C'était une idée pratique de mettre son atelier derrière le comptoir, de casser le mur pour éviter d'avoir une arrière salle. Parce qu'elle ne se voyait pas mettre des caméras partout pour surveiller les va-et-vient dans la boutique. Alors, son plan de travail avec sa machine à coudre et tout son matériel, son mannequin, tout est là à la vue des clients. Elle préfère aussi parce qu'elle a une impression de transparence en fonctionnant ainsi. Même si elle ne fait pas tous ses vêtements puisque ce sont d'autres couturières dans un grand atelier de la ville qui s'en occupent, soyons lucides, Amy n'aurait pas le temps ni la force pour créer toutes les pièces elle-même, c'est elle qui créé la pièce principale, celle qui servira de modèle à l'atelier. Et elle est sur sa nouvelle création actuellement, y travaillant entre deux clients. S'il n'y a jamais trop de monde dans la boutique, les clients sont malgré tout assez nombreux, suffisamment pour l'occuper et pour qu'elle rentre largement dans ses frais au point de faire du profit à présent. La boutique est un des endroits où elle se sent le mieux. L'appartement est l'autre endroit où elle est si bien et d'ailleurs, il est l'heure de fermer. Elle se redresse, s'approche de la porte qu'elle verrouille après avoir tourné le petit panneau d'affichage sur « we are closed » et s'en retourne jusqu'au comptoir pour faire les comptes de la journée, toujours ce petit sourire aux lèvres. Sa petite routine, Amy l'apprécie. Elle savoure chaque instant à chaque fois. Les comptes sont faits, l'argent liquide de la journée déposé dans le coffre puisqu'elle emmène billets, pièces et chèques une fois par semaine à la banque seulement, et la boutique est définitivement éteinte pour aujourd'hui. Elle récupère son sac et c'est en bus qu'elle rentre. Elle pourrait faire le chemin en vélo mais elle ne tiendrait pas sur la longueur et elle ne tient pas à fatiguer son corps. Quant à prendre une voiture, si elle a le permis, elle n'a jamais acheté de voiture. Elle n'aime tout simplement pas cela. Et puis les transports en commun ont ce quelque chose de plus vivant et la vie, elle la recherche autant que possible Amy.

Elle arrive près de vingt minutes plus tard à deux rues de son immeuble. C'est à pieds qu'elle fait le reste de la distance avant de pénétrer à l'intérieur de l'immeuble. Ascenseur obligé puisqu'elle vit au dernier étage et que non, sept étages, elle va éviter. Elle espère toujours, à chaque fois qu'elle rentre, que l'ascenseur ne soit pas en panne. Lorsqu'elle pénètre à l'intérieur de l'appartement, la délicate odeur d'encens la fait sourire mais pas autant que la scène qui se joue face à elle lorsqu'elle pénètre à l'intérieur du salon. Jupiter est là, assis sur le canapé, et il devait être en train de travailler puisqu'il y a de nombreux papiers sur la table basse. Il n'est cependant pas seul : Leon est là, sur le dossier du canapé. Et les deux se fixent. Le sourire d'Amy s'élargit alors qu'elle dépose ses clés dans la petite assiette creuse sur le meuble et qu'elle retire ses chaussures, meilleur moment pour elle de la journée parce qu'elle préfère être pieds nus. D'ailleurs elle n'attend pas de retirer ses chaussettes. « Tu sais, ça peut durer un moment. » dit-elle à son jumeau en secouant doucement la tête avant d'aller jusqu'à la salle de bain en riant, pour mettre les chaussettes dans le panier de linge sale et pour se laver. Lorsqu'elle revient au salon, aucun des deux n'a bougé. « Je t'assure. Vraiment longtemps. B'soir. » ajoute-t-elle en s'approchant de son jumeau pour venir déposer un tendre baiser sur sa tempe avant de se tourner vers son Pogona. « Salut toi. » lui dit-elle en venant le récupérer, le dragon barbu détournant enfin le regard de Jupiter pour le poser sur Amy. Elle le papouille, lui fait des bisous et le garde contre elle avant de s'asseoir sur le canapé à côté de Jupiter, Leon sur les genoux. Leon qui recommence à fixer Jupiter. « Tu l'intrigues je crois. Je ne pensais pas que tu allais le laisser sortir. » ajoute-t-elle un brin amusée.

