Voilà une semaine que le chèque d’un million de dollars est caché derrière un meuble de la maison des Benson ; une semaine que les deux sœurs ont été prises en photo avec ce bout de carton gigantesque après avoir participé à la chasse au Golden Ticket. Et avouons-le, si Willow avait directement affirmé qu’elle gagnerait et qu’il ne pourrait en être autrement, au fond d’elle, elle n’avait jamais imaginé une seconde, venir à bout de cette enquête-là et remporter le gros lot. Une semaine après, elle n’en revient toujours pas, à tel point qu’elle n’en a pas encore touché un mot à son mari. Ça pourrait sembler étrange, et d’ailleurs, ça l’est après 15 ans de vie commune… mais elle a besoin d’avoir une conversation avec Eilis avant, de savoir ce qu’ils vont réellement en faire, avant de faire plein de projets avec Samuel.

Tout cela semble tellement irréel que la blonde ne réalise pas vraiment. Demain, elle pourrait s’acheter comptant, une grande villa ; elle pourrait payer les meilleures écoles à ses enfants ; elle pourrait refaire toute sa garde-robe sans avoir à regarder l’étiquette de prix. Et pourtant, elle n’a envie de rien changer à ses habitudes. Elle n’a jamais eu envie de changer quoi que ce soit à ses habitudes. Willow aime sa vie, son traintrain quotidien… Aussi surprenant que ça puisse paraitre pour certains.

A 18h tapante, elle frappe à la porte de sa sœur, prête pour leur ‘jogging’ hebdomadaire, qui n’est en réalité qu’une excuse pour aller se balader dans le parc entre frangines, loin des enfants, loin du mari… Juste un moment pour elles-deux. Les premiers échanges sont les banalités d’usage, le petit racontage de life des dernières nouveautés – bien qu’on commence toujours par le plus futile, chez les Benson, afin de garder le croustillant pour plus tard – et quand elles arrivent enfin au niveau du parc, Willow se décide à aborder le sujet qui la travaille.

« Faudrait peut-être qu’on l’encaisse, le chèque ? » Elle semble hésitante, comme si elle se demandait s’il n’y avait pas anguille sous roche. D’ordinaire, elle fonce sans se poser de question, pourtant. « J’arrive toujours pas à réaliser… Je veux dire… t’imagine… on est riche… » Riche. Cing lettres qui changent toute une vie. « Je ne l’ai même pas encore dit à Sam… J’ai tellement peur qu’il veuille tout changer à notre vie… »

Elles étaient riches. Willow et elle. Eilis n'en revenait toujours pas. C'était sans doute parce qu'elle n'avait que peu connu la sécurité financière qu'elle se retrouvait si désemparé sur quoi faire de ce chèque dont elle avait gagné la moitié de la somme. Bien sûr, elle avait voulu gagner. Bien sûr, elle s'était imaginée ce qu'elle ferait si elle gagnait cinq cent mille dollars, mais elle n'avait jamais cru cela possible. Elle avait surtout joué avec force pour se le défi d'une énigme, pour l'excitation du jeu. Gagner vraiment ? Elle n'y avait jamais pensé et Willow non plus. Ils avaient été si nombreux à tenter leur chance. Même si elles étaient fières de leurs capacités de déductions, pourquoi elles parmi tous les autres gagneraient ? Et pourtant, elles l'avaient fait.

Willow frappa chez elle à l'heure habituelle pour leur jogging hebdomadaire et la brunette ouvrit la porte, un grand sourire aux lèvres de voir sa sœur adorée. Rapidement, elles quittèrent l'appartement, discutant de tout et de rien en se dirigeant vers le parc. C'est une fois là-bas que son aînée aborda le sujet qui les obsédait toutes les deux. Eilis baissa les yeux à la question évidente. Oui. Encaisser le chèque était un bon début, bien sûr. Mais aucune des deux n'en avait pris l'initiative jusqu'alors. « Riche », souffla la brune, le regard perdu dans le vague. Elle qui, quelques semaines plus tôt, joignaient à peine les deux bouts. Elle qui avait tout perdu dans un cambriolage ciblé. Peut-être que cela aussi jouait chez elle. La peur d'être à nouveau spolié de ses biens.

« Tu crois ? » Sam et Willow... Une longue histoire compliquée. Eilis n'était pas la dernière pour se moquer de son beau-frère, mais si elle était honnête, elle devait admettre que les deux époux étaient assez similaires pour s'entendre. Et l'une de ces fortes similarités, c'était leur côté très naturel et calme dans leur vie quotidienne. Oui, sa sœur aimait l'action et les enquêtes, mais à la maison, elle aimait son petit cocon familial, son rôle de maman qui fait la cuisine et donc la plus grande activité de la soirée était le bain des enfants. « Willow, je crois qu'il va flipper autant que nous quand tu le lui diras... » Ce jour était sans doute à marquer d'une pierre blanche. Eilis défendant son beau-frère... Quelle surprise !

