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Confidences [PV Sirius]

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Mer 25 Sep - 23:03
« Porca puttana troia ! »

Excédé, Leone laissa échapper le juron qui lui brûlait les lèvres depuis que la journée avait commencé, sous le regard légèrement éberlué de l’infirmière de garde, de son résident et du radiologue, guère habitués à voir le si placide chirurgien sortir de ses gonds. Et si aucun des trois ne parlait italien et n’avait sans doute la traduction exacte de cette expression typique, qu’on entendait généralement au bout de trente secondes après avoir mis les pieds dans le quartier de Little Italy, ils n’étaient pas suffisamment obtus pour ignorer entièrement sa signification potentielle. Surtout au vu de son visage rendu rouge par la contrariété, et de la violence avec laquelle il avait jeté son dossier sur le bureau, les pages se soulevant doucement sans pour autant s’échapper, comme si elles avaient décidé d’encaisser la colère du gynécologue, lequel fusillait du regard les résultats qui s’affichaient à l’écran. A présent que l’image était nette, l’infirmière et le radiologue, expérimentés, arboraient la même expression, alors que le résident restait incertain. Finalement, le titulaire rompit le silence pesant, la jointure ses doigts rendue blanche par la force avec laquelle il avait refermé ses poings :

« Admettez-la immédiatement. Je veux un bilan complet, et un bloc dès que possible. »

Puis il sortit en trombe pour aller voir sa patiente, une charmante dame de soixante-deux ans qui tenait une librairie avec son fils et comptait prendre sa retraite pour l’aider à élever ses enfants, depuis son divorce. Elle aimait la peinture, Van Gogh notamment, adorait faire la tournée des musées, lui avait montré des photos de ses toiles, sur son I-phon-euh, comme disait ses petits-enfants. Et il ne savait pas très bien comment lui dire qu’il ne savait pas si elle allait les voir grandir. Alors il prit son courage à deux mains, essaya d’afficher son sourire le plus rassurant, et entra dans la pièce. Il fallait lui dire tout s’était bien passé, mais que les résultats n’étaient pas ceux escomptés du tout. Qu’il avait besoin d’intervenir, et très vite. Qu’il pensait que ce serait mieux qu’elle appelle son fils en sortant et qu’après, ils discuteraient tous ensemble de tout ça. Et ainsi fut fait. Quand le rejeton arriva, légitimement inquiet, Leone avait déjà expliqué les grandes lignes à sa patiente, qui pouvait répéter à son tour. Ne lui restait plus qu’à répondre aux angoisses de la famille, et d’être simplement honnête sur les chances de succès. Peut-être encore plus franc sur ce qu’il se passerait sans intervention. Déjà, le bloc était prêt.

Lorsqu’il en ressortit, blanc comme un linge, Leone inspira un grand coup, avant d’arracher son masque d’un coup sec et de s’en aller en trombe, inquiétant définitivement le résident et les internes qui trouvaient son comportement de plus en plus étrange. Non pas qu’il ne soit jamais affecté, au contraire même, mais justement, c’était toujours le titulaire qui essayait de trouver les mots pour réconforter les autres, pour donner une petite tape sur l’épaule aux plus émotifs. Là, rien, pas un regard, pas une parole, juste le bruit de ses chaussures sur le parquet souillé alors qu’il s’éloignait, les épaules un peu tremblantes. Quelque chose n’allait pas. Mais, dans l’incertitude, chacun se contenta d’échanger quelques moues interrogatives. Tous, après tout, avaient vu largement pire de la part d’autres collègues.

Une fois ses maigres et infiniment insuffisantes consolations et explications offertes, Leone se retrouva dans le couloir une nouvelle fois et finit par prendre sa tête dans ses mains. Il avait l’impression que l’univers entier se liguait contre lui, qu’il avait croisé une colonie de chats noirs qui, désormais, projetaient leur ombre de malchance sur lui. Son évier fuyait depuis la veille et il avait dû batailler pour obtenir qu’un plombier daigne venir dans la semaine, il s’était coupé en se rasant, il avait coincé son doigt dans la porte … et tout le reste. A l’hôpital. Et en dehors. Surtout en dehors. Normalement, travailler aurait dû l’occuper, lui permettre de passer à autre chose. Sauf que non. Pas aujourd’hui. Pas du tout même.

Poussant un profond soupir, le trentenaire finit par se diriger vers la sortie de son service, ayant un besoin urgent de changer immédiatement d’atmosphère, et surtout de trouver du réconfort. L’impression d’étouffer le saisissait, sa gorge le brûlait, l’étranglait, alors qu’il refoulait le maelstrom de sensations contradictoires qui l’envahissaient, le submergeaient, l’effrayaient. Son trajet ne fut qu’un enchainement de couloirs en mode automate, pour finalement arriver jusqu’à la psychiatrie. Leone entra en trombe dans le bureau de Sirius, constata qu’il était vide, et sans plus de cérémonie lâcha, toujours avec son regard un peu vide :

« J’ai perdu une patiente. »

Ce n’était pas le problème. Si. Non. Tout se mélangeait. Il ne savait plus. Là, Leone, il était perdu.

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Dim 29 Sep - 13:18
En ce moment, les journées ne sont pas faciles. Elles se ressemblent toutes, avec leurs lots de complications, de patients ayant des histoires plus horribles les unes que les autres. La veille, Sirius avait dû faire interner une jeune femme de 23 ans, mère de deux enfants malgré son jeune âge. Le père serait incapable de s’en occuper et ils n’avaient pas de grands-parents sur lesquels compter. Choix difficile, trop difficile, et pourtant nécessaire, presque obligatoire. Il avait eu envie de hurler, une fois rentré chez lui, conscient qu’il venait de signer l’arrêt de mort de ces deux enfants, ou tout comme. A cause de lui, ils ne seraient plus jamais heureux. Ils perdraient l’innocence de l’enfance, devraient apprendre à devenir autonome malgré leur trop jeune âge. Le père tomberait sans aucun doute dans l’alcool très rapidement, vu les antécédents de famille. Il n’avait pas dormi de la nuit du coup et au beau matin, il s’était senti obligé de rendre visite à la femme avant de passer à l’hôpital. Elle, avait dormi, à force de médicaments. Elle aurait mis tout le monde en danger, si elle n’avait pas été interné. Sirius en est conscient et il doit se raccrocher à cela pour ne pas sombrer lui-même.

Plus tard, il arrive à son bureau et enchaine les rendez-vous. Quand enfin, il accueille dans son bureau un patient atteint de « simple dépression », il a l’impression que le poids devient moins lourd, comme si c’était un cas plus banal. Idiot comme réaction direz-vous. Sirius écoute, prend des notes, pose des questions. Il aimerait pouvoir rassurer cet homme et lui dire que tout finira par rentrer dans l’ordre, mais ce n’est pas son rôle et il ne peut pas faire de promesses qu’il ne sera pas en mesure de tenir. Il fera ce qu’il peut pour l’aider, mais il n’est pas le seul à pouvoir décider du destin de cet homme qui va devoir mener un combat pour s’en sortir.

