Un soupir étouffe les larmes que Nate retient depuis le début du week-end. L'été s'achève, et dès demain, il devra reprendre la route vers Yale pour retourner étudier, travailler dur, trouver un stage. Regagner la prestigieuse université n'est pas vraiment le problème - le problème, c'est de quitter New-York, en laissant derrière lui Alejandro et Esteban. Il ne sait pas s'il a la force de se lancer dans une nouvelle année de séparation. Il n'est pas absolument persuadé qu'il est assez fort pour passer la porte de l'appartement d'Alej en se mettant dans la tête qu'ils ne sont pas ensemble, qu'ils peuvent vivre leur vie chacun de leur côté.

Il met ses affaires dans sa valise en écoutant d'une oreille attendrie et nostalgique Esteban qui chantonne en jouant dans sa chambre. Il a l'impression qu'il va dire au revoir à son propre fils, pour six mois. Il ne reviendra à priori pas avant Noël. L'année dernière, il l'a terminée sur les chapeaux de roue, en jouant avec le feux. Malgré ses bons résultats, Nate s'est laissé dévorer par son amour pour Alej, revenant trop souvent pour travailler correctement, finissant l'année épuisé. Il a mis plusieurs jours à s'en remettre, au début des vacances, à retrouver son calme et sa sérénité. Il ne peut pas se permettre la même erreur cette année, sinon il n'arrivera pas à la terminer, il le sait. Le stress de l'extérieur n'a pas sa place dans sa vie.

Quand il a enfin bouclé la valise - a l'exception de ses affaires de toilette qu'il ne prendra que demain - il abandonne la chambre et rejoint Alej dans la cuisine, las.

- Tout est prêt, il lâche, un peu amer, le coeur en miettes, peu enclin à avoir l'air heureux ou drôle ce soir.

Alejandro l'avait su tout de suite en posant son regard sur Nathaniel Gardner : une relation avec cet homme là ne serait pas simple. Il avait tenté dans un premier temps de ne pas le regarder avec ses yeux là, d'énumérer toutes les bonnes raisons de ne pas lui parler ou de chercher sa compagnie, mais force avait été d'admettre que tous ses efforts avaient été bien vains en ce qui concerne le fils Gardner. Attiré vers celui-ci comme un aimant à la paroi d'un frigidaire, il avait alors plongé la tête la première dans cette relation qu'il peine aujourd'hui à terminer, même si ce serait bien plus raisonnable.

Alejandro le sait, le timing n'a jamais été un allié du couple. Nate continue de revenir, de repartir. Ils se promettent de se laisser de l'espace puis se retrouvent inlassablement comme des adolescents qui se ficheraient des conséquences de leurs actes. La situation, Alejandro l'a retournée des tonnes de fois dans sa tête. La conversation ? Lui et Nate l'ont eu au moins tout autant de fois. Passer de la théorie à la pratique pose plus de problème cela. A chaque fin de vacances scolaires, ils font la même erreur, encore et encore. Alejandro s'en veut souvent d'être aussi stupide et faible. Tout cela ne lui ressemble pas et pourtant...
Lorsqu'il voit apparaître son amour de lycée, Alejandro le regarde avec la même tendresse teintée de tristesse qui revient chaque été. Alors il s'empare ses lèvres et passe ses bras autour de son cou.

- Tout est prêt, sauf moi. Je ne suis pas prêt du tout.

Ils sont mauvais pour les au revoirs, bien meilleurs pour les retrouvailles passionnées. C'est d'autant plus triste qu'Alejandro le sait, Nathaniel est l'homme de sa vie et il y a peu d'espoir pour que cela change dans les mois à venir. Peut-être que l'on veut toujours ce qu'on ne peut pas avoir, mais Alejandro n'a jamais désiré être avec une personne autant qu'il veut l'être avec lui. Il aimerait que les choses soient différentes, car s'il est sûr d'une chose, c'est qu'il ne tiendront pas cinq ans comme ça sans tout foutre en l'air. Ils peuvent s'aimer tant qu'ils le veulent beaucoup de choses changent en cinq ans. Et s'il est sans doute temps d'arrêter les frais, ça ne rend pas les choses plus faciles pour autant.

Le coeur de Nate est un peu serré. Il voudrait pouvoir rester ici, abandonner un temps la prestigieuse université de Yale pour rester dans les bras d'Alej. Mais c'est un choix qu'il regretterait, sinon rapidement, au moins dans quelques années, et qui finirait par les déchirer, il a assez de recul pour le savoir. Il faut qu'il reparte, même si le départ est compliqué, même si la relation à distance est cauchemardesque et qu'il ne peut pas faire grand chose pour consoler les yeux tristes d'Alej ou les colères d'Este.

- Tu es fort, même si c'est difficile, tu vas survivre. Je serai de retour bien assez tôt, tu verras... Pour Thanksgiving et Halloween.

