaille, il essaye. Il aimerait que Kate soit heureuse, aussi, mais c’est un projet à long terme qu’il ne sait plus vraiment comment mener.

Alors pour faire un pas, un essai, il lui rapporte des fleurs. Il confectionne le bouquet du mieux qu’il peut, comme il l’a appris soigneusement mais avec l’expérience qui lui manque, ferme la boutique et reprend sa voiture en direction de leur appartement de Manhattan, qui détonne avec ses revenus actuels. Il n’aurait pas vraiment les moyens d’habiter ici s’il n’était pas un Walsh. Il passe la porte, abandonne ses clés sur le petit buffet de l’entrée, son manteau sur le porte-manteau, et trouve sa future femme dans les lieux ; lui offre un baiser, lui tend le bouquet qu’il a tenté de faire à la hauteur de leurs moyens. Elle, elle attaque directement dans le vif du sujet ; elle est directe et efficace. Il a toujours aimé ce trait de son caractère – aujourd’hui, il aurait aimé qu’elle le laisse arriver, souffler.

- Je vais lui dire. Elle doit être relativement libre, j’imagine, ou en tout cas elle fera l’effort de se libérer. A vrai dire, j’espérais qu’on puisse se défiler pour dimanche après-midi. La boutique est fermée, oui, mais c’est le seul jour de la semaine et avec les fêtes, j’aurais bien aimé passer la journée tranquille à la maison.

Il grogne un peu, hausse une épaule et retire la veste qu’il avait enfilée en dessous de son manteau pour ne pas se geler les fesses toute la journée.

- Comme ça tu pourras travailler d’ici tranquillement ?

Il ne sait pas vraiment si l'idée de fuir leurs mères tyranniques respectives va la séduire ou l'agacer ; mais lui, il n'a pas envie de faire d'efforts. Sa famille est omniprésente, il aimerait bien souffler.

Ton plus gros problème à l’heure actuelle ? Est-ce le vibro devrait ou non exister en rouge ? Elle n'est pas persuadée que rouge ce soit vendeur pour un vibro. Pour la lingerie, pour les vêtements, oui, mais pour un vibro ? Allez savoir. Une chose est sure, en noir, il est canon. La couleur ne devrait pas avoir tant d'importance, cela dit.

Une addiction à déclarer ? (Le café et les réseaux sociaux comptent aussi bien entendu on est là pour être honnêtes). Le café, instagram, les cigarettes à la menthe, les voyages, les soins pour le corps en tous gens (elle a une impressionnante collection de masques pour le visage), le sport. Bref, beaucoup d'addictions à déclarer, finalement.

Comment s’est terminé ta dernière relation ? De manière raisonnable, par un il vaut sans doute mieux qu'on en reste là, non ? lancé au détour d'une conversation. Parce qu'elle est chiante, que les gens sont chiants, et que tous ces chiants ensemble donnent un mélange explosif ; mais qu'elle sait aussi être raisonnable et intelligente et éviter de se déchirer avec les gens qu'elle aime, ou qu'elle a aimé. Et puis aussi parce que sa dernière relation a vocation à lui apporter quelques soirées bien agréables, accessoirement.

Le dernier texto que tu as envoyé ? Tu pourrais mettre ton égo de côté 5 minutes pour éviter d'être le pire père du monde, Theo ? Même Maman n'a jamais été aussi grave.

Ta relation avec tes parents on en parle cinq minutes ? Elle est compliquée, la relation de Vera avec ses parents. D'un côté, il y a sa mère, à laquelle elle parvient sans difficulté à tenir tête, à laquelle elle pardonne ses écarts. On ne peut pas dire qu'elles s'entendent merveilleusement, mais en tout cas, leur relation est basée sur une espèce d'honnêteté parfois brutale. Et puis il y a son père, un homme qui ne rentre pas du tout dans le paysage de ses convictions, mais qui la chouchoute comme sa fille unique. Elle a plus de mal à lui imposer son point de vue, il l'impressionne plus, sans doute. Pourtant, il lui passe toutes ses excentricités.

En dehors du boulot, des études, tu fais quoi ? Du sport, du chant, du piano, elle fréquente les théâtres et les salles de cinéma pour ses loisirs. Et puis il y a toutes ces associations auxquelles elle prend part parce que c'est important pour elle - la lutte contre les violences faites aux femmes, la lutte contre l'inégalité, la lutte contre le cancer, le sida, les enfants isolés... Bref. Beaucoup de luttes.