@Willow Benson

Willow hausse les épaules. Est-ce parce qu’elle a réellement peur ? Depuis qu’ils vont voir un conseiller conjugal, elle ne peut s’empêcher de remettre toute sa vie en question. Pourquoi ? Alors que tout se passait si bien il y a encore quelques mois. Voilà que désormais, elle commence à regarder les hommes – voire les femmes – d’une manière différente, notamment une personne en particulier… Voilà qu’elle remet en doute son couple, qu’elle se demande si elle connait réellement Sam, qu’elle se demande s’il ne va pas la quitter du jour au lendemain… Lui aussi, semble avoir changer ces derniers temps, à moins que ce soit la détective qui ouvre enfin les yeux sur l’amour de sa vie. Il veut plus de place auprès des enfants, et elle a peur, peur qu’ils préfèrent leur père à leur mère, peur de perdre sa place privilégiée. Elle semble être pleine de confiance en elle, Willow, mais dans le fond, elle n’en mène pas toujours large, tiraillée entre bien des problématiques.

Une petite moue vient se glisser sur ses lèvres. « Si j’avais su qu’un jour, tu prendrais sa défense. » Ça a au moins le mérite de l’amuser un peu et de lui faire oublier toutes ses pensées. « Je ne m’attendais tellement pas à gagner… à avoir autant d’argent un jour… que je ne sais même pas quoi en faire, en vrai. » C’est peut-être cela le réel problème, car dans le fond, elle fera ce qu’elle voudra, Samuel n’ayant rien à dire puisque les fonds sont à elle. Enfin, ce n’est pas comme cela que fonctionne un mariage, Willow partageant absolument tout avec son époux, mais sur le principe… « Enfin… Je me dis que je pourrais racheter les parts d’Oncle Arnold… Depuis le temps qu’il veut prendre sa retraite… Je ne sais pas si j’arriverais à gérer l’agence à temps plein, en plus du blog… Mais j’imagine que je pourrais embaucher… » Ses pensées se trament au fil de ses mots. Oui, elle avait toujours envisagé de racheter l’entreprise de son oncle, dans laquelle elle travaille depuis plus de 10 ans maintenant, mais jusque-là, elle ne le pouvait pas vraiment. « Il serait vraiment heureux que ça reste dans la famille… » Et elle aussi. Parce que si Willow a toujours été très proche de son père, qui a remplacé sa mère lorsqu’elle est partie, elle a toujours eu une place prépondérante pour son oncle dans son cœur. « Et je pourrais lui faire une offre généreuse… Plus que ce qu’il aurait vendu à quelqu’un d’autre. Tu l’imagines, partir faire ce tour d’Europe dont il parle depuis 20 ans… » Elle se met à sourire, partant dans ses délires et son imagination débordante ne s’arrêtant plus.

Eilis n'était clairement pas la plus grande fan de son beau-frère, mais la vérité, c'est qu'elle avait aussi du mal avec lui parce qu'il lui avait pris sa sœur. Qu'à cause de lui, elle avait partagé son temps entre eux, puis entre ses enfants, son mari et elle. Elle adorait les enfants du couple et d'une certaine façon, elle appréciait aussi énormément Sam, même si elle s'amusait toujours à se moquer de lui autant que possible. Le défendre vraiment était pourtant surprenant, elle devait bien l'avouer.

Quand fut à nouveau abordé le sujet de l'argent, Eilis resta pensive en écoutant sa sœur. Elle pensait la même chose. Impossible de savoir quoi faire avec tout cet argent. « C'est un peu comme si on l'avait pas mérité... Alors qu'on a quand même trouvé le ticket... J'ai l'impression que si je dépense ma part, un truc horrible va finir par arriver... » C'était difficile en fait, de gagner autant d'un coup. Tout changeait. Toutes ses perspectives d'avenir changeaient soudainement et cela laissait un goût d'effrayant impossible. Au moins avant, elle savait quels problèmes elle pouvait avoir dans sa vie. L'argent était un problème et un de ses plus gros problèmes. Aujourd'hui, ce n'en était plus un... et c'était terrifiant parce qu'elle ne savait pas quels problèmes elle allait avoir ensuite.