La pause administrative est la bienvenue. Sirius part se chercher un café et une fois revenu dans son bureau, il allume un peu de musique classique. Il n’aime pas ce genre de musique mais ça lui fait toujours du bien pour se changer les idées. Puis, au bout d’un moment, Leone entre dans son bureau. Ça aurait pu être une bonne chose, un moment de sérénité, mais au visage livide qu’il arbore, le psychiatre comprend rapidement que ça ne va pas être une de leur bonne journée. Les mots sortent et Sirius comprend aussitôt.

« Tu veux en parler ? »


Première chose qu’il peut proposer. Il se lève, s’approche de son ami et le prend dans ses bras. Les hommes ne sont jamais très affectifs, mais Sirius l’est dans ce genre de moments et notamment avec un ami proche comme Leone. « Je suis désolé ! » Il en perd aussi, trop fréquemment à son goût. La peine n’est pas moindre malgré le temps qui passe. Il retourne à son bureau, prend le téléphone et compose le numéro de son assistante. « Vous pouvez nous apporter deux cafés s’il vous plait ? » Il va s’asseoir sur le canapé de son bureau et fait signe à son ami d’en faire autant. Rapidement, alors qu'ils sont en train de parler, les cafés arrivent et Sirius fait signe à son assistante de refermer la porte derrière elle, avant de reporter son attention vers son collègue.

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Lun 7 Oct - 22:12
Quand Leone sentit Sirius le prendre dans ses bras, plutôt que de lui rendre son étreinte, il resta d’abord droit, incapable de bouger, comme s’il était enraciné dans le sol. Il n’était pas surpris ou gêné par le geste, loin de là. Little Italy avait beau être peuplé de machos surjouant leur virilité, surtout parmi les plus âgés, la plupart des immigrés de la diaspora avaient conservé le côté tactile et en verve du caractère latin. Ce qui signifiait qu’on s’empoignait autant pour s’invectiver que pour se consoler, et il ne fallait pas chercher plus loin. De son point de vue, c’était quelque chose de normal, de sain même, sans aucune ambiguïté. Et il avait toujours apprécié que son meilleur ami soit de cet avis, et ne trouve rien à redire à des démonstrations d’affection entre eux. Ils étaient deux hommes, dont un qui les aimait. Et puis après ? Qu’est-ce que cela pouvait bien faire ? Oui, c’est ce qu’il avait toujours répété. Pourtant, malgré la chaleur humaine, bienfaisante et bienfaitrice, il restait coi, interdit, extérieur à lui-même et à la boule de feu incandescente de ses sentiments contradictoires brûlant ses entrailles, menaçant de se transformer en un torrent volcanique qu’il n’était pas certain de pouvoir contrôler. Finalement, maladroitement, comme s’il avait oublié comment bouger, comment rendre, comment être humain, le chirurgien tapota le dos du psychiatre. Ils se détachèrent, et l’italien se souvint de comment les hommes respiraient. Il prit une grande goulée d’air frais.

Pourtant, Leone ne parvenait toujours pas à desserrer les dents, et tandis qu’ils attendaient le café à venir, salvateur, il cherchait les mots perdus au fond de sa gorge, sur sa table d’opération, au milieu du sang qui s’égouttait sur le sol et formait la flaque pourpre qui mirait sa rage envers le monde entier, et par-dessus tout envers lui-même. Il se revoyait, en train de hurler, les mains sur la poitrine qui refusait de se soulever à nouveau seule. Qui restait flasque. Sans vie. Dans sa tête repassaient les images des constantes en encéphalogramme plat, comme son existence, sauf que celle-là s’arrêtaient brusquement. C’étaient des flashs sans fin, qui se mêlaient à d’autres qu’il aurait voulu enfouir au plus profond de sa mémoire. Un instant, il fut submergé par la nausée, avant de se reprendre. Inconsciemment, ses poings se serrèrent jusqu’à ce que ses jointures blanchissent. La douleur, quoique faible mais diffuse, le sortit de sa transe pour un moment. Il releva finalement la tête pour observer Sirius, ouvrant sa bouche puis la refermant, comme un poisson, un abruti de poisson rouge dans son bocal incapable de faire des bulles et qui s’étouffait dans sa propre amertume.

« Cancer du sein ancien, traité par la chimio, rémission depuis presque six ans. Récidive, même protocole. Sauf que l’oncologie n’a pas vu que les métastases migraient. Vers les ovaires. Nouvelles douleurs, on change le traitement. Et quand elle revient …

Enorme. Une tumeur … une horreur. Ecrasant presque entièrement l’ovaire droit, une partie des trompes … Il fallait opérer, c’était … je me demande comment l’ovaire n’a pas explosé sous la compression.

Mais même en sachant ce qui était à l’intérieur … C’était une abomination, vascularisée profondément et qui avait commencé à coloniser les vaisseaux menant vers l’utérus. J’avais enlevé plus de la moitié … et j’ai été coincé. J’avais beau tourner autour, essayer d’inciser plus profondément, je butais toujours sur la tumeur.

Si je refermais, c’était la septicémie en soin intensif. Si j’essayais … il fallait être plus rapide que … enfin, que sa capacité à se vider de son sang. Je me suis dit qu’elle allait tenir, qu’en utilisant de la fluorine pour savoir où frapper …

Sauf que non. Elle a pas tenu. Je me suis trompé. Et elle est morte.

C’était l’une de mes premières patientes quand j’étais interne. L’une des premières à avoir accepté que je la touche.

Elle n’aurait pas dû. »


Sa voix, de plus en plus tremblante, se brisa. Le flot de paroles qui était tombé en avalanche sur Sirius interrompit brutalement sa chute, et le silence se fit. La gorge sèche, les yeux humides, Leone essuya d’une main rageuse la larme qui avait coulé sur sa joue, parce qu’il trouvait ridicule de se trouver ainsi, parce qu’il était un professionnel, qu’il n’avait pas à tout lâcher sur un ami, certes, mais surtout présentement un collègue, et parce que tout se mélangeait, encore une fois, pour ne plus laisser que la trace vibrante d’un dégoût de lui-même qui n’avait pas refait surface depuis tellement longtemps. Sauf que cette perte faisait écho, douloureusement, à son mal-être, et il lui semblait que cette histoire, cette jolie histoire qui avait forgé sa carrière, en s’envolant, remettait en cause tout ce qu’il pensait, tout ce qu’il avait bâti patiemment. Tout ce qui faisait qu’il était une personne normale. Et il avait l’impression idiote que cette mort confirmait le fait que ce n’était pas le cas. Pire encore, il avait cette impression qu’en ramenant tout à lui, il était irrespectueux envers sa patiente, envers sa mémoire.