Un fait peu glorieux à nous raconter ? Quand elle était plus jeune, elle s'amusait à piquer de la lingerie dans les magasins de luxe, en allant enfiler des body sous ses fringues dans les cabines d'essayage. Eh oui, rebel like that.

i'm ready to dig into all of it, abandonnement issues, dissociative episodes, my dad... Dexter est né il y a 33 ans, ici-même, à New-York. Fils arrivé trop tôt d'un couple dont il créera la crise. Ornella est une femme de pouvoir, issue d'une famille italienne où l'on manie les armes, les crises politiques et les soirées luxures. Frank est issu de la classe moyenne new-yorkaise, un homme triste de banalité dont les yeux bleus font pourtant craquer la jeune italienne. Ils vivent ensemble une relation passionnée, passionnelle, et un jour c'est le drame face à un test de grossesse qui s'obstine à être positif. On oblige le mariage et la passion cesse alors que Frank se retrouve plongée dans une vie qu'il n'a pas choisie. On lui vole même son nom ; il n'aura pas le droit de le céder à son fils. Ornella met de la distance dans leur relation, s'occupe de son fils comme d'un héritier, l'héritier d'un fardeau qui dépasse Frank, et de loin. L'enfance et l'adolescence de Dexter sont surréalistes ; il est élevé dans la violence d'une famille surpuissante, apprend les us et coutumes d'une mafia qui le dépasse. Il n'excelle pas à l'école, loin de là - son domaine à lui, c'est l'art. L'art plastique, le dessin, la peinture, qu'il passe des heures à travailler dans le secret de sa chambre sombre. Une passion que son père admire mais que sa mère exècre, elle qui est la main de fer d'un réseau solide aux habitudes notoires. Dexter a presque 15 ans quand Frank fait ses valises et quitte la ville ; c'est une soirée d'été un peu humide, Ornella est sortie, et le jeune garçon est enfermé dans sa chambre. Le lendemain, la maison est retournée, puis la ville, mais Frank est introuvable ; personne ne le reverra jamais - en tout cas, c'est la version que l'on sert à Dexter.

La fin de l'adolescence le contraint à adopter le style de vie d'une famille dont il a fini par comprendre qu'elle était profondément ancrée dans la mafia italienne à New-York. Ses origines ressortent, on le force à se cultiver, à s'endurcir. On le fait passer au travers d'initiations dépassées et violentes pour faire de lui ce qu'on aime à appeler un homme, un vrai. Il a à peine 20 ans quand on lui met une arme dans les mains pour la première fois, et c'est à cette période qu'on l'introduit officiellement sur le lieu de travail principal de sa mère. Il comprend à cette époque à quel point Ornella fait peur aux hommes qui l'entourent. Sa mère est une vipère qui mord dès qu'elle n'est pas complètement satisfaite. Le gagne-pain de la famille trouve son point central dans un Casino, idéalement situé dans une rue calme de New-York, un lieu fermé, réservé à une population triée sur le volet, ou se rencontrent des prostitués, des hommes d'affaires en voyage, des trafiquants d'art et des consommateurs d'alcool forts et de drogues diverses. Dexter y fait des jobs divers et variés sans grande passion ; lui rêve d'illustrer des livres, de peindre des tableaux plutôt que d'en trier des faux, et de partir, loin de cette mère qui ne le trouve pas assez bien et qui n'a pas eu la chance d'avoir d'autres enfants. Seulement Dexter a mis un terme à ses études très tôt, et en dehors du dessin qu'il pratique comme un loisir secret, il ne sait rien faire ; ses incapacités l'attachent sans détour à un milieu qu'il n'apprécie pas le moins du monde.

Rapidement, Dex, qui est pourtant un idéaliste qui imagine sa vie comme celle d'une famille bien rangée en banlieue, enchaîne les aventures et se voit confier par sa mère le rôle de protecteur du réseau de prostitution du Casino. Il a la lourde tâche d'organiser les emplois du temps, de gérer les filles et les garçons qui offrent leurs corps en échange de quelques billets. Il se fait une raison, tente de se convaincre qu'il apporte un peu de réconfort à un monde de brutes - mais ne se fond pas dans la masse pour autant.  

Un jour, Dexter rencontre Evan, au détour d'une boîte de nuit, un soir de détresse. Entre les deux hommes, le coup de foudre est immédiat - l'art les lie. Evan est pianiste, il aime les expositions, les promenades au soleil, les voyages. Il est rêveur, idéaliste, amoureux. Il dessine les formes de Dexter entre les draps brulants de son appartement. Ils font des projets insensés, même quand Dex a le courage d'avouer d'où il vient. Ils veulent partir, s'aimer, s'unir, oublier cette vie New-Yorkaise et leurs familles omniprésentes pour s'exiler. Ils choisissent San Francisco pour vivre leur idylle dans un appartement cosy, là où il fait toujours beau. Un mariage rapide à Vegas scelle leur idylle ; une relation explosive, folle, où ils rient, se confient, se projettent. Et peu importe les foudres d'Ornella, son regard noir, ses mots violents. Peu importe tout ce qui pourrait venir ternir leurs vies du moment qu'ils s'aiment - plus rien n'a d'importance. Dexter peint, Evan joue, et comme ils s'aiment, le succès est au rendez-vous. Ils gagnent de l'argent honnête, déménagent, se remarient à la Mairie, plus sérieusement. Achètent un chien.