Et maintenant que sa sœur lui parlait de ses plans, elle se sentait encore plus coupable. Elle gémit en grimaçant. « Génial, maintenant, je me dis que je suis égoïste parce que je pense utiliser ma part pour me racheter du matériel et financer des tournages plus tard... C'est tellement égoïste de ma part... » Elle réfléchit une seconde avant de hausser les épaules. « Je devrais probablement en mettre sur un livret pour les études des gamins. » Oui, c'était une bonne idée. Super tata mettant un peu d'argent sur un compte pour les études de ses neveux. Sa sœur et son conjoint avaient commencé à mettre de l'argent de côté depuis sa première grossesse, bien sûr, mais un peu plus ne ferait pas de mal et elle pourrait enfin participer. Rendre à sa sœur un peu de tout ce qu'elle lui avait donné au cours de ses années.

@Willow Benson

« C’est ça ! » Pas d’autres mots. Les deux sœurs sont généralement sur la même longueur d’onde sur beaucoup de choses, les pensées de l’une traversant celles de l’autre parfois au même moment d’ailleurs. Elles ont aussi d’autres points sur lesquelles elles sont totalement opposées, bien sûr, mais sur les valeurs, ce n’est pas le cas. « Maintenant, on sait ce que vivent les gens qui gagnent au loto. » Sa bouche vient grimacer sur le côté de son visage. Certes, quand on sélectionne ses numéros, on a toujours ce stupide espoir de gagner, sans quoi on ne dépenserait pas les 5 dollars qui servent à valider le ticket de loto, mais ça s’arrête là, à de l’espoir. On croit pas réellement qu’on va gagner, ou bien un lot de moyenne importance tout au plus mais certainement pas le million…

Willow finit par rire de la remarque de sa sœur, quelque peu prise au dépourvu malgré tout. « Parce que tu ne crois pas que ce soit égoïste de vouloir avoir l’agence pour moi toute seule ? » Certes, elle y était allé avec de belles paroles, pensant à son oncle avant tout, mais dans le fond, avoir sa propre boite, ça lui plait tout autant comme idée, que le fait de pouvoir offrir une retraite paisible à celui qu’elle a toujours considéré comme son deuxième père. « T’embête pas, pour les enfants… Ils auront largement assez avec ce que je leur mettrais de côté ! » Willow sait que ça part d’un bon sentiment, mais ce n’est plus comme s’ils allaient être dans le besoin. Autant que la cadette garde sa part.

« Et si on en donnait une partie à des assos ? Ça aiderait peut-être à garder notre karma ? » C’est un peu idiot de penser au karma, surtout qu’elle ne le ferait pas de manière totalement égoïste, mais bon… « J’veux dire, un million, c’est tellement énorme… Même si on n’en gardait que la moitié, ça suffirait largement pour toute une vie, quoi. » Et Willow, elle n’a jamais été pleinement insensible à la misère du monde, bien au contraire. Il est vrai qu’elle pense avant tout à sa propre famille, mais dès qu’elle peut faire un geste pour les autres, c’est assez naturel chez elle.

Elle n'avait jamais cru devenir riche un jour, Eilis. Bien évidemment, elle avait un peu ce rêve fou parfois, mais ce n'était qu'un rêve. Elle n'était pas assez confiante, ni pas assez naïve pour penser qu'elle pourrait réellement devenir riche de son métier. Même si beaucoup de réalisateurs avaient fait fortune, la grande majorité était des hommes. Elle, petit bout de femme désireuse de faire entendre la voix des plus petits n'avait aucune chance de percer un jour. L'industrie la dévorerait avant que son nom ne devienne connu. Faire des films indépendants, à base de bouts de ficelles, de passion et d'engagement de la part de toute son équipe lui convenait très bien. Elle n'avait donc jamais pensé faire réellement fortune un jour et encore moins dans ces conditions pour le moins inattendues.

Elle haussa les épaules quand Willow lui demanda si elle ne pensait pas que c'était justement égoïste de vouloir l'agence de leur oncle pour elle seule. « Les enfants... des associations... Ça me semble bien. » Elle pensa immédiatement à El Halito et à tout ce qu'Alejandro avait fait pour elle quand elle avait été cambriolée. Elle avait peut-être une chance de lui rendre enfin ce qu'elle avait le sentiment de lui devoir, même s'il lui avait assuré mille fois qu'elle n'avait pas à le faire. Il y avait aussi le LGBT Center dont elle avait entendu parlé plusieurs fois, sans oublier tant d'autres associations qui avaient besoin de dons. Bon sang, la tâche était vaste et si un million ne suffirait pas à tout, choisir une cause plutôt qu'une autre lui donnait autant la nausée et le tournis que ce qu'elle pouvait faire pour elle-même avec tant d'argent.