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Ven 18 Oct - 12:35
Voir Leone ainsi, ce n’était pas comme avec les autres patients. Sirius peut d’ordinaire, prendre plus de recul, se sentir beaucoup moins proche de la situation, même si clairement, il ne parvient pas toujours à se détacher autant qu’il le faudrait. Mais là, face à celui qu’il considère comme son meilleur ami, le psychiatre se sent comme impuissant. Il vit la scène à mesure que le brun lui décrit, dans toute son horreur, dans toute son abomination. La perte de Nyla lui revient en plein visage d’autant plus, comme si c’était elle sur la table d’opération, et lui le chirurgien. Son cœur se serre à mesure que la culpabilité monte en lui. Il faut qu’il remette les pieds sur terre et qu’il se concentre sur son ami. Il n’est pas question de lui. Rester dans le présent. Se concentrer sur les faits. Réfléchir en tant que psychiatre professionnel. Se détacher. Se détacher… Parfois, quand il n’y parvient pas, c’est à se demander s’il n’a pas eu son diplôme de psychiatre dans une pochette surprise !

« Toi ou un autre, ça n’aurait rien changé, Leone. Tu ne pouvais rien faire. » Il n’en est pas sûr, mais il y a de grandes chances que peu importe l’approche, la finalité aurait été la même. « Elle était entre les mains d’une personne de confiance et elle est au moins partie en paix. » Il tente de le rassurer avec ces paroles réconfortantes, même si ce n’est peut-être pas ce qu’a besoin d’entendre le brun. « Tu ne dois pas t’en vouloir. Rappelle-toi la première chose qu’on nous a appris à l’université : « Malgré toutes les nouvelles technologies et les meilleures intentions du monde, on aura beau faire de notre mieux, on ne pourra pas sauver tout le monde. » » C’était mot pour mot ce qu’un de leurs professeurs préférés leur avait dit lors de leur premier jour de cours. Sirius avait noté la phrase, la sentant trop importante pour la laisser s’échapper. Au fil des années, il l’avait relu et s’en était imprégné. Néanmoins, plus facile à dire qu’à faire, on en conviendra. Disons qu’il y trouve surtout du réconfort, même si dans sa spécialité à lui, il n’y a pas forcément des morts, mais des personnes pour lesquelles on ne peut parfois plus rien faire, même s’il est interdit d’abandonner tant qu’elles sont en vie. « Cela reste normal de te sentir mal. Tu vas avoir besoin de faire le deuil, mais il est important que tu ne remettes pas en cause tes capacités. » Leone est un des meilleurs médecins de l’hôpital et si certains patients sont encore assez cons et ignorants pour refuser qu’il les opère, du fait de sa maladie, il n’y a pas à remettre en doute des années d’expérience et la réputation du docteur Castelli.  

Après ces paroles, Sirius reste silencieux. Malgré qu’il puisse être très bavard en temps normal, il sait que dans ce genre de situations, il faut savoir laisser place aux émotions et laisser le temps au cerveau d’accepter les faits. Il en a déjà suffisamment dit et il doit laisser à Leone libre court de s’exprimer. Son regard est posé sur lui, bienveillant, à l’affut du moindre geste qui montrerait que son ami a besoin de lui, ces gestes qu’il a appris à déceler chez ses patients au fil des années. Il connait assez bien son collègue pour savoir qu’il n’a pas d’envie suicidaire ou ce genre de choses, mais tout de même, dans une situation désespérée, on n’est jamais à l’abri d’un dérapage. Et sans aller jusque-là, on ne sait jamais ce qui peut arriver.

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Jeu 24 Oct - 19:13
Les paroles réconfortantes et pleines de bon sens résonnaient aux oreilles de Leone, et il essayait désespérément de les écouter, et non simplement de les entendre. Yeux baissés, rivés sur le café qu’il tenait au creux de sa main, il tentait d’en percevoir la vérité, la logique. Il savait qu’il était impossible de sauver tout le monde. Par tous les saints, comme aurait dit sa grand-mère, comme il en avait conscience ! Beaucoup ne voyaient sa spécialité que comme un enchaînement d’accouchements joyeux. Et c’était souvent le cas. Sauf qu’il y avait aussi les tumeurs, les complications, les fausses couches, les problèmes fœtaux dans son cas, avec sa double casquette … et les pleurs attenants. Dans son bureau, il y avait les photos de plusieurs enfants qu’il avait aidé à mettre au monde, mais il y avait également les fantômes de toutes les personnes qui s’en étaient allées. D’habitude, il réussissait à garder de la distance, du moins, autant que faire se peut, parce qu’il aimait ses patientes et qu’il avait tendance à préférer tisser des relations de confiance avec tous les gens venant le voir ainsi que leurs familles, depuis qu’il était interne, se disant qu’ainsi, il finirait par convaincre tout le monde du bien-fondé d’être traité par ses soins. Il avait toujours eu comme fierté de se rapprocher de son modèle, de cet homme qui avait pris soin de sa grand-mère, d’être ce chirurgien qui était capable de prendre une demi-heure de son temps pour rassurer un gamin apeuré, s’enquérir de son sort et lui expliquer, pas à pas, tout ce dont il était question. Il avait fait médecine pour être cet homme. Et il avait l’impression d’y parvenir, peu à peu, tout en maintenant un professionnalisme certain. Alors pourquoi là, maintenant, il se mettait à douter ? Pourquoi avait-il cette impression terrible de ne pas être à la hauteur, d’être … justement tout ce qu’on avait pu dire sur lui, dans son dos : un danger public, quelqu’un qui n’aurait jamais dû mettre cette blouse qu’il portait ?

La vérité, c’était que contrairement à d’habitude, il avait du mal à faire la part des choses parce que sa propre vie privée était difficile, ou du moins, qu’il avait l’impression de s’être pris une telle porte dans la figure que cela le ramenait à des années plus difficiles, à l’intérieur même de l’hôpital, à se battre précisément pour … ne pas être ce qu’il avait eu l’impression de voir à nouveau ce qu’il avait cru déceler dans des yeux qu’il avait tellement voulu aimer ce qu’il détestait chez d’autres : le dégoût. Pourtant, il avait été élevé pour marcher la tête haute, par rapport à ce qu’il était. Sauf que … ce n’était pas si simple. Que la plupart du temps, il y arrivait. Mais que là, il y avait une collusion de problèmes, que ça le ramenait à des souvenirs douloureux, et que cela s’entrechoquait dans sa tête terriblement. Il avait du mal à tout démêler, alors qu’il savait pertinemment que la vérité, elle était devant elle, incarnée par Sirius et son calme tranquille, par ses paroles bienveillantes. Toujours silencieux, Leone observait son café toujours, cherchant ses mots aussi. L’absence de sons entre eux ne le dérangeait pas, son ami avait toujours été une oreille attentive, et en soi, il arrivait de rester en silence, simplement. Là, c’était différent, évidemment, mais il était certain que Sirius ne lui en voudrait pas, ne trouverait pas cela gênant, et c’était réconfortant, d’avoir un peu de temps à ne pas parler, à réfléchir, à essayer de se calmer, de mettre des lettres pour former des mots sur ce qu’il ressentait. Peut-être que c’était cela, le pouvoir magique de psychiatre du Vandesky ? Attendre que les gens se recentrent sur eux, pour s’ouvrir à l’extérieur ? Ou alors, l’homme avait juste une présence naturellement apaisante. Finalement, il se décida à le briser, ce silence :

