Plus les mois passent et plus le blog de Willow prend de l’ampleur, à tel point que l’un de ses followers a posté en commentaire qu’elle devrait sortir un livre de cuisine, commentaire aussitôt liké par des centaines de personnes du même avis. L’engouement général a empêché la jeune femme de dormir pendant plusieurs jours – amenant Samuel, exaspéré, à l’envoyer dormir dans le canapé d’ailleurs. Elle n’y avait pas songé jusque là mais Willow est le genre de femmes à ne pas faire les choses à moitié, à prendre les devants et à foncer tête baissée. Quand une idée lui vient, quand une idée lui plait, son cerveau ne s’arrête plus, jusqu’à ce qu’elle en vienne à bout. Et comme un signe du destin, le vent lui a mis dans les mains quelques jours plus tard, une coupure de presse faisant la promotion d’une maison d’édition en ville. Ni une, ni deux, Willow décroche son téléphone et prend rendez-vous à la première place disponible.

« Mme Benson, pour Mme Taylor. » Un large sourire se lit sur son visage alors qu’elle se tient dans le hall de la maison d’édition. Son enthousiasme se lit dans ses yeux, alors qu’elle ne croit pas une seule seconde que les choses ne pourraient pas se passer comme elle le veut. Quelques instants plus tard, elle est dans un bureau en face d’une belle blonde qui doit avoir quelques années de moins qu’elle. Il en faut peu pour qu’elle lui explique son projet dans les grandes livres. « J’avais pensé à des ingrédients épicés, exotiques, quelque chose qui rende le tout original et alléchant, qui donne envie aux lecteurs de tourner les pages encore et encore pour voir le reste du livre. » Elle se passe une main dans les cheveux avant de poursuivre. « Je n’ai pas envie de faire comme les autres auteurs du genre, vous voyez. J’ai envie que mon livre sorte un peu du lot. »

Ce qu’elle aime par-dessus dans son nouveau métier, c’est le contact avec les auteur.e.s, les rencontres impromptues qui se transforment en contrat alléchants, les découvertes de plume qui se cachent derrière des personnes surprenantes, les discussions animées autour d’un projet. C’est pourquoi l’éditrice se fait un point d’honneur de rencontrer en face à face toutes les personnes souhaitant se faire éditer chez Les Petites Merveilles d’Ici et d’Ailleurs, de lire tout ce qu’on veut bien lui envoyer, et de rester à la page. C’est-à-dire, faire beaucoup de publicités - dont heureusement elle n’a pas à se charger - et passer de nombreuses heures dans son bureau ou un livre à la main – ce qui heureusement ne la gêne pas le moins du monde. Aujourd’hui, la publicité semble porter ses fruits car elle rendez-vous avec une certaine Benson.

Un coup de téléphone pour lui indiquer la venue de l’intéressée et celle-ci débarque telle une fusée dans son bureau. Son regard est aussi enthousiaste que le ton avec lequel elle s’adresse à l’éditrice qui ne peut que sourire en retour. Elle est prise dans cette petite tornade ambulante et en oublie même de lui proposer un thé ou un café comme elle le fait d’ordinaire, si happée par le discours envolé de l’auteure. Meghan l’écoute avec attention, son regard aussi brillant sans doute que la Benson. « Vous me faites un récit bien alléchant, j’en ai l’eau à la bouche rien que de vous écouter me présenter votre projet. » Elle note les points d’intérêt sur un calepin, car elle ne souhaite rien oublier puis ajoute. « C’est exactement ce que l’on recherche ici, des pépites gustatives pour nos lecteurs qui en ont marre du convenu et de l’éculé. Nous cherchons des auteures qui vont transporter les lecteurs vers d’autres horizons, qui n’ont pas peur d’innover et qui sont tout aussi passionnés que nous le sommes ici. » Un petit rire, bien éloigné des grandes effusions qu’elle se permet dans la sphère privée. « On s’imagine un peu comme une famille au sein des Petites Merveilles, sans doute parce que nous sommes peu nombreux. Et je réalise seulement maintenant que je manque d’ailleurs à tous mes devoirs d’hôtesse, vous prendrez bien un thé ou un café ? » son instinct lui dit qu’elle a en face d’elle une perle rare qu’elle ne doit pas laisser partir vers d’autres pâturages. Après tout, les siens sont les plus verdoyants !

