Ezra s’était habitué à merveille à sa nouvelle routine américaine. Londres ne lui manquait pas vraiment, certainement pas les dîners de famille hebdomadaires chez ses parents dont il se trouvait bien plus proche depuis qu’un océan les séparait. Miriam Northman l’inondait de messages vocaux environ dix fois par jour, une nouvelle fonctionnalité qu’elle avait découverte quelques semaines auparavant, mais l’avantage était que le brun pouvait y répondre à son rythme. La plupart du temps, lesdits vocaux n’attendaient même pas de réponse, aussi, il s’en tirait avec un émoji bien choisi, sa mère était contente, il l’appelait une fois par semaine avant shabbat pour qu’elle soit suffisamment occupée pour ne pas lui tenir la jambe pendant trois quarts d’heures, et tout le monde y trouvait son compte. Bref, tout allait bien dans le meilleur des mondes pour Ezra qui, au fil des mois qui passaient, se créait un nouveau cercle de fréquentations (ce qui n’était qu’à moitié grâce à son ex, comme quoi lui aussi évoluait, ou avait bien configuré son radar à introvert weirdos comme lui) et prenait plaisir à découvrir son nouvel environnement.

Parmi les amitiés qu’il avait tissées tout seul comme un l’adulte fonctionnel qu’il espérait être se trouvait Gigi, avec qui très clairement la relation aurait pu s’en tenir à un rebound sex désastreux et s’en arrêter là, mais qui finalement avait évolué en une véritable amitié. Si en six mois, Gigi était déjà devenue la tatoueuse officielle d’Ezra, elle avait également endossé le rôle de wingwoman autodéclarée – au grand désarroi du musicien – et la proximité de son shop avec l’école où il bossait rendait facile pour le brun de squatter dans un endroit safe quand il n’avait pas forcément envie de rentrer chez lui pour préparer ses cours du lendemain. Il n’était donc pas rare de le voir assis dans un coin du shop, un tas de copies à corriger étalé devant lui, pendant qu’il attendait son amie sous le son rassurant et étouffé du tattoo gun dans la pièce d’à côté.

C’était précisément ce qu’il faisait en ce mercredi soir. Gigi était encore occupée et il attendait patiemment qu’elle ait terminé pour aller la saluer, s’avançant dans son travail pour passer le temps. Il était peut-être assis là depuis une demi-heure quand la playlist changea et que son cœur s’arrêta une seconde. D’abord, il ne réalisa pas. Il leva les yeux de ses copies, désorienté, et fronça les sourcils. Quand la pièce tomba, c’est une envie irrépressible de pleurer de fierté qui le secoua : c’était la première fois qu’il entendait sa musique ailleurs que dans son studio, ou en tout cas dans un cadre professionnel. Tellement chamboulé qu’il fut incapable de se concentrer sur son travail, il ne lui resta plus qu’à feindre un calme olympien jusqu’à ce que son amie se retrouve seule avec lui.

Heureusement, il n’eut pas long à attendre. Une dizaine de minutes plus tard, la tatoueuse sortit avec sa cliente. C’est un Ezra rouge pivoine qui lui adressa un petit signe de la main depuis l’autre bout de la pièce. Et une fois seuls, il bredouilla : « Hi, sorry, I needed someplace quiet to get some work done. You okay ? » Assez rapidement cela dit, il comprit que rien ne servait de se contenir. Gigi était safe, et si une personne dans tout ce pays avait réussi à cerner son petit syndrome de l’imposteur et la dualité entre le personnage confiant dont il enfilait le costume sur internet et devant ses élèves et l’introverti timide qu’il était en réalité, c’était bien elle. Aussi, il explosa : « Okay, sorry, I tried to stay low-key and, like, chill about it, but holy shit dude is that my bloody Spotify playlist ? Like, I have a Spotify playlist ? That people listen to ? »