La pression de la journée retombe et Ahmed, il ne pense qu’à dormir. Il est à peu près certain qu’après une journée comme celle-ci, il pourrait dormir pendant vingt-quatre heures d’affilée. Le problème, c’est qu’il doit encore travailler demain. Et il a faim, aussi. Avec toute la charge de travail, il n’a pas vu le temps passé, n’a pas pensé à se nourrir. C’est bizarre, venant de lui. Le ventre sur pattes qu’il est ne rate pourtant aucun repas, pas même le goûter. Une habitude qu’il garde depuis ses années en France, sans doute. Ecouteurs dans les oreilles, Ahmed marche tranquillement dans la rue en faisant mentalement l’inventaire de ce qu’il a chez lui. Il lâche vite l’affaire quand il réalise à quel point il a envie de viande. C’est bête, mais il n’en a pas mangé depuis longtemps. L’inconvénient de vivre dans une coloc vegan. Mais est-ce qu’il peut vraiment se plaindre ? C’est lui qui a dit oui à ce plan, parce que c’était plus simple pour lui sur le moment. Il ne le regrette pas spécialement, sauf quand il a envie de s’enfiler dix kebabs d’un seul coup. Heureusement que Chris et Sheru ne lisent pas dans ses pensées. Plus il pense à cette histoire de kebab, plus il a envie de s’en prendre un sur le chemin du retour. Ou deux. Ou quatre. Il s’arrête un bref instant et commence à envisager la possibilité de squatter chez Elena avec ses kebabs. Il se pince les lèvres, puis finit par céder à ses envies. Le kebab n’attend que le marocain, qui s’en commande quatre sans une once d’hésitation. Il discute un peu avec le proprio du kebab, plaisante gentiment avec lui, et repart heureux comme un prince avec un sachet dans chaque main. Il n’est pas fou le garçon, il ne va pas prendre le risque de ramener ça chez lui pour manger comme un gros enfermé dans sa chambre. Il est sûr que ses colocs le grilleraient, en plus. Alors à défaut de prendre la direction de chez lui, il prend celle de chez Elena. Ahmed est prêt à sacrifier un kebab pour qu’elle soit au moins heureuse de sa soirée. L’africain utilise les transports en commun et arrive à destination une petite demi-heure après avoir récupérer sa nourriture. Il s’invite allègrement chez la brune, sans aucune gêne et lui présente les kebabs comme de véritables trophées. Bon, il frappe quand même à la porte. Il est poli. « Y’en a un pour toi et trois pour moi, » qu’il dit en se glissant à l’intérieur de chez elle. Ahmed fait comme chez lui, se dirige jusque dans la cuisine et dépose la nourriture sur la table. Il retire sa veste dans la foulée et tire une chaise sur laquelle il s’installe. « Tu faisais quoi ? Je t’ai manqué ? D’ailleurs, j’ai vu ta dernière vidéo. Le montage est vraiment pas ouf. » En tant que monteur professionnel, Monsieur se permet souvent de critiquer le travail de l’influenceuse. Il aime bien la faire sortir de ses gonds. Le grand moqueur qu’il est se sent toujours puissant quand il parvient à agacer ses victimes.