L’enthousiasme qui apparait en retour dans les paroles et les yeux de son interlocutrice indiquent à Willow qu’elle a bien fait de prendre rendez-vous avec cette agence, bien que son livre soit à l’état de projet, pas du tout avancé. Elle a déjà plein de recettes qu’elle pourra mettre dedans, mais elle est décidée à changer de son blog, tenter une approche un peu différente. Peut-être un livre de batch-cooking avec chaque semaine, un thème autour d’un pays du monde. Ça, c’est sûr que ça ferait voyager ses lecteurs et que ce serait innovant. Tout en faisant attention à ce que le tout soit light et équilibré, la plupart de ses lectrices étant des mères de famille qui font attention à leur ligne, ou tout du moins qui essayent. La présentation de quelques alternatives végétariennes aux plats, en mode trucs et astuces et le tout serait joué. On retrouverait facilement sa patte. « Ça tombe bien, l’idée est justement de mettre en appétit. » Elle sait depuis longtemps que l’appétit vient d’abord par les autres sens que le goût tel que le visuel du plat sur une photo, ou bien l’odeur qui émane de la cuisine quand on prépare un festin. Malheureusement, sur un livre, difficile de jouer sur l’odorat. Elle se met à rire partageant la bonne humeur de son hôte. « J’ai eu de la chance de tomber sur votre publicité dans le journal ! » Se sent-elle obligée d’avouer, à l’aise dans cet environnement. « Je veux bien un café. » C’est vrai qu’elle a été tellement vite en besogne qu’elle n’a pas laissé le temps à Mme Taylor de l’accueillir comme il se doit ou de lui présenter sa maison d’édition. « C’est de ma faute ! Je suis tellement excitée… Et pour tout dire, je n’avais jamais songé à me faire éditer jusque-là. Je poste mes petits trucs sur un blog et je me nourris des commentaires que me laissent ceux qui me suivent. Alors vous êtes la première maison d’édition dans laquelle je rentre… Je suis un peu novice en la matière. » Elle rit encore. On pourrait croire qu’elle est quelque peu gênée, mais ce n’est pas vraiment le cas. Willow se confond bien partout où elle passe. Elle ne se pose pas de questions existentielles qui viendraient lui bousiller la vie.

Meghan fait un petit discours sur sa maison d’édition, qui peut paraître comme un dialogue commercial dénué de sens ou de profondeur, ce qui est très loin d’être le cas. L’éditrice croit en chacune des paroles qu’elle prononce à madame Benson. Les Petites Merveilles est une deuxième maison pour la Taylor, et elle souhaite y voir des auteur.e.s s’y épanouir. En échangeant brièvement avec la blonde, elle sent que celle-ci pourrait correspondre à ce que recherche la maison d’édition et s’y plaire. Toutefois, avant de s’emporter en conjecture, il est nécessaire qu’elles apprennent à se connaître et que Meghan puisse lire au moins ce que la femme a écrit jusqu’à présent. La discussion est légère et agréable, ce qui fait que l’éditrice n’hésite pas à se lever et si diriger vers la cafetière pour leur préparer chacune un de ces breuvages chaud et amer comme elle les adore. « Vous prenez du sucre dans votre café ? » Par précaution, elle apporte les tasses fumantes et un pot empli de sucre de canne avec une cuillère. Puis se réinstalle à sa place en écoutant tout ce qu’elle veut bien lui expliquer. C’est donc la première fois que Willow Benson se dirige vers une maison d’édition, et passer d’un blog à un livre est une grande étape, ce dont elle n’hésite pas à lui faire part. « Je comprends votre excitation, je ressens la même à chaque fois que j'échange autour d'un projet. et c’est une grande étape que de passer d’un blog à un livre. Même si je ne vous cache pas que ça peut aider, dans le sens où vous avez déjà des personnes qui vous suivent et qui vous connaissent. Dans notre société actuelle, il y a un nombre important d’auteur.e.s qui passent d’abord par l’internet ! Enfin, je suis sûre que je ne vous apprends rien. » Elle essaie de la rassurer à sa manière, puis ajoute. « Je suis très touchée que ce soit dans notre Maison d’édition que vous ayez décidé d’entrer dans ce cas. Vous avez peut-être des questions sur notre fonctionnement ou sur l’édition de manière plus générale ? N’hésitez pas, c’est aussi à cela que sert ce premier échange ! » Le sourire qu’elle lui tend est avenant et doux à la fois alors qu’elle prend une gorgée de son café. Si elle ne sait pas encore où les mèneront cette entrevue, Meghan est certaine d’une chose, elle aime son métier, elle aime rencontrer des gens et échanger avec eux autour de littérature et de leur projet. Elle a réussi à faire de sa passion de la lecture un métier, ce n’est pas donné à tout le monde.

