Elle a pris cette décision sur un coup de tête. Vraiment, quand elle y réfléchit ce n’est sans doute pas une bonne idée car ce jour n’est pas comme tous les autres. Le 14 février a une certaine connotation, un goût sucré pour la plupart mais amer pour les autres. Meghan ne sait pas dans quelle catégorie elle se trouve. Ne devrait-elle pas faire marche arrière ? Revenir sur ses pas et prétendre ne jamais s’être pointée à l’improviste devant chez lui, une bouteille de jus dans une main, l’autre chargée de petits plats à emporter provenant du chinois du coin. Ses dents mordillent sa lèvre pendant que la femme prend le temps de réfléchir. Il y a deux ans, Meghan aurait sonné sans se prendre la tête, geste impulsif d’une longue liste dont elle ne pouvait être fière malheureusement. Et puis, il y avait eu la descente aux Enfers comme la blonde appelait aujourd’hui cette période de dépression et de mise en danger. Et puis, il y avait eu sa thérapeute. D’une certaine manière, c’est ce qui l’avait sauvée, cela ainsi que l’envie de changer ; car un thérapeute – aussi doué soit-il – se retrouve impuissant si le patient ne désire pas voir sa vie s’altérer pour le meilleur. Depuis, des choix sont toujours faits sous le coup de l’émotion et cela ne changera sans doute jamais complètement, c’est là un trait de sa personnalité avec lequel l’éditrice doit apprendre à composer, plutôt que d’essayer en vain de rejeter ce qui fait d’elle eh bien … elle. On ne se remodèle jamais entièrement, et ce n’est pas plus mal il paraît ; après tout c’est cet état aussi qui lui a permis d’ouvrir sa petite maison d’édition et de la faire prospérer, de se sortir de situations rocambolesques sans une seule égratignure, c’est aussi ce qui lui permet de se lier facilement avec les gens. S’il est important pour Meghan de travailler sur ses mauvais côtés, elle ne doit pas en oublier les bons. Ce point aussi fait partie de sa guérison, se montrer un peu plus tolérante envers elle-même, moins exigeante, accepter ses erreurs. We all make mistakes, Meghan, we are humans after all. It is okay to cut you some slack from time to time. It is okay to just live sometimes. Les mots de sa psychiatre la marquent souvent, et si elle n’est pas toujours d’accord ou prête à entendre ce que celle-ci lui dit, Meghan doit reconnaître que cette voix qui remplace les autres est d’un soulagement important pour ses angoisses.

Ainsi, Meghan décide finalement à sonner à la porte de l’appartement. On fait tous des erreurs, et ce n’est peut-être pas une très bonne idée de s’inviter chez un ancien amant le soir de la saint valentin. Peut-être qu’il a un rendez-vous galant (elle ne sait pas trop quoi penser de cette éventualité) ou qu’il ne sera pas chez lui, peut-être qu’il ne voudra pas l’accueillir chez lui, et peut-être qu’on s’en fiche au final. Parce que Meghan est heureuse quand elle voit Neal, et c’est tout ce qui compte au final.

Ces petits bouts de bonheur qu’elle grappille où elle peut. La porte s’ouvre et son sourire illumine son visage, oscille entre la timidité et la joie. « Hey ! Je ne te dérange pas ? »

Neal avoir un rendez-vous galant pour la St Valentin ? Sûrement pas. S'il va bien mieux qu'il y a quelques mois, il n'en est pas là pour autant. La blessure du divorce est toujours là, moins lancinante mais toujours présente. La dernière chose dont le blond à envie c'est bien d'une relation, et c'est pour cette raison sans doute qu'il est installé devant la télévision devant une émission de télé-réalité un peu douteuse au lieu de se lancer dans un date désespéré trouvé sur Tinder. Il faut dire que le catalogue Netflix ne se renouvelle pas à la vitesse de l'éclair et considérer l'idée de s'abonner de surcroît à Prime n'est pas une option envisageable s'il compte revoir un jour la lumière du jour, et c'est dans ses plans, oui.