Il lui offre un sourire encourageant, lui-même a le coeur au bord des lèvres et la vague envie de disparaître, que cette soirée douloureuse soit déjà derrière lui. Le travail qui l'attend, couplé au stress et au manque, tout ça le fatigue d'avance. S'accrocher au prochain rendez-vous volé de quelques jours aux vacances d'automne n'aide pas vraiment, mais il tente de faire croire le contraire, et embrasse les lèvres d'Alej.

- On devrait penser à autre chose, ce soir.

Alejandro écoute les paroles de Nate, mais tout cela l'épuise moralement depuis bien des années. Il ignore ce qu'il adviendra de cette relation, mais il sait d'avance que le pari qu'elle représente ne sera pas facile à remporter. Et pourtant, rien ne semble changer vraiment avec le temps qui passe. Il est toujours accroché au bras de ce petit brun qu'il a croisé dans les couloirs de son école, plongé dans son regard azuréen comme s'il cherchait des réponses à des questions trop complexes. Leur relation n'a pas vraiment de sens, on le leur rappelle sans arrêt, mais Alejandro Paredes et Nathaniel Gardner sont inséparables visiblement.

- Qu'est-ce que ça veut dire pour nous tout ça ?

Este ne l'entendra très certainement pas de cette oreille. Il s'est accroché à Nate comme son père n'a pas su s'en défaire. Les enfants oublient vite c'est vrai, mais Alejandro et Nate ne sont pas capable de trancher pour une rupture définitive. Ils ont déjà essayé, mais aux moindres vacances, week-ends prolongés, les deux se retrouvent inlassablement, incapable de tourner la page comme ils le devraient sans doute.

- Qu'est-ce que tu veux faire ? Les câlins sur le canapé sont indémodables, un peu comme les conversations existentielles.

Nate ne sait pas quoi répondre à cette question laissée en suspens. C'est difficile de prendre une décision, parce qu'il sait de toute façon qu'à chaque fois qu'il reviendra ici, il se présentera inlassablement sur le pas de la porte d'Alej pour venir quémander de la tendresse et de l'affection, ses bras chauds et ses baisers passionnés.

- Je ne sais pas. Quelles sont les options, dis ?

Il soupire un peu et caresse la joue d'Alej avec tendresse.

- On peut toujours prétendre qu'on réussirait à se séparer mais je doute de mes capacités à ce sujet...

Il embrasse ses lèvres et caresse son bras.

- Le canapé, le plaid, Netflix et un peu d'alcool ? il murmure en penchant un peu la tête.

Alejandro hausse une épaule. Il n'a aucune idée des options qui s'offrent à eux. Les plus réalistes sont celles qu'ils n'étudieront pas, parce qu'elles impliquent une séparation, et que leur maturité aussi incroyable soit-elle pour des jeunes adultes de leur âge, ne va pas jusque là. Nate le souligne d'ailleurs assez bien, avant que le mexicain ne se hausse à sa hauteur pour lui voler un baiser.

- Je continuerai de t'envoyer des lettres ridicules toutes les semaines, et tu continuera de venir même si tu ferais mieux de réviser. Mais on peut prétendre que non pour le côté dramatique.

Les deux sont bien mauvais lorsqu'il s'agit de se tenir l'un à l'écart de l'autre. Sacrifier leur sommeil, il l'ont fait plus d'une fois pour passer plus de temps ensemble. Et si aujourd'hui les cernes s'accumulent et leur donne envie de considérer d'autres options, ils sont attirés l'un par l'autre comme deux aimants.

- Sounds like a plan en tout cas.

Les pleurs d'Este se sont tus, le gamin lui mènera la vie dure le lendemain lorsqu'il s'apercevra du départ de Nate. Parfois il se demande s'il ne devrait pas tout simplement abandonner son études. Sa famille le tuerait, mais les choix de vie qu'il a fait lui semble profondément incompatibles avec les longues études qui l'attendent.

Nate lui offre un sourire un peu triste, un peu amusé. La vie est assez ironique, finalement, d'avoir mis Alej sur son chemin. Il n'arrive plus à s'écarter du jeune mexicain, et si le fait qu'il ait un enfant aussi jeune aurait pu l'effrayer, c'est l'inverse qui s'est produit. Nate s'est naturellement attaché à Esteban comme s'ils avaient eu cet enfant ensemble, comme un couple d'adolescents qui auraient oublié de se protéger. Esteban n'est pas son fils, mais dans son coeur, c'est tout comme.

- S'il y a bien une chose à laquelle je suis mauvais, c'est être séparé de toi.

Il soupire un peu et attrape la main d'Alej avec laquelle il joue un peu, caressant sa peau tendrement.

- Un jour, on reparlera de toutes ces années de séparation et on en sourira. On sera ensemble pour de bon, dans un bel appartement, toi prof et moi avocat, avec des enfants, une jolie vie, et on se dira qu'on a bien fait de se battre contre le destin.

Il a envie d'y croire, même si ces mots sont difficiles à accréditer, ce soir. Il a envie d'être optimiste et de se projeter.