« Je sais, c’est juste … d’habitude, tu me connais, je sais faire la part des choses. Mais là, j’ai eu … des soucis. En dehors de l’hôpital, je veux dire. Et je crois que ça a fait un écho, tu vois ? »

Leone s’arrêta, ses doigts se croisant nerveusement. Il ne savait pas s’il devait en dire plus, une forme de pudeur le retenant. Ce n’était pas qu’il n’avait pas confiance en Sirius, au contraire. Juste que, curieusement pour un homme qui parlait sexualité si facilement, il avait toujours été discret sur ses propres amours, essentiellement parce qu’il y avait rarement de quoi disserter longuement, étant donné sa malchance chronique en la matière. Et puis, depuis le décès de Nyla, il trouvait difficile, parfois, de rappeler à son meilleur ami ce qu’il avait perdu. De plus, dans le cas présent, il avait encore des difficultés à verbaliser ce qu’il s’était passé, et n’osait pas en parler, tout simplement. Alors, comme souvent, il se décida à planter sur son visage un sourire brave, et, déglutissant, finit par dire d’un ton qui se voulait plus enjoué, sans doute sans tromper Sirius :

« Je suis désolé, d’avoir débarqué comme ça et de tout te balancer dans la figure. Mon pauvre, tu vas finir par psychanalyser tout l’hôpital, et les copains en prime ! »

Une petite plaisanterie pour disgresser, pariant sur le naturel joyeux de son vis-à-vis, et aussi sur sa capacité à lire entre les lignes, peut-être à l’amener à parler d’autres choses pour le pousser enfin à se libérer de ce qui lui pesait, et qu’il n’arrivait décidément pas à verbaliser. Ils se connaissaient suffisamment pour savoir comment fonctionnait l’autre, après tout. Essayant d’ailleurs de reprendre pied, Leone déclara, la voix un peu plus ferme, quoique toujours plus faible qu’ordinairement :

« Je ne t’ai même pas demandé si tu avais fini ta journée et comment tu allais … »

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Mar 5 Nov - 23:01
Sirius hoche la tête. Pour le connaitre, il le connait. Leur amitié remonte à plus de vingt ans en arrière, la plus ancienne qu’ait connu le psychiatre. Ce n’était pas gagné au départ pour ces deux-là, leur rencontre était quelque peu fortuite. Mais comme des aimants, ils s’étaient frayés un chemin l’un dans la vie de l’autre, puis ne s’étaient plus vraiment quittés, même si parfois, ils se voyaient moins que d’autres en fonction des années, de leurs vies et occupations respectives. Des soucis. Sirius se demande de quoi il parle et le fait qu’il s’arrête ne l’étonne pas spécialement. Il fallait souvent qu’il tire les vers du nez de son ami, quand ils en arrivaient à parler de sa vie privée. Sirius, lui, n’avait vraiment pas ce problème, étant un véritable livre ouvert, même pour les inconnus. Aucun souci pour se livrer, au contraire, c’est un peu comme une thérapie qui l’aide à sortir de son corps toutes les choses négatives. Il n’y a que de Nyla qu’il ne parle pas beaucoup, principalement parce qu’il n’a aucune envie de faire véritablement son deuil et que dire les choses à voix haute reviendrait à admettre qu’elle est réellement morte, comme si l’absence dans le lit conjugual ou la chaise vide à la gauche de Sirius au cours des repas, n’étaient pas des rappels suffisants chaque jour…

« Je suis bien placé pour savoir que différencer le perso du pro n’est pas toujours chose aisée. » Il sourit de manière compatissante à son ami. 6 ans plus tôt, pratiquer son métier était devenu un véritable enfer. Il n’était que résident à l’époque mais il était à deux doigts de se faire exclure de l’hôpital momentanément tellement sa vie privée l’empéchait de se concentrer. Un psychiatre se doit d’être impartial et de réussir à prendre du recul, chose qui lui était devenue impossible alors que son cœur était brisé en un million de morceaux. D’ailleurs, c’est à se demander par quel miracle il a finalement réussi à se sortir de tout cela. Avant qu’il n’ait le temps de poser davantage de questions à Leone, celui-ci s’excuse d’être venu le voir. « Premièrement, si tu crois que ce n’est pas déjà le cas, tu te fourres le doigt dans l’œil. A ton avis, pourquoi je passes autant de temps à l’hopital ? » Il se met à rire pour dédramatiser la situation. En vérité, assez peu de collègues venait le voir directement, mais un nombre plus conséquent n’hésite pas à interroger Sirius de manière plus subtile et implicite, au détour d’un café, ou pendant les pauses repas par exemple. « Deuxièmement, si les potes ne sont pas là dans les pires moments, alors ce ne sont pas des vrais potes, et j’suis pas censé être ton BFF, comme ils disent les jeunes de nos jours ? » Rare qu’ils mettent des mots sur leur amitié. Faut dire qu’ils sont des mecs, c’est pas pour rien… Mais l’utilisation de cette expression faisait toujours rire Sirius et comme il l’avait entendu dans la bouche d’une de ses patientes adolescentes le matin même…

Il marque une petite pause avant d’hausser les épaules avec un petit hochement de la tête pour dire que tout va bien et qu’il a du temps libre devant lui. « Plus sérieusement, c’est quoi ces soucis, ceux qui font écho ? Un lien avec les soucis habituels ? » Il fronce les sourcils. Leone est loin d’avoir eu une vie simple et devoir gérer les soucis est un de ses lots quotidiens malheureusement. Il est un homme fort et courageux, selon le propre avis de Sirius. D’ailleurs, le psychiatre connait trop peu de personnes aussi courageuses que Leone et ayant la tête aussi fermement attaché sur les épaules. « Allez, si tu veux, je commence ! » Dit-il, conscient que ça peut être difficile pour l’italien de lui avouer ce qu’il a sur le cœur. « Parce que figure-toi qu’il m’est arrivé quelque chose de… » Il cherche le mot qui convient en levant les yeux au ciel mais rien d’assez fort ne lui vient. « surprenant cette semaine ! » Suspense suspense. Petite seconde pour capter un peu l’attention. Non, en réalité, Sirius cherche ses mots parce qu’il a encore du mal à réaliser. « Tu sais, la résidente en chirurgie plastique, Lyzianna Crowley… Elle m’a… en quelque sorte proposé qu’on couche ensemble. » Le sourire de Sirius s’élargit, amusé. Non, il n’arrive toujours pas à y croire. « Tu me crois ou non, mais c’est la première fois qu’une femme me demande ça cash. Une collègue d’autant plus… » Et s’il en parle à Leone, dans le fond, c’est parce qu’il aimerait bien avoir son avis sur la question, ou bien des conseils, étant donné qu’il n’a plus pensé aux femmes depuis bien trop longtemps, le fantôme de Nyla étant trop présent pour ce genre d’histoires.