Et comme l'idée de se ridiculiser devant une femme n'est pas au programme de la soirée, il va regarder les autres le faire, tout en justifiant tout ça comme le font les bonnes gens : prétextant ne vouloir assister qu'à la misère du monde et en faire partie à la fois. Oh il a bien songé à envoyer un message à Meghan (quelle idée étrange d'ailleurs ?) mais Neal s'est ravisé après avoir écrit et effacé pendant une bonne dizaine de minutes. Leurs longues conversations l'ont éclairé là dessus, suffisamment pour qu'il ne vienne pas compliquer ce qui l'est déjà. Pour Meghan c'est sans doute un jour désagréable, il ne veut pas en rajouter. C'est un jour désagréable pour lui aussi. Love hurts, une chose est sûre.

Quelle n'est pas sa surprise quand on vient sonner à sa porte. Un peu honteux de son programme télévisuel, il s'assure de bien fermer son émission et de mettre un documentaire à la place. Les gens savent qu'il a touché le fond, mais pas à ce point. Lorsque Meghan apparaît devant la porte, Neal paraît surpris, mais pas désagréablement.

- Meg ? Entre...

Elle est ravissante comme toujours, mais là n'est pas le genre de pensées qui devrait le traverser.

- Tout va bien ?

Ses attaques d'angoisse ont souvent pris le pas sur sa santé mentale. Bien qu'elle ait mis des années avant de pouvoir mettre un nom sur ces boules dans la gorge, cette impression de mort imminente qui la laissait pantelante et au bord d'un précipice dans lequel elle aurait pu si aisément tomber. Ces attaques étaient devenues des ennemies d'infortune au fil du temps, comme une ombre noire qui ne voulait jamais la laisser se reposer, prisonnière de ses propres démons. Il lui avait fallu du temps pour mettre des mots sur ses émotions, sur ses tourments, et encore plus pour les accepter. Ce dernier point est d'ailleurs toujours bancal si on lui demande son avis, mais au moins aujourd'hui les mots sont posés et le travail à commencé. Meghan se sent mieux, pas bien, rarement pleinement heureuse, ni même épanouie, mais mieux. Et cela n'a pas de prix.

C'est pour cette raison qu'elle ne s'apesante pas aujourd'hui sur les centaines de voix qui lui intiment de se tenir éloigner de Neal, de ne pas frapper à cette porte, de ne surtout pas commettre d'erreurs. À vrai dire, elle leur ordonne de se taire, et la trentenaire sait mieux comment reprendre le pouvoir au sein même de son esprit autrefois envahit par ses voix d'enfants et d'angoisse. Meghan trouve du bonheur où elle peut, et Murray fait partie de ces rares personnes en qui elle a confiance, elle peut le dire. Quel est le mal à le voir ce soir ? C'est une question réthorique dont la réponse est loin de lui être inconnue, mais encore une fois, ce soir elle ne veut pas y penser. Quand il lui ouvre la porte, mettant un point final à ses états d'âmes et surtout à la possibilité tentante de rebrousser chemin, un sourire vient illuminer son visage chaleureux. Il est beau. Mais là n'est pas la question, right? Et il s'inquiète apparemment, assez pour que son cœur rate un battement. It doesn't mean anything. Because you're not ready. "Tout va bien, ne t'inquiète pas." ses yeux se plissent sous l'éclat de sa bonne humeur, elle s'empresse alors d'ajouter. "Je n'avais pas vraiment envie d'être seule aujourd'hui. Mais je n'avais pas non plus envie de passer cette soirée avec un inconnu. Et je me suis dit, enfin c'est peut-être idiot et tu peux tout à fait dire non..." ses mains se lêvent en un geste protecteur, s'apprêtent à essuyer un refus. "Mais je me suis dit qu'on pourrait boire du jus, manger chinois devant Netflix et passer une bonne soirée, ensemble, tous les deux quoi." Meghan sent bien qu'elle s'emmêle, que les mots choisis pourraient porter à confusion, alors elle espère et prie les Saint auxquels elle ne croit pas de faire en sorte que son ami comprenne le sens de sa proposition.

I need a friend.
I need you.

