Reece plaisante, comme il le ferait avec n’importe qui. Il faut reconnaître que Sameen a la répartie facile, ce qui le pousse à en faire encore plus. Non pas qu’il ait peur d’être un peu rabaissé dans son égo. Ce n’est pas dans sa nature, ou très peu. Simplement, il apprécie leurs échanges, et il a aussi remarqué que, plus il en rajoute, plus Sameen en fait de même. Alors entrer dans le jeu n’est pas compliqué. En revanche, il n’est pas certain que ça soit tout à fait raisonnable, mais tant pis pour ce soir. C’est déjà fichu de toute façon, alors autant s’amuser un peu plus. « Mais je t’en prie. » Il penche un peu la tête vers l’avant, comme s’il saluait, et sourit. Ç’aurait été dommage qu’elle ne puisse pas s’endormir parce qu’elle ne savait pas pour quel film Robin Williams avait eu un oscar. Non pas qu’il ait envie de penser à elle en train de s’endormir. Non, non, non. Qu’elle évoque ensuite son père, sans vraiment l’évoquer, lui permet de retrouver, un tant soit peu, ses esprits. « Malheureusement pour toi, Mehdi a beau être connu, toutes les questions cinéma ne portent pas sur sa carrière. » S’il plaisante en parlant de son père, c’est un peu plus raisonnable, non ? Reece n’en sait rien à vrai dire. Et le simple fait de se poser la question prouve qu’il sait qu’il n’est pas raisonnable.
Se faire offrir un verre par Sameen, pari ou pas pari, ne l’est pas non plus. Autant abandonner l’idée de toute façon. Ils ne font rien de mal. Ne font rien d’autre que discuter et passer un bon moment autour d’un verre. Rencontre classique. Si ce n’est que ce genre de rencontre est souvent associée à de la drague. Mais ce n’est pas le cas ici. Ça, Reece en est certain. Ou presque. Ce n’est pas en se moquant du score d’une personne qu’on drague, non ? En tout cas, il ne s’y prendrait pas comme ça avec une inconnue qui lui plairait. Peut-être être pour se le prouver à lui-même qu’il rappelle à Sameen qu’elle n’a pas brillé par ses connaissances ce soir. Alors qu’elle rétorque, elle lui donne un léger coup de coude. Contact qui le fait déglutir. Ne pas y penser. « J’ai participé à d’autres points que les miens. Et de toute façon, le trivia est un sport d’équipe. Tu dois connaître le principe. » Certes, c’est lui qui a commencé à parler de son score, mais si elle répond, lui aussi le peut. C’est vrai qu’il a déjà rapporté plus de points à son équipe que ce soir, mais ce n’est que partie remise. Et puis les questions étaient plus dures que d’habitude. Ou bien il n’était pas exactement concentré. « Ils ont besoin d’aide pour les questions cinéma. On a un peu chacun notre spécialité, ça doit être pour ça qu’ils veulent bien de moi. » Il y a ça, et le fait qu’ils s’entendent tous très bien. Reece s’est trouvé des amitiés solides en mettant les pieds dans ce bar tout ce qu’il y a de plus classique. A croire que ce lieu lui apporte beaucoup de belles rencontres.
