On the low.

J’ai tout donné.
Du moins, c’est ce que je n’arrête pas de me dire en regardant la table garnie que j’ai préparé avant qu’Aleks ne rentre du bureau du procureur. Oui, j’ai été jusqu’à bosser depuis l’appartement pour être sûr de pouvoir tout gérer. Et c’est un véritable succès. Enfin, pour l’instant. Je ne sais pas encore comment Aleks va réagir mais je dois jouer la carte du tout pour le tout, là. Entre mon scandale chez Alice, notre dispute au sujet de sa carrière et la venue à l’improviste de Stan l’autre soir, il est temps que je rende des comptes et ce, proprement.
Aleksej n’a cessé de me répéter qu’il était l’heure que je me mette au clair avec moi-même et j’ai fait la sourde oreille pendant des semaines. Sauf que cette fois, ça suffit. Aleks ne peut pas payer pour mon passé, ce n’est pas juste. Notre relation n’a pas à pâtir de tout le reste non plus, d’ailleurs. Voilà pourquoi ce soir, je vais lui parler à coeur ouvert.

Hier, j’ai appelé Bedelia qui a accepté de venir à New-York pour une consultation. Elle m’a dit faire une exception parce qu’il s’agit de moi. J’estime que c’est ma chance donc je la saisis. Si d’autres séances sont nécessaires (parce que j’ose encore en douter, oui), je me déplacerai à Washington moi-même. Mais avant de faire ça, je dois parler à Aleksej de tout. Dont Bedelia. Il ne sait rien à son sujet et je ne me vois pas lui cacher une chose pareille si je suis amenée à la revoir “régulièrement”. Je ne sais pas encore exactement comment je vais me débrouiller pour caler 8h d’aller-retour en voiture mais je trouverai. Peut-être Bedelia acceptera-t-elle de me recevoir un samedi ? Ou bien je trouverai des vols ? Est-ce que c’est stupide de prendre un vol pour aller voir sa psy ?

Je suis dans le salon en train de vérifier mon rouge à lèvres quand j’entends un bruit de clé dans la serrure. Il rentre. Je prends une profonde inspiration et essaie de me détendre. Ça va bien se passer.

On the low.

Depuis qu’il avait repris le contact avec Cecilia en chair et en os, les deux anciens acolytes s’étaient promis de ne plus laisser les problèmes et les années remettre de la distance entre eux. Évidemment, il ne s’agissait pas de jouer les BFF, de sortir avec la jeune femme en boîte ou de programmer des vacances ensemble. Cecilia avait sa vie et il en était de même pour Aleksej. Il s’agissait plutôt de se rappeler à l’autre, par message interposé. De petites remarques envoyées par texto, des commentaires sur la vie en général, des citations qui les faisaient penser à l’autre. Comme une petite bulle qui éclatait dans un verre d’eau et venait rompre la monotonie des heures de bureau.

Ils avaient tenté de rattrapé le temps perdu et s'étaient laissé envahir par la nostalgie d’un tronçon d’histoire qu’ils avaient partagé. Et puis Aleksej avait commencé à lui parler de Solveig. De leur vie à deux. De la manière dont il tentait de reconstruire sa vie. Avec elle. Grâce à elle. Mais aussi de ses peurs. Celle de ne pas être à la hauteur. Parce que perdre un enfant n’est pas le genre de souffrance qu’on peut envisager comme une épreuve susceptible de vous rendre plus fort lorsque vous l’aurez surmontée. C’est une souffrance qui vous brise en deux. Et qui vous laisse terrassé sur le champ de bataille sans espoir que votre blessure puisse être un jour guérie. Et Solveig méritait mieux que ça. Il voulait être l’homme fort et solide qui l’aiderait à affronter tous ses démons à elle. Et il était prêt à tout pour être cet homme-là, malgré tout.

Parce que lorsqu’il parlait d’elle, ses yeux se mettaient à briller et le sourire quittait rarement ses lèvres. Parce que chaque matin, il remerciait la vie de lui donner une seconde chance. De lui permettre d’aimer une nouvelle fois. Depuis qu’il l’avait rencontré, la vie avait repris le dessus. Il avait parfois l’impression d’en avoir retrouvé le fil après une simple parenthèse vide de toute présence et de toute préoccupation. Et tout en parlant, il avait réalisé une fois de plus le genre de pression que son comportement pouvait exercer sur Solveig. La responsabilité était bien trop lourde à porter.

Il avait tenté de se faire plus discret les jours qui avaient suivi. De ne pas être toujours sur le dos de la brunette ou trop en demande. Ce n’était pas chose aisée. Aleksej ne savait pas faire les choses à moitié. Il ne savait pas aimé à moitié. Mais il avait réalisé qu’il était tout à fait possible d’aimer de la mauvaise manière. Alors quand le fils adoptif de William avait débarqué chez eux un soir à l’improviste, il avait décidé de faire un pas en arrière. De rester à l’écart de cette histoire qui n’était pas la sienne et d’accepter qu’il y aurait toujours des fragments de la vie de la jeune femme dont il ne ferait pas partie. Très maladroitement, probablement, il s’était mis en retrait, imaginant qu’elle partagerait avec lui ce dont elle avait besoin, ou envie.

Il avait pris sur lui de ne pas en faire toute une histoire et de lui laisser l’espace dont elle avait besoin. Après tout, il n’y avait pas de quoi. Au contraire, il ressentait une pointe de fierté. D’être le compagnon d’une femme qui ne réfléchissait pas à deux fois avant d’aider les autres. Il avait bien eu envie de le lui faire remarquer plus tard, encore une fois, elle était capable de se consacrer à autre chose qu’à son travail. Mais il garda cette pensée pour lui-même et se contenta de sourire dans l’obscurité de leur chambre à coucher.

Toutes ces pensées venaient de refaire le tour de son esprit alors qu’il s’apprêtait à rentrer chez lui. La journée n’avait pas été trop difficile mais il était quand même bien content de franchir le pas de la porte de son appartement. Quand il ouvrit cette dernière, son regard se posa instantanément sur la table préparée par Solveig. Un large sourire vint fendre son visage et tout en retirant doucement ses chaussures, il mordit sa lèvre inférieure. Si Aleksej était un homme de charisme et d’éloquence, il en était tout autre dans les moments d’intimité. Et même s’il n’aimait pas les surprises, ce genre d’attention à son égard le touchait profondément. Assez pour le faire rougir et le pousser à une extrême pudeur.

