Depuis toute petite j’adorais faire la cuisine. C’était ma grand mère qui m’avait appris à faire tout les plats traditionnels polonais et maintenant je pouvais faire les recettes les yeux fermés. L’odeur qui s’échappait de la cuisine, c’était tout ce que je préférais. C’était pour ça aussi que depuis de nombreuses années j’avais écumé internet à la recherche de nouvelles recettes, de nouvelles inspirations et j’avais eu le chance et le bonheur de tomber sur le blog culinaire de Willow Benson et depuis je ne loupais jamais aucun de ces posts et je m’amusais même à refaire les recettes, mais sans avoir le même succès qu’elle. En déménageant à New-York je n’avais pas perdu cette habitude de cuisiner pour le plus grand bonheur d’Adrian. D’ailleurs il m’accusait souvent de le faire grossir et qu’à cause de moi il devait faire deux fois plus de sport. Je plaidais non coupable. Ce n’était absolument pas de ma faute. Il pouvait se faire des salades sans problèmes, il était juste faible par rapport à la nourriture.
Et parce que continuer la cuisine et apprendre toujours plus me faisait plaisir je m’étais inscrite à des cours de cuisine. Ils avaient lieu le samedi matin et j’adorais y assister. Déjà parce que cela me permettait d’avoir vraiment un moment rien qu’à moi, un moment où je pouvais décompresser et oublier les tracas du quotidien. En plus grâce à ses cours j’avais même rencontrer Adriel ce qui était quelque chose à laquelle je n’aurai jamais pensé. La seule chose que je n’avais pas prévu en m’inscrivant à ses cours, c’était qu’ils soit donné par Willow Benson en personne. Pour moi elle était l’équivalent d’une rock star, d’une actrice qui faisait rêver tout le monde. Le problème étant que dès qu’elle m’approchait ou qu’elle me parlait, je commençais à bafouiller et à casser tout ce qui se trouvé autour de moi. Un peu comme avec Adriel, mais peut-être même en pire parce que j’avais toujours peur qu’elle trouve que mes plats étaient sans saveur et sans âme. Pour moi ça serait encore pire que la mort de mon personnage favori dans une série télé.
D’ailleurs la recette du jour était d’une très grande complexité je trouvais, parce qu’il fallait mélanger les épices avec beaucoup de minutie et faire une jolie présentation. J’avais presque terminé et il ne me restait plus qu’à faire une jolie présentation. J’avais justement réussi à trouvé l’assiette parfaite et j’étais en train de réfléchir à comment disposer ma viande pour faire une jolie harmonie. J’étais tellement perdue dans mes pensées que je ne regardais pas où j’allais et je percutais quelqu’un. Et en découvrant que c’était Willow que j’avais bousculé, j’en lâchais mon assiette. Je me sentais honteuse. « Je suis désolé Willow, je n’ai pas fait attention où j’allais » Je me sentais honteuse d’avoir cassé une si jolie assiette et je me dépêchais de tout ramasser.  « Je vais tout nettoyer ne vous inquiétez pas » Je voulais tellement de dépêcher de tout nettoyer, que dans ma précipitation je me coupais avec un morceau de l’assiette « Kurwa » Jurer en polonais était quelque chose que je ne pouvais m’empêcher de faire, surtout en situation de stress. Maintenant je répandais du sang partout et je fuyais très vite la scène de crime pour chercher un torchon tout en priant pour que Willow ne me renvoie pas du cours pour aujourd’hui.

Les cours de cuisine du samedi matin sont une bouffée d’air frais dans la vie de Willow. La bloggeuse ne manque jamais d’occupation entre ses activités culinaires, son travail de détective privée – et toutes les enquêtes qui vont avec – et sa vie de famille. Mère poule plus que jamais du haut de ses 37 ans, elle a bien du mal à lâcher ses deux fripouilles en règle générale, mais elle s’y oblige tout de même au moins une matinée par semaine, ce qui laisse l’occasion à leur père de passer un peu de temps solo avec eux. Il ne dit pas non, en ayant désespérément envie. Faut dire que la mère de famille a tendance à tout gérer de A à Z toute la semaine, ne laissant que peu de place à son mari dans l’éducation de leurs enfants, sans même s’en rendre compte. Bref, cette matinée un peu spéciale, tout le monde en a besoin chez les Benson et donc ce qui n’était au départ qu’un hobby pour changer du quotidien est devenu plus qu’essentiel, Willow étant rapidement devenue une animatrice de session, plus qu’un simple membre. Et quand un de ses collègues avait le plaisir de la remplacer, alors elle enfilait le tablier pour savourer les joies de l’apprentissage.