- Go for the plan. Je t'aime, Alej.

Il embrasse sa main et la lâche pour aller chercher une bouteille de vin dans le frigo.

Alejandro n'a jamais été doué pour exprimer ses sentiments. Aussi on pourrait trouver cela très étrange qu'il soit tombé fou amoureux d'un garçon qui n'a visiblement aucun problème avec ça. Pourtant, le mexicain, aussi bougon soit-il, se laisse facilement adoucir par la nature entière et passionnée de celui qu'il épousera des années plus tard. Comme toujours, il lui adresse alors un sourire tendre et s'empare de ses lèvres en guise de réponse.

C'est sa manière à lui de lui dire je t'aime, même s'il lui arrive d'avoir des moments de grâce et de mettre des mots sur ce qu'il ressent. La plupart du temps, Alejandro s'essaye surtout à l'exercice par écrit en rédigeant de jolies lettres qu'il envoie à Yale pour que Nate ne l'oublie pas, entouré de ces futurs avocats qui formeront l'élite juridique New Yorkaise de demain.

- C'est une belle perspective d'avenir, c'est vrai. Sauf pour ta mère peut-être.

Alej capture de nouveau ses lèvres et attrape sa main pour l'inciter à rejoindre leur canapé. Sa tête sur l'épaule de Nathaniel, il évite de penser à la séparation du lendemain, même si les valises se veulent menaçantes dans l'entrée.

Il est vrai qu'Addison est très réfractaire à la relation entretenue par son fils avec Alejandro, qui en plus d'être un homme, a également le malheur d'être mexicain. Addison ne supporte pas l'idée que son fils adoré puisse fréquenter un homme sans papier qui a déjà un enfant, et le sujet a déjà été l'occasion de nombreuses disputes entre le fils et sa mère. Nate, que la situation fait évidemment souffrir, fait néanmoins un remarquable travail sur lui-même pour se détacher des opinions parentales, et peu à peu, accorde moins d'importance aux remarques acerbes et aux coups d'oeil désapprobateurs de ses parents. Les Gardner ne parviendront pas à empêcher leur fils d'aimer Alejandro Paredes ; et Nate est presque certain qu'Addison finira par se faire à l'idée malgré elle.

- Peu importe, elle finira par se faire à l'idée. Tu verras qu'un jour, elle traitera Esteban comme son petit-fils...

Nate se mord la lèvre quand la phrase s'achève. Ils n'ont jamais vraiment parler du rôle qu'il avait vocation à prendre dans la vie d'Esteban, aussi parler d'Addison comme de sa grand-mère semble-t-il légèrement présomptueux.

- Enfin, tu vois.

La phrase de Nate n'est pas innocente, et Alejandro se surprend à le fixer un instant, comme s'il  s'étonnait réellement du sous entendu derrière les mots prononcés un peu trop innocemment. Puis il sourit, avec une tendresse qui n'est réservée qu'à ce garçon qui fait vibrer son cœur un peu trop dur depuis déjà quelques années. Sa main caressant doucement la sienne, Alejandro embrasse sa joue avec une affection qui ne trahit que trop bien les projets d'avenir qu'il ne peut pas s'empêcher d'imaginer réaliser au côtés de Nate, son amour de lycée.

- Comme toi tu le considères comme ton fils ?

Il lui adresse un sourire encourageant. L'idée n'est pas de souligner qu'il va un peu vite en besogne. En réalité, Alejandro est surtout touché que Nathaniel se soit investi à ce point dans l'éducation de son fils. Ils n'en ont jamais parlé c'est vrai, mais de plus en plus, ceux-ci se comportent comme une famille, un couple de jeunes parents qui auraient pris la décision d'adopter ensemble, même si ce n'est pas le cas.

- Je vois oui, et ça me touche énormément tu sais ?

Nate voudrait ravaler ses propres mots, les étouffer dans le silence. Il n'a pas envie qu'Alej pense qu'il veut prendre trop de place délibérément, sans demander la permission. Il sait bien qu'Esteban est le fils d'Alej, et que lui, il n'est que le petit-ami dont il peut profiter occasionnellement. Il n'a pas envie de s'imposer dans la vie d'Este parce qu'il sait qu'il n'est pas stable. Il ne peut pas être là tous les soirs, ne peut pas aider le petit garçon à s'endormir, ou à arrêter de pleurer quand il est triste ou qu'il a fait un cauchemar ; alors loin de lui l'idée de se revendiquer le père de qui que ce soit. Simplement, force est de constater que son coeur se fait à l'idée qu'il a envers ce petit garçon une responsabilité qu'il a du mal à ignorer. Et force est de constater aussi que Nate s'imagine en père d'Este dans le futur.

- J'imagine, oui.

Il prend une inspiration et caresse tendrement la main d'Alej.

- Mais ce n'est pas pour prendre trop de place. Je sais que je ne suis pas un repère suffisamment stable ou satisfaisant, en ce moment. Je n'ai pas la prétention de m'imposer.