Février. C’est à peine le lendemain de son mariage avorté qu’il s’est échoué ici, chez sa soeur jumelle, pour ne plus en partir depuis. Ses affaires sont concentrés dans un garde meuble qu’il loue non loin d’ici et seuls ses vêtements et quelques objets essentiels ont trouvés leur place dans les placards d’Amy. Jupiter n’aime pas cette situation mais forcé de reconnaitre qu’il a longtemps procrastiné, perdu des affres d’une profonde déprime qui le tétanisait complètement. Incapable d’entamer la moindre démarche, tout juste à suivre la vente de leur large appartement avec Charles. Rien de fait pour lui, pour sa santé physique comme morale qui désormais, depuis quelques mois, retrouve une forme de normalité. Forcé de réapprendre à vivre seul, à chercher un appartement, jongler avec les occupations professionnelles et les sorties de célibataire. Dire adieu aux projets à deux et à toute cette routine qui le berçait depuis six longues années. Suffisantes pour ancrer des habitudes et des réflexes. Sans lesquels il se sent perdu désormais, même s’il a retrouvé le chemin de la salle de sport, des cours qu’il donne à la patinoire et de quelques activités ici et là, il reste un manque, un vide, qui creuse son coeur.

Ce soir, comme souvent il travaille à même le salon et la table basse, n’ayant pas la place d’avoir un véritable bureau. Son vaste appartement lui manque, avec cette pièce étant dédiée à son home office, en plus de son large dressing. Une forme de confort et de luxe auquel il a dû dire adieu. Bien trop conscient que des deux, Charles était celui qui assurait le plus gros des dépenses, au vu de ses salaires et dépassements d’honoraires. Si Jupiter n’est pas à plaindre, il n’a pas les moyens de retourner vivre à Manhattan, ni même de s’acheter un appartement de la taille du précédent. Il revoit ses exigences à la baisse, mais en conserve encore, peut être trop, d’ailleurs.
Assis sur le canapé, des papiers pleins les genoux, il étudie les derniers budgets pour le mariage qu’il est en train d’organiser. S’il s’est dans un premier temps consacré aux soirées mondaines et autres vernissages, il est désormais bien obligé de remettre un pied dans le fort de son travail d’organisateur évènementiel. S’il a toujours excellé dans son domaine, les mariages sont ce qu’il réussi le mieux. À son grand désarroi aujourd’hui. Les réminiscences du sien, qu’il estimait parfait en tous points, ne font que le hanter un peu plus à chaque fois. S’enfonçant quelques soirs, accompagné de verres de vin blanc, dans une forme de déprime à songer au fait qu’il a loupé le coche et que sa trentaine passée n’arrange en rien son cas. Fataliste.

Fronçant les sourcils, il sursaute en entendant un bruit, pour se tourner brusquement vers le dossier du canapé et aviser la présence de Leon, qui le perturbe bien trop. « Qu’est ce que… » Mais il est coupé dans son élan en réalisant que si reptile est ici, c’est qu’il n’a pas correctement fermé le terrarium.
L’entrée d’Amy ne le perturbe même pas dans cette joute de regard avec l’animal, qui ne bronche pas. Un soupire lui échappe lorsque Amy arrive à son niveau et dépose un baiser sur sa tempe avant de capturer Leon. « Je ne sais pas comment tu peux t’attacher autant à un gros lézard, vraiment, ça m’échappe » Lance t-il critique alors qu’il se redresse du canapé pour gagner la cuisine. Un rire amer et nerveux lui échappe alors qu’il secoue la tête, tout en se servant un nouveau verre de Chardonnay. « Alors en fait non, j’ai juste dû mal fermer le terrarium et monsieur en a profité » Explique t-il, avant d’ouvrir le placard pour sortir un nouveau verre. « Tu bois quelque chose ? »

Elle gratouille Leon qui continue de fixer Jupiter. Amy sourit doucement, amusée par la situation : autant par le fait que son Dragon fixe autant son jumeau que son jumeau soit un poil incommodé par la présence et l'insistance de Leon. D'ailleurs, il ne manque pas de faire remarquer qu'il ne comprend pas comment elle a pu s'attacher autant à cet animal. Amy hausse doucement les épaules et ne répond rien, continuant simplement de papouiller Leon qui n'a d'yeux que pour Jupiter. Elle ne s'attende pas à ce que son jumeau comprenne parce qu'il n'y a que quelqu'un dans une situation similaire à la sienne qui pourrait comprendre son attachement à Leon. Elle aurait bien voulu pouvoir s'attacher à une boule de poils mais elle n'a pas voulu prendre le risque d'avoir des soucis respiratoires à cause des poils. Et elle a vu Leon et a craqué sur sa petite bouille. Il n'était encore qu'un bébé qui tenait dans sa main à l'époque. Elle a donné tout son amour à ce reptile, l'amour qu'elle n'arrive pas à donner aux autres. Et puis, parfois, quand elle n'a pas le moral, parce que oui, ça lui arrive, elle regarde le terrarium, elle regarde Leon et il lui réchauffe son cœur. C'est comme ça. Elle voudrait bien que Jupiter accepte davantage l'animal mais elle ne peut décemment pas le forcer. Peut-être finira-t-il par s'habituer. Elle rapporte Leon contre elle, le gratifie d'un petit bisou alors que Jupiter avoue qu'il a mal refermé le terrarium et que Leon en a profité pour sortir. « Il est malin. » affirme-t-elle avec une pointe de fierté. « Je veux bien. » dit-elle quand Jupiter lui propose à boire. « Jus de mangue. » qu'elle dit en se redressant et en allant remettre Leon dans son terrarium. Elle laisse cependant le couvercle ouvert pour que le Dragon puisse sortir s'il le souhaite. Elle fermera plus tard. Encore une papouille et elle se tourne vers son frère qui, gentiment, lui ramène un verre de jus de mangue. « Merci. » dit-elle avec un doux sourire avant de retourner s'asseoir sur le canapé. Elle boit une gorgée, soupire de plaisir : c'est frais, c'est sucré, c'est doux. C'est tout ce qu'elle aime. Elle glisse ses jambes sous elle sur le canapé et y appuie son coude en observant tour à tour Jupiter et les papiers sur la table basse.

