Ton plus gros problème à l’heure actuelle ? Oh, des problèmes, il y en a des tas, ce n'est pas cela qui manque. Dois-je évoquer les moqueries de certains élèves, qui prennent un malin plaisir à se montrer particulièrement inventifs pour me casser les oreilles et chercher à me faire craquer ? Ma vie amoureuse proche du néant, uniquement peuplée de relations qu'on peut aisément classifier comme abusives ? Mon insomnie chronique ? Cela dit, mon plus gros problème est probablement cette sensation de solitude, cette impression de ne pas parvenir à trouver tout à fait ma place dans ce monde. Ce monde qui n'est pas fait pour les gens comme moi. Il y a toujours ce moment où j'agis d'une certaine façon, où je dis quelque chose qui m'attire un regard en coin, un sourire empli de malaise, qui instille chez l'autre ce désir de me fuir. Et c'est épuisant.

Une addiction à déclarer ? (Le café et les réseaux sociaux comptent aussi bien entendu on est là pour être honnêtes). Le café, définitivement. C'est ce qui m'aide à combattre l'insomnie. Je trouve cela particulièrement répugnant et c'est une agression certaine pour mes papilles gustatives hypersensibles, mais c'est là le but : être si dégoûté que je ne peux tout simplement pas m'endormir ou rêvasser. Du coup, je dois bien boire... trois mugs par jour, approximativement ? Parfois plus ? Je suis aussi accro à mes livres et à mon portable. Je ne pourrais pas imaginer un jour se dérouler sans lire ou consulter mon téléphone. Impossible. Le téléphone me sauve généralement la vie. Musique dans les oreilles, je peux noyer le reste du monde et supporter les aléas obligatoires de la vie, comme les transports en commun ou l'agitation en général de la rue, de la ville.

Comment s’est terminé ta dernière relation ? Mal. Je veux dire, pas aussi "mal" que les autres relations que j'ai connu. Au moins, je n'en suis pas ressorti avec des bleus ou de nouveaux traumatismes à gérer avec mon thérapeute. C'était juste... humiliant. Je l'ai rencontrée dans l'une des librairies que je fréquente régulièrement. Elle avait l'air sympathique et elle s'intéressait à un de mes livres préférés, ce qui m'a aidé à l'aborder. Nous avons convenu d'un rendez-vous et, le jour venu, j'ai mentionné mon diagnostic, pour mettre directement les choses au point. Dire qu'elle était mal à l'aise est un euphémisme. Elle a trouvé le premier prétexte pour mettre fin à notre date et est partie sans demander son reste. J'essaie de me convaincre que c'est pour le mieux, mais... ça fait mal. Ca fait tellement mal qu'elle ne m'ait pas donné la moindre chance à cause de mon handicap. C'est... C'est frustrant. Terriblement frustrant.

Le dernier texto que tu as envoyé ? Hmm... Je crois que c'était par rapport au club de lecture, pour confirmer ma présence à notre prochaine réunion ? Je ne suis pas très à l'aise avec les sms ou les fonctions de communication du téléphone en général. Téléphoner à quelqu'un consume la majorité de mon énergie et j'ai tendance à mal comprendre ce que l'on m'envoie et à mal m'exprimer lorsqu'il s'agit des sms. Je préfère m'en tenir à des messages courts et pratiques, sans risque.