Sameen semble trouver cela étonnant qu’il aime les trivia. Ce n’est pas forcément commun, mais Reece a remarqué que tous les types de personnes peuvent aimer ce genre de jeu. Il n’y a pas de prérequis pour se mettre au trivia. Il s’amuse quand même à demander à Sameen ce qui pourrait être son ‘truc’, conscient que ce n’est pas du tout une question facile. Elle ne prend pas beaucoup de risque avec sa réponse, mais Reece sourit quand même. « Comment est-ce que tu as deviné ? Tu es vraiment douée pour cerner les gens. » Entre ça et son choix de cocktail. Mais dans les deux cas, c’était plutôt évident, et le compliment de Reece est donc plutôt ironique. Mais c’est de bonne guerre, car elle se moque de son équipe. Il secoue la tête, conscient qu’elle a raison pour ce soir, et qu’il ne pourra pas la faire changer d’avis. « C’est peut-être un peu pour ça, oui. » Il sourit. Oui, la soirée a été meilleure grâce à elle. Il ne l’a pas dit ainsi, mais c’était clairement ce qu’il pensait. « Et oui, c’est rare que les points cinéma ne soient pas pour moi, sauf si c’est sur des films très connus. » Et le but du trivia étant plutôt de chercher les petites choses que peu de personnes connaissent, à moins d’être dans le milieu, Reece a souvent ses chances. Leurs verres ne tardent pas à arriver, et Sameen lui propose alors de trouver un endroit plus calme. Forcément, il commence par se dire que c’est étrange comme proposition. Et puis sa pensée qui vient ensuite, c’est qu’il en a envie, lui aussi. Ce qui ne veut pas dire que ce n’est pas étrange. Juste qu’il choisit d’ignorer cela. « Hum oui… Il y a un box libre là-bas. » Il désigne un coin de la salle. Une table avec une banquette arrondie. Pas non plus idéal s’il veut être un peu moins proche d’elle. A moins que ce ne soit justement ce dont il a envie. « Tu ne comptes pas aller rejoindre tes amies ? » Il lui offre une porte de sortie, sans savoir s’il veut qu’elle la prenne ou qu’elle reste. Entre la logique et l’envie, Reece est partagé.

Que Sameen ne considère pas le trivia comme un sport n’a rien de très étonnant. Il l’a presque dit parce qu’il savait qu’elle allait réagir. D’ailleurs, il ne pense pas non plus que ça soit réellement un sport, à part peut-être du cerveau. Mais dans l’idée, il faut quand même faire preuve d’esprit d’équipe pour l’emporter. Seul, Reece n’aurait effectivement pas marqué beaucoup de points. Alors il se contente de sourire, n’ayant, de toute façon, pas d’autre argument. Il parait évident que le trivia n’est pas l’activité favorite de la brune, même si ça pourrait. Après tout, ça ne se voit pas vraiment sur le visage de ses amies qu’elles aiment ça. Tout comme Sameen aurait eu du mal à lire sur son visage qu’il aime écrire, si elle ne le savait pas déjà. « Ça doit être ça. » Ou c’est simplement qu’elle l’écoute et l’observe, parce qu’il y a eu des indices ce soir. Mine de rien, il se sent flatté qu’elle ait fait attention à des détails, ou qu’elle l’ait vraiment écoutée. Elle aurait très bien pu ne pas le faire. Le voir simplement comme un ‘ami de son père’ et donc être complètement désintéressée. C’est sans doute ce qui aurait dû se passer. Mais bizarrement, c’est tout l’inverse qui se produit. Et Reece ne peut s’empêcher d’en être heureux. Curieux phénomène.
Il admet sans mal que la soirée a été plus intense que d’habitude, parce qu’elle était là. Elle doit bien en être consciente de toute façon. Et il ose même espérer, au moins un peu, que c’est vrai pour elle aussi. Après tout, elle est en train de lui parler, plaisante avec lui comme s’ils étaient deux vieux amis, ou, à l’inverse, deux inconnus qui flirtent. « Deux verres gratuits, même. Je pense qu’on peut même aller jusqu’à dire que c’est une excellente soirée. » Il joue avec le feu. Mais en même temps, c’est vrai. Et la présence de Samia et leur conversation y est clairement pour quelque chose. Cependant, quand elle propose d’aller s’installer dans un endroit un peu plus calme, il lui demande si elle ne veut pas rejoindre ses amies – après avoir suggéré un box un peu isolé et intimiste tout de même. Si elle veut être plus raisonnable que lui, alors il l’acceptera. Cependant, dire qu’il l’espère serait mentir. Mais peut-être qu’il a envie qu’elle lui confirme avoir envie de rester avec lui.