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Ven 22 Nov - 16:32
« J’avais imaginé que c’était pour notre merveilleuse cantine, mais maintenant que tu me le dis, je trouve ça plus convaincant … BFF. »

Un instant, un sourire sincère, amusé, passa sur le visage de Leone, effaçant les cernes et la fatigue visible, qu’elle soit physique ou psychologique. L’humour, entre lui et Sirius, c’était presque une deuxième langue, comme si cela leur permettait de faire passer des messages, ou d’atténuer les moments difficiles, les conversations sérieuses. Ainsi que, présentement, une manière de montrer son affection, et ses remerciements sans avoir besoin de le dire à voix haute. Parce qu’il était évident que Sirius était son meilleur ami, et qu’il était, au même titre que sa grand-mère, un pilier de son existence. Même dans leurs périodes d’éloignement, au lycée pour lui, lors de la mort de sa femme pour le Vandesky le temps de faire le deuil, ils avaient tout de même été présents l’un pour l’autre. Et rien ne remplacerait les rires d’enfants partagés, ainsi que ce célèbre stage commun durant leurs études de médecine et les multiples péripéties qui l’avaient jalonné. Leone avait été son témoin de mariage, et pendant un moment, il avait espéré être le parrain de ses enfants. Peut-être qu’il l’espérait toujours, parce qu’il savait que son ami avait voulu des petits Sirius et en voulait sans doute toujours, mais que la peine depuis la perte de Nyla avait mis cette idée à distance. Et il le comprenait sans mal : quand on avait aimé comme cela, comment se résoudre à essayer de trouver ce qui ne pouvait être, au départ, qu’un vulgaire succédané ?

Quelle ne fut donc pas sa surprise en entendant Sirius prendre les devants, pour l’aider dans sa confession, en lui déclarant qu’il avait eu une proposition galante de la part de Lyzianna Crowley. Celle-là, il ne l’avait pas vu venir, ne serait-ce que parce que, vu ce qu’il lui avait raconté une ou deux fois sur leur mésentente, ou en tout cas, sur le fait que la jeune femme n’avait pas l’air de beaucoup aimer son service, il n’aurait pas vraiment imaginé une telle issue. A moins que certains aient raison et que derrière chaque grognement, il y avait une tension sexuelle latente ? Voilà qui serait fort drôle comme conclusion. En tout cas, Sirius avait l’air circonspect, lui aussi, et Leone réfléchit un moment à ce qu’il devait répondre, avant d’opter pour l’humour, une énième fois, un mince sourire aux lèvres :

« Faudrait que tu m’accompagnes en boîte gay plus souvent. Bon, ce ne seraient pas des dames dont viendraient les propositions, mais je peux t’assurer que tu n’en manquerais pas, du même acabit ! »


A vrai dire, lui-même en avaient reçu un bon nombre, au cours de sa vie. Néanmoins, quand les hommes voyaient le pin’s Act Up sur son torse, puisqu’il faisait généralement de la prévention dans ces lieux, beaucoup avaient un petit temps de latence avant de s’enquérir, l’air de rien, de sa propre situation. Et la foule se clairsemait alors, même s’il restait quelques intéressés. Qui se faisaient éconduire, parce que Leone ne cherchait pas une histoire d’un soir, et ce depuis très longtemps, sans parler du fait qu’il n’était pas très à l’aise avec l’idée de se déshabiller face à un inconnu pour ne pas vivre … ce que, très exactement, il avait vécu et dont il peinait à parler. Décidément, il avait du mal à se changer les idées. Mais Sirius avait besoin de lui, et il préférait finalement parler d’autre chose que de lui-même, à cet instant. Histoire de mettre à distance. De se distraire un peu. D’ordonner ses pensées aussi, pour que ce soit le plus cohérent possible.

« Plus sérieusement … étant donné qu’elle répète assez souvent que le sexe, ce n’est qu’une affaire de besoins biologiques – je l’ai entendu dire ça pendant qu’elle était dans mon service – si tu en as envie … y aura sans doute pas trop d’ambiguïté après. »

Buvant une gorgée de son café, Leone réfléchit tout en reposant sa tasse, avant d’enchaîner :

« Cela dit … depuis que je te connais, ça n’a jamais trop été ton truc. Mais sois pas surpris. T’es cute, Sirius. Et ça vient de quelqu’un qui s’y connaît un minimum, en joli garçon. »


Leone lui fit un clin d’œil amusé avant de conclure la conversation :

« Je dis parfois à mes patientes, quand elles me posent des questions, que l’essentiel, c’est de faire ce dont on en a envie. Au rythme où on en a envie. Et avec qui on en a envie.

Toi tu as envie de quoi ? »

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Ven 6 Déc - 13:45
Sirius a lâché la petite anecdote sur Lyzianna, parce que ça l’avait surpris sur le coup, choqué peut-être même, et que ça lui trottait dans la tête depuis, sans trop savoir pourquoi. Enfin une chose qui sort de sa routine habituelle, qui met un peu de piment dans sa vie bien trop rangée et sinistre. Pourtant, ça en restera là. Il n’a pas donné suite à la proposition sur le coup, ce n’est pas pour retourner voir la jeune femme et lui demander si ça tient toujours.

« Si je t’accompagne, c’est juste pour faire croire que je suis ton mec et qu’on puisse danser tranquille ! Me faire draguer par les femmes, déjà, ça m’emmerde alors par les hommes… même si c’est souvent super drôle… Et puis t’imagines, je serais obligé de leur briser le cœur en leur avouant que je suis hétéro… Pas mon genre de briser des cœurs ! »

Pas celui de son ami non plus et il le sait pertinemment. Pas son genre à lui d’aller en boite. Quand il était plus jeune oui, mais maintenant… Il a toujours été un piètre danseur, bien que n’ayant aucunement honte de se déhancher sans vergogne pour mettre le feu et amuser la galerie. Depuis Nyla, il se contente de rester avec un verre dans son coin, généralement.

L’homme écoute les conseils de son ami, au sujet de Lyzianna, même si en soit, il n’y a pas grand-chose sur lequel échanger. Il sait tout ça. Enfin, il ne le savait pas mais elle a été clair avec lui sur le fait qu’elle est une femme qui aime les relations sexuelles et rien de plus. Sirius, il n’a rien à offrir, que ce soit sexuel ou sentimental.

