Une heure de creux entre deux cours, ça n'a rien de réjouissant, surtout quand on aimerait finir tôt. Il faisait froid dehors, raison pour laquelle Ambre faisait sa pause clope totalement seule, personne n'ayant voulu se risquer à l'accompagner. Tant pis. Elle n'en aurait pas pour longtemps de toute façon. Son attention fut vite portée sur ce cours de sport. Quel courage, de courir sous cette basse température. Cela ne lui viendrait même pas à l'esprit. De toute façon, elle se dépensait bien assez en dansant à chaque soirée où elle mettait les pieds.

Ce qui semblait être le professeur signala la fin du cours. Ambre haussa les sourcils, surprise, le regard bloqué sur cet homme qu'elle trouvait bien trop charmant pour être un prof. Sérieusement ? Et pourquoi il n'était pas plutôt prof d'arts hein ? Ca la motiverait bien plus à avancer dans ses dossiers à rendre. La vie est injuste parfois. L'air de rien, elle se rapprocha de lui, le reste de ses élèves commençant à regagner les vestiaires.  « C'est que je commencerais presque à regretter mon choix d'études... » Lança t'elle l'air de rien.  « Dites, vous ne voudriez pas mêler un projet sportif au cursus d'art ? Juste comme ça... » Il va sans doute la prendre pour une groupie sortie de nul part. Chose qu'elle n'était même pas, comme toujours, elle voulait juste s'amuser, Ambre.

Nell a froid. Le problème lorsqu’on est professeur de sport, c’est qu’on donne des exercices aux élèves, tout au plus, on leur montre comment faire, et ensuite, l’enseignant est contraint de les regarder s’exercer, se pélant les miches au passage. Nell avait trouvé une parade à ça depuis longtemps mais malheureusement, elle n’est pas efficace à 100 % : dès qu’un élève semble plus ‘faible’ que les autres, il se sert de cette excuse pour lui remontrer les bons mouvements, et donc se bouger les fesses au passage. Malheureusement, les étudiants de ce cours étant particulièrement doué, il avait dû rester à grelotter malgré ses deux pulls et sa veste.

Finalement, alors que l’heure de fin de cours sonne enfin, le français voit cela comme une libération et son sourire s’élargit enfin à l’idée du café chaud qui l’attend en salle des professeurs, où il va aller vite se réfugier. Ou pas… Une demoiselle vient lui parler et il fronce les sourcils, se demandant ce qu’elle lui veut. « Il doit rester des places en première année, si tu souhaites te réorienter. » Lui dit-il le plus sérieusement du monde, espérant vite se débarrasser de cette jeune femme pour se réchauffer. Mais cela risque d’être plus difficile que prévu, car la voilà maintenant à parler de projet. « Si on parle de calendrier avec des photos d’étudiants en sport, je ne sais pas si j’appellerais vraiment ça de l’art. » Bien qu’il y ait des gens particulièrement créatifs… « Mais si tes professeurs ont des idées particulières en tête, ils savent qu’ils peuvent venir nous en parler. Ou si ce sont les étudiants, je les invite à se retourner vers leurs profs. » Il tente un sourire poli, tout de même intrigué par l’idée qu’elle pourrait avoir en tête et qu’il n’ose pas lui demander.

Se réorienter ? Wow, il n’avait définitivement pas compris son sous-entendu. Peut-être avait-elle été trop subtile. Ou alors peut-être faisait-il parti de ceux qu’on ne pouvait pas corrompre… Mais ça valait toujours le coup d’essayer. « Vous me voyez en sport ? Vraiment ? » Demanda t’elle en faisant un demi tour sur elle même, afin qu’il observe son corps, musclé certes mais pas des masses non plus. Le strict minimum quand elle n’avait pas la flemme de se déplacer jusque la salle de sport. Même sa proposition de mêler art et sport, il ne semblait pas y voir d’intérêt. « Si on mêle les photos des sportifs aux talents des artistes avec peinture ou graphisme, ça pourrait donner un chouette truc… » Tenta t’elle de se rattraper. Sa confiance en elle en prenait un coup, elle se sentait ridicule. Quelle idée de tenter de draguer un prof ? « Oui.. euh, j’en parlerais à mes profs alors… » Son sourire s'était effacé, sa joie dégringolait d'un coup. Fuir, maintenant, mais comment ?