Meghan rassure Neal et le jeune Murray la laisse s'installer sur son canapé. Ce n'est pas la première fois qu'ils échouent sur celui-ci devant un jus de fruit, mais bien la première fois cela dit que Meghan décide de s'inviter ici un soir chez lui sans avoir envoyé de texto au préalable. Pas que Neal soit formel à ce point, mais cela reste étonnant de la part de son amie qui jusque là a pris bien soin de garder quelques limites non franchies. Oh Meghan a toujours eu le don de le surprendre et dans le passé, ce genre de choses aurait été fréquent même, mais cela l'étonne tout de même de sa part.

- Non tu as raison, et puis ce n'est pas comme si j'allais aller où que ce soit ce soir. Un chinois et du jus ça me va très bien. On a sûrement droit à des entrées gratuites depuis le temps.

Les pensées de Neal vont trop vite, mais soucieux de ne pas laisser apparaître son trouble, il s'affaire plutôt à remplir deux jus de mangue. Il y a mieux pour la St Valentin, mais en principe, ils ne sont pas vraiment là pour célébrer quoi que ce soit. Lorsqu'il revient, il s'installe près de Meghan.

- Tu sais on en était à quel épisode ?

Leurs amis seraient sans doute scandalisés de leur inconscience, mais la solitude les pèse comme n'importe qui d'autre. Aussi le regard de Neal se pose sur Meghan un instant. Elle a beaucoup changé depuis la dernière fois qu'ils ont été ensemble. Elle semble plus apaisée, mais reste Meghan dans ses bons côtés.

La réponse de son ami la soulage pour une raison qu’elle ne peut veut pas comprendre, il n'a pas de plan good. Elle s’engouffre sur un terrain sinueux et tortueux se répète-t-elle pour la énième fois tout en s’installant sans se faire prier sur le canapé. Paradoxale ? tout à fait. « Pour l’instant on paye toujours, mais on a eu le droit aux traditionnelles chips à la crevette en supplément. Et je peux te dire que ceux qui étaient avant moi n’ont pas eu ce traitement de faveur ! » C’est fou comme une routine peut facilement s’installer entre deux personnes, cela l’est encore plus quand on sait que quelques mois à peine ils ne se parlaient plus. Cette relation est confortable pour la blonde habituée au tumultueux éclats de sa vie passée. Rassurante aussi, alors pourquoi ce nœud au creux de son ventre ? Pourquoi cette sonnette d’alarme dans sa tête qu’elle tente de dissimuler sous une apparence nonchalante.

Si elle croit que c’est parfaitement normal de se présenter à l’improviste chez son ex le soir de la saint-valentin, peut-être que Neal le croira également et ne se posera pas de question ? Mais est-ce là réellement ce qu’elle souhaite ? Sa psychiatre lui conseillerait de faire le point un instant sur ses émotions, pour une fois pourtant, Meghan n’en fait rien. Un soir de pause ne lui fera pas de mal arrive-t-elle à se persuader non sans difficulté quand elle voit le regard de Neal se poser sur son visage. Deux amis qui partagent un repas et regardent une série, c’est tout. « Saison 3 episode euh attends je regarde. » L’éditrice sort son téléphone de sa poche et ouvre l’application où sont répertoriées toutes ses séries, et oui elle suit l’avancée de Neal alors que elle a déjà terminé la série depuis longtemps, mais rien d’anormal là-dedans, right ? « Episode Deux. Oh ! tu vas voir il est génial celui-là. Comme d’habitude je ne dis rien, mais tu m’excuseras d’avance si je me mets à chanter de ma voix de casserole ? »

Parfois, l’univers envoie des messages, souvent Meghan est un peu trop à l’ouest pour les comprendre, c’est pourquoi elle ne réalise pas tout de suite que l’épisode de ce soir n’est peut-être pas le meilleur à regarder étant donné leurs circonstances. C’est seulement quand la protagoniste se rend chez ce cher Nathaniel et qu’elle sait la chanson qui arrive que sa gorge se fait soudain plus sèche et que son regard observe fixement l’écran sans oser dévier vers son ami. Est-ce que c’est elle où il fait chaud ? Et pourquoi ses joues sont en feu tout d’un coup ? « Hem, on peut regarder autre chose si tu préfères ? » Sa voix lui apparaît comme presque imperceptible, à peine un murmure, c’est sûr, il va se faire des idées.