Debout en chaussettes dans l’entrée de l’appartement, il adressa un sourire timide à la jeune femme, attendant son signal à elle. Parce qu’il était important qu’il garde en tête cette notion d’espace. L’espace de Solveig. C’était elle qui menait la danse. Ils le savaient tous les deux.

On the low.

– Bonsoir, Monsieur le Procureur.

Oui, je sais. Il n’est pas LE procureur mais j’aime beaucoup trop l’appeler ainsi. Oh, je sais que ce n’est pas toujours pour lui plaire mais, après tout, puisque j’ai bien compris que ses jours au sein du Bureau étaient comptés, autant que j’en profite encore un peu avant de ne plus être en mesure de le faire sans motif légitime.

– Comment c’était au boulot aujourd’hui ?

Aucune dérision dans ma question, juste un réel intérêt dans ce qu’il fait au bureau. Je ne peux pas m’en empêcher. Je sais qu’il a renoué contact avec une certaine Cecilia et je trouve ça formidable. Ça l'oblige à ouvrir son spectre de vision et de pensée. Il en a besoin dans le sens où je pense que ça va le libérer. Mais il n’a pas perdu certains objectifs de vue pour autant et le travail en fait partie. Bien qu’il ait avoué s’ennuyer dans son nouveau poste, je sais qu’il ne lâchera rien tant qu’il occupera ledit poste. Au boulot, on dit de lui qu’il est revêche. Ce n’est pas faux. Je ne pouvais pas le voir quand nous étions tous deux avocats. Qui aurait pu penser que nous finirions ensemble, hm ?

Je m’approche de lui et viens jouer avec le nœud de sa cravate que je desserre lentement. Il déteste avoir ça autour du cou mais comme ça va avec la profession…

– Je me suis dit qu’un petit dîner de “pardon pour avoir été particulièrement nulle ces derniers temps” s’imposait.

On the low.

Aleksej leva les yeux au ciel en entendant Solveig l’appeler Monsieur le Procureur. Plus par habitude que par réel ennui. D’ailleurs à présent, cela l’amusait plus qu’autre chose. Voir le sourire de Solveig quand il grimaçait avait une saveur particulière dont il ne se laissait pas. Il se contente de hocher la tête quand elle lui demande si sa journée a été. Rien de particulier. Ni bon, ni mauvais. Il avait mis les bouchers doubles en début d’après-midi pour pouvoir quitter le bureau un peu plus tôt et se payer le luxe de rentrer à pied. Malgré les températures estivales, un léger vent frais avait rendu sa balade plutôt agréable. Ce n’était peut-être pas la porte à côté, mais il aimait observer la vie qui se déroulait sous ses yeux sans avoir l’air de le considérer.

Alors que la jeune femme venait desserrer un peu sa cravate, il passait ses bras autour de ses hanches. Il vint enfouir son visage dans le creux de son cou et laissa échapper un léger grognement en entendant les propos tenus par la jeune femme. Il frotta son nez contre son oreille, puis contre sa joue jusqu’à ce que leurs visages se fassent face et colla son front contre celui de Solveig.

“Tu n’es pas nulle. Mais j’apprécie tout de même le geste.”

Un nouveau sourire se dessina sur ses lèvres. Il plongea ses yeux dans ceux de la brunette quelques instants avant de venir poser ses lèvres contre les siennes. Il l’embrassa tendrement pour la remercier. Parce qu’elle lui avait manqué aussi et qu’il était content de rentrer auprès d’elle. Maroon et Boule qui avait été étonnamment discret et patient jusque-là décidèrent que c’était à présent à leur tour de dire bonsoir au Danois. Aleksej caressa la joue de Solveig avant de lâcher son étreinte et de s’agenouiller pour saluer ses compagnons à quatre pattes.

“Eh bonjour mes pépères… moi aussi je suis content de vous voir… ohhhh le bon toutou ! Qu'il aime ça les grattouilles derrière les oreilles… Oui… toi aussi…”

Après avoir gratifié les deux chiens des caresses habituelles, il s’approcha de la table avec curiosité. Solveig avait fait tous ces efforts pour lui, elle avait probablement dû quitter le travail plus tôt exprès, il fallait à présent lui faire honneur. Il observa attentivement le soin qu’elle avait porté à chaque détail. Il releva la tête vers elle et lui adressa un nouveau sourire avant de se diriger vers la cuisine avec intérêt. C’était généralement son territoire même s’ils faisaient souvent la cuisine à deux. Depuis quelque temps, c’est tout de même lui qui rentrait systématiquement plus tôt et quand il ne partait pas pour de longues promenades avec les chiens, il s’attelait à faire le dîner.

“Tu me donnes un indice sur la suite des festivités ?”

On the low.

– Un peu, quand même, dis-je quand je l’entends me dire que je ne suis pas nulle.

Il cherche à me protéger, comme il en a l’habitude et je lui en suis particulièrement reconnaissante même si je n’en ai pas véritablement besoin. Je dois pouvoir admettre quand je ne me suis pas comportée dignement et le moins que l’on puisse dire, c’est que mes récentes frasques traduisent une certaine indignité.

Bientôt, les chiens font leur entrée sur scène et je décide de laisser Aleks retrouver ses “pépères”. J’ai encore parfois du mal à me dire qu’un homme avec sa carrure peut devenir un tel nounours quand il retrouve nos compagnons à quatre pattes. Au moins, je sais qu’il a bon fond. Ne dit-on pas des gens qui n’aiment pas les animaux qu’il faut s’en méfier comme de la peste ?

– Eh bien, nous allons dîner ce succulent repas que je nous ai savamment commandé chez l’un des meilleurs traiteurs de la vie tout en discutant.

Non, mes talents culinaires ne se sont pas miraculeusement améliorés en une nuit et oui, j’ai donc pris la sage décision de faire appel à des professionnels. Mais attention, cela ne signifie pas pour autant que je n’ai pas mis de l’amour dans la préparation de la table et de la mise en présentation des plats pour ce soir. Bien au contraire, même.

– Installe-toi, lui dis-je avant de lui tendre un verre de Bordeaux dont je sais qu’il raffole. Pour ma part, je prends le verre de jus de raisin que je me suis préparée il y a quelques instants avant qu’Aleksej ne rentre. “Rassure-toi, ce n’est pas du vin.”