Et puis il y a cette matinée pluvieuse. Il est rare que le temps soit inlassablement moche à San Francisco ; pourtant, Dexter se souvient que ce matin là, la pluie s'abattait en rafales sur les grandes vitres du salon. Le piano était abandonné, ouvert, dans un coin du salon. Les coussins du canapé avaient été disposés sur le sol, en dessous de couches incalculables de plaids et de couvertures. Une bouteille de vin sur la table basse, des verres encore pleins. Une scène pleine de leur amour, pleine de leur désir aussi. Et une note sur le grand comptoir de la cuisine ouverte. Je reviens, je vais chercher le petit déjeuner.

Dexter a eu le temps de s'inquiéter pendant exactement trente huit minutes. A partir de 10 heures, ne voyant pas revenir son mari, il a commencé à essayer de lui téléphoner. Lui a envoyé des messages. A constaté qu'il ne tombait pas directement sur la messagerie, mais que la sonnerie stridente de l'attente résonnait à 10 reprises avant que la voix automatique ne le prévienne que le numéro ne répondait pas. Il était 10h38 quand son téléphone a sonné, quand son coeur a recommandé à battre de soulagement alors que le nom de son mari s'affichait sur son écran. Le chien est venu lui lécher la main. Mais ce n'était pas son mari au bout du fil.

Evan est mort.


Rentrer à New-York lui a semblé la seule option. Abandonner l'appartement sans le rendre. En laissant les affaires telles qu'elles étaient. Rentrer à New-York, auprès d'une Ornella loin de compatir, mais qui a vu la nouvelle obscurité dans les yeux de son fils. Et qui s'est dit qu'elle pouvait en profiter.

Ton plus gros problème à l’heure actuelle ? Le fait qu'il soit amoureux de son meilleur ami qui est lui-même marié à une femme qu'il s'efforce de reconquérir est sans doute le problème qui lui prend le plus la tête à l'heure actuelle. Il ne sait pas bien comment il va s'en sortir, d'ailleurs, peut-être qu'il s'est même résigné à passer le reste de sa vie tout seul. Et quelque part, le fait qu'il soit amoureux de son meilleur ami a quelque chose de rassurant qui lui évite de se poser trop de questions quand il rencontre d'autres hommes.

Une addiction à déclarer ? (Le café et les réseaux sociaux comptent aussi bien entendu on est là pour être honnêtes). Il boit énormément de thé sous toutes ses formes, chaud, noir, vert, aromatisé ou non, glacé, froid, à la pèche, bref. Il adore le thé. Il adore la musique aussi, qui accompagne sa vie au quotidien même s'il ne la pratique plus lui-même directement.

Comment s’est terminé ta dernière relation ? Mal. Elle s'est terminée par un texto un peu sauvage reçu au milieu de la nuit, expéditif. Un message lancinant et un peu agressif, "c'est fini". Andrea ne sait pas s'il était amoureux ou si la relation était confortable, mais sa dernière rupture l'a pas mal fait souffrir.

Le dernier texto que tu as envoyé ? Tu peux apporter du doliprane ?

Ta relation avec tes parents on en parle cinq minutes ? Andrea s'est toujours très bien entendu avec ses parents, des personnes ouvertes d'esprit, tendres et concernées. Ce qui a légèrement compliqué sa vie, c'est le décès de son père quand il avait 16 ans. Le père de famille conduisait la voiture familiale avec sa mère et son frère jumeau quand ils ont eu un accident ; de cette accident, seule Meredith Lynch a survécu. Depuis, elle a un peu perdu l'esprit, la douleur de la perte de son mari et de son deuxième fils n'ayant pas vraiment aidé à son épanouissement. Andrea a souffert, puis a décidé d'étouffer un peu l'angoisse que cet évènement traumatique a généré pour s'occuper de sa mère. Ils s'entendent très bien, mais elle est un peu décalée, et il est parfois pénible pour Andrea de s'occuper d'elle, ce qui le conduit à se demander si elle ne serait pas mieux dans une maison médicalisée.

En dehors du boulot, des études, tu fais quoi ? Il écoute de la musique, joue parfois du piano - mais cette passion qu'il partageait avec son frère jumeau l'angoisse, alors il a un peu renoncé depuis sa mort. Il écoute beaucoup de musique cela dit, il va au cinéma, au théâtre, il sort un peu, et s'occupe des animaux.