Neal hausse un sourcil, décidément ce restaurant est un peu dur sur son programme de fidélité. Il faut les mériter ces extras... ! Le producteur a pourtant l'impression qu'ils n'en sont pas à leur premier coup d'essai avec la jolie Meghan. Ça fait bien...quatre commandes en tout, rien que pour tous les deux ? Et sûrement quelques unes de plus pour Neal tout seul, qui let's not pretend the opposite, n'est pas le meilleur cuisiner du monde. Tout le monde sait faire un stir fry sauf Neal Murray, ce qui est un peu triste après tous ces mois enfermé chez lui d'ailleurs, mais on ne peut pas être doué dans tous les domaines. Tout est décidément (et étrangement) facile avec Meghan. Une ironie sans doute vu la complexité de leur relation, mais aussi de ce qu'ils traversent tous les deux, mais il est amusant de noter la vitesse à laquelle ils s'enferment dans une petite routine. Ce serait mentir que de dire que le producteur trouve tout cela désagréable. Alors il répond, amusé :

- Ça commence toujours avec des petites attentions, on s'en contentera pour l'instant.

Ce n'est pas comme s'ils étaient à quelques centimes près de toute façon. Et vu le programme de la soirée, c'est probablement de l'argent bien dépensé. Meghan pianote sur son téléphone pour retrouver là où ils en sont et ils commentent joyeusement l'épisode jusqu'à une certaine scène qui vraisemblablement fait un effet étrange à Meghan. Neal lui jette un regard en biais et la ressers en jus de fruit.

- Je n'ai pas de problème avec ce numéro de danse personnellement... Ça a une vibe très Chicago d'ailleurs.... Tout va bien Meghan ?

Neal commence à se poser la question, tandis que son regard dévie des fesses de Rachel Bloom vers son amie.

Il y a un je ne sais quoi de réconfortant dans cette routine qui s’installe entre eux deux. Etrangement, lors des quelques mois qu’ils ont passé ensemble, ils n’ont jamais réussi à trouver une telle … harmonie. Un confort dans les silences, un soutien dans les difficultés, et même une tendresse dans les regards. Meghan apprend à prendre le temps, à profiter de chaque instant. Elle est comme une enfant qui apprend à vivre. Dans un coin de sa tête, la jeune femme note la comparaison qui ne manquera pas de faire sourire sa psychiatre, avant de revenir entièrement dans cette pièce, avec cet homme. L’éditrice lui sourit avec son cœur et répond à chacun de ses commentaires sur cette série qui lui est chère.

Pourtant, les vieux ennemis qu’elle croyait ses amis ne sont jamais bien éloignés, et quand la musique se déclenche, les joues de la blonde se rosissent, son souffle se coupe. Non pas par désir, bien qu'autant de mois d'abstinence pourrait expliquer bien des réactions ; surtout quand on est face au charme fougueux de Rachel Bloom et à la beauté magnétique de Scott Michael Foster. Rajoutons, à cela la présence d'un Neal qui - il faut bien l'admettre - ne l'a jamais laissée indifférente... Mais non, la cause n'est pas dans ces élucubrations et bien plus dans la constatation flagrante des similitudes entre ce personnage et elle. Combien de fois, sous le coup de l'impulsion a-t-elle entrepris de telles avances, et jusqu'où est-elle allée dans ses obsessions ? Car maintenant, Meghan peut mettre des mots sur ses expériences passées. Perdue dans ses pensées, son esprit prend un peu plus de temps que nécessaire pour réaliser que son ami s'adresse bien à elle et pas à l'écran de la télévision. Son regard quitte un instant la représentation sensuelle pour se plonger dans les yeux de Neal, un discret sourire embarrassé et une main dans ses cheveux lachés dénotent de son malaise. Si ses actions laissent planer de nombreux mystères, on peut lire sur son visage comme dans un livre ouvert. Son rire fuse, mélange de dédramatisation et de nervosité. " Non c'est rien. " Qui des deux souhaite-t-elle convaincre ? Les mots s'échappent pourtant de ses lippes pour dire tout le contraire de ce qu'elle avait prévu, tout ce qu'elle cache à tous ses proches et à elle encore plus. " Enfin, c'est juste que parfois je me reconnais en Rebecca. Et ce n'est pas toujours agréable de le réaliser. " Ses jambes se plient et son menton se pose sur ses genoux, une de ses mains glissant automatiquement contre sa cuisse. De haut en bas, de bas en haut. " C'est comme observer sur un miroir grossissant tous ses défauts, tous ses problèmes..." ses lippes retroussées en un fin sourire contrastent avec la profondeur de ce qu'elle partage, Meghan ne se livre pas facilement ; faire preuve de vulnérabilité aurait été impossible auparavant, se montrer dans sa nudité sprituelle la plus crue et singulière, donner aux autres l'opportunité d'arracher des lambeaux de son âme et de sa chair, c'était impensable.

