Un regard pour vérifier ces messages qui, pour son plus grand désarroi, ne cessaient d'arriver sur ce portable qui n'en finissait plus de vibrer. Arrachant à chaque fois un soupir de lassitude à celle qui, pourtant, se faisait un devoir de répondre à chacun. A son meilleur ami elle donnait rendez-vous pour le milieu d'après-midi dans leur pub préféré. A son cousin qu'elle tentait d'apaiser et de calmer alors que sa innocente de chérie ne venait ni plus ni moins de lui demander ce qu'était une gorge profonde. Ce qui, évidemment, avait pouffé de rire celle qui retrouva son sérieux l'instant suivant quand elle reçu le texto de son prochain meeting. Chip confirmait leur entrevue. Ses doigts qui pianotaient alors qu'elle le remerciait. Puis, son dos qui se laissa aller à se caler contre le cuir de leur limousine familiale. Guère discret mais ses parents ne lui laissaient guère le choix. Ils refusaient de la voir conduire et, surtout, espéraient pouvoir ainsi garder une trace du moindre déplacement de leur parfois bien mystérieuse et secrète héritière. Ils en seraient pour leurs frais ! Cela faisait bien longtemps que, Henry, leur dévoué chauffeur, avait choisi son camps. A savoir celui de cette poupée blonde qu'il avait vue grandir et à laquelle il ouvrait maintenant la portière. Des mots, presque tendres qu'ils échangèrent, avant qu'elle ne le prie dans son habituel sourire de prendre le temps de profiter de se restaurer à cette table qu'elle avait réservée à son intention. L'homme, courbé par le poids des ans et du labeur, en avait été gêné mais il n'avait pu lui refuser ce plaisir. Contente, Sophia s'était alors présentée à cette porte qu'un portier, la reconnaissant évidemment, lui ouvrit en lui adressant les plus sincères des salutations.

«  Miss Swindel ! C'est toujours un plaisir que de vous voir ! »
« Merci Melinda. Votre époux et les enfants vont bien ? »
«  Très bien Mademoiselle. »
« J'ai rendez-vous avec Mr Jenkins, auriez-vous l'amabilité de me dire s'il est déjà arrivé ? »
«  Mr Jenkins est là. Permettez que j'appelle quelqu'un pour vous conduire à votre table ? »
«Ne vous donnez pas cette peine voyons. Je trouverai fort bien seule. »

Puis, non sans avoir salué d'un léger signe de tête l'employée elle s'était éloignée, naviguant dans cette salle qu'elle ne connaissait que trop bien. Tous les trois pas elle tombait sur des connaissances auxquelles elle prenait toujours le temps d'adresser qui un mot qui un sourire. Puis, avisant finalement son chargé d'affaires, elle lui avait souri et de sa démarche toujours si légère était venue à sa rencontre. Une main diaphane qu'elle lui tendait dans un sourire franc alors que ses lèvres rosées s'écartaient pour mieux le saluer.

« Chip ! Je te suis infiniment reconnaissante d'avoir pu me rencontrer de façon aussi précipitée. J'ai trop bien conscience que ton temps est bien plus compté que le mien. » puis, prenant place sur la chaise qui lui était présentée, elle avait attendu que son interlocuteur leur commande des apéritifs et que le serveur ne s'éloigne pour reprendre « Je suis navrée de te bousculer ainsi mais j'ai besoin de cette somme en urgence. Mon frère aîné ayant décidé que son silence avait un prix pour le moins élevé... enfin, ce n'est pas non plus comme si les membres de ma famille ne pouvaient pas se permettre pareille folie, n'est-ce pas ? » euphémisme pour celle qui, avant même que de savoir marcher ou babiller, possédait déjà un compte à six chiffres. Pouffant légèrement de rire elle avait fait tinter son verre contre celui du blond et avait demandé « Mais dis-moi ? Hormis l'affaire qui nous intéresse, comment vas-tu ? J'ai croisé ton frère au haras d'ailleurs hier. Toujours aussi charmant. »

Tu es en train de pianoter sur ton téléphone lorsque Sophia eut la décence de pointer le bout de son nez. C’est à elle que tu rends service – encore que la savoir t’être redevable est une récompense bien suffisante, dans la plupart des cas. Tu relèves la tête et lui sourit, serrant sa main. Le côté vieux jeu avec baise-mains et inclinations du buste, c’était Matthew, tu préférais la sobriété efficace des rencontres usuelles, les nouveaux codes sociaux de ceux qui détenaient le pouvoir et surtout l’argent. Tu commandes par des gestes habitués des apéritifs auprès du maître d’hôtel, aussi discret et rompu aux codes qu’un moteur bien huilé. « Toujours un p..p..plaisir, Sophia. Il n’y a jamais de m..mauvais moment p..pour toi. » Tu lui souris aimablement, le ton léger mais le regard entendu. Vous saviez tous les deux que ces ronds de jambe et ces politesses étaient nécessaires au protocole de bonne conduite mais tu t’en serais bien passé.