Aujoud’hui, elle a choisi la recette du poulet korma revisitée à sa façon. La recette ferait l’objet d’un post sur son blog dans la semaine, mais elle a gardé l’exclusivité pour le cours. Au-delà des saveurs indiennes dont elle n’a pas donné le dosage exact afin que chacun puisse y aller selon ses goûts, la jeune femme a demandé aux élèves du jour d’allier le goût au plaisir visuel. Elle a en tête de prendre toutes les photos des plats réalisés du jour et de choisir la ou les plus belles comme illustrations du post de sa recette, en le(s) créditant bien entendu, si tant est que le cuisinier soit d’accord sur ce principe. Une manière pour elle de féliciter ses élèves et de les remercier pour leur participation. Pour l’instant, elle n’a rien annoncé, préférant garder la surprise pour la fin.

Comme à son habitude, la blonde se faufile entre les fourneaux, afin de répondre aux interrogations, aider au besoin, etc. Elle goute quelques préparations des plus sceptiques, leur indiquant comment rectifier l’assaisonnement ou la cuisson de la viande qui ferait un peu défaut. Puis, le regard rivé sur la coloration d’un plat d’un élève, qui semble un peu trop orange, elle ne voit pas Jadwiga sur son chemin et la bouscule, cassant une assiette au passage. Avant même de pouvoir répondre à la polonaise, celle-ci se coupe. « Attends, je vais chercher du sopalin. » Et potentiellement la trousse à pharmacie mais elle ne sait pas du tout où elle se trouve dans ce lycée. A l’infirmerie sans doute mais où est ce lieu ? Son sac à mains ! Elle a toujours un ou deux pansements dans le fond, à force que ses enfants tombent. Willow attrape un torchon propre qui traine non loin et le tend à la brune, avant de courir vers le vestiaire chercher son sac. Elle trouve rapidement ce qu’elle veut dedans et revient vers Jad. « C’est profond ? J’ai un pansement… » Sauf que si c’est profond, ça suffira franchement pas… Et l’emmener à l’hôpital n’était pas vraiment prévu au programme du jour. « T’en fais pas pour le nettoyage, je vais m’en charger. On va mettre ça de côté jusqu’à la fin du cours et je verrais ça après. » Dit-elle sur un ton bienveillant. De toute façon, elle doit rendre les locaux propres donc… Du bout du pied, elle pousse les débris dans un coin où ils ne gêneront personne et dans un tiroir, elle tire également un doigtier qu’elle tend à la jeune femme. « Enfile-ça. On dirait une capote, mais s’en est pas une, j’te rassure. » Un petit sourire aux lèvres, espérant adoucir la situation. « Tu seras plus à l’aise pour finir sans mettre du sang partout… Enfin, si tu veux finir bien sûr. »

Les cours du samedi matin, c’était mon bonheur hebdomadaire. J’adorais cuisiner, et je ne pensais pas que des cours pris chaque semaine pouvait avoir ce pouvoir sur mon état d’esprit et mon stress aussi. Parce que oui, aussi bizarre que cela puisse paraître j’avais toujours une boule au ventre en venant. Déjà parce que je savais qu’Adriel serait là et j’avais toujours l’impression d’être une ado empotée quand j’étais à côté de lui. Et surtout parce que ce n’était autre que Willow Benson qui nous donnait les cours. J’avais suivi son blog pendant des années quand j’étais en Pologne, parce que cela me permettait de découvrir toujours plus de saveurs, alors qu’elle ne fut ma surprise en découvrant que c’était elle qui nous guidait. Pour n’importe qui ça serait un bonheur de travailler aux côtés de ses idoles. Pour moi c’était une angoisse permanente. Parce que j’étais beaucoup trop intimidé, parce que je devenais pire que maladroite quand elle s’approchait et régulièrement je n’arrivais pas à aligner deux mots. Alors j’essayais autant que possible de l’éviter. Quand elle venait voir à notre table, j’essayais d’aller à l’autre bout de la salle. C’était nulle, mais au moins je ne faisais pas de bêtises.
Jusqu’à aujourd’hui mon plan avait plutôt bien fonctionné. Comme d’habitude avec Adriel on travaillait en duo, on flirtait gentiment et j’essayais de ne rien casser. La recette, du poulet korma, avait l’air absolument délicieuse et aujourd’hui c’était à nous de trouver un visuel qui pourrait faire baver d’envie n’importe qui. C’était la dernière étape du cours et en allant chercher des assiettes, je réfléchissais à comment je pouvais servir mon plat. D’ailleurs j’étais tellement perdu dans mes pensées, que je ne faisait pas attention à qui se trouver sur ma route et je faisais tomber les assiettes en bousculant cette personne. Je m’excusais prestement en voyant que c’était Willow, et bien sur en voulant aller trop vite je me coupais. A cet instant, je voulais juste ramasser mes débris et partir très loin dans un trou de souris. « Attends, je vais chercher du sopalin. » Je paniquait à l’idée de lui faire perdre son temps, juste parce que je m’étais coupé. Ce n’était pas grave. « Non, non ça ira je vous assure »  Vraiment elle n’avait pas à s’inquiéter pour cela, mais il était trop tard, elle était déjà parti chercher tout le nécessaire. « C’est profond ? J’ai un pansement… » Je suçais le sang qu’il y avait sur mon doigt pour pouvoir mieux évaluer la coupure. « Non c’est une simple coupure, rien de très grave. Ne vous embêtez pas avec moi » Elle avait mieux à faire et je voyais déjà les autres regarder ce qu’il se passait. J’étais beaucoup trop mal à l’aise. « T’en fais pas pour le nettoyage, je vais m’en charger. On va mettre ça de côté jusqu’à la fin du cours et je verrais ça après. » Comment ? Non ce n’était pas possible, elle ne pouvait pas nettoyer mes bêtises. Je le refusais. « Je vous assure, je vais nettoyer, c’est mes bêtises après tout » Si je faisais un peu plus attention à ce que je faisais, rien de tout cela ne serait arrivé. « Enfile-ça. On dirait une capote, mais s’en est pas une, j’te rassure. » Je rigolais un petit peu à cette comparaison et rougissais d’avance à ce que pourrais dire les autres et moi je restais sans voix. « Tu seras plus à l’aise pour finir sans mettre du sang partout… Enfin, si tu veux finir bien sûr. » Est ce que je voulais finir ? J’avais envie de dire oui, mais j’avais aussi envie de dire non parce que je ne voulais pas que Willow s’intéresse de trop prêt à mon plat suite à ce qui venait de se passer. « Oui, oui je vais essayer de finir. » Je ne pouvais pas gâcher autant de nourriture, ce n’était pas correct. « Je demanderais à quelqu’un de m’aider si je suis gênée pour dresser mon assiette » J’avais conscience d’être ingrate, mais j’étais trop impressionnée et intimidée pour pouvoir me comporter autrement. « Je….je vais chercher une autre assiette » Ou un trou pour me cacher, j’hésitai.