Pourtant, avec lui, cela ne semble pas aussi dangereux. Pourtant, pourtant cela l'est peut-être d'autant plus.

Neal n'est pas idiot, il sait pourquoi Meghan lui a suggéré cette série. Outre son aspect très féministe, elle lui parle sans doute d'une manière tout à fait personnelle. Alors Neal observe, toujours prudent dans ses commentaires pour ne pas la heurter. Meghan tient probablement à partager cette partie compliquée d'elle-même, même si cela n'a rien d'évident en particulier avec un ami qui est aussi un ex comme Neal. L'initiative est touchante cela dit, et Neal, même s'il ne peut pas comprendre tous les obstacles qui se dressent en travers du chemin de l'éditrice, souhaite s'y essayer malgré tout. En réalité, lorsque Meghan lui a annoncé son diagnostique, il a surtout cherché à se documenter, s'informer, comprendre. Aussi quand elle lui a proposé de regarder cette série à la thématique particulière (surtout au vu de leur relation), il a interprété la démarche de Meghan comme une envie d'être enfin comprise, de partager ses victoires comme ses défaites. Au vu de leur rapprochement récent, l'idée semble logique, mais Neal ne saisit pas non plus toutes les nuances qui peuvent traverser l'esprit de sa jolie blonde.

Lorsqu'elle lui explique pourquoi l'épisode lui semble difficile à regarder, le producteur met celui-ci en pause et en profite pour prendre sa main dans la sienne. Il enlace leurs doigts dans un geste affectueux, incapable de saisir la portée d'une intention qu'il peut s'offrir le luxe de ne pas réfléchir, ce qui n'est pas le cas de Meghan. De sa main libre, il replace alors une mèche des cheveux de la blonde derrière son oreille et ajoute à voix basse.

- Tu as changé, beaucoup changé tu sais ? L'important ce n'est pas toujours ce qu'on ressent au fond, mais ce qu'on est capable de faire malgré tout ça, tu ne crois pas ?

Il accompagne le tout d'un sourire tendre, ironiquement incapable de comprendre que cette proximité est le déclencheur de la crainte qu'il tente d'atténuer chez elle.

- Je pense qu'à ce niveau là tu peux être fière du chemin parcouru non ? Et ne t'en fais pas, je me suis totalement senti visé en voyant ce type tenter médiocrement d'exprimer ses émotions, c'est une bonne parodie sur ce point. Tout le monde a ses failles Meg, c'est ce qui nous rend... humains ? Dis-moi si je parle trop.

Neal ne parle pas si tant d'ordinaire, à dire vrai, il ne le fait que lorsqu'il se sent en confiance. Et Meghan peu importe la période, a toujours eu un talent particulier pour obtenir le meilleur de Neal Murray.

boom boom, résonnent les battements de son coeur jusque dans ses tempes. Un voile transparent s'installe autour d'eux, oublié l'épisode de série, elle ne sent que le contact chaleureux de ses doigts qui s'entrelacent au sien. Que la tendre caresse de sa main qui glisse à peine contre sa joue quand il vient replacer une mèche de ses cheveux derrière son visage. Il y du réconfort dans ce geste, un élan de tendresse. Et sa voix qui la berce de son souffle chaud. Meghan se sent bien, ses paupières s'abaissent et son sourire s'étire. Une bulle rose qui se crée dans son champs de vision, qui étourdit sa raison. Sans le savoir, Neal lui apporte tout ce dont elle a besoin, sans y penser, il lui en apporte trop. Ce n'est pas de sa faute, il ne peut pas savoir malgré ses tentatives et son empathie, il ne peut comprendre l'étendue du besoin de reconnaissance et d'amour qui entravent la blonde.