« Bon sang, ça me fait flipper d'avoir autant entre les mains », dit-elle, encore une fois frappée par toute la responsabilité de la somme. Était-ce horrible de penser qu'elle aurait préféré ne jamais réussir cette chasse au trésor ? « Je vais en donner une partie à papa. » Leur père ne lui était pas venu en premier. Il avait eu des difficultés financières au début bien sûr. Passer de couple à parent solo avec un bébé et une petite fille n'avait pas été facile, mais c'était un homme simple, qui n'avait jamais vraiment su quoi faire de l'argent qu'il avait en trop, une fois qu'il avait payé tout ce qu'il avait à payer et qui s'était souvent contenté de les gâter. Elle n'avait jamais vraiment pris la mesure de s'il le faisait parce qu'il ne voulait rien pour lui-même ou parce qu'il voulait offrir le monde à ses filles avant de penser à lui-même. « Peut-être mettre le reste sur un compte épargne... Il avait eu des difficultés financières au début bien sûr. C'est égoïste, mais j'ai besoin de techniciens, d'acteurs, d’artisans pour faire de bons films et je pourrais faire travailler plus de monde que je n'aurais pu sans cet argent donc... c'est aussi apporter des choses à d'autres gens... »

@Willow Benson

La blondinette est ravie que l’idée plaise à sa sœur. « Tu en connais plus que moi. Tu pourras faire une sélection ? » demande-t-elle quand au choix des associations. Elles ne sont pas obligées d’en sélectionner une seule, mais à voir. Eilis semble ensuite tourner un peu en boucle en termes de culpabilité, ce qui ne manque pas d’inquiéter Willow, bien trop consciente des risques psychologiques que peut entrainer un tel gain. Personne n’est préparé et forcément, ça peut faire vaciller. « Tu sais bien qu’il n’acceptera pas un seul centime de ta part. » tente-t-elle de détendre l’atmosphère. Puis, elle hoche la tête de nouveau quand la cadette formule d’autres idées. « Parfait ! C’est pas égoïste que de créer des emplois qui permettront à des personnes de remplir leur frigo ! » Le sourire de l’ainée des Benson s’élargit.

Willow ne s’est pas réellement rendu compte de leur avancée dans le parc, avec toutes ces tergiversions, mais ce qui est certain, c’est que l’exercice lui ouvre l’appétit. « En parlant de ça, imaginons que je fasse un repas bien chic, le genre qui sort de nos moyens habituels, tu penses que ça pourrait permettre d’aborder le sujet avec Sam ? » Pour ne pas lui annoncer de but en blanc, mais qu’il comprenne qu’il y a quelque chose qu’elle a besoin de lui dire. La détective a tendance à tout faire passer par la nourriture, une manière de moins stresser en faisant entrer sa passion en jeu. « Je voudrais vraiment trouver la meilleure manière de lui dire… » Une grimace vient se figer sur son visage, ainsi qu’un regard suppliant adressé à Eilis.

Mettre sur les épaules d'Eilis la responsabilité de trouver une association n'était sans doute pas le meilleur des plans, vu son incapacité à choisir, mais bon. Elle pouvait toujours en sélectionner plusieurs et laisser à sa sœur le choix de la décision finale. Elle préférait encore ça plutôt que d'avoir à choisir elle-même.

Toujours prête pour rassurer sa petite sœur, Willow lui assura que ça n'était pas égoïste d'envisager de mettre plus de moyens dans ses productions, dans la mesure où elle créerait de l'emploi. Puis ce fut au tour de l'aînée des Benson d'avoir besoin de réassurance, alors qu'elle proposait une manière de révéler à son époux leur gain. « Je pense que « la meilleure manière de le lui dire », c'est en employant des mots », commença Eilis avec un petit sourire amusé. « Mais si tu as envie d'y mettre des formes pour qu'il te pose la question et que tu sois obligée de le dire pour ne pas lui mentir... bien sûr que c'est une bonne idée. Et puis je pense honnêtement que ça vous ferait du bien, un vrai bon repas ensemble. Je pourrais garder les enfants pour la nuit. »

C'était rare qu'Eilis participe activement à favoriser la vie de couple de sa sœur, surtout quand on connaissait ses rapports avec Sam, mais elle devait reconnaître que le couple (même si sa sœur essayait de ne pas montrer la réalité) passait par un moment difficile. Elle n'avait pas tous les détails, bien sûr, mais elle savait que c'était compliqué pour eux et que cela faisait du mal à sa sœur. Elle aurait fait n'importe quoi pour le bonheur de son aîné, même tout faire pour que le couple se retrouve. « Sinon, on peut aussi le lui dire ensemble, si tu as vraiment peur. C'est comme tu veux, si tu veux le lui dire en tête à tête ou... »

@Willow Benson