Ce qu’elle fait, enfin indirectement, en disant que ses amies s’amusent sans elle. Reece jette un œil vers elles, semble capter qu’une d’entre elles les regardait, mais n’en fait pas cas. Ses propres amis les ont sans doute observés également. Il reporte son attention sur Sameen quand elle ajoute quelque chose d’un peu plus surprenant. Et qui lui fait plutôt plaisir. Si elle ne veut pas qu’il se débarrasse d’elle, c’est qu’elle apprécie sa compagnie aussi. Certes, elle lui en montre tous les signaux depuis le début de la soirée, mais Reece a toujours l’impression d’être dans un univers parallèle. Alors l’entendre le confirmer, ça lui plait bien plus que ça ne le devrait. « D’accord, d’accord. Je te garde pour moi, si tu insistes. » Il dit ça sur le ton de l’humour, évitant volontairement de la regarder à ce moment-là. Comme ils sont en train de marcher vers la table repérée, ce n’est pas trop compliqué. Reece pose son verre sur la table, puis fait signe à Sameen de s’installer en première. Question de galanterie. Rien d’autre. Il s’assoit après elle, prenant soin de ne pas trop se rapprocher. Même si l’envie est présente. Il prend une première gorgée de son cocktail, puis reporte son attention sur Sameen. Elle est quand même jolie. Très jolie. Concentre-toi, Reece. « Donc le foot hein ? » Trouver une question comme ça, le plus vite possible, ne lui réussit pas tellement. « Tu espères en faire carrière ? » Voilà. Là, la question est plus logique. Et la réponse l’intéresse vraiment.

« Tu dois être généreuse. C’est la seule solution. » Elle aurait sans doute préféré emporter leur pari et que ce soit lui qui paye. Mais le premier verre, elle le lui avait offert sans pari. Un verre offert depuis l’autre bout de la salle. Un geste qui, en général, signifie qu’on est intéressé. Mais là, c’était parce qu’elle l’avait reconnu et voulait lui faire signe. Ça parait évident. Quelle autre raison pourrait-il y avoir ? A part celle qu’il ne devrait pas souhaiter, et ne souhaite d’ailleurs pas. Ou presque. Dans ce contexte, aller s’installer un peu plus à l’écart avec elle, ce n’est sans doute pas une bonne idée. Discuter au bar, pendant qu’ils attendaient leurs consommations, est une chose. Un moment que n’importe qui pourrait partager, sans qu’il y ait pourtant quelque chose à interpréter. Aller s’asseoir ensemble à une table, c’est tout de suite autre chose. Et pourtant, Reece se surprend à en avoir envie. Ou en tout cas, il a envie de passer un peu plus de temps avec Sameen, et s’ils s’installent quelque part, ça sera forcément le cas.
Il devrait sans doute s’interroger sur cette envie. Parce qu’ils ne font pas que discuter. Ou en tout cas, pas lui. Il y a ce petit quelque chose en plus, auquel il fait attention de ne pas trop penser. Rien de tout ça n’existe. Il passe simplement une bonne soirée et il sait que les bons moments doivent être appréciés. Sauf qu’il sait que ce moment sera compliqué par les questions qu’il se posera plus tard. Mais pour l’instant, il apprécie simplement le fait d’être proche d’elle, sans l’être trop. Et, sans doute un peu gêné, il aborde à nouveau un sujet dont ils ont déjà parlé tout à l’heure. Peut-être parce qu’il a toujours du mal à l’imaginer en tant que footballeuse. Pour réussir, il faudrait qu’il aille effectivement à un de ses matchs et, même si l’idée lui parait bonne ce soir, il la questionnera sans doute beaucoup plus dès le lendemain matin. Mais encore une fois. Demain sera demain. Ce soir, il ne fait rien d’interdit.