Bien sûr, rien n'est anodin pour elle, de l'envie de lui faire découvrir cette série, jusqu'au temps qu'ils passent ensemble. Peut-être que c'est parce qu'il souffre lui aussi, peut-être parce qu'il la comprend d'une certaine façon, peut-être que la raison en est aussi simple que complexe, après tout.

Perhaps, she doesn't need to understand everything.

"Neal, tu ne parles jamais trop." D'un élan incontrolé, son corps s'avance jusqu'à lui, ses bras entourent ses épaules, une de ses mains se glissent contre sa nuque chaude et ses doigts s'amusent avec quelques mèches de cheveux, son visage est tout proche du sien maintenant. Trop près. Mais qu'est-ce qu'elle est en train de faire ?! "Merci. Tu es la première personne à remarquer des changements." est-ce vrai ? Boum boum. Les battements de son myocarde lui obscurcissent les pensées, boum boum, ses yeux descendent jusqu'aux lèvres si attirantes de Neal et sa bouche vient suivre leur trajectoire en une infime caresse, à peine un soupir. Boum boum. En une seconde, est-elle en train de détruire tout ce qu'elle construit ?

Shit. Shit. Shit.
But that little kiss, almost only a peck, it sends shivers on her back and on her neck.

Neal a définitivement l'impression de s'ouvrir plus que d'ordinaire et ce pour une raison toute simple. Neal a des sentiments pour Meghan. Des sentiments qui le poussent comme aujourd'hui à partager ses pensées, ce qu'il ne fait pas avec n'importe qui on ne va pas se mentir. Neal a besoin de temps pour être à l'aise. Plutôt discret et observateur, il est de ceux qui prêtent une oreille attentive plutôt que de ceux qui cherchent à tout pris à donner leur avis sur une question donnée. Tout cela peut donc sembler assez en dehors de ses habitudes quand on le connait bien. Pourtant Meghan ne le somme pas de se taire, et Neal en est presque surpris. La dernière chose qu'il aurait envie de faire, ce serait de lui mansplain son trouble, ce que beaucoup d'autres ont déjà dû faire à sa place.

- Vraiment ? Les autres ne sont pas très observateurs alors...

Les mots échappent les lèvres de Neal sans grand filtre, ce qui n'est jamais une bonne idée. Et alors qu'il analyse sa propre phrase, le producteur réalise que l’interprétation de celle-ci pourrait être tout à fait différente de l'intention de base. Ennuyé par cette réalisation, il s'apprête donc à développer son propos de base lorsque les lèvres de Meghan approchent dangereusement des siennes. Court circuité, par ce geste spontané, le cerveau de Neal décide de ralentir de son processeur et d'apprécier le moment. Ses mains glissent tendrement dans le dos de Meghan, et il se laisse dicter par les initiatives de la blonde. Quand leurs lèvres se sépare, Neal cherche le regard de Meghan en quête d'explication, d'approbation sur tout. Est-ce qu'ils peuvent aller plus loin. Est-ce qu'elle en a envie ? Le mieux encore dans ce genre de situation, c'est de tout simplement poser la question.

- Est-ce que... tu es sûre que c'est ce que tu veux ? Je ne veux pas, enfin...

Elle doit regretter de lui avoir dit qu'il ne parlait jamais trop, mais Neal éprouve le besoin de savoir qu'elle est tout à fait sûre qu'il s'agit de la direction qu'elle souhaite donner à leur relation. Ils ne sont pas un duo comme les autres. Ils sont fragiles l'un comme l'autre. Pour certaines personnes se laisser aller à la folie d'un moment n'est qu'ajouter un peu de piment dans une relation, pour d'autres il y a simplement une forte chance de tout foutre en l'air.