Mais ça, je pense qu’il l’aura compris seul.

– J'ai parlé à William.

Oui, j'adore mettre les pieds dans le plat avant même de l'avoir goûté.

On the low.

Aleksej sourit en écoutant Solveig lui faire l’exposer du déroulé de la soirée. Nul doute qu’elle aura choisi le menu le plus succulent et adapté à leur goût à tous les deux. Il n’avait pas besoin qu’elle partage son goût pour la cuisine maison. Cela lui faisait toujours plaisir qu’elle se joigne à lui pour l’aider à préparer un repas mais il pouvait tout aussi bien le faire seul si elle avait d’autres choses à faire. C’était son moment de détente. Ce qui importait surtout, c'était qu’ils partagent le goût des bonnes choses. La nourriture était rarement un sujet de discorde chez eux. C’était plutôt le contraire. C’était un bon moyen d’apaiser les esprits.

“J’en ai déjà l’eau à la bouche…”

Il lui adressa un sourire en coin alors qu’elle lui tendait un verre de vin rouge. Il approcha son nez du verre qu’il avait légèrement remué et inhala les odeurs douçâtres. Elle le connaissait bien. Et s’il lui avait affirmé qu’il pouvait tout à fait se passer de boire de l’alcool en sa compagnie, le fait qu’elle insiste pour qu’il conserve ces petits moments de détente les rendaient encore plus appréciables. Quand elle lui fit remarquer que son verre à elle ne contenait que du jus de raison il lui adressa un regard tendre en caressant doucement son dos.

“Je sais.”

Il prit le chemin de la table comme elle le lui avait demandé et posa son verre à la place qui lui était assignée. Il venait de tirer la chaise dans l’intention de s’assoir lorsqu’elle poursuivit dans un tout autre registre. Il reposa la chaise et releva la tête vers elle, le regard inquiet.

“Ok…”

Il savait que Solveig ne venait de faire qu’une entrée en matière. Et il savait que la suite de la conversation serait pénible. Probablement plus pour elle que pour lui. Il s’agissait-là d’un sujet douloureux. Malgré tout, il ne pouvait pas s’empêcher de penser qu’il était important que la jeune femme mette les choses à plat avec l’Irlandais. Clôturer les comptes. Tourner la page et fermer définitivement ce volume-là de sa vie. Pour elle-même. Et pour eux deux, pour leur histoire. Pour leur permettre d’aller de l’avant. Son instinct l’aurait poussé à s’approcher d’elle, à réduire la distance qui les séparait. Mais il préférait rester à sa place. Encore cette histoire d’espace qu’on devait laisser à l’autre.

“Comment tu te sens ?”

On the low.

– Honnêtement ? Une part de moi est soulagée tandis qu’une autre est un peu sous le choc de la révélation. Je réalise maintenant que j’ai trop tardé à lui dire la vérité mais ce qui est fait est fait.

Lui qui avait entrepris de s’asseoir semble avoir renoncé au moment même où je lui ai parlé de ma conversation avec William. Alors, pour une fois, c’est moi qui fais le premier pas et m’avance vers lui pour me réfugier dans ses bras. J’espère qu’il ne croira pas que je cherche à me servir de lui pour me consoler, cela n’a strictement rien à voir. J’ai juste besoin de le sentir contre moi et de m’assurer qu’il ne m’en veut pas. Au fond, je connais déjà la réponse à cela mais quelque chose au fond de moi me fait douter malgré tout. Pourtant, j’ai conscience que le doute n’a pas sa place ici ce soir. Aleksej a été le premier à m’encourager à aller parler à Will. Ce n’est pas comme s’il allait me le reprocher maintenant que cela est fait.

– Mais...au moins, c’est fait.

Est-ce une solution de facilité que de dire ça ? Oui, très probablement.

– Ce n’est pas tout.

Je commence à me demander si on va seulement dîner.

On the low.

Aleksej acquiesça quand Solveig lui fit part de son ressenti. Nul doute que ça n’avait pas dû être une mince affaire. Après toutes ces années, revenir sur un évènement aussi traumatique était une sacrée preuve de courage. Il se demanda une seconde comment avait dû réagir William et la peine qu’il avait dû ressentir. Mais cette pensée s’envola rapidement alors que la jeune femme vint se blottir contre lui. Malgré la sympathie qu’il pouvait avoir pour l’Irlandais, c’était elle sa priorité. Il serra Solveig contre lui avec tendresse et frotta doucement son dos. Parfois il souhaitait pouvoir la garder toujours contre lui, à l’abri de tous les maux.

“C’était la bonne chose à faire, elskede. Pour toi et pour lui.”

Il embrassa sa tempe et frotta son nez contre sa tête. Il n’avait jamais cherché à la convaincre ou à la pousser à faire cette révélation à William ou à qui que ce soit d’autre. Il s’agissait de son passé, de son histoire à elle. Mais quand elle lui avait demandé son avis, il avait fait preuve d’honnêteté en lui disant que la vérité serait mieux dehors qu’enfoui profondément en elle. Il espérait sincèrement avoir raison. Il espérait également que le poids de ce fardeau qu’elle portait depuis tant d’années se fasse plus léger. Il réalisait parfaitement le courage dont elle avait fait preuve pour aller parler à William.

Peut-être était-il temps pour lui de faire preuve d’un peu plus de bravoure et à son tour, d’exposer certaines zones de son passé qu’il avait jusque-là gardées dans l’obscurité. Pas parce qu’il n’avait pas confiance en elle, mais plutôt parce qu’il en avait honte. Parce qu’il ne voulait pas qu’elle le regarde différemment. Il avait déjà eu l’impression de déceler une pointe de déception dans ses yeux lorsqu’il avait avoué ne plus avoir le même entrain pour sa carrière professionnelle. Et c’était un sentiment plutôt désagréable.

Quand Solveig reprit la parole, Aleksej fronça les sourcils tout en posant sa mais sur la joue de la brunette pour l’inciter à lever le regard vers lui. Il connaissait ce ton et cela ne disait jamais rien qui vaille. Et depuis le cancer, le Danois n’avait jamais vraiment cessé d’être en alerte.

“Tout va bien ?”

On the low.