En tout cas, elle semble vraiment passionnée par son sport, ça fait plaisir à voir. Quand on aime quelque chose à ce point, ça se voit. Et Reece se dit qu’il a été comme ça aussi, à une époque. Qu’il cherche sans doute à le redevenir. Mais sans doute ne peut-on l’être à ce point que quand on est jeune. Enfin il n’est pas malheureux pour autant. Ne l’est plus, tout du moins. Mais entendre Sameen parler de son rêve ainsi, ça lui fait plaisir. C’est le genre de conversation qui rebooste, sans qu’il puisse bien se l’expliquer. Mais en tout cas, ça lui plait de l’écouter en parler, même s’il ne partage pas sa passion. Elle pourrait sans doute entrer dans les détails techniques, mais elle a compris qu’il n’y connaissait rien. Même les rôles des différents joueurs. A part qu’il y a un gardien, qui a un rôle bien défini. C’est à peu près tout ce qu’il sait. Mais peu importe. Ça lui plait, à elle, et c’est tout ce qui compte. Elle dilue un peu son excitation, estimant qu’il devrait la trouver trop idéaliste, trop rêveuse. Alors que c’est tout le contraire. Elle l’est peut-être, mais il ne trouve en aucun cas que ça soit un défaut. « Oh non, je n’allais pas du tout dire ça. » Il secoue la tête, étonné qu’elle puisse penser cela. Il ne risque surtout pas de la juger pour vouloir vivre ses rêves à fond. « C’est une chance d’avoir un rêve auquel on tient autant que toi. Tu as raison de t’y accrocher, et je te souhaite de réussir, vraiment. » Il insiste, comme s’il avait peur qu’elle ne le croie pas. Pourtant, il ne voit pas pourquoi elle douterait. Lui aussi a suivi ses rêves, même s’ils ont pris plusieurs formes au fil du temps, se sont un peu adaptées à la réalité. Mais il ne regrette pas. Pas ça, en tout cas. « Et l’équipe nationale, c’est impressionnant. » Certes, elle n’y est pas encore, mais c’est une option. « Elles ont été championnes du monde, d’ailleurs, non ? » Il a beau ne rien y connaître, il a quand même entendu parler de ça dans les médias.

Avoir envie de continuer la discussion avec Sameen n’a rien de dérangeant. Rien d’étrange. Tant que c’est tout ce qu’il a en tête. Sauf que ça, il n’en est pas certain. Il repense encore au début de la soirée, aux regards qu’ils ont échangé. Et à l’excellent moment qu’il passe. Pourtant, ils ne font pas grand-chose, parlent de choses et d’autres, se taquinent. Mais Reece a l’impression qu’il n’a pas passé d’aussi bon moment depuis longtemps. Et ça lui fait du bien. Alors il continue, relance la conversation pour éviter des silences gênants mais aussi pour en apprendre plus pour Sameen. Au fond, il ne la connait pas vraiment. Il connaissait la fille de son ami. Il ne connait pas l’étudiante, footballeuse de son état. « Vraiment ? » Certes, beaucoup de personnes encouragent plutôt à suivre une voie traditionnelle, et donc plus sûre. Mais il ne peut quand même pas être la première personne à l’encourager dans son rêve. En tout cas, il ne s’imagine pas tenir le discours inverse. Lui, il a suivi ses rêves, et le fait toujours. Et même si tout n’a pas toujours été parfait, il ne regrette pas ses choix. « C’est peut-être une valeur sûre mais il y a plus passionnant que le droit. » Il accompagne sa phrase d’un petit rire. Il n’a rien contre le droit, mais ça n’aurait pas été pour lui, du tout. « Donc tu étudies le droit à Columbia ? » Elle lui a parlé du foot, mais il ne croit pas qu’elle ait précisé ce qu’elle étudiait. Après tout, ça semble moins important pour elle, et il peut le comprendre. Lui, sa passion était l’écriture. Il aurait été impossible de le forcer à faire des sciences par exemple. Et vu comme elle parle du soccer, c’est sa passion, à elle, comme l’écriture l’est pour Reece. Alors il ne peut que la comprendre et l’encourager à persévérer, même si on lui conseille souvent le contraire. « C’est vrai que ça ne me dit rien d’avoir entendu parler de l’équipe masculine. Ça doit être super, de voir ça pour un sport qu’on pratique. » Il imagine que ça doit davantage motiver, pour espérer participer à tout cela, un jour. Il ne peut pas encore savoir avec certitude si Sameen est si douée que ça, ne le saura peut-être même pas après l’avoir vue jouer comme il n’y connait pas grand-chose, mais vu sa volonté, il n’a pas trop de doute.