La bulle métaphorique rougit de plus belle quand Meghan sent les mains de Neal glisser le long de son dos. Un an qu’elle n’a pas été touchée, bien plus depuis que ses mains à lui ont effleuré son corps pour plus qu’une embrassade. L’intention est différente des autres fois, il y a quelque chose dans l’air d’indéchiffrable et d’aussi dangereux que délicieux ; son cerveau s’éteint entièrement, Meghan s’enfonce dans ce moment, dans ce cocon. Elle n’est plus que lippes contre lippes et fait s’étirer cet instant à l’infini en gardant ses yeux fermés même après le baiser terminé.

Soudain, une question et un brusque retour à la réalité, une gifle dans le cœur, tandis que dans sa tête toutes les alarmes se déclenchent. Pourquoi cet écart, pourquoi maintenant, que lui répondre ? OUI, non, non, non, non, OUI, … non, non. Ses iris amandes s’élargissent, ses lippes qui contiennent toujours la trace des promesses d’un peut-être se figent entre-ouvertes. Ses mains sont encore attachées au cou de Neal, son front se pose alors sur l’épaule du châtain, Meghan n’osant plus le regarder en face. « Je ne sais pas… » Quatre fichu mots d’une honnêteté qui prouve son avancée, mais qu’elle ne prend que comme un aveu de faiblesse. Elle a dévié du chemin, et les conseils de sa psychiatre lui rappelant que l’humain est faillible semblent bien éloignée de sa psyché. Son esprit est tout embrouillé.

La culpabilité l’emporte sur le désir.
La peur sur ses envies.

Et si, elle n’était pas prête ? Et si c’était trop tôt ? Cela ne fait qu’un an après tout, un an qu’elle apprend à se connaître, qu’elle découvre comment s’aimer. Meghan arrive tout juste a se tolérer. Alors, l’éditrice prend la parole pour tenter d’effacer ce qui ne peut l’être. « Je n’aurais pas dû... » Sa voix est si faible, à peine un soupir, l’excuse qu’elle voudrait lui murmurer ne dépasse pas le passage de sa gorge bloquée. Meghan s’enfonce un peu plus dans les bras d’un Neal qui doit être complètement désorienté. Elle s’enivre de son odeur rassurante, puis se détache à contre-cœur, quitte à regret la chaleur de ses bras. « Je devrais y aller, ça va être awkward sinon. »

Est-elle au bord des larmes ? Pourquoi alors que c’était la plus sérieuse des décisions, Meghan a l’impression d’avoir fait le mauvais choix ?
Pourquoi fuit-elle ainsi le bonheur ?

La réaction de Meghan n'est pas exactement celle que Neal s'était imaginé, et bien vite ce qui était un moment d'intimité tendre et vulnérable se retrouve obscurci par une peur qui revient trop facilement. Neal ne sait pas comment réagir. Il n'a jamais été le meilleur pour trouver les mots justes. Maladroit, facilement submergé par des émotions qu'il ne sait simplement pas exprimer, il se tait et laisse Meghan prendre la décision de lui briser le cœur une fois de plus. Pas volontairement, il s'en doute, mais le résultat reste le même. Il baisse la tête, coupable d'avoir déclenché chez elle cette avalanche d'émotions qu'elle n'était pas prête à accueillir. C'est allé trop vite, et la voilà qui s'en va en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. Neal voudrait la retenir, la rassurer, mais en plus de pas briller dans cet art complexe, il reste figé sans savoir comment répondre à tout cela. Il n'a aucun droit de la forcer, et Neal ne saisit pas toujours bien la limite entre retenir la femme qu'il aime et lui laisser l'espace dont elle a besoin. Dans le doute, il ne s'engage pas dans cette lutte. Peut-être que l'initiative aurait permis à Meghan de relativiser les choses, il n'en saura jamais rien.

- Je comprends, ne t'en fait pas.

Finit-il par lâcher, sans réaliser qu'il la laisse partir pour de bon. Il s'imagine stupidement qu'une nuit de sommeil leur permettra de mettre les choses au clair et d'en discuter calmement, mais ce n'est pas vraiment de cette manière que Meghan voit les choses. Inconscient encore de la façon dont les choses tourneront, Neal la laisse donc s'échapper, elle et la perspective de bonheur retrouvée sur ses lèvres.