Il embrasse le coin des lèvres d'Alej, et glisse une main dans ses cheveux tendrement.

- Mais j'espère qu'un jour c'est ce que je serai pour lui.

Nate voudrait prendre trop de place qu'il n'y arriverait pas. Le problème d'Alejandro à l'heure actuelle, c'est même plutôt qu'il n'en prend pas assez à son goût. Le couple se fréquente depuis des années, et c'est très frustrant pour le mexicain de ne pas pouvoir vivre avec Nate, avec qui tout se passe pourtant admirablement bien. Les vacances d'été le lui prouvent à chaque fois, leur vie de couple serait plutôt simple et ordonnée. Ils sont sur la même longueur d'onde pour pas mal de choses, et envisagent le futur de la même manière. Leur problème, et cela a l'air d'un problème récurrent chez ces deux là, c'est surtout le timing.

- Parce que c'est vrai que ta présence est un fardeau extrême pour moi. Je pense que t'imposer n'est pas un gros problème. Si les choses n'étaient pas si compliquées pour les homosexuels on aurait sans doute pris la décision de se marier il y a bien longtemps. Mais il y a ça d'une part, et Yale qui n'accepte pas les immigrants sans argent.

Alej soupire, c'est la première fois qu'ils abordent ces sujets si ouvertement. Il n'y a pas grand chose à redire là dessus qui plus est. Ils savent tous deux ce qu'ils veulent. L'obtenir n'est juste pas aussi simple. Alors leurs lèvres se croisent et Alejandro caresse la joue de son futur mari avec tendresse.

- L'idée d'élever Esteban avec toi ne me déplaît pas tu sais ? Seulement j'ai pris cette décision seul et je ne veux pas te l'imposer non plus. Il est ma responsabilité et même si c'est compliqué, je me débrouille. Avec ton aide, complètement bénévole, mais appréciée.

Nate caresse distraitement le bras d'Alej, sans trop savoir que dire. Leur situation est compliquée, si ce n'est cauchemardesque, c'est vrai. Et il ne voit pas vraiment ce qu'il pourrait faire pour y remédier désormais. Il faut bien qu'il finisse ses études, parce que devenir avocat est son rêve, et qu'il ne sera pas d'un grand soutien à la famille qu'il envisage de fonder - et de poursuivre - avec Alej s'il n'a pas d'emploi ni de revenus. Alors il se résigne, mais il sait aussi que sa responsabilité peut résider en partie dans le fait de ne pas prendre trop place, précisément pour préserver Esteban qui est un enfant et qui souffre de le voir partir.

- Tu fais un travail formidable. Il a de la chance d'avoir croisé ton chemin, tu le sais j'espère ? Son sort aurait pu être tellement différent si tu ne l'avais pas sauvé...

Nate en est presque ému ; il parle à voix basse, et ses yeux s'embuent légèrement.

- Je t'aime, et je l'aime aussi. Et c'est idéaliste, sans doute, mais j'ai envie de croire uqe notre histoire peut fonctionner, et qu'elle va fonctionner. C'est horriblement difficile, j'ai l'impression qu'on m'arrache le coeur à chaque fois que je m'en vais, mais un jour on sera ici ensemble pour de bon.

Il soupire un peu, se donne l'impression d'être un peu fou, sans doute, mais il ne peut pas s'empêcher d'être optimiste.

Alej caresse doucement l'épaule de son partenaire tandis qu'il l'écoute parler sans l'interrompre. Le mexicain apprécie la prévenance de Nate, même s'il peut tout à fait comprendre qu'il se sente comme un père pour Esteban et qu'il soit difficile pour lui d'envisager les choses autrement. Ils n'en ont jamais parlé c'est vrai, mais Alejandro l'a sans doute encouragé dans ce sens plus d'une fois sans seulement sans rendre compte. En réalité, Alejandro imagine leur avenir d'une seule et unique manière. Tout comme Nate, et ce malgré les difficultés, il ne voit pas comment ils pourraient continuer leur chemin l'un sans l'autre. Si finir leurs études s'avérait compliqué, Alejandro le retrouverait forcément à un moment où à un autre. Il aime le croire en tout cas.

- Il n'est pas forcément sorti d'affaire avec moi. Mais je ferai le maximum. Si tu étais son père il aurait bien plus de chance.

Même si Alejandro l'a sauvé, il sait qu'il ne peut pas lui offrir autant qu'il le voudrait. Il peut prendre soin de lui, s'épuiser au travail pour lui offrir la vie qu'il mérite, il ne peut pas lui offrir la nationalité américaine pour autant, et force est d'admettre que c'est une formalité dont son fils aura besoin pour ne pas devoir faire face aux mêmes difficultés que son père. Nate pourrait les aider, mais Alejandro ne se permettrait jamais de lui demander une telle chose.

- Je ne sais pas comment on va survivre à cette année. Mais si on y parvenait pas, on peut se promettre une chose, c'est de ressayer une fois les études terminées. J'ai plein de défauts, mais je sais ce que je veux Nate et c'est pas si facile de me détourner de ça.

