« Oookaaaay… » Le regard fuyant, un peu agacé, peut-être, Fran plonge son nez dans son verre, peu soucieuse de tester les limites de la patience de Siobhan. Dans tous les cas, elle ne serait pas celle qui prononcerait le mot fatal la première, parole de Polak, pour ce que ça valait. Pour ce qui était de prendre des nouvelles de leur tourment commun, à elle et à Tom, elle repasserait — la patrouilleuse se révélait d’une mauvaise foi sans nom en lui reprochant sa proximité avec son promis. La suite la fait sourciller, invariablement, écarquiller les yeux, même, ou du moins autant qu’elle le pouvait considérant sa physionomie. La surprise était visible plutôt par le pli évident dans son front, qui dénotait une confusion mêlée d’une exaspération conséquente. Amoureuse de Tom? Quel délire. « Ça arrive qu’il passe la nuit, ouais. » Autant qu’elle ait l’heure juste, malgré l’euphémisme involontaire, qui visait à épargner à Siobhan une couche supplémentaire de malheur. Elle ne se sentait pas de lui mentir, même si elle se garderait religieusement de lui admettre que le nom qui accompagnait celui de Tom sur son certificat de mariage était le sien. D’aucuns auraient dit que l’omission était une forme de mensonge, mais Fran aurait plutôt appelé ça de l’instinct de survie dans les circonstances. « T’as vraiment un problème si tu crush sur un mec qui t’fait même pas la conversation. » User du verbe aimer était au-delà des capacités de la détective lorsqu’il s’agissait de Tom, sans qu’elle sache vraiment pourquoi. Sûrement parce que le sergent l’excédait au plus haut point, même si elle se le coltinait constamment. Elle était la reine et lui le bouffon, pour faire simple. « J’veux dire, qu’est-ce qui t’attire, franchement? Tom est un branleur. Il est arrogant et égoïste en plus d’avoir aucune considération pour les autres. T’peux faire mieux. » Pour le speech de motivation, on repassera — il n’en demeurait pas moins que Fran pensait sincèrement faire une faveur à Siobhan en lui recommandant de passer à un autre appel.

Ses lèvres se tirent en un sourire vide — pas désolé, pas triste, pas mal à l’aise non plus, mais peut-être un peu de tout ça dans une grimace indéchiffrable — alors qu’elle porte son verre à son visage, espérant secrètement que le pub soit soudainement incendié afin de pouvoir s’éclipser sans remords. Fran ne faisait pas dans les regrets, et cette situation ne faisait pas exception. Ça n’était pas comme si elle avait fait exprès de partager son lit avec Tom à répétition pour faire un pied de nez à une Siobhan qu’elle savait amoureuse transie. Elle regrettait simplement que l’Irlandaise semble la mettre sur un piédestal qu’elle ne méritait pas. Fran était loin d’être honorable à cet égard, et elle avait définitivement déjà déçu Siobhan. Cette dernière n’était simplement pas encore au courant. « C’toi qui vois, mais être toi, j’boirais à autre chose », fait-elle dans un hochement de tête, faisant tinter son verre contre celui de la policière. Fran fait durer la dernière gorgée de sa pinte le temps de penser à quelque chose, à une réponse adéquate à la requête de Siobhan. Pas qu’elle ne voulait pas l’avoir comme collègue, au contraire — ça aurait le mérite de rajouter un peu de vie dans le service. « Tu mourrais d’ennui derrière un bureau », argumente la détective avec un sourcil haussé. « T’peux pas t’endurcir un peu? T’passer les hormones sur quelqu’un d’autre? » Ça n’était certainement pas qu’une question biologique, mais Fran n’était pas dans le genre émotionnel. « Au pire, t’pourrais toujours tenter l’exam’ de détective. Ou de sergent. »[/color] Changer d’air, changer de partenaire. Monter les échelons, par la même occasion.