La bonne chose, oui, ça l’est. Malheureusement, le côté favorable de la chose ne l’aura aucunement rendue plus facile à révéler. Je revois sans mal le désarroi rencontré dans le regard de l’Irlandais lors de l’annonce. Il ne comprenait pas vraiment ce que je lui racontais jusqu’à ce que cela fasse tilt dans sa tête.

“Tu...t’étais enceinte ?”

M’étais-je seulement déjà considérée enceinte avant qu’il me pose cette question ? Je n’en ai pas vraiment l’impression.

Ce n’est pas tellement en entendant Aleksej me demander si tout va bien que je réalise la maladresse dont je viens de faire preuve en disant “Ce n’est pas tout.”. Son regard laisse transparaître une soudaine inquiétude qui me bouleverse bien que je sache déjà parfaitement ce que j’ai à lui annoncer. Alors qu’il a posé une main sur ma joue, j’en fais de même sur la sienne.

– Ce n’est rien de grave. Pardonne-moi, je n’aurai pas dû le dire de cette façon.

Non, il ne s’agit de rien de grave. Cependant, la révélation qui va suivre n’en est pas pour le moins importante. A mon sens, je ne peux pas y couper. Pourtant, Dieu sait que j’aimerai vraiment ne pas avoir à lui raconter cela car je crains quelque peu sa réaction. Je sais qu’Aleksej est un homme particulièrement ouvert d’esprit mais je ne suis pas certaine qu’il apprécie d’apprendre que sa compagne va revoir la psychologue avec qui elle a eu une aventure et ce, même si ladite aventure remonte à fort longtemps maintenant.

– J’ai pris la décision de consulter de nouveau mais, cette fois-ci, avec une psychologue que je connais bien. Elle est celle qui m’a suivie après ma rupture avec Will et la fausse-couche.

On the low.

Aleksej se détendit un peu quand Solveig ajouta rapidement qu’il ne s’agissait de rien de grave. Il ne pouvait pas s’empêcher de se faire du souci pour elle. Particulièrement ces dernières semaines et surtout depuis la soirée chez Alice et Mark. C’était après cette soirée qu’il avait réalisé et plus particulièrement après une discussion un peu agitée qu’il avait réalisé qu’il en attendant peut-être beaucoup de la part de la jeune femme. Il était peut-être trop tôt. Après tout, cela ne faisait qu’un peu plus de deux ans qu’ils se fréquentaient. Mais en faisant d’elle le point central de son existence, il lui mettait une pression supplémentaire à gérer. Elle n’avait clairement pas besoin de ça.

Il l’écouta attentivement alors qu’elle lui expliquait qu’elle allait se remettre à consulter une psychologue. Aleksej ne voyait encore la sienne qu’occasionnellement. Cela faisait partie du “travail” qu’il faisait sur lui-même, le but étant d’espacer assez les séances jusqu’à arrêter complètement. Cela devait être efficace, il n’avait plus eu de crise de panique depuis des mois. Et si Solveig sentait le besoin de consulter un professionnel, il n’allait pas l’en blâmer. Il savait qu’elle ne pouvait pas tout lui confier de la même manière qu’il n’était pas non plus capable d’en faire de même. Après l’annonce de la maladie de la jeune femme, la seule personne qui avait pu l’aider à voir au-delà de la peur avait été son ex.

“Ok… C’est… C’est une bonne chose, non ? Si tu as confiance en cette personne et que tu penses que ça pourrait t’aider.”

Solveig n’était pas du genre à montrer ses faiblesses. Il comprenait comment elle en était arrivée à se montrer tellement indépendante. D’abord ses relations avec ses parents, puis William. Elle n’était pas du genre à se reposer sur qui que ce soit. Mais même si c’était une jeune femme forte et pleine de ressources, parfois il fallait savoir connaître ses limites. D’une certaine manière, c’était rassurant de voir qu’elle acceptait de ne pas affronter ses démons seules.

On the low.

Une bonne chose, oui. Décidément, cela semble être la thématique de cette soirée. Malheureusement, je crains que l’aspect positif de tout cela ne dure plus très longtemps vu ce que je m’apprête à ajouter. Ce n’est pas comme si je pouvais éternellement passer à côté du sujet. Non pas que j’ai jamais cherché à cacher quoique ce soit concernant Bedelia. Je n’ai simplement jamais vu l’intérêt d’en parler vu le peu d’engouement du Danois quant à connaître mon passé amoureux (non pas que je le lui reproche d’une quelconque manière que ce soit, d’ailleurs).

– Il y a cependant quelque chose que je dois te dire à son sujet.

J’attrape la main de l’homme et l’oblige à s’asseoir. Non, je ne pense pas qu’il va s’effondrer quand je vais lui expliquer le pourquoi du comment mais je préfère prendre les devants malgré tout. Je semble d’humeur particulièrement précautionneuse ce soir.

– J’imagine que le nom de Bedelia Bellevue ne te dit rien, n’est-ce pas ?

Pour quelle raison connaîtrait-il une psychologue localisée à Washington, après tout ? Cela n’aurait aucune espèce de sens.

– C’est une perle rare dans son domaine.

D’accord, peut-être n’aurai-je pas dû utiliser l’expression “perle rare” quand on sait ce que je dois lui annoncer par la suite.

– Mais je me dois te dire quelque chose à son sujet. Quelque chose d’important.

Étrangement, tout mon entrain s’est brutalement fait la malle.

– Elle et moi... Disons qu'il se pourrait que- Il y a eu un peu plus qu'une relation psy/patiente.

Je donnerai presque n'importe quoi pour que ces quelques mots suffisent et qu'il ait compris par lui-même.

On the low.

Aleksej avait toujours été un homme perspicace et intelligent. Pourtant, il y avait des informations qui ne suivaient pas un chemin rectiligne dans son esprit. En particulier quand il s’agissait de relations sociales. Il avait toujours eu du mal à décoder les gens ou à comprendre les signaux. Il était homme de clarté, c’était de ça dont il avait besoin. Le comportement de Solveig aurait dû lui mettre la puce à l’oreille pourtant. Quand elle se montrait aussi protectrice et prévenante envers lui c’est parce qu’elle pensait qu’elle devait le préserver de quelque chose.