Nate a réfléchi de nombreuses fois à la question ; ses études de droit lui ont permis de retourner le problème sous tous ses angles. Il ne sait pas s'il est en droit d'offrir à Alej la solution qui serait la plus viable sans avoir l'air de vouloir le déposséder de ses droits ou, pire, les lier pour la vie alors que le mexicain serait légitime à voir les choses autrement. Il prend une légère inspiration, et attrape la main d'Alej pour en caresser le dessus avec tendresse.

- Ca pourrait être le cas. Ce n'est pas quelque chose que tu dois décider rapidement, il faut que tu réfléchisses aux conséquences, mais je pourrais adopter Esteban, ça rendrait certaines choses plus faciles. Je ne veux pas te forcer la main cela dit, et je comprendrais totalement si tu disais non. C'est ton fils, et ta position est insupportable.

Il embrasse la main qu'il caresse et soupire légèrement.

- On peut se le promettre, oui. En espérant juste que personne ne t'ait volé à moi d'ici là.

Il s'offre un sourire presque nostalgique et soupire un peu - il a tellement peur qu'on lui vole Alej. Il doit y avoir plein d'autres gens, dehors, qui connaissent ses envies, ses habitudes, qui parlent sa langue, partagent son quotidien, pendant que lui est exilé à deux heures de route d'ici. Dans l'esprit de Nate, ce n'est qu'une question de temps avant qu'Alej ne revienne à la raison et le quitte, une bonne fois pour toute.

Alejandro sait en toute objectivité ce qui serait le mieux pour son fils. Et le mieux pour Esteban à l'heure actuelle, ce serait probablement qu'il officialise les choses de ce côté là avec Nathaniel. Que son compagnon l'adopte, même si cela veut dire qu'une autre personne aurait des droits sur son enfant auxquels lui-même ne peut pas prétendre. C'est là toute la complexité de son statut d'immigrant qui ne lui donne droit à rien, si ce n'est d’enchaîner des contrats scandaleux qui le payent en dessous de ce qu'il devrait recevoir. Nate est la meilleure chose qui soit jamais arrivée à leur famille et le mexicain en est tout à fait conscient. Cela ne veut pas dire pour autant que tout cela est facile pour lui qui se crève au travail pour ce fils qui n'est pas vraiment le sien légalement. Il aimerait avoir des droits lui aussi.

- Il pourrait bénéficier de la nationalité américaine et ce serait évidemment bien plus facile pour lui de grandir ici. Ça le protégerait, et je sais que tu ne l'abandonnerais pas, même si moi on me raccompagnait gentiment à la frontière pour un motif ou un autre.

Alejandro parle comme s'il essayait de se convaincre lui-même qu'il s'agissait d'une bonne idée. Mais si c'est encore difficile pour lui d'envisager que Nate puisse être le père d'Esteban sans qu'il ne le soit, il le sait déjà, c'est la meilleure option pour Esteban. Pour lui aussi sans doute. Ce n'est pas comme si Nate était ce genre de personne en qui on ne peut pas avoir une entière confiance pour ces choses là. Ils s'aiment depuis si longtemps, qu'Alejandro devrait pouvoir lui faire entièrement confiance. La peur de l'abandon n'est malheureusement pas quelque chose qu'il a réussi à mettre derrière lui cela dit.

- Je vais y réfléchir, mais si tu es prêt à t'investir dans cette relation avec Este alors ce serait stupide de ne pas le protéger. Ce que moi je ne peux pas faire en situation irrégulière on ne va pas se mentir. Mais toi, tu pourrais.

Les mots lui font du mal, mais si le sujet est sensible, il est important de l'aborder avec Nate. Alejandro sait qu'il doit mettre son égo et ses sentiments de côté pour prendre la meilleure décision possible pour Este. Ce n'est pas vraiment à propos de lui, mais plutôt à propos de son fils. Et puis, il faut qu'il apprenne à faire confiance, malgré les traumatismes et la peur de finir comme son père. Nate ne lui a jamais donné une seule raison de douter de lui. Jamais.

Alors Alejandro ferme les yeux. Les baisers de son amant lui offrent un répit presque salutaire. Les pensées qui s'accumulent dans sa tête sont nombreuses et rarement agréables. Leur situation est si compliquée qu'il devient urgent de trouver une solution viable à long terme. Lorsque Nate, lui dit qu'il espère simplement que personne ne l'arrachera à lui en attendant, Alejandro ne peut d'ailleurs pas refréner un rire ironique. Il est à mille lieues de s'imaginer que les choses puisse se dérouler dans ce sens là en réalité.

- Je ne suis pas certain que tu aies grand chose à craindre. Qui voudrait d'un immigrant mexicain papa d'un petit garçon de trois ans qui passe son temps à s'épuiser au travail ? Je n'ai pas vraiment le temps de rencontrer qui se soit. Les chances pour que l'inverse se produise sont plus élevées en toute objectivité. Déjà au lycée, tout le monde voulait sortir avec Nathaniel Gardner.