Ta relation avec tes parents on en parle cinq minutes ?  Il faudrait plus de cinq minutes pour parler de ma relation avec mes parents. Je veux dire... Je paie mon thérapeute depuis des années et je fais partie d'un groupe de soutien pour parler d'eux, c'est dire. Mon père... Mon père est mon croque-mitaine personnel, je dois l'avouer. Si je le croisais encore à ce jour, je crois que je serais terrifié. Liquéfié. Il est l'homme que je ne veux devenir pour rien au monde, le monstre qui hante mes cauchemars, un reflet que le miroir me renvoie parce que nous nous ressemblons physiquement et je refuse que les similitudes aillent plus loin que cela. Je ne sais pas ce qu'il est devenu. Peut-être est-il encore en prison, peut-être pas. Je ne veux pas le savoir. Je déteste être violent, mais je n'ai aucun regret de l'avoir frappé à la gorge, ce jour où il a tenté de m'empêcher d'appeler les secours pour sauver ma mère de sa tentative de suicide.
Et Maman... C'est délicat. Je l'aime et je lui en veux. C'est compliqué. Elle trouvait toujours une excuse pour rester avec lui, repoussait les conditions qu'elle avait placées pour le quitter. Il l'a frappé, elle est restée. Il m'a frappé, elle est restée. Encore et encore. Mais je ne peux pas la blâmer. J'ai eu mes propres relations abusives. Je sais à quel point elles peuvent vous étouffer, vous illusionner. Je me suis convaincu trop de fois que c'était pour mon bien, que je le méritais, que je ne pouvais pas vivre sans eux... Maman est restée dans le coma après sa tentative de suicide. Mon tuteur et moi avons dû prendre la décision de la débrancher, il y a cinq ans, après toutes ces années à végéter sans manifester le moindre signe de conscience, de vie. Ce fut... difficile. Mais libérateur, quelque part.
Mon tuteur est mon sauveur. C'est un cousin de maman. Il m'a adopté quand les services sociaux m'ont retiré à mon père. Il a pris soin de moi depuis. Il continue à être là pour moi aujourd'hui. Il a parfois du mal à me considérer comme un adulte indépendant, mais il fait des efforts. Je ne peux pas lui en vouloir. Il s'est fait trop de sang d'encre à mon sujet depuis des années, ça laisse forcément des traces.

En dehors du boulot, des études, tu fais quoi ? Hmm... Je lis. Beaucoup. Je lis et je relis. Je trouve cela dommage de fermer un livre pour ne plus jamais le rouvrir. Il y a toujours quelque chose à découvrir derrière les mots, les lignes, des détails qui nous ont échappés à la première lecture. J'ai probablement dû lire Harry Potter des dizaines de fois, je peux réciter certains passages au mot près.
Je regarde beaucoup de films et de séries. Probablement parce que j'ai été élevé par la vieille télévision de mes parents. J'ai l'impression qu'il s'agit d'une fenêtre sur le monde, une manière pour moi de comprendre les autres, même si tout est un peu exagéré.
Il m'arrive de sortir, de temps en temps. En bar. En boîte de nuit. C'est épuisant, d'autant plus que je ne touche pas à l'alcool, ce qui fait généralement de moi un des seuls êtres sobres à fréquenter ces lieux. Aussi bruyants et drainants soient-ils, ces lieux sont des lieux de socialisation, qui permettent de faire des rencontres. Comme la gentille barista, Irène. Parfois des conquêtes. Des amis d'un soir. Rien de très durable, malheureusement.
Je fais du sport, aussi. Rien de très sérieux. Je fais mon jogging tous les jours et un peu de musculation également. De quoi me maintenir en forme. Canaliser mon énergie.

Un fait peu glorieux à nous raconter ? Hmm... Quand j'étais au lycée, j'ai reçu une lettre d'amour, déposée dans mon casier. De la part d'une cheerleader, Naomi. Je ne la connaissais que de loin, mais elle avait l'air sympathique. Je ne savais pas vraiment si je l'aimais ou pas, mais j'étais seul et j'avais envie de me faire des amis. Je me suis donc rendu là où j'avais rendez-vous et j'ai attendu. Attendu. Attendu. Je crois que j'ai raté mon après-midi entière de leçons ? A la sortie des cours, je l'ai vue avec ses amis. Elle me pointait du doigt et, pensant que je ne l'entendais pas, elle disait des choses du genre "L'attardé est resté là toute l'après-midi ? Quel crétin !". Je suis rentré chez moi en pleurant et je n'en ai jamais parlé à mon tuteur, malgré son insistance. J'ai fini toutefois par évoquer le sujet en thérapie. C'est là que j'ai compris que je n'étais pas en faute. Que c'était simplement cruel. Cruel et méchant.