Le Danois fronça les sourcils quand la jeune femme l’incita à s’assoir. Il savait que ce n’était pas la peine de se ronger les sangs, elle lui avait dit qu’il ne s’agissait de rien de grave. Pourtant, son attitude lui disait l’inverse. Il était confus. Le voyait-elle comme un être faible au point qu’il faille lui épargner la moindre contrariété ? Il l’écouta distraitement lui parler de cette fameuse psy, dont il ne retint pas le nom. Quand Solveig lui fit sa grande révélation, Aleksej était toujours plongé dans ses pensées et il lui fallut un certain temps pour que l’information percute son cerveau.

“Il se pourrait que ? Plus qu’une relation psy/patiente ? Qu’est-ce que tu essaies de me dire au juste ?”

Aleksej tripotait le pied de son verre nerveusement. Si Solveig disait que cette psychologue était très réputée, quelles inquiétudes pourrait-il donc avoir ? Y avait-il quelque chose dans son passé qu’elle avait confié à cette psy et qu’elle souhaitait à présent révéler ? Qu’est-ce qu’il pouvait y avoir de pire que d’avoir empoisonné Aleksej ou de plus malheureux que sa fausse couche ?

On the low.

Evidemment, c’était trop demander. Je ne pouvais pas oser croire qu’il comprendrait par lui-même pour la seule et unique raison que toute cette histoire n’a pas le moindre sens. Je me souviens encore de la réaction de William quand il l’a appris. Mais ne revenons pas sur le sujet, cela n’est pas nécessaire. Ce soir, il est important que je me consacre totalement à l’homme présent à mes côtés : Aleksej.

– J’ai eu une liaison avec cette femme.

Deux possibilités : soit il ne réagit pas, soit il réagit trop. Aleksej a beau être un homme d’ordinaire mesuré, je ne suis pas certaine qu’il en soit de même maintenant qu’il sait une telle chose. Bien qu’il soit très ouvert d’esprit, je me demande s’il ne va pas lui-même se dire que, cette fois, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Moi-même, parfois, j’ai l’impression que j’ai toujours un autre truc à sortir de mon chapeau si bien que cela en devient un peu fatiguant.

– Alors oui, je sais que cela peut sembler surprenant mais c’est la vérité. Ce n’était rien de sérieux, cependant. Elle...elle a juste été là à un moment de ma vie où je ne savais plus où j’en étais.

Non pas que je cherche à justifier cette histoire entre Bedelia et moi car je n’en ai pas honte. Mais j’ai bien conscience qu’elle peut surprendre car je ne me suis jamais revendiquée autrement que comme hétérosexuelle; ce que je suis, d’ailleurs. Les femmes ne m’intéressent pas outre mesure. Bedelia m’intéressait.

On the low.

"Oh..."

Voilà pourquoi elle avait été si précautionneuse avec lui. Il s’agissait bien d’un sujet avec lequel Aleksej était tout sauf à l’aise. Il ne s’attendait évidemment pas à cela. Pourtant, il savait bien qu’un jour où l’autre, leur relation avançant, il en apprendrait plus sur le passé de Solveig et ses éventuelles relations. Il n’avait jamais été très pressé de savoir cela dit. Parce qu’il n’avait pas très envie de se retrouver dans la même situation que le soir où William avait débarqué chez Solveig pour lui faire de grandes déclarations. Il ne jugeait pas la jeune femme. Et il avait toujours accepté que le passé était le passé. Il en allait de même pour lui. Mais à présent cela semblait bien plus concret.

Aleksej faisait tournoyer son verre depuis assez longtemps pour que les arômes de son vin soient à présent évaporés. Il prit une longue gorgée avant de le reposer sur la table. Est-ce que le passé était vraiment le passé ? Il avait accepté que Will face parti de la vie de Solveig sans trop de contestation. Mais toutes ces révélations au fil du temps, ces gens qui faisaient leur apparition représentait des fragments de la vie de la jeune femme dont il n’avait aucune idée. Il ne pouvait pas lui jeter la pierre, cela aurait été hypocrite. Mais il réalisait quand même qu’il y avait dans la vie de la jeune femme des gens qui la connaissait bien mieux que lui. Et que cela ne changerait peut-être jamais.

“Tu… tu n’as pas besoin de te justifier, Solveig.”

Elle ne lui devait aucune explication. L’embarras qui pouvait se lire sur son visage ne lui était pas destiné. Aleksej éprouvait une gêne immense. Il n’avait eu qu’une seule femme dans sa vie avant Solveig. Et c’était elle qui avait mené la barque. Lena l’avait guidé dans le labyrinthe des relations sociales. Dès lors où Aleksej avait eu des difficultés à se sociabiliser, c’était elle qui avait tracé le chemin, lui permettant d’avoir une vie sociale relativement normale. Qu’il s’en soit tirer aussi aisément jusqu’à présent avec elle relevait presque du miracle. Mais une pointe de honte refaisait peu à peu surface. Une honte qu’il avait enfoui en lui depuis l’adolescence.

S’il ne jugeait pas la jeune femme pour le nombre de relations ou d’aventures qu’elle avait eues, cela ressassait néanmoins une vérité qu’il essayait de refouler au fond de lui. Il n’avait eu qu’une seule femme dans sa vie. Ce qui pour lui se traduisait par une incapacité à prendre du recul et surtout à un manque profond d’expérience.

On the low.

Le seul fait qu’il m’appelle par mon prénom et qu’il descende son verre me fait bien comprendre que ça ne lui plaît pas. Je m’en doutais un petit peu. Est-ce que j’aurai dû garder ça pour moi, au final ? Non, je continue de penser que la vérité vaut mieux qu’autre chose.

– Tu m’en veux.

Ce n’est pas une question et j’avouerai chercher à le piquer un peu pour connaître ses pensées de l’instant. Quand Aleksej est gêné ou dérangé par quelque chose dans la sphère privée, il a cette fâcheuse tendance à se renfermer sur lui-même. Sauf quand ses sœurs lui prennent la tête à table mais ça, c’est un autre sujet.
Bien qu’il ne soit pas du genre à fermer les yeux sur tout, je connais suffisamment le bonhomme pour savoir qu’il va tout d’abord chercher à me protéger, à me préserver de je ne sais trop quoi. Il l’a toujours fait mais cela n’a fait qu’augmenter depuis mon opération. J’ai conscience qu’il s’en veut encore de m’avoir “laissée” même si je n’ai eu de cesse de lui répéter que la situation dans laquelle nous étions ne pouvait guère laisser place à autre chose.