La question est aussi délicate que la situation est injuste, Nate le sait, et la conversation fait battre son coeur un peu plus vite dans sa cage thoracique. Son côté idéaliste, l'homme en lui qui veut croire, coûte que coûte, que tout ira bien, qu'ils s'en sortiront et que la vie leur offrira ce qu'ils veulent, cet homme là a envie de réconforter Alej en lui disant qu'un jour, rapidement, il aura lui aussi les droits sur son fils, et que dans ce proche avenir l'adoption d'Esteban par Nate ne rimera à rien. Il a aussi envie de lui dire que si jamais quoi que ce soit lui arrivait, qu'il doive être reconduit à la frontière par la police injuste de ce pays qu'ils habitent, il le suivrait. Mais Nate sait, de par ses études, son expérience, et ce pragmatisme qu'il déguise parfois sous une couche de romantisme, que la situation est bien plus complexe que ça, et qu'ils n'ont aucune maîtrise sur ces sujets là.

- Je ne veux pas te forcer la main. Le fait que ce soit une décision logique sur le plan juridique ne veut pas dire qu'elle l'est sur le plan moral ou psychologique. Le but n'est pas que tu souffres, et que tu te sentes dépossédé de tes droits. C'est toi son père, toi qui l'a recueilli, toi qui va pouvoir lui transmettre la culture qui est la sienne. C'est toi qui travaille pour l'élever tous les jours, qui te fatigue pour être sûr qu'il ne manque de rien, et je ne veux pas avoir l'air de débarquer comme ça pour récolter les fruits de l'enfer que tu traverses tous les jours pour qu'Esteban soit heureux et stable. C'est juste une formalité juridique pour être sûr qu'il ne lui arrivera rien qui viendrait ruiner tes efforts.

Il caresse la main d'Alej avec une tendresse non feinte et non contenue.

- Je te promets que je ne ferais jamais rien pour t'arracher ton fils, si jamais on décidait de suivre cette voie. C'est une décision que tu dois réfléchir de ton côté, qui ne presse pas. On a du temps pour y penser, surtout toi. Mais quand tu auras pris ta décision, quelle qu'elle soit, sache que je suis prête à l'entendre, et si tu choisis d'aller au bout de cette démarche, avec moi, sache que je suis prêt, et que je m'engage à ne jamais rien faire qui pourrait te faire souffrir.

Nate le regarde dans les yeux, parce que ce sont des paroles qu'il pense au plus profond de son coeur. Ils s'aiment trop, tous les deux, pour ne pas se séparer en bonne intelligence si ça devait arriver, et pour imaginer une seule seconde que tous leurs liens viendraient à être définitivement rompus. Et surtout, Nate l'aime trop pour imaginer qu'il aurait un jour envie d'utiliser son fils pour le faire souffrir. Ce n'est pas son genre, d'abord, et il respecte bien trop Alej pour faire une chose pareille.

- Rassure-toi, je ne suis pas intéressé par mes comparses de Yale. D'abord parce que j'ai trop de travail, et ensuite, parce que mon cerveau refuse de penser à quoi que ce soit d'autre qu'à toi.

Alejandro hoche la tête, le discours de Nate le touche, et il ne peut que se montrer reconnaissant d'avoir pour partenaire un homme si droit et loyal. C'est la chance qu'il a eu dans tout ce drame qui a marqué sa vie jusqu'à présent. Il est chanceux et le sait, même s'il peine parfois à témoigner sa gratitude à ceux qui comptent. Le futur avocat ne fera jamais rien pour lui faire du tort, et l'entendre le dire le rassure, même si c'est quelque chose qu'il sait déjà au fond de son cœur. Faire confiance est une épreuve de chaque jour pour Alejandro, trop habitué aux abandons et aux déchirures. Avec son travail, il côtoie des familles brisées, séparées, c'est d'ailleurs pour cela qu'il n'a pas pu se résoudre à abandonner Esteban à la charge des services sociaux. Il n'avait peut-être pas grand chose à lui offrir, mais il sait qu'il a fait et continue de faire le maximum pour cet enfant.

- Le truc c'est que je n'ai pas forcément envie que tu le vois comme une formalité juridique ? Si tu dois l'adopter alors j'espère que ce sera plus que ça pour toi. Que tu prendras la place qui sera la tienne dans sa vie.

Alejandro sait dans le fond que c'est bien plus que ça pour Nate, mais il a besoin de l'entendre de sa bouche, de parler de ses désirs de paternité à lui qui sont tout aussi valides que ceux d'Alejandro. Le problème avec Nate et Alejandro, c'est surtout qu'ils ne veulent pas s'imposer l'un à l'autre. Pour autant, s'ils doivent continuer ensemble, il faudra qu'ils partagent leurs difficultés et assument les choix de l'autre.