Au tour de Sameen de l’interroger. Reece a vraiment l’impression que ça l’intéresse. Peut-être même plus que lorsqu’elle lui posait des questions sur le tournage d’un film. En tout cas, elle continue de discuter elle aussi, ce qui doit vouloir dire qu’elle veut aussi que le moment se prolonge. Et Reece ne peut s’empêcher d’en être heureux. Il n’a pas envie que la soirée se termine, même s’ils ne font que discuter autour d’un cocktail. « Ça fait déjà quelques mois que j’ai commencé, donc j’ai dépassé le stade du début, heureusement. » Sinon il y aurait de quoi s’inquiéter et regretter d’avoir laissé Hollywood derrière lui. Il ne peut pas être certain que son histoire plaira, mais il a au moins la sécurité d’avoir pas mal d’argent de côté pour l’instant. « Je n’ai pas eu l’idée immédiatement cela dit. J’ai commencé par avoir une vision très claire de la fin, étrangement, et puis le reste est venu ensuite, et vient encore par petits bouts. » Chaque auteur a sa façon de procéder. Reece faisait aussi ainsi pour certains films ou séries. Savoir où il va est important dans son écriture. « Mais si je te raconte la fin dès maintenant, tu n’auras plus envie de le lire, une fois qu’il sera sorti. » Il est le seul à être au courant de tout. S’il a parlé de quelques passages à ses proches et aux personnes qui le conseillent, il a gardé la fin pour lui. « Enfin si tu aurais envie de le lire, tu n’es pas obligée. » Précise-t-il, réalisant qu’il a un petit peu trop présumé.

Même s’il trouvait son rêve déraisonnable, Reece ne se permettrait pas de le lui faire remarquer, et de lui conseiller de faire autre chose. Lui-même a souvent entendu cela, quand il était plus jeune. Par ses proches, par sa mère, et parfois il se l’est dit à lui-même. Suivre un rêve n’est pas forcément une chose facile, et il a mis du temps à parvenir à en vivre. Pour autant, il ne regrette en aucun cas son choix. Et il ne peut que supposer que, si Sameen souhaite faire carrière dans le football, c’est qu’elle doit être douée. Après tout, elle est tout de même dans l’équipe de son université. En tout cas, ça semble beaucoup plus la passionner que le droit, ce qui est compréhensible. « J’avais cru comprendre ça, oui. » Il sourit, s’amusant du fait que la jeune femme ne cache pas du tout son aversion pour ses études. Mais sans doute est-ce normal que ses parents préfèrent des études stables. Reece ignore s’il aurait été ainsi s’il était devenu père. Difficile de comprendre sans avoir été parent. Mais Sameen est une adulte désormais – et ça l’arrange peut-être un peu – elle peut décider ce dont elle a envie pour sa vie. C’est elle qui la vivra, et non pas ses parents. « Je n’en doute pas. » Il sourit, trouvant cette façon de croire en elle très… revigorant. Peut-être un peu séduisant aussi. Mais cette pensée, il préfère la mettre dans un coin de sa tête.