– Aleks, parle-moi, s’il te plaît.

Le pousser dans ses retranchements, c’est ce que je sais faire de mieux. Parfois, j’ose croire que notre relation serait bien différente si je me montrais un tant soit peu plus accommodante avec le danois. Malheureusement, je sais que même si j’essayais, je n’y parviendrais pas. Ce n’est pas moi, ce n’est pas dans mon tempérament que de laisser les autres sombrer sans essayer de les ramener à la surface.

On the low.

Aleksej releva la tête vers la jeune femme l’air surpris.

“Quoi ? Non ! Bien sûr que non.”

Il attrapa sa main puis l’attira vers lui, la poussant à prendre place sur ses genoux. Il la détailla un court instant. Il aimait se perdre dans les lignes de son visage, plonger son regard dans ses grands yeux marrons. Délicatement, il poussa une mèche de ses cheveux derrière son oreille et caressa sa joue.

“Je ne te jugerais jamais pour quelque chose qui est arrivé par le passé. C’est vrai qu’une part de moi trouve ça un peu douteux qu’une professionnelle de la santé puisse entretenir une relation avec une patiente. Mais si tu penses que cette femme peut t’aider, alors c’est tout ce qui importe.”

Il était sincère. Parfois on trouvait de l’aide dans les coins les plus inattendus. Pour lui, ça avait été son ex-femme à qui il n’avait pas adressé un mot en plus de dix ans. Lena lui avait ouvert les yeux au moment où son passé l’empêchait d’avancer et d’être présent pour Solveig. Et il lui en était reconnaissant. Mais il était également conscient que c’était parce qu’elle le connaissait aussi bien qu’elle avait pu trouver les mots justes. Alors s’il en était de même pour Solveig avec cette femme, il serait bien le dernier à lui jeter la pierre.

Il savait pourtant que cette réponse ne serait pas suffisante. Il savait que s’il apprenait à lire en elle, à voir les signes, l’inverse était aussi vrai. Solveig n’avait aucun mal à déchiffrer son comportement ou du moins à voir quand quelque chose clochait. Et il était rare qu’elle fasse comme si de rien était quand cela arrivait.

“Je… Je sais que ça ne fait que deux ans qu’on se fréquente et que notre histoire se construira avec le temps. Mais… j’ai l’impression qu’il y aura toujours quelque part quelqu’un qui te connaît mieux que moi. J’ai toujours ce sentiment d’être “le nouveau gars” et même si c’est le cas… c’est un peu frustrant.”

Il savait qu’elle n’y pouvait rien et ce n’était pas un reproche qu’il lui faisait. C’était simplement une constatation. La seule chose qu’il pouvait faire était de s’armer de patience et de continuer à avancer avec elle. Il enfouit son visage dans le creux de son cou.

“Mais je suis reconnaissant que tu ais bien voulu m’en parler. Et également que tu ais fait tous ses efforts pour qu’on passe une bonne soirée.”

On the low.

Mes doigts caressent lentement le cuir chevelu de l’homme tandis que je lui réponds, non sans un petit sourire amusé. Impossible pour moi de m’en empêcher.

– Tu as conscience que nous faisons un peu plus que nous fréquenter, n’est-ce pas ?

Peut-être devrais-je lui sortir un exemplaire de notre contrat de location, ou encore des photos de notre voyage en Europe. Ou peut-être… Non. Non, c’est trop tôt. Le timing serait particulièrement mauvais...n’est-ce pas ?

– Tout ce que je voulais, c’était me montrer honnête avec toi. Et...te rassurer un peu aussi, je crois. Peu importe ce qu’il y avait entre Bedelia et moi, c’est terminé depuis longtemps et puis- j’ai déjà quelqu’un dans la tête.

Et dans le coeur, aurai-je dû ajouter. Mais ne le sait-il pas déjà ? Bien sûr qu’il le sait. Du moins, il a tout intérêt. Aussi surprenant que cela puisse paraître, je crois vraiment au fait que si nous avions dû nous séparer, nous l’aurions déjà fait depuis un moment. Il y a eu des problèmes, il y en aura encore sans aucun doute mais nous les affronterons, ça j’en suis absolument convaincue. Après tout, nous n’avons pas traversé toutes ces épreuves pour terminer notre course dans le ravin.

– Et puis, tu sais… Peut-être qu’à l’heure actuelle, il y a des gens qui me connaissent mieux que toi. C’est fort possible si on pense à ma mère en premier lieu. Mais tu me connais suffisamment pour savoir ce qui est bon pour moi, Aleks. Sans parler du fait que j’aime aussi que tu ne saches pas tout de moi. Ça met un peu de piment dans notre routine. Mais je peux te promettre que le reste est beaucoup moins pimenté qu’une relation homosexuelle avec sa psy. Ce n’est pas avec moi que tu parviendras à écrire ton premier roman, mon amour.

On the low.

Les yeux du Danois se fermèrent instantanément au contact des doigts de la jeune femme dans ses cheveux. Solveig faisait toujours preuve d’une extrême douceur et ce geste l’apaisait immédiatement. En entendant la remarque de la brunette, il ne put retenir un léger sourire de satisfaction. Il appréciait particulièrement quand c’était elle qui démarrait au quart de tour lorsqu’il s’agissait de défendre leur couple. Il rouvrit les yeux et se contenta d’acquiescer silencieusement, mais le sourire qui pointait au coin de ses lèvres en disait assez long.

Il leva un sourcil, l’air amusé.

“Ah oui ? Tu as déjà quelqu’un dans la tête ? Cette personne-là doit être très chanceuse…”

Il continua à l’écouter avec attention. Il n’était pas tout à fait d’accord avec le fait qu’elle préfère qu’il ne sache pas tout d’elle. Lui voulait tout savoir. Tout partager. Mais ce n’était que fairplay. Il y avait encore des choses dont il n’avait pas envie de faire l’étalage. Même s’il était fou amoureux d’elle et qu’il avait en elle une confiance aveugle. C’était de lui qu’il doutait. Malgré tout, une petite voix dans sa tête lui répétait que s’il voulait accéder à l’image idéale qu’il se faisait d’eux, il faudrait qu’il en passe par là.