A la fin du discours de son futur mari, Alejandro se sent touché. Et si les mots ne lui viennent pas facilement, il exprime sa gratitude autrement, son amour à travers un baiser qui exprime tellement plus que tout ce qu'il aurait pu lui dire. Et tout près de son oreille, ses bras autour des siens, il murmure quelques mots qu'il ne dit pas souvent.

- Merci, pour tout ce que tu fais pour moi, pour Este.

Nate caresse doucement la nuque d'Alej, peinant à croire que, dès le lendemain matin, il va devoir quitter cet appartement pour retourner dans sa solitude à Yale. Ca lui arrache le coeur, d'y penser. Il voudrait pouvoir rester ici, avec eux, étudier à distance, il serait capable de redoubler d'efforts si on lui donner la chance de pouvoir le faire. Mais Yale n'est pas de ces universités où l'on étudie à distance. Il faut être là, saisir les opportunités, assister au cours, se montrer aux professeurs - sinon, ça n'a aucun intérêt de faire une université de la Ivy League. C'est une logique qui le dépasse mais qu'il a cessé d'essayer de comprendre.

- Ce n'est pas pour les formalités, ce n'est pas ça que je voulais dire. Ce que je voulais dire, c'est que j'aime Esteban comme s'il était mon fils, et que ça serait logique pour moi de le faire pour l'aider si tu en es d'accord, mais que le fait que je l'adopte ne signifie pas pour autant que j'aurais plus de droits que toi dans mon esprit. Parce que dans mon esprit, l'important, c'est l'amour que tu lui portes et tout ce que tu as fait pour lui.

Il embrasse le coin des lèvres d'Alej, pas persuadé que cette conversation très profonde soit la meilleure façon de passer leur dernière soirée ensemble - d'autant qu'ils savent tous les deux qu'ils vont inlassablement se torturer l'esprit avec ça une fois qu'ils ne seront plus ensemble.

- Ne me remercie pas. Tout ce que je fais, ça ne me coûte rien, c'est juste parce que je vous aime.

Alejandro sourit et embrasse doucement les lèvres de Nate. Il n'en faut pas plus pour le rassurer en réalité. Il n'est pas certain d'être prêt à se lancer dans ces démarches pour autant, et il lui faudra sans doute du temps pour prendre la décision, mais sur le fond il est d'accord avec le raisonnement de Nate. De manière générale, Alejandro n'est de toute façon pas homme à laisser ses émotions se mettre en travers d'une décision rationnelle. Et une chose est sûre, Nate et lui veulent le meilleur pour Esteban. Même dans le pire des cas, deux pères séparés et une nationalité américaine valent bien mieux qu'un statut d'immigrant qui colle à la peau. Il en sait quelque chose.

- Okay

Le mexicain se blottit contre l'américain et caresse doucement son bras.

- Ne nous abandonne pas alors. Même si tu dois partir demain. Écris moi, deux fois par semaine.

Il y reviennent toujours. L'angoisse du départ qui vient solder des vacances d'été parfaites malgré les heures de travail. D'ici quelques années, les téléphones mobiles se démocratiseront, mais pour l'instant, ils ne peuvent pas vraiment compter sur la technologie.

Nate entoure Alej de ses bras, et embrasse sa nuque avec tendresse. Il ne sait pas à quoi tout ça va les mener, s'ils s'en sortiront. La plupart de ses proches lui disent qu'il finira par passer à autre chose, par aimer moins. Que ce n'est qu'une amourette d'adolescents. Mais lui, il se sent adulte, il se sent inlassablement attaché. Accroché. Il soupire un peu, son souffle dans le creux de la nuque d'Alej, et caresse son bras avec tendresse.

- Il n'est pas question que je vous abandonne, Alej, il murmure dans un sourire. Je t'écrirai, c'est promis.

Il acquiesce lentement et ferme les yeux quelques secondes. Les émotions l'envahissent déjà à l'idée qu'il faudra partir demain, que l'échéance est inévitable. Il pourrait presque pleurer, s'il n'était pas un peu pudique, surtout face au mexicain qui semble bien plus fort.

- Dans quelques années, tout ça aura valu la peine.

Il glisse une main sur la peau du mexicain, à travers les boutons ouverts de sa chemise, et l'attire contre lui pour embrasser ses lèvres, essayant d'oublier tout le reste dans un baiser teinté d'espoir et de désespoir, aussi. Contradiction douloureuse.

Alejandro a été un peu autoritaire en lui ordonnant de lui écrire, c'est vrai, mais le baiser qu'il dépose au coin de ses lèvres apporte un peu de douceur aux paroles abruptes du mexicain. Tout serait plus simple, s'il arrivait à exprimer ses émotions comme le fait Nate. Un jour peut-être, avec beaucoup d'entraînement et d'amour. En attendant, Alejandro use d'autres méthodes pour témoigner son affection. Méthodes qui ne déplaisent pas à Nate la plupart du temps.