Willow ne remarque même pas l’état dans lequel se trouve la jeune femme à refuser toute aide de sa part. Il faut dire qu’elle n’a pas pour habitude qu’on lui dise non, et que même quand ça arrive, elle a tendance à passer au-dessus et à n’en faire qu’à sa tête. La mère de famille est rassurée de savoir que la coupure n’est que superficielle car s’il avait fallu appeler les urgences, ça aurait tout de suite été plus ennuyeux. Un peu de vaisselle cassée, un peu de rangement, rien auquel la blondinette ne puisse pas venir à bout. D’un ton bienveillant, Willow insiste : « Va finir ton plat, je range. » Son ton est ferme, exactement le même ton qu’elle utilise avec ses enfants quand elle veut qu’ils rangent leur chambre. Généralement, ils ne se font pas trop prier, de peur d’être privés de gâteau ensuite. L’arnaque à la bouffe, ça marche toujours avec ces petits garnements.

La cuisinière hoche la tête alors que Jad lui indique aller chercher une autre assiette. Elle lui viendra en aide si besoin, puisque de toute manière, tout le monde semble être bien avancé et surtout, personne ne semble avoir besoin de son aide. Elle file attraper un balai et en même pas trente secondes, elle a poussé tous les débris du chemin afin que personne ne se prenne les pieds dedans. Le reste, elle verra ça plus tard. Elle finit d’aller voir les deux duos qu’il lui restait à approcher mais tout semble aller dans le meilleur des mondes, en dehors d’une petite question. Tout cuit tranquillement un peu partout et en observant la salle d’un geste large, la bloggeuse se rend même compte qu’il y a même des élèves qui ont le temps de discuter. Tant mieux.

« N’oubliez pas qu’il faut cuire à feu très doux si vous voulez que la viande soit bien tendre. » annonce-t-elle assez fort pour que tout le monde l’entende. Puis, elle se dirige vers la blessée afin de voir si tout va bien de son côté. « Elle est jolie cette assiette-là. » dit-elle directement. « Tu as déjà une idée de ce que tu veux faire ? » Ce qui est certain, c’est que l’harmonie des couleurs devrait être au rendez-vous si tout se passe comme prévu. Elle observe la jeune femme faire ce qu’elle fait, mais n’aimant pas rester statique, elle se décide à agir. « Je t’avance dans ta vaisselle ? » C’est pas vraiment une question, plus une proposition affirmative vu qu’elle est presque déjà devant l’évier, mais Jad a toujours le temps de lui dire non. « Quand on se coupe, il vaut mieux éviter le contact prolongé avec l’eau pour que ça puisse cicatriser correctement. Crois-moi, avec deux enfants qui ne cessent de tomber ou de s’écorcher, j’ai l’habitude. » Elle se met à rire.