Life is our only true possession.

Quand Aleksej sentit les doigts de Solveig venir glisser dans ses cheveux, il poussa un long soupir. Elle savait y faire avec lui. Elle savait quels gestes lui faisaient baisser sa garde et déposer les armes. C’était parfois effrayant de réaliser l’influence qu’elle avait sur lui. Parce qu’il savait, au plus profond de lui-même, qu'il serait prêt à tout pour elle. C’était également ce qu’il pensait avec Lena à l’époque. Jusqu’à ce qu’elle le fasse franchir une ligne qu’il n’aurait jamais dû. Un point de non-retour après lequel l’amour s’était transformé en haine. Aleksej essayait de se rassurer en se disant que le contexte était différent. Que jamais plus il ne serait confronté à un tel dilemme.

Il voulait croire que le pire était derrière lui et qu’avec Solveig, ne lui resterait que le meilleur. Quoi qu’il y est à prendre. Quoi qu’elle veuille bien lui donner. Il s’en contenterait. Parce qu’il avait dépassé un certain stade et qu’il ne pouvait plus imaginer sa vie sans elle. Alors, il se contenta de lui adresser un léger sourire. Il comprenait de quels automatismes elle parlait. Il avait élaboré une stratégie similaire des années durant. Son travail était son unique certitude, la seule chose sur laquelle il avait pu se reposer. Et puis elle avait finalement fait son entrée dans sa vie. Elle avait bousculé ses perspectives. Malgré tout, il se sentait coupable de vouloir qu’elle fasse de lui le centre de son univers. À quel point était-ce égocentrique ?

“Ce n’est pas ce que je veux… que tu changes… Je ne veux pas que tu changes. Pas pour moi.”

Parfois les pensées allaient et venaient dans son cerveau plus rapidement que le flot de ses paroles d’où en résultait des formulations un peu maladroites. Il s’agissait souvent de sentiments qu’il n’était pas capable d’exprimer par des phrases éclairées. Il espérait qu’un jour, ils voudraient la même chose. Mais seulement si c’était son choix. Dicté par ses aspirations et ses besoins à elle. Lui qui avait élevé la patience au rang de vertu, il devenait impétueux au contact de la jeune femme. Empressé. Mais il n’était pas question de lui demander plus que ce qu’elle voulait bien lui laisser. Il se rappelait bien la mouvance qui l’avait porté dans les années dorées de sa carrière.

Il savait aussi que cela n’avait été possible que parce que Lena avait pris sur elle de mettre ses aspirations entre parenthèses pour lui permettre de s’épanouir dans sa carrière et dans son rôle de père. Était-ce si difficile de se réjouir, tout simplement ? De quoi avait-il peur ? Il devait bien se l’avouer, sa romance était parfois traversée de doutes, d’incertitudes et d'appréhension. Elle était tellement belle, intelligente et si jeune. Et si elle finissait par se lasser de lui ? Elle s’était bien lassé de William.

Qu’adviendrait-il s’il n’était plus l’avocat réputé et respecté qu’il était ou qu’il mettait un terme à sa carrière au sein du bureau du procureur ? Serait-il toujours à la hauteur ? Serait-il suffisant ? Aleksej était pris en étau par ce besoin qu’il avait d’en avoir toujours plus et l’intuition qu’elle se lasserait rapidement d’un pot de colle trop encombrant. Où était le juste milieu ? Aurait-il toujours besoin de rivaliser avec la carrière de Solveig ?

“Je peux nous préparer à manger, si tu as encore des papiers à voir.”

Essayer de lui faire plaisir, c’était encore tout ce qu’il pouvait tenter. Ôter à Solveig toute autre obligation que celle de son travail pour que quand le moment arrivait enfin pour elle d’en finir avec le boulot, il ne reste plus que lui.

Life is our only true possession.

Il est vrai que je pourrais encore faire deux ou trois petites choses pour le travail ce soir mais...je ne sais pas, il y a quelque chose dans la voix de celui qui est dorénavant mon fiancé qui m'arrête. Vous savez, ce petit quelque chose qui vous retient et qui vous invite à changer de direction ?

– Tu sais quoi ? Je vais oublier le cabinet pour ce soir. Par contre, tu ne fais rien. Ce soir, on commande.

Oui, je sais qu’Aleksej adore cuisiner mais ce n’est pas non plus tous les jours qu’on se voit être demandé en mariage. Je ne bosse pas et il ne fait pas la cuisine. Le deal paraît intéressant même si je ne suis pas certaine qu’il contente mon bien-aimé. Malheureusement pour lui, je suis déterminée et j'ai déjà mon iPhone en main.

– Italien ou Français ? Tu choisis.

Même si ma très longue conversation avec Bedelia m’a amené à demander Aleksej en mariage, je reste quelque peu surprise d’avoir (enfin) trouvé le courage de le faire. L’amour que j’ai pour cet homme est tout ce qu’il y a de plus réel mais trouver la force de surmonter mes peurs face à un tel engagement...oui, même moi j’arrive encore à me surprendre. C’est dire.

– Non. Attends. Tu sais quoi ? Ne dis rien. Je sais.

Bien-sûr que je sais. Je le connais. Je connais ses goûts, je connais ses envies. Il y a encore un bon nombre de choses que j’ai à apprendre d’Aleksej Svendsen mais puisque j’ai les grandes lignes, je vais m’en servir. Et je vais si bien m’en servir que je vais tout faire pour qu’il ne regrette jamais de m’avoir dit oui.