« Ça n’a jamais été mon truc et ça ne l’est toujours pas. » Un silence s’installe. « Je ne suis toujours pas prêt et même si je l’étais… Je ne suis pas sûr que je m’amuserais à coucher avec la première venue. »

Un jour, peut-être qu’il aura un déclic, qu’il rencontrera la femme qui le fera changer d’avis, mais ce n’est pas pour demain la veille, pas selon son avis en tout cas.

« J’ai pas envie de grand-chose. Ma vie actuellement de célibataire vieux garçon me convient parfaitement. Toi aussi t’es tout seul et regarde, t’en es pas mort ! »

S’ils n’avaient pas de partenaire dans leur vie respective, ils sont là l’un pour l’autre et à la fréquence où il se voit, on pourrait presque croire qu’ils sont en couple d’ailleurs… A tel point que les parents de Sirius lui ont déjà posé la question, ce qui n’a pas manqué de lui faire lever les yeux au ciel.

« Bon, allez, crache le morceau parce que ma vie toute plate n’a rien de vraiment intéressant… »

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Lun 16 Déc - 21:52
« Si c’est pas là … c’est pas là. L’essentiel, c’est que tu sois bien comme tu es, peu importe comment. »

Là se trouvait peut-être toute la différence entre Leone et Sirius. Leurs situations étaient similaires, leurs envies aussi, au sens où aucun des deux n’avait de goût particulier pour les relations sans lendemain. Mais Sirius n’avait pas envie d’avoir de relation tout court, et était un célibataire satisfait, ou du moins, qui n’éprouvait pas le besoin de changer sa situation. Alors que Leone … la solitude lui pesait. Il avait passé davantage de temps célibataire qu’en couple, ses partenaires se comptaient sur les doigts d’une main, et s’il avait pu mettre sur le compte de ses études exigeantes ce manque de succès en matière d’amours, de son rythme de vie difficile durant l’internat, puis la résidence, maintenant qu’il était installé professionnellement, que les années passaient et qu’il voyait nombre de ses proches s’installer et fonder une famille, la lassitude et la jalousie le prenaient, à sa grande surprise et à sa douloureuse honte. Il voulait ce qu’avaient Nate et Alej : un compagnon de vie avec qui partager haut et bas, qui l’aimerait inconditionnellement, des enfants, une maison … Adolescent, il avait remise ses rêves au placard, en même temps qu’il en sortait. La porte de la paternité se refermait encore un peu plus, parce qu’il n’arriverait jamais à adopter en tant qu’homme, seul, séropositif et gay. Biologiquement, il ne pouvait engendrer avec une femme, et quand le marché des mères porteuses avait commencé à prendre son envol, il l’avait regardé de loin, sachant pertinemment qu’il n’y accèderait pas avec son propre matériel génétique, parce que le processus de traitement des gamètes était encore expérimental et très couteux, que la police d’assurance à payer serait exorbitante … et que la plupart des femmes refuseraient, ce qu’il comprenait. Mais, il avait quand même eu l’espoir, petit à petit, d’avoir des enfants par l’intermédiaire d’un amoureux qui lui aurait pu procréer. Et même sans ça, au fur et à mesure que la société avançait … il avait pensé juste trouver une personne avec qui passer son existence, ou au moins un bout de cette dernière, simplement, à partager un canapé, un plaid et du thé devant une série sans intérêt, qui de temps en temps l’aurait regardé comme la huitième merveille du monde, et aurait conservé cette flamme dans les yeux quand ils iraient dans la chambre à coucher. Mais non : encore une fois, on s’était chargé de lui rappeler que ce n’était apparemment pas son destin, et la porte entrouverte s’était violemment refermée sur ses doigts, et en plein dans sa figure. Instinctivement, ses yeux s’étaient baissés à nouveau, et ses mains se trituraient encore. D’une voix soudainement moins assurée, il murmura :

« Le problème, Sirius, c’est que moi, ça ne me convient pas. Et j’en meurs pas nan. Mais à chaque fois que je me prends une baffe dans la gueule, si, en fait, j’ai l’impression de crever à petit feu. »

La violence du vocabulaire pouvait étonner, chez quelqu’un qui était plutôt police dans son langage de manière générale, sauf énervement profond ou détresse intense. Sans le vouloir, son meilleur ami avait en quelque sorte touché du doigt le problème, et il recevait donc la rage et la tristesse accumulée depuis des jours, en secret. Cela lui fit curieusement du bien, de commencer à évacuer ainsi. Les vannes s’ouvrirent, et il eut l’impression que le flot de ses sentiments se déversait, qu’il n’était pas en mesure de les contenir.

« Je … J’ai invité quelqu’un que j’aime bien à dîner. On se connaît depuis pas mal de temps, finalement, et … je sais pas, je me suis dit qu’avec lui, ça irait. Et ça a été pendant le dîner, on est rentré ensemble chez moi, il m’a embrassé … enfin, tout allait vraiment bien. C’était … parfait. Mieux qu’avec la plupart de mes ex, je crois. Doux, lent, prévenant … Tu sais, quand tu as l’impression que tu pourrais passer un siècle juste à l’embrasser, qu’il y a quelque chose, et en même temps, c’est presque comme une bulle à ne pas briser. »

Et il n’aurait peut-être pas dû la briser. Peut-être que Leone avait rompu le charme. Il n’était pas superstitieux, aussi une telle pensée l’aurait fait rire, en temps normal. Mais il ne comprenait pas. Et était prêt à accepter toutes les explications, finalement. Dans sa tête, la suite de la scène se jouait à nouveau, au ralenti, dans chacune de ses expressions les plus douloureuses, et sa vue se brouilla sans qu’il ne s’en rende compte. Sa voix s’étrangla légèrement aussi, alors qu’il butait sur les mots pour reprendre le cours de son explication fleuve, en essayant de ne pas se noyer dans sa tristesse, dans sa souffrance, et dans ce dégoût de lui-même qu’il n’arrivait pas à effacer.

« Quand … quand on est arrivé dans ma chambre, il a … il a voulu enlever mon haut, et … Il a vu. »

Les cicatrices, ces marques de son enfance qui restaient gravées dans sa chair, qui rendaient brutalement tangibles les mots « je suis séropositif. » Il avait survécu à une époque heureusement révolue, mais n’en était pas sorti intact pour autant, physiquement. La chimiothérapie et la radiothérapie dosées bien trop fortement pour un enfant, parce qu’un enfant, ça ne devait pas contracter le sarcome de Kaposi, ça ne devait pas être atteint, étaient toujours inscrites en lui. Sur son corps, et dans ses souvenirs. C’était entre lui et les autres : les mots, comme les cicatrices.

« Et … il y avait tellement de dégoût dans son regard. Comme si j’étais … Il m’a dit … Il est parti. Comme mon premier … Comme LUI. »

Le premier petit-ami, celui qui était parti en disant que ce ne serait pas possible. Qui avait raconté, après, parce qu’après tout, en soirée d’étudiants en médecine, c’est quand même un sujet drôle de conversation, non ? Et à qui Sirius avait cassé la figure. Accessoirement.