“C’est toi qui pimentes mon existence… Comme un beau mélange d’épices… parfois un peu piquante, certes. Mais toujours si subtile et si savoureuse…”

Comme toujours lorsqu’il était fier de ses jeux de mots, un large sourire vint fendre son visage. Il ne lui en fallait pas beaucoup finalement. Ses doigts vinrent glisser dans la nuque de la jeune femme et il l’attira vers lui pour l’embrasser avec tendresse.

“Et détrompe-toi, je pourrais remplir les étagères d’une bibliothèque avec tout ce que j’aurais à raconter…”

On the low.

– Tu le crois, ça ? Il s’agit d’un beau Scandinave perdu à New York. J’essaie désespérément de retrouver sa trace depuis des mois mais rien n’y fait. Je crois qu’il est vraiment perdu, cette fois-ci. Quel dommage ! J’imagine que je vais devoir me contenter de toi et de ton amour des épices.

Bien évidemment, tout ce qui vient d’être dit n’a pour seul et unique but que celui de le titiller encore un peu plus. Cependant, j’arrive à ma limite pour ce soir. Maintenant que les choses ont été dites, je ne veux pas que nous laissions toutes ces choses gâcher notre soirée. Je n’ai peut-être pas cuisiné mais cela ne veut pas dire que je n’ai pas pris plaisir à préparer une jolie table pour nous. Et puis, très honnêtement, il était préférable pour tout le monde que je ne commence pas à me mettre aux fourneaux. J’ai peut-être bon nombre de qualités mais pas vraiment celle d’être une cuisinière hors pair. Je peux me débrouiller, certes mais je n’ai pas la patience d’Aleks en la matière.

Tandis que je me défais lentement de l’étreinte de l’homme, l’une de mes mains vient se glisser dans l’une des siennes alors que je le regarde avec tout l’amour que je lui porte.

– Avez-vous seulement idée de combien je vous aime, maître Svendsen ?

Plus de proc. Juste lui dans sa plus belle fonction que fut celle d’avocat. Et je ne dis évidemment pas cela parce que j’étais moi-même avocate, voyons. Ce n’est pas mon genre…

On the low.

Aleksej mima une moue offusquée qui ne trompait personne. Il n’était pas très doué pour feindre de fausses émotions. D’ailleurs sa technique consistait plutôt à les faire disparaître en se cachant derrière un mur de marbre. Ce dont il avait de plus en plus de mal aussi, du moins avec Solveig. Ou peut-être qu’il n’avait pas envie de se cacher. C’était ça aussi, laisser entrer quelqu’un dans sa vie.

“Espérons que tu pourras te contenter de moi encore un certain temps alors. Mais je note tout de même que tu as un sérieux penchant pour les étrangers…”

En croisant le regard de la jeune femme, le Danois retrouva tout son sérieux. Ils étaient rares les moments où elle le regardait avec une telle intensité et bien trop précieux pour être gaspillé à jouer au chat et à la souris. En passant, il ne savait pas toujours qui était le chat et qui était la souris. Il resserra ses doigts autour de ceux de la jeune femme avant de poser un baiser sur sa main. En guise de remerciements. Parce que ses paroles étaient un cadeau inestimable. Tout en se resservant un verre de vin, il l’observa faire le tour de la table pour aller s’installer en face de lui. Il but une gorgée et soupira d’aise. Sous la table, il allongea lentement sa jambe pour venir caresser celle de la jeune femme.

“J’espère que ce Scandinave ne retrouvera jamais son chemin…”

À cet instant précis, il se sentait serein. Heureux même. Reconnaissant que la vie est mise cette femme sur sa route. Les doutes étaient toujours là évidemment. Mais les obstacles ne semblaient plus aussi infranchissables. Il avait ce doux sentiment qu’à deux, rien n’était insurmontable. Il savait que ce genre d’émotion était éphémère et qu’il y aurait d’autres jours où il aurait l’impression de marcher à reculons. Mais pas aujourd’hui. Aujourd’hui, ils faisaient un pas en avant, ensemble.

On the low.

– En vérité, je crois qu’il l’a parfaitement trouvé, répondis-je simplement non sans un sourire en coin avant de me saisir de mon propre verre pour imiter le danois.

Le dîner se passe magnifiquement bien. Mieux que je n’aurai pu l’imaginer, pour sûr. Je ne m’attendais pas à ce qu’Aleks prenne aussi bien mes révélations du jour. Le pauvre, quand on y pense, il doit commencer à se dire que j’ai toujours quelque chose de nouveau à lui annoncer à peine eut-il été remis de la dernière en date. Si je continue comme cela, son coeur va finir par lâcher le premier.

Nous sommes en train de débarrasser la table quand les premiers gémissements de Boule se font entendre dans le salon. Aleksej comme moi savons pertinemment ce que cela signifie. Nous n’échapperons pas à une petite balade du soir.

– Est-ce qu’une petite balade nocturne vous tente, Monsieur Svendsen ? Il semblerait que l’un des squatteurs ait une envie pressante…

Je dis squatteur parce que, jusqu’à preuve du contraire, aucun de nos deux chiens ne paie de loyer ici. Pire encore, ces deux lascars sont même nourris et choyés en plus d’être logés. Autant dire qu’ils mènent une vie de rêve.

On the low.

La soirée avait suivi son cours sans anicroche. Aleksej s’était délecté du repas que Solveig avait commandé pour eux. S’il adorait cuisiner, il ne pouvait pas nier qu’il était agréable de rentrer chez soi et de mettre les pieds sous la table. Encore plus particulièrement quand la jeune femme pouvait en faire de même et qu’elle ne rentrait pas à la maison avec du travail supplémentaire. Ce n’était pas quelque chose dont il allait lui tenir rigueur. Il comprenait son engouement pour son travail parce qu’il avait eu le même à une certaine époque. Mais quand Solveig décidait que la journée de bureau ne se prolongerait pas à l’appartement, il faisait de son mieux pour en profiter au maximum.

Tandis qu’elle débarrassait la table, le Danois avait pris l’initiative de nettoyer leurs assiettes et les quelques plats utilisés pour réchauffer le dîner. Quand elle lui proposa de prolonger la soirée par une promenade avec les chiens, son regard se posa sur la vaisselle posée sur l’égouttoir. Il pourrait bien la laisser sécher et la ranger à son retour. Il acquiesça en frottant doucement son ventre.