« Pourquoi pas ? Il n’y a pas de physique type. » Que s’imagine-t-elle ? Qu’il faut avoir des épaules larges, des biceps en acier ? Elle serait bien étonnée de voir le panel des demoiselles du cours d’athlétisme en particulier, qui n’ont rien à lui envier. Il lui sourit poliment quand elle appuye son idée de projet. Dans le fond, elle n’a pas tort, mais il n’a vraiment pas la tête à ces choses-là en ce moment alors qu’il vient juste d’arriver en ville. C’est peut-être un peu trop tôt pour qu’il puisse prendre des initiatives au sein de l’université. Il hoche la tête, mais en voyant l’air de la jeune femme si dépité, il se sent un brin coupable et d’humeur mitigée. Il en avait connu une à l’époque qui avait joué de la même manière, parvenant à ses fins d’ailleurs. Une certaine Alvérize dont le doux souvenir est encore gravé en lui. Leur soirée dans les châteaux gonflables était fort sympathique. Et si c’est ça que cette étudiante cherchait aussi ? Et si elle allait se plaindre de lui ou inventer des choses qui le mettrait en danger ? Tu deviens parano mon pauvre Nell. Entrer un tout petit peu dans son jeu pour qu’elle ne lui en veuille pas trop de l’avoir rejeté ? « Tu sais que les relations professeurs élèves sont interdites au sein de l’établissement, non ? Si j’avais ton âge, je te trouverais très charmante mais te rends-tu compte que je suis un vieux croûton ? » Bien conservé certes, mais il préfère mettre les bouchées double pour lui faire comprendre qu’il n’est pas un homme pour elle.

En plus il avait réponse à tout. Elle ne l'avait même pas déstabilisé une seule seconde. La prochaine fois, Ambre, reste dans ton cercle de proies habituelles : les mecs immatures de ton âge et tinder. Elle étouffa un soupire. Evidemment qu'elle pouvait être en sport, ou en arts, ou en cuisine. Depuis quand fallait-il avoir la tête de l'emploi? Elle avait voulu jouer à la fille stupide, et il avait été évidemment plus malin qu'elle.  « Euh je... Je fume. J'aurai pas l'endurance. » Tente t'elle à nouveau pour se justifier. Si il n'avait pas compris dès le départ qu'elle le draguait, il ne fallait pas qu'il le comprenne maintenant. Parce que ça faisait d'elle une pathétique séductrice. Mais elle se sent dépérir lorsqu'il aborde les relations étudiants-professeurs. Faisait-il lui aussi semblant depuis le départ pour cacher sa gêne ? Elle lui en veut soudainement.  « Mais qu'est ce que vous vous imaginez ? » Elle se calme instantanément. Non, elle n'est pas une de ces ignobles filles qui irait inventer quoi que ce soit, mais ses paroles pourraient le faire croire. « Et vous n'êtes pas un vieux crouton. On doit avoir à peine dix ans d'écart ! »

Pas besoin d’endurance pour faire du saut à la perche ou du lancer de javelot mais il va s’abstenir de lui dire. A voir sa tête, le fait qu’il puisse imaginer deux secondes qu’elle s’inscrive en sport semble l’anéantir totalement. Un petit rire cynique lui monte au nez, qu’il tente de rendre le plus bref possible. Finalement, la suite est très paradoxale. D’un côté, elle semble lui dire qu’il a tort et d’un autre, détruire son argument d’un coup de baguette magique. « Dix ans de trop ! » Un rire nerveux s’installe à ses lèvres désormais. « Quoi qu’il en soit, je suis un homme inaccessible et cet argument devrait suffire à ce que tu retournes en cours ! » Dit-il d’un ton qui se veut catégorique, mais qui ne l’est pas tant que ça. Il s’avère qu’il se marre bien, même s’il a froid, dans cette situation incongrue qui lui rappelle quelques années en arrière, ses premières années en tant que professeur, lorsque la différence d’âge avec les étudiants se comptaient sur les doigts d’une main.