Un fait peu glorieux à nous raconter ? Il discute énormément avec ses animaux.

Le nom de sa famille est réputé dans les rues New Yorkaises, Daniel Gardner étant le créateur d'une célèbre marque de yaourts aux fruits qui a séduit le grand public ― il a reçu une éducation relativement rigide ― ses parents ont eu un peu de mal à accepter son coming out mais ont fini par se faire à l'idée, trouvant par ailleurs assez positif pour leur image de marque personnelle que d'avoir un fils homosexuel ― il est le deuxième d'une fratrie de trois enfants ― il a toujours voulu devenir avocat, d'aussi longtemps qu'il se souvienne ― il est spécialement en droit pénal et en droit de l'immigration ― il travaille dans une tour de Manhattan et est associé de son cabinet ― contrairement à ce que l'on pourrait croire en l'écoutant parlant ou en l'observant, il n'a jamais pris la grosse tête, au contraire ― il a été (mal) habitué à ce que tout puisse se résoudre par l'argent, ce qui a posé quelques difficultés tant dans sa vie personnelle que professionnelle ― il est très proche de sa petite soeur, beaucoup moins de son grand-frère qui a déménagé en Californie et qu'il ne voit jamais ― sa carrière professionnelle fait la fierté de ses parents, à l'inverse de son mariage ― il est fan de musique classique, et de musique en général ― il dévore un livre par semaine au moins ― il porte des lunette de vue ― il conduit une BMW de frimeur ― il mange de tout ― il court tous les matins le tour du pâté de maison pour rester en forme ― il ne parle jamais de sa vie personnelle quand il est au travail ― il apprécie le bon vin qu'un oncle lui envoie de France ― il aime aussi les restaurants gastronomiques ― il lui arrive de fumer, notamment lorsqu'il est stressé ou triste ― il a du mal à se lier d'amitié avec les gens qu'il ne connait pas, ces choses là prennent du temps ― gamin, il était beaucoup plus réservé qu'il ne l'est aujourd'hui ― il possède une collection impressionnante de CDs et de DVDs qu'il regarde sur son beau home cinema, en bon fan d'image et de son qu'il est ― il possède un tatouage sur le haut de l'épaule droite ― bien que marié à un mexicain professeur d'espagnol, il ne parle pas un mot de la langue - ou plutôt si, il ne sait dire que te quiero ― il peut se montrer émotionnellement très maladroit ― il travaille beaucoup trop ― il est assez maniaque ― c'est un très bon papa, il a deux enfants.

- T'es sûr que c'est une bonne idée que tu récupères ce chat ? Je croyais que t'avais pas d'appartement, Oscar...

Un soupir accueille les lamentations pessimistes d'Eddy - une jolie rousse à tâches de rousseur. Si Oscar avait été attiré par les femmes, il aurait été attiré par Eddy. C'est peut-être ridicule, mais il en est persuadé. Elle, c'est la fille de son patron, Jack. Jack tient le bar le plus pourri de New York, paie ses salariés une misère - même sa fille - et en retard. Le bar n'attire plus grand monde, mais il s'entête. Oscar essaye parfois d'apporter des améliorations - Eddy a arrêté d'espérer depuis bien longtemps, elle se contente de servir quelques bières aux ivrognes qui passent, ou d'offrir un sourire aux clients propres sur eux qui se sont clairement trompés d'endroit en venant ici. Pour une raison qu'il ne s'explique pas, et qui ne tient pas vraiment à la stabilité de l'emploi, Oscar n'arrive pas à quitter ce lieu étrange et presque insalubre. Il est sûr qu'un jour, Jack passera l'arme à gauche, et que ce jour là, Ed lui remettra bien volontiers l'établissement sur le dos - peut-être alors qu'il pourra en faire quelque chose chose.

Pour l'heure, il balaie de la main les commentaires pessimistes de son ami et hausse une épaule distraite.

- Irene va adore ce chat, crois-moi.

C'est un chat errant, un peu comme lui. Il traîne aux alentours du bar depuis quelques semaines. Il doit avoir quelques mois au plus, il est sale et maigre - mais Oscar va se charger de lui refaire une santé, et Irene adore les animaux errants - la preuve en est. Il a mis le chat dans une petite cage, ce qui ne semble pas le déranger outre mesure, et quitte le bar en laissant Eddy - lui ne prend son service que bien plus tard dans la soirée, il a donc le temps d'aller prendre un café, de déposer le chat à l'appartement, d'appeler Irene pour la prévenir et de revenir ici comme si de rien n'était.

Et c'est donc tout naturellement qu'il échoue dans un coffee shop pour commander un expresso, accompagné de son nouvel ami, le petit chat blanc et gris, qui dort paisiblement sur la couverture déposée au fond de sa cage.