« Beaucoup de boulot alors ? Tu es sorti aujourd'hui ? » demande-t-elle finalement à son jumeau. La question n'est pas posée au hasard. Jupiter ne sort pas assez selon elle, il travaille trop. Certes, elle travaille beaucoup aussi mais c'est différent. Depuis la rupture, violente, Jupiter n'est plus le même et Amy aimerait réussir à remettre un peu de soleil dans la vie de son jumeau. « Tu veux manger quoi ce soir ? » lui demande-t-elle finalement car, comme d'habitude depuis qu'ils vivent ensemble, elle va lui laisser choisir le dîner.

Il est malin, oui, ce fichu reptile lui a plus d’une fois causé un semblant de crise cardiaque, mais Jupiter sait qu’il doit faire avec. Sa jumelle est profondément attaché à cet animal et c’est tout ce qui importe finalement. Qui, même s’il fait quelques réflexions, l’empêche d’être réellement dans le jugement.
Gagnant la cuisine, il écoute sa demande et sort deux verres, lui servant un jus de mangue, puis récupérant la bouteille de Chardonnay pour lui, se remplissant un large verre ballon à moitié. Se saisissant des boissons, il regagne ensuite le salon pour s’installer dans le canapé aux côtés de sa soeur. Il s’installe en tailleur, à l’aise dans un jogging sombre, un t-shirt clair, les cheveux en bataille. Noyant sa réponse dans une gorgée de vin alors qu’elle l’interroge, sur son rythme, sur son travail, sur le fait qu’il soit sorti. Mais Jupiter enterre ses pensées dans les dossiers et les projets. Si les mariages font encore ressortir sa mélancolie et ses névroses, le reste lui permet de penser à autre chose, de se vider la tête, d’enfouir toutes ses insécurités et ses doutes. « Je euh… Non je ne suis pas sorti » Avoue t-il finalement, en reprenant une gorgée de vin. Il n’ose pas affronter son regard parce qu’il sait pertinemment qu’elle est en train de le sonder. Amy le pousse, progressivement, à réapprendre à vivre. S’il a réussi à reprendre le sport et le patinage depuis plusieurs mois, les sorties sont devenues bien plus rares que lorsqu’il était encore avec Charles. Même si pourtant, à cette époque, il lui arrivait souvent de sortir seul avec quelques amis, loin de son fiancé. « Mais du coup oui j’ai beaucoup de travail, je me suis concentré dessus je n’ai pas vu les heures passer » C’est faux, puisqu’il avait pleinement conscience de s’enterrer dans les dossiers plutôt que d’affronter la réalité. Mais l’admettre est une autre histoire, bien plus compliqué.

« Je ne sais pas, des poke bowl ? » Lui à toujours vouloir manger healthy et prendre soin de son physique sculpté par les heures de sport et de culturisme. Fâcheuse tendance à être très porté sur l’apparence. Trop, parfois. S’enterrer sous la forme plutôt que de creuser le fond. Un de ses principaux problèmes. « Et toi ta journée sinon ça a été ? » Demande t-il pour changer de sujet, éloigner les réflexions de sa personne, se portée sur sa jumelle et sa vie bien plus stable que la sienne. « J’ai un projet à te proposer d’ailleurs, j’ai une cliente qui veut un mariage bohème, un peu hippie et qui aimerait collaborer avec une créatrice qui fait des tenues uniques et respectueuses de l’environnement tout ça, j’ai pensé à toi » Sourit-il derrière son verre. Dés qu’il le peut, Jupiter fait en sorte de mettre sa jumelle en avant. Longtemps il a cru la perdre, longtemps il l’a su fragile et la surveille encore aujourd’hui. Si des deux il est à l’heure actuelle il est terriblement blessé par la vie, sentimentale, par ses échecs et toute sa remise en question, veiller sur Amethyst est devenue une seconde nature. Un automatisme. De la même façon que de la mettre en avant, la pousser à réussir davantage, à briller plus fort.  

Petite moue sur le visage de la jumelle lorsque sa moitié lui avoue qu'il n'est pas sorti non. Elle soupire même Amy tellement elle est... Triste pour lui. Elle voudrait tellement qu'il remonte la pente, qu'il retrouve le goût à tout un tas de choses. Depuis que l'autre connard lui a fait traverser l'enfer, Jupiter ne semble pas être capable s'en relever. Cela fait pourtant des mois à présent et Amy pensait qu'avec le temps et en passant du temps ensemble Jupiter irait de mieux en mieux mais force est de constater que ce n'est pas le cas. Elle ne sait plus quoi faire Amy pour l'aider, pour lui redonner goût à la vie. « Moui. » dit-elle peu convaincue quand il explique qu'il a eu beaucoup du travail et que du coup il n'a pas vu le temps passer. Cela ne lui plaît pas que Jupiter passe son temps à travailler. Elle a l'impression qu'il ne fait que ça : encore et encore et encore. Peut-être qu'il se raccroche à son travail et dans un sens c'est très bien qu'il ait quelque chose à quoi se raccrocher avec force mais Amy voudrait plus pour lui. Tellement plus. Elle doit cependant accepter qu'elle fait de son mieux et que c'est déjà bien. Elle doit accepter que le reste du chemin, c'est Jupiter qui doit le faire : elle ne peut pas le faire à sa place malheureusement. « D'accord : saumon, avocat, riz et concombres ? » qu'elle propose pour le dîner quand Jupiter lance l'idée des poke bowl. Elle ne se plaint pas des habitudes alimentaires de son frère parce que c'est bon pour la santé et qu'elle est de toute façon très prudente avec la nourriture Amy. Avec sa greffe, le traitement qu'elle prend au quotidien, elle se doit de faire attention et en a pris l'habitude depuis bien longtemps à présent. Jupiter lui demande finalement si sa journée à elle s'est bien passée. « Très bien oui. La boutique a bien tourné aujourd'hui. » dit-elle avec cette lueur dans le regard. C'est qu'elle est fière, Amy, de pouvoir vivre de sa passion pour la couture, de pouvoir vendre ses créations et que ces dernières se vendent si bien. Elle gagne assez à présent non seulement pour avoir un salaire tous les mois mais aussi pour toucher des bénéfices sur les ventes.

Elle estime avoir beaucoup de chance mais si certains diraient qu'elle ne doit sa réussite qu'à son talent et son obstination.

La curiosité d'Amy est soudain attisée lorsque Jupiter lui explique qu'il a un projet à lui proposer. « Ah ? » qu'elle demande, suspendue soudain aux lèvres de son jumeau qui lui dit bientôt qu'il organise un mariage bohème pour une cliente, un peu hippie, et que cette dernière souhaiterait collaborer avec une créatrice aux tenues uniques tout en respectant l'environnement. Le sourire d'Amy s'élargit et la lueur dans son regard devient plus brillante alors qu'il avoue avoir pensé à elle. « J'aimerais beaucoup oui ! » dit-elle, ayant soudain un regain d'énergie. Elle en sautille presque sur place. Elle vient serrer la main de son jumeau. « Merci beaucoup d'avoir pensé à moi. » dit-elle à Jupiter avec douceur. « J'ai déjà des idées. » affirme-t-elle parce que oui, l'inspiration est déjà au rendez-vous. « Je crois que je vais faire quelques croquis avant de dormir ce soir, j'ai tellement hâte. » En quelques secondes à peine, Jupiter a éveillé la flamme créatrice chez Amy, une flamme qui ne cesse jamais de brûler mais qui a été ravivée avec cette proposition. « Tu m'en dis plus pendant qu'on prépare le dîner ? » lui propose-t-elle en se redressant avant d'aller jusqu'à la cuisine. Elle sort le bocal de riz, une casserole qu'elle remplit d'eau en ayant un regard pour Jupiter qui n'est pas loin. « C'est pour quand le mariage ? » demande-t-elle. Une première question avant tout un tas d'autres qui vont venir. Elle imagine déjà la mariée avec une tenue qu'elle aura créée elle-même et en sourit béatement tout en plaçant la casserole sur la plaque électrique.