« No puedo, no puedo … Je peux pas. Il a dit. Et il est parti comme s’il avait vu la mort. »

Cette fois, les larmes arrivaient.

« Et j’ai l’impression … d’être juste … d’être vraiment comme ils me voient. »

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Sam 4 Jan - 1:39
Sirius, il ne savait pas que ça affectait autant Leone, la solitude. Il aurait dû le savoir, mais il n’avait pas compris que c’était à ce point. Parfois, les deux rigolent et blaguent tellement qu’ils en viennent à oublier de parler des choses importantes. Ce qui est certain, c’est que la vie de Sirius lui convient pour l’instant, qu’il n’a pas envie que quoi que ce soit change, et qu’il se complait dans sa routine rébarbative.

Sirius écoute attentivement son ami, sensible à la moindre de ses paroles, au moindre son qui sort de sa bouche. Depuis des années maintenant, ce que traverse l’un a instantanément tendance à affecter l’autre, et cette fois-ci ne fait pas exception. Frères de cœur, à défaut d’être frères de sang, ces deux là sont parfois plus fusionnels que de vrais jumeaux. Les poings du psychiatre se referment sur eux-mêmes, à mesure que Leone lui parle de cet ami avec qui il a passé une soirée.

« Quel enfoiré ! »
Et encore, le mot est faible. « De quel droit… ? »

L’homme en reste sans voix, le regard dans le vide. Il imagine la scène, bien trop parfaitement, à son grand désespoir. Mais pourquoi est-ce que ce connard s’est permis de traiter son meilleur ami de la sorte ? Leone ne mérite pas ça. Personne ne mérite ça, en soi, mais surtout pas Leone, qui n’est que bonté et douceur incarnées. Leone, il mérite l’amour, le vrai, celui qui lui fera briller les yeux de mille feux ; c’est tout ce que lui souhaite Sirius.

« Dis-moi que tu l’as giflé avant qu’il parte, par pitié ! »

Ça n’aurait rien arrangé et Sirius n’est pas du genre violent en temps normal. Il a même un sang froid à toute épreuve, sauf quand on en vient à faire du mal aux gens qu’il aime. C’était pour ça, d’ailleurs, qu’à l’époque il s’en était pris au premier petit ami de Leone. Il l’aurait tabassé jusqu’au sang, si on ne l’avait pas arrêté à temps. Ce connard avait dit du mal de l’italien, raconté des extraits de leur vie ensemble, bien trop de choses que l’on peut qualifier d’intime. Il avait révélé publiquement la séropositivité de Leone, surtout, et ça, ça n’avait pas plû au psychiatre, qui a toujours considéré que ce n’est pas ce qui qualifie son meilleur ami.

Le brun meurt d’envie de demander le nom du connard en question au chirurgien, pour lui rendre une petite visite, lui régler son compte. A quoi ça servirait ? Pas grand-chose. Peut-être à lui expliquer que d’être séropositif, c’est pas une fin en soi, que ça va pas le contaminer en deux secondes, parce que la médecine a quand même fait de sérieux progrès, et que Leone est loin d’être con : il ne prendrait pas le moindre risque.

« Mais ils croient quoi ces connards ? Que parce qu’ils te touchent le torse, ils vont devenir séropo ? Putain, mais on est en 2019 ! Faut vivre avec son temps, se documenter, faire évoluer sa mentalité ! »

Son ton est glacial, mais ce n’est pas à destination de son camarade. Le brun s’est levé, et il fait les 100 pas dans son bureau, ne desserrant pas ses poings. Ça n’aide pas. Faire sortir sa frustration alors que son ami est au plus mal n’est décidemment pas la solution. Il vient se rasseoir près de lui, et se permet de mettre une main sur son épaule, tout en le regardant droit dans les yeux.

« Leone, je t’interdis de te voir comme ils te voient ! Tu m’entends ? Je te l’interdis ! T’es le mec le plus formidable au monde, le plus gentil, le plus attentionné. T’es beau gosse, t’es chirurgien. Si j'étais gay, je t'épouserais sur le champ ! Tu as tout pour toi ! Et je ne te permets pas de te laisser être qualifié par une putain de maladie ! C’est pas elle qui fait qui tu es. Tu es Leone Castelli. Tu n’es pas Leone le séropositif ! C’est compris ? »

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Lun 13 Jan - 18:35
En entendant Sirius s’énerver, comme il s’y était attendu, Leone se demanda brusquement si contempler sa rage à le voir ainsi blessé le rassérénait ou lui faisait encore plus de mal. La vérité se situait probablement entre les deux. D’un côté, évidemment que c’était agréable, de pouvoir compter sur son meilleur ami, de voir à quel point son mal-être le touchait, et qu’il savait mettre les mots là où il le fallait pour l’aider à reprendre pied. Il n’était pas sale, pas condamné à rester, ce n’était pas normal d’être traité de la sorte, il était bel et bien tout ce qu’il avait essayé de construire depuis tellement d’années, à savoir un homme normal, un chirurgien sans histoire qui aimait son travail et faisait de son mieux, et qui accessoirement se trouvait être séropositif sans que ce soit un problème majeur dans son existence – du moins, pas de son fait. Quand il intervenait pour Act Up auprès des jeunes, il essayait toujours d’insister sur le fait que n’importe qui pouvait être touché, que ça n’avait rien à voir avec l’hygiène ou ce genre de choses, parfois même pas la prudence, car un préservatif pouvait craquer, il suffisait d’un rien, et tout le monde n’avait pas la même éducation, la même appréhension des risques. Et surtout, que la maladie n’empêchait pas de mener une vie heureuse, d’avoir de belles relations, d’apporter sa pierre à l’édifice social. Du moins, en théorie, ça n’aurait pas dû, mais que les barrières de la société, il fallait les combattre, pas en ériger de nouvelle, par ignorance ou honte. C’est pour cela aussi, peut-être qu’il vivait d’autant plus mal chaque rejet amoureux, car la communauté gay de New York avait tellement souffert du VIH … alors comment comprendre ces comportements des plus jeunes ? Lui, quelque part, avait vécu, avec ses yeux d’enfant, ces années sombres. Il lui semblait souvent que, malgré son âge, il vivait avec une appréhension du passé qui le mettait en décalage avec sa propre génération. A moins que son expérience de vie, tout simplement, l’empêche d’avoir cette légèreté qui lui manquait ?

Mais d’un autre côté, il n’arrivait pas à intégrer les paroles de Sirius, notamment à propos de Jan. Là encore, était-ce une question d’ego, pour éviter d’admettre qu’une nouvelle fois, il s’était trompé sur le compte de quelqu’un, qu’il avait encore essayé de séduire la mauvaise personne ? Était-ce parce qu’il était persuadé, au fond de lui-même, que ça n’avait pas tant à voir avec sa séropositivité qu’avec du dégoût pour les marques que cette dernière avait laissé sur son corps … et que lui-même ne parvenait absolument pas à aimer ? Il avait tenté, bien entendu, de se répéter des discours body-positive, qui fleurissaient dans certains milieux militants. Sauf que, lorsqu’il se regardait dans le miroir, il avait beau faire un effort, il ne voyait que des cicatrices laides, rien à célébrer, rien à apprécier. Il cohabitait avec, appréciait qu’on l’aime en dépit de cela. Et en restait là. Il essayait de minimiser les risques, sinon. Voilà pourquoi il s’était dit que tout irait bien avec Jan. Parce qu’ils se connaissaient depuis un moment, qu’il savait parfaitement que Leone était séropositif et qu’il avait vécu le plus fort de l’épidémie … ce n’était pas arrivé comme un cheveu sur la soupe au milieu d’un énième rendez-vous, c’était déjà sur le tapis avant même qu’ils ne s’embrassent. Si ça avait été un frein, il était certain que le mexicain aurait décliné son invitation, gentiment, en lui disant qu’il l’appréciait amicalement mais sans plus, et les choses en seraient restées là. Il n’aurait même pas été vexé, puisqu’il avait fait comprendre ses intentions de façon à ce que tout soit clair en ce qui concernait leur dîner, qu’il le faisait parce qu’il espérait davantage, sous-entendant que c’était le moment de le repousser. Entre adultes, c’était comme cela que les choses se passaient non ? Et une fois ceci posé, tout s’était si bien passé. Sur son canapé un peu essoufflé par les ans, Leone y avait cru, vraiment. Alors non, il ne l’avait pas giflé trop abasourdi, et sans doute bien trop blessé dans son amour propre pour réagir. Il faisait non de la tête, incapable pour le moment de le dire à voix haute. La main de Sirius se posa sur son épaule, et ce poids soudain le rappela un peu à la réalité, davantage même que le regard de son meilleur ami. Laissant échapper un reniflement peu glorieux, les yeux encore brouillés par ses larmes, Leone marmonna :

« Tu peux me passer un mouchoir ? Je vais m’en mettre partout sinon. »


D’accord, il y avait plus glamour, mais au moins, il arrivait ainsi à reprendre ses esprits, le fil de la conversation, alors qu’il attrapait ledit mouchoir et s’y mouchait vigoureusement avant de se tamponner les joues pour en enlever l’eau salée qui avait commencé à y couler. Un sourire un peu mince, un peu pauvre étira ses lèvres alors qu’il déclara, avec un léger hoquet :

« T’es sûr qu’il est trop tard pour changer de bord ? Au moins, les présentations avec Mamie seraient faciles. »


La boutade était misérable, la voix légèrement tremblante, mais elle était là. C’était la preuve qu’il ne se laissait pas abattre, et encore moins submerger par les émotions. Hochant finalement la tête, il trouva le courage, il ne savait trop où d’ailleurs, de souffler :

« Je sais tout ça. Mais c’est juste que … j’avais même pas l’impression que c’était un problème. Il … on se connaît depuis un moment, donc en quelque sorte, c’était … déjà sur la table. Au contraire, je m’étais dit que précisément, bah, il pouvait toujours me dire non pour dîner et plus si affinités et éviter d’aller là-dedans si ça lui disait pas, y avait une porte de sortie facile tu vois ? Même au début … et puis quand il a vu … ça, d’un coup, c’était comme si ça le dégoûtait, vraiment.

Est-ce que j’aurai pas dû … je sais pas. J’arrive pas à me dire que … je me suis vraiment trompé ? Je comprends pas. Ca ne ressemble tellement pas … »


A Jan. Et c’était comme si le personnage qu’il appréciait tant s’était brutalement effondré sous ses yeux, que ses croyances sur un ami, d’un coup, avaient volé en éclat.

« C’est comme si j’avais beau avancer, à chaque pas, quelque chose cherchait à me remettre une droite dans la tronche pour me faire reculer. Et que parfois, en plus, ça vient de là où on l’attend le moins. »

Cependant, il tenta un sourire, sincère cette fois :

« En tout cas … merci. C’est idiot, mais j’avais besoin de l’entendre. »

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Mar 11 Fév - 19:38
Un des avantages à être psychiatre, c’est qu’on a toujours des mouchoirs sous le coude, les patients passant 75% de la journée à pleurer. Une thérapie fait très souvent surgir de vives émotions que Sirius encourage à laisser évacuer. Il ne faut pas avoir honte de laisser couler ces larmes. Il ne faut pas lutter. Ce n’est qu’une fois que les choses sont posées, sorties, extériorisées que ses patients peuvent aller mieux. Alors, naturellement, il tend le bras en direction de la boite en fini son geste en direction de Leone, pour lui tendre le morceau de papier carré. D’un œil bienveillant, il le laisse faire et tente de calmer ses propres sentiments, en particulier cette rancœur qui est montée en lui au fil de la conversation.

Une boutade s’en suit de la part de Leone, ce qui déclenche un léger sourire chez le brun. Il aurait aimé pouvoir lui dire que c’est pas trop tard, qu’ils peuvent faire leur vie ensemble dès aujourd’hui, rien que pour que son ami soit heureux, mais il n’est pas comme ça. Il aime les femmes, ça a toujours été le cas. « Le pire, c’est qu’elle serait tellement heureuse. » finit-il par dire, calmement, sur le même ton que Leone, cherchant à tous les deux les apaiser un peu. Se reposer sur des bases solides, des choses qu’on connait et qu’on maitrise, ça aide toujours.

Finalement, il en apprend un peu plus. Son cerveau de psychiatre est en mode off, ne cherchant absolument pas à analyser le pourquoi du comment. Allez savoir pourquoi l’homme en question a fait marche arrière. Il serait le seul à pouvoir le dire. « Tu sais bien que je serais toujours là ! » Il prend sa main un instant. « La conclusion de tout ça c’est que quand tu me sors l’argument du « je suis homo car les femmes sont trop compliquées », c’est totalement erroné… Parce qu’on a la preuve vivante qu’on ne comprend rien aux réactions de certains hommes aussi. » Il tente de dédramatiser la situation. Sirius se lève brusquement et avance d’un pas. « J’te paye un verre pour oublier tout ça ? » Leone ne boit pas mais le fait de sortir et de se changer les idées lui permettra de penser à autre chose. « Je suis sûr que ça te remontra le moral qu’on batte Billy aux fléchettes. » Billy, gamin de 12 ans, qui n’aurait rien à faire dans un bar, mais que le gérant laisse errer et jouer aux fléchettes pendant des heures, plutôt que de le savoir dans la rue, en attendant que sa mère finisse le boulot et ne vienne le chercher. Il n’est alors pas rare que les deux amis lui proposent une partie de ça ou de baby foot, pour faire passer un peu le temps.

Quelques minutes plus tard, les amis sont en route.

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