- Je t'écrirai aussi

De longues pages calligraphiées avec quelques mots en espagnol disséminés dans les pages. Alejandro est plus à l'aise lorsqu'il s'agit de faire couler l'encre sur le papier. Il s'autorise ainsi à écrire ce qu'il n'est pas capable de dire. Et des choses à dire à Nathaniel, il en a des tas. Il aimerait lui donner plus, s'inquiète de ne pas l'aimer assez. Pas à l'intérieur, mais plutôt dans ce qu'il est capable de lui témoigner. Un jour il s'en ira, comme son père. Il ne peut pas s'empêcher de le penser.

- Peut-être que si on continue de le répéter on finira par le croire.

Alej se laisse pourtant embrasser, caresser. Ses mains se perdent sur le corps de son seul et unique amour. Risible quand on y songe, Alejandro n'a rien connu d'autre que des relations qui n'en valaient pas la peine. Mais Nate... Nate lui donne l'impression d'avoir un million d'abeilles qui bourdonnent en plein centre de son muscle cardiaque. Alors il l'attire plus proche, tremblant. C'est la dernière fois qu'ils se retrouvent avant bien longtemps.

Nate hoche la tête lentement, lui offre un sourire puis capture ses lèvres dans un baiser profond, passionné. Un baiser du désespoir qui s'accompagne d'une main qui glisse le long de son torse, pour défaire les boutons de sa chemise. Ça va lui manquer, ce contact, cette passion, la douceur d'Alej, son corps, son coeur qui cogne. Tout ça va lui manquer terriblement, alors il tente de s'imprégner de chaque seconde qu'il leur reste, pour pouvoir s'en souvenir quand il sera tout seul, à Yale. Il embrasse sa nuque, glisse sa main sur sa peau par sa chemise ouverte, s'autorise un soupir un peu étranglé, à mi-chemin entre le bonheur et le désir.

- Este dort ? il demande pour savoir s'ils risquent d'être interrompus par un petit garçon curieux qui escalade parfois les barreaux de son lit d'enfant pour se promener jusqu'à son père. Il n'a pas envie de se retrouver en face de son fils alors qu'il fait l'amour à son futur mari, surtout sur le canapé du salon.

Il pousse un peu Alej pour qu'il s'allonge et se glisse au dessus de lui, sans se départir d'un sourire attendri.

- A poings fermés, théoriquement.

Alejandro chuchote à l’oreille de celui qu’il épousera bien des années après. Les mains se font plus baladeuses et en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, Nate s’intéresse au boutons de sa chemise. L’américain se fait comprendre parfaitement de l’homme dont il embrasse les lèvres avec passion, et bien vite Alejandro prend place contre lui, avec loin de lui l’idée de réfréner les ardeurs de Nathaniel Gardner.

A force de caresses et de baisers, Nate parvient presque à lui faire oublier la complexité de leur situation. Ce n’est souvent que temporaire, mais c’est son super pouvoir à Nate Gardner. Alejandro soupire alors, ses mains perdues dans la chevelure du brun. Ensemble, ils en ont connu des échecs et des rejets. On aurait pu croire qu’ils auraient tout simplement fini par se ranger avec une femme, vu l’époque, les challenges, mais Nate et Alejandro n’ont jamais été taillés pour se mentir à eux-mêmes. Alors ils ont survécu, ensemble, à presque tout. Leur mode de vie n’a rien d’un rêve, mais leur amour n’a jamais été aussi vrai.

Alejandro frissonne, ses lèvres explorent le corps de son futur mari. Puis ils se retrouvent, une dernière fois, avant d’être séparés de nouveau, avant de retourner à cette distance qui les use. Dans un dernier soupir, le mexicain profite une dernière fois de la chaleur du corps de Nathaniel contre le sien.

Nate et Alej font l'amour, comme souvent. C'est leur remède à beaucoup de choses, beaucoup de tristesse, de disputes, de frustrations. La peau frissonnante, les baisers abandonnés, les caresses dispensées du bout des doigts. Ca les aide à avancer, à oublier, à panser leurs plaies dirons-nous. Il se laisse tomber à côté d'Alej, retenant sa main dans la sienne pour en caresser tendrement la peau, ses lèvres logées dans son cou, et ferme les yeux pour se laisser emporter par le sommeil, blotti là dans les bras de l'homme qu'il aimerait pour toujours, il en est persuadé, occupé à s'imprégner au maximum des odeurs, des sensations, de la tendresse. A inscrire des souvenirs pour se les repasser au fil des semaines à venir.

Il dort mal, d'un sommeil lourd et agité, et son téléphone portable qui sonne pour les arracher l'un à l'autre lui fait l'effet d'un orchestre qui se serait invité dans leur salon pour jouer des percussions. Il grimace, éteint le réveil et s'étire, péniblement, se trouvant nez à nez avec... sa valise, et Alej qui est tiré de son sommeil petit à petit. C'est l'heure qui approche ; il ne sait même pas quoi dire. Alors il embrasse la joue du mexicain et se redresse, abattu par la tristesse d'une nouvelle déchirure.

- Je vais prendre une douche, il murmure.