“Je crois bien qu’il n’est pas le seul à en avoir besoin…”

L’été ayant enfin posé ses quartiers, les promenades nocturnes devenaient vraiment agréables en fin de soirée. Il se dirigea dans l’entrée pour mettre ses chaussures, les deux animaux à ses talons, parfaitement conscient que c’était leur heure. Aleksej attrapa les laisses et se baissa pour caresser le plus jeune.

“Non mais tu entends ça, Boule… un squatteur… mais non, toi aussi tu fais partie de la famille…”

Aleksej ne se rendait pas toujours compte qu’il s’adressait aux deux chiens comme s’ils étaient des personnes. Mais après tout, Maroon et Boule faisaient partie de leur quotidien et bien qu’ils soient des chiens, ils avaient parfois beaucoup plus de perspicacité en ce qui concernait la compréhension du comportement humain.

On the low.

Je me retiens d’éclater de rire en entendant Aleksej me dire que Boule n’est pas le seul qui pourrait apprécier les bienfaits d’une sortie en ce début de soirée. Il ne cessera donc jamais de me surprendre.

– Alors, les toilettes sont juste à côté, mon bon monsieur.

Evidemment, je sais pertinemment qu’il veut dire qu’un de peu de marche pour digérer ne lui fera pas de mal mais impossible pour moi de ne pas chercher à le charrier un minimum. Je ne serai plus totalement moi, sinon.

– Est-ce que l’un de ces deux chiens paie le loyer, hm ? Donc ils squattent. Mais comme on les aime bien, on se montre particulièrement tolérants. Allez, zou, tout le monde dehors !


Finalement, je réalise que j’avais, moi aussi, besoin de prendre l’air ce soir. N’étant que très peu sortie de la journée, je ne peux pas nier les bienfaits de cette petite sortie improvisée. Les lumières du jardin botanique de Brooklyn sont un vrai bonheur pour les yeux et je ne m’en lasse toujours pas. Ce n’est pourtant pas la première fois que je viens ici, seule ou accompagnée. J’aime cet endroit pour l’apaisement qu’il parvient à me procurer sans effort. Prospect Park est également un endroit magique mais si je devais choisir, je sais que mon coeur pencherait pour le jardin botanique malgré tout.

– On pourrait aller à Smorgasburg demain, qu’est-ce que tu en penses ? Ca fait un moment que nous n’y sommes pas allés.

Smorgasburg est un endroit fou pour ceux qui raffolent de la bonne bouffe comme Aleksej et moi. L’été, l’endroit est d’autant plus agréable qu’il grouille de monde venu de partout.

On the low.

Aleksej lança un regard sévère à la jeune femme qui venait de le tacler gentiment. Il savait parfaitement qu’elle ne pouvait pas s’en empêcher. Et il savait aussi que le plaisir n’était pas le même s’il ne faisait pas un peu semblant d’être offusqué. Il ne comprenait pas pourquoi, mais elle en raffolait. Ça ou lui faire lever les yeux au ciel. Alors, il jouait le jeu pour le bonheur de voir ce petit sourire malicieux se dessiner au coin de ses lèvres. S’il y avait bien une maxime qui s’appliquait à Solveig, c’était “Qui aime bien, châtie bien.” Et pour Aleksej, c’était une nouvelle preuve de complicité, un moment rien qu’à eux.

Aleksej appréciait toujours la dernière promenade des chiens. Les rues étaient plus calmes. Le temps semblait s’écouler plus lentement. Il était réellement content que la jeune femme se sente bien dans ce quartier. La simple pensée de la frénésie qui régnait constamment dans les rues de Manhattan lui donnait la migraine. Il avait besoin de ce genre de moment pour appuyer sur la pédale de frein et reprendre son souffle. Et ce n’était pas les chiens qui allaient s’en plaindre. Maroon c’était très rapidement fait à son nouveau terrain de jeu et avait très vite initié Boule dès son entrée dans la tribu.

“Parfois je ne sais plus si tu t’adresses à mon cœur ou à mon estomac… Ce serait le moment d’élucider ce grand mystère de donuts que j’ai vu passer la dernière fois. Impossible de trouver de quel stand ils venaient…”

Aleksej n’était pas du genre à se laisser tenter par la junk food mais quand il mettait les pieds à Smorgasburg, il était comme un enfant de cinq dans une fête foraine. Est-ce que c’était le fait de manger debout dans la rue ou souvent avec les mains, ou les innombrables odeurs qui venaient chatouiller ses narines et faire claquer sa langue. Quoi qu’il en soit, lorsqu’il arrivait dans le marché culinaire, il oubliait généralement toutes ses bonnes pratiques.

“Mais tu es sûre ? Parce que la dernière fois, tu m’en as un peu voulu d’avoir passé le restant de la journée sur le canapé…”

Manger et dormir. Voilà comment on pouvait résumer le programme de leur dernière visite à Smorgasburg. Aleksej avait clairement abusé et une fois rentré à la maison, plein à ras-bord, il lui avait fallu s’allonger pour le restant de l’après-midi, repus et satisfait de sa ripaille.

On the low.

– Mon amour, s’il y a bien une chose que j’ai compris à ton sujet c’est que m’adresser à ton estomac c’est m’adresser à ton cœur.

Que voulez-vous, je suis une romantique née.

– On les retrouvera tes chers donuts, ne t’en fais pas pour ça, va.

Impossible de ne pas lever les yeux au ciel quand je l’entends me dire que la dernière fois que nous sommes rentrés du Food Court, je lui en ai voulu parce qu’il n’a plus rien fait de la journée. Voilà le problème avec les hommes : ils ne sont pas capables de faire les choses de façon mesurée.

– Tu n’avais pas besoin de t’enfiler trois donuts avec tout ce que nous avions déjà mangé, Aleksej Svendsen. Et ce n’est pas la peine de me regarder avec cet air faussement choqué, tu sais pertinemment que c’est moi qui ai raison à ce sujet.

A peine avons-nous le regard tourné ailleurs que Maroon en profite pour se faire la malle. Je me retiens à peine de grogner avant de m’égosiller la voix en rappelant le chien au pied, ce qu’il ne fait évidemment pas. Non, il ne faudrait pas espérer que ces leçons d’éducation canine à $200 de l’heure servent à quelque chose, voyons. La bestiole a plus de tempérament que ça. Dieu merci, Boule est encore en laisse comparé à son pote, ce qui l’empêche de se faire la malle aussi.

– MAROON !