C’est plus facile de se concentrer sur la conversation, qui part maintenant vers lui. Reece n’a pas l’impression que Sameen feigne de s’intéresser à ce qu’il fait, ni que ça soit son genre. Elle semble franche et directe, et c’est appréciable. Alors Reece est ravi de parler de ce sujet qui lui tient à cœur, et espère bien sûr que Sameen voudra le lire, même s’il ne veut pas trop s’avancer. Il espère que beaucoup de personnes voudront le lire. Après tout, il a toujours ses doutes. S’il a rencontré du succès dans le monde du cinéma, rien n’est garanti pour le livre qu’il écrit. Ou pour les suivants, s’il a envie de continuer. Mais pour l’instant, il ne se concentre pas là-dessus, mais sur le plaisir qu’il ressent quand il écrit, quand il imagine mille-et-une possibilités. « Tu es douée pour négocier. Mais d’accord, tu auras une dédicace spéciale. » Il ne peut s’empêcher de penser que ça l’arrange, parce que ça signifie qu’il la reverra. Certes, il pourrait la lui envoyer, mais autant en profiter. Visiblement, le peu qu’il a dit à Sameen a intrigué la jeune femme, et elle lui demande plus d’informations sur son roman. C’était un peu ce qu’il attendait. Il ne voulait pas se lancer dans des détails qui pouvaient ne pas l’intéresser sans qu’elle ne le demande. Et puis ça lui fait plaisir qu’elle continue de s’y intéresser. De s’intéresser à lui, aussi. « Pour faire court, c’est l’histoire de trois personnes qui se rencontrent à un groupe de soutien pour le deuil, à différents moments de leur vie. Et ils se retrouvent embarqués dans un périple à travers le pays pour disséminer les cendres de la femme d’un d’entre eux aux endroits qu’elle avait choisis. Beaucoup de choses ne se passent comme prévu, mais je me concentre surtout sur leurs émotions, leur deuil et leurs pensées parfois négatives. » Il a déjà expliqué son idée à d’autres personnes, aussi il a appris à en faire un résumé qu’il sait meilleur que le premier. Mais à chaque fois, il se sent réellement investi dans son histoire. « C’est pour ça que c’était important pour moi d’en faire un roman plutôt qu’un film. Dans un film, on ne ressent jamais autant les émotions qu’à travers des mots. Enfin je trouve. » A mesure qu’il avance dans l’écriture, il réalise de plus en plus que ça n’aurait jamais pu marcher en tant que film. Du moins, pas comme il l’entendait.

La vérité, c’est qu’il n’essaye même pas de négocier. Après tout, il n’estime pas avoir le besoin de le faire. Sameen ne lui demande rien d’irraisonnable. Et sans doute a-t-il envie de lui faire plaisir. Le simple fait qu’elle souhaite lire son futur livre et lui pose des questions dessus, ça lui fait plaisir, à lui. Alors signer un livre et le lui offrir, pourquoi refuserait-il ? En plus, elle lui propose un marché, qu’elle n’était absolument pas obligée de proposer. Il lui offrait le livre, sans contrepartie nécessaire. Mais il ne va pas se plaindre. En tout cas, il ne peut que remarquer que tout ce qu’ils évoquent implique qu’ils se revoient. Et ça, ça lui fait très plaisir. Il n’est pas le seul à en avoir envie. « Tu es douée en affaires. Mais d’accord, j’accepte. » Il sourit, comme s’ils venaient vraiment de négocier un contrat important. La vérité, c’est que Reece y gagne dans les deux cas. « Et je compte sur toi pour rendre le match intéressant. » Même si le sport ne l’attire pas plus que ça, il ne pense pas s’ennuyer en allant à un match de Sameen. Peut-être pas pour les bonnes raisons cela dit. Mais refuser d’y aller maintenant serait juste malpoli. N’est-ce pas ?