Quant au silence de membres de la famille, c’était une chose que tu ne comprenais guère… Encore qu’Agnès fût bien celle en qui tu n’aurais aucune confiance et si Matthew n’avait pas été entre vous deux, il était certain que tu l’aurais également fait chanter. Les commerces lucratifs étaient également ceux que la morale et la bienpensance réprouvaient et il y avait assez peu de limites que vous n’osiez pas franchir. Il fallait donc que vous soyez soudés.  « Je comprends, nous parviendrons à débloquer ces fonds rapidement, t.. tu n’es pas une p..p-petite fortune inconnue. » Aucun besoin non plus de faire les habituelles vérifications de passé et de comptes et de choix, Sophia était bien trop dépendante – encore qu’elle cherche à prouver le contraire – pour ne pas être solvable et même manipulable. « Je vais bien, m..merci. » Tu n’avais pas vraiment de raison de te plaindre, l’argent tournait, les entreprises continuaient à se développer et ce même malgré les sursauts de l’opinion publique sur le réchauffement climatique, les armes et la consommation de substances addictives.

Le maître d’hôtel s’approche et dépose devant vous les consommations avant de disparaître aussi silencieusement qu’il était arrivé. « Et toi ? Ta famille ? »

Le monde du Gotha... Celui de ces affaires et de l'argent plus encore... Les gens se demandaient souvent pourquoi les fameux billets verts, et les crypto monnaies désormais, pouvaient bien être aussi importantes ? Simplement parce que, bien trop souvent hélas, ceux qui détenaient l'argent voyaient le pouvoir leur échoir. Et, Sophia avait beau répugner à embrasser de tels idéaux, elle était la mieux placée pour comprendre que le pouvoir était la seule chose capable de mener à ce qui ne s'achetait pas : la liberté. La seule chose qui, d'ailleurs, lui importa réellement. Mais de quoi d'autre aurait-elle bien pu rêver elle qui possédait déjà tout ? Aussi était-ce contre mauvaise fortune mais le cœur déterminé à protéger le peu de liberté qu'elle eut, qu'elle consentait à se plier aux codes de son milieu. Ceux auxquels elle avait été si bien formée qu'ils lui étaient désormais aussi naturels que le fait de respirer... Pourtant, en de rares occasions comme en celles toujours trop rares où sa route venait à croiser celle de Chip, la toute jeune femme appréciait ces us policés et somme toute rassurants. Elle sourit à cette poignée de mains, si ferme et adulte, qu'il lui offrit et, sans même prêter à ce défaut d'élocution qui était celui du financier, elle attendit sagement qu'il commanda pour eux. Quand ce fut fait, elle avait levé discrètement son verre et, avant de le porter à ses lèvres rosées avait murmuré de sa voix toujours si parfaitement posée

«  Aux affaires et aux fruits que nous pourrons, toi comme moi, en retirer. » puis, cédant pour une fois à ses si rares envies de persifler elle avait pouffé de rire en ajoutant «  Qu'elles assoient nos positions et, tant qu'à faire, en fassent tomber quelques uns de ces chaises qu'ils prennent trop souvent pour des trônes ! » puis, dans un haussement d'épaules qui ne put pas intriguer celui qui connaissait l'inimitié entre la blonde et son aîné «  Et que mon cher Edward en soit la première des victimes ! »

Très vite, la discussion en vint à l'essentiel, soit à tous ces montages financiers auxquels Chip devrait en toute urgence recourir pour mieux lui complaire. Sophia s'en voulait sincèrement de lui imposer pareille chose mais, d'une part elle en avait un réel et impérieux besoin, et d'autre elle savait l'homme rompu à pratiquer son art dans l'urgence la plus totale et la pression la plus écrasante.

«  Il est en effet des fois où mon patronyme est un sésame sans égal. Mais, pour une fois, j'aimerais que tu n'en uses pas. Tu te souviens de cette société écran que tu m'avais conseillé, et de façon plus qu'avisée, de monter ? Ne pourrions-nous pas l'utiliser ? Si mes parents venaient à apprendre cela compromettrait grandement l'arrangement auquel mon frère et moi sommes parvenus. »

Picorant du bout de sa fourchette la salade de crabe qui venait de lui être portée, reposant ses couverts et essuyant du coin de sa serviette sa bouche pourtant propre elle s'était redressée sur sa chaise et haussé les épaules devant la question qui venait de lui être posée

«  Ma mère vient d'acquérir pour une somme à six zéros un ensemble de pierres brutes absolument parfaites. Et il est à prévoir que, lorsque les diamants rouges auront été taillés alors elle touchera une somme à neuf zéros ? Mon père, quant à lui, n'en finit plus de murmurer à l'oreille de notre bien immonde président. Et mon frère... » un léger froncement de nez et une gorgée de vin plus tard «  Disons qu'il est toujours égal à lui-même soit parfaitement imbuvable ? »

Lassée de ce sujet qui ne faisait jamais que la mettre dans les pires des états, elle avait préféré en revenir à cet ami, toujours si peu enclin de lui.

«  Je suis heureuse de savoir que tu te portes bien. Mais dis moi Chip, pourquoi te fais-tu donc si rare lors de nos soirées ? L'homme en qui j'ai confiance pour gérer ma fortune personnelle serait-il allergique au fait de voir ses clients en dehors des heures de travail ? »