Willow hoche de la tête. Chez elle, son café est dégusté pur, tout comme à son bureau de détective. Cela lui permet de s’imprégner de toutes les saveurs de la boisson et elle est persuadée au fond d’elle que ça a plus d’effet ainsi quant à la caféine qu’il y a dedans. Toutefois, en rendez-vous, elle se fait davantage plaisir, car elle sait qu’elle va pouvoir déguster la boisson. Alors qu’une tasse vient à être posée devant elle, Willow ne met pas longtemps à attraper le sucrier pour en déverser une petite cuillère dans le bouillon fumant. Puis, les deux femmes reprennent leur échange. « Tout comme beaucoup de chanteurs sont repérés directement sur YouTube aujourd’hui. » tente-t-elle de comparer. En grande lectrice qu’elle est, il n’est pas rare qu’elle tombe sur des fan-fictions, ou des écrivains en herbe qui postent leur premier roman sur la toile. Avant d’avoir Gabrielle, elle était capable de suivre des dizaines de fictions à la fois chaque semaine et ne manquait pas de commenter chacun des nouveaux articles chapitres. Elle se noyait là-dedans, ce qui ne faisait qu’augmenter son imagination déjà débordante. Elle s’en nourrissait également dans ses enquêtes pour mettre en pratique irl ce qu’elle avait lu. Autant vous dire que ça n’a pas apporté que des bonnes choses et que ça l’a plus souvent mis dans la merde qu’autre chose ; mais c’est Willow, elle a continué ses actions tête baissée, sans réfléchir au fait que ce qui avait pu faire capoter ses plans venait de l’application pratique de ses lectures… Aujourd’hui, si elle a un peu moins de temps pour assouvir sa passion pour la lecture à cause de son emploi du temps surchargé, elle s’y remet de temps en temps quand elle a des commentaires d’un auteur sur son blog, sa manière à elle de le remercier et de rendre la pareille.

« J’ai conscience que ça peut être à double tranchant d’avoir déjà une certaine notoriété. Les plus fans ne diront jamais non au fait d’acheter la version « officielle » pour avoir les nouveautés et pour soutenir l’auteur ; mais d’autres préfèrent garder tout gratuit… Dans notre ère où tout le monde télécharge illégalement… » Elle grimace. On va pas se mentir, elle était la première à le faire, mais ça, c’était avant de gagner un million au Golden Ticket et de crouler sous l’argent à ne plus savoir qu’en faire. Si elle s’était doutée une seule seconde qu’elle empocherait le pactole, elle n’aurait peut-être même pas tenté l’aventure en réalité… Être riche outre mesure n’a jamais été dans ses projets à vrai dire et l’effraie plus qu’autre chose.

« Comment ça marche concrètement ? Est-ce que je garde une totale liberté sur ce que je veux publier ou est-ce qu’il y a des règles à respecter ? J’ai souvent entendu dire que certains éditeurs font tellement de corrections que ça en dénature complétement l’œuvre… » Elle grimace et porte sa tasse à sa bouche avant d’en avaler une gorgée. Pour être honnête, elle a envie de pouvoir choisir les recettes qu’elle veut sans avoir de comptes à rendre à personne, même si elle a conscience qu’elle devra faire quelques concessions et accepter de l’aide et un avis extérieur.