Reece ne peut pas savoir si l’histoire qu’il raconte plaira à Sameen. Si le sujet est important pour lui, il est conscient que ça ne plaira pas forcément à tout le monde. Pour autant, il y tenait, et pense qu’il est important que des thèmes tels que le deuil ou la dépression soient plus présents dans les livres, ou même le cinéma. Mais pour lui, c’était l’écriture d’un roman qui fonctionnait le mieux. Du moins, dans son processus. Au niveau du succès et du salaire, il ne peut qu’attendre de voir. « Oui, c’est exactement ça. Et je suis le seul à prendre les décisions et à décider pour mes personnages. Ça me change du monde des séries, surtout. » Là, même quand le personnage était son idée au départ, il était loin de contrôler tout ce qu’il faisait ou disait, n’étant jamais le seul scénariste. « Enfin mon éditeur aura peut-être des choses à dire, mais je lui fais confiance. » Ses conseils seront sur des détails normalement, pour rendre le livre plus lisible et vendeur, pas sur des choses fondamentales de l’histoire. Il sourit quand Sameen propose de porter un toast à son succès. Qu’elle croit en lui ainsi, c’est forcément plaisant. Ce qu’elle ajoute ensuite, alors que Reece fait tinter leurs verres déjà à moitié vides, le fait encore plus sourire. Elle n’a pas perdu de son esprit de compétition. « Je ne sais peut-être pas de quelle couleur sont les chaussures de Dorothée, mais je sais utiliser la langue anglaise à peu près correctement. » Il l’espère en tout cas, sinon il peut remettre sa carrière entière en question. « Mais au moins, je ne vise pas un métier dans lequel il faut être compétiteur, moi. » Il appuie bien sur certains mots, pour signifier qu’il parle d’elle – comme s’il allait parler de quelqu’un d’autre. « Et je suis un peu plus concentré, d’habitude. » Son but était de se défendre, mais il réalise en parlant que c’est un peu une confession. S’il n’a pas été très concentré sur le jeu ce soir, c’était de la faute de Sameen.

Il mentirait s’il disait qu’il n’a pas envie de la revoir. Reece ne veut pas que cette rencontre s’arrête à ce soir. Il passe un trop bon moment avec Sameen pour ne pas avoir envie de continuer. Ce soir, déjà, même s’ils ont tous les deux abandonnés leurs amis. Puis à d’autres occasions, pourquoi pas. Il a conscience que cette envie n’est pas tout à fait innocente. Qu’il pourrait avoir envie d’autre chose que de parler avec elle. Mais même sa compagnie, leurs plaisanteries, ça lui suffit à passer un excellent moment. Alors qu’elle lui offre une bonne place pour un match de son équipe, ça lui donne une excuse pour la revoir. Et il ne peut s’empêcher de remarquer qu’elle aussi semble vouloir le revoir. Rien ne l’obligeait à proposer une contrepartie au livre dédicacé de Reece après tout. Et ça lui plait beaucoup. « Que d’honneurs tu me fais. » Il pourrait rajouter qu’il est flatté, parce que c’est vrai, mais ça serait peut-être un peu trop. Au lieu de ça, il ajoute plutôt une plaisanterie. « Les buts, c’est les points au soccer, c’est ça ? » Il est presque certain que c’est bien ça, mais autant vérifier, et taquiner un peu Sameen sur le fait que son sport n’est pas très connu aux Etats-Unis.
Parler d’écriture et de son livre, ça lui fait toujours le même effet. Il fait ce pourquoi il est fait, Reece le sait maintenant. Il sait aussi que ça ne fonctionnera pas forcément, mais au moins, il aura essayé. Et pour l’instant, il se concentre sur l’écriture, et non pas sur les autres aspects. Ce qui lui fait du bien par rapport à Hollywood. « C’est beaucoup mieux, oui. Il n’y a aucun acteur pour venir mettre son grain de sel dans la gestion de mes personnages, sous prétexte que c’est lui qui le joue. Là, tout m’appartient entièrement, je peux faire ce que je veux. » Et il est particulièrement heureux de faire un roman avec cette idée, qui lui tient à cœur. Il n’aurait pas supporté de la voir modifiée par nombre d’autres personnes. Même si parfois, déformation professionnelle oblige, il imagine comment tel passage pourrait être tourné ou joué. Pour autant, il souhaite que son histoire soit seulement couchée sur le papier. Et il voit que cela, Sameen le comprend.
Du sérieux de leur conversation à propos de son livre, ils reviennent aux tacles l’un envers l’autre. Ce qui est loin de déranger Reece. A croire que ça leur convient bien de se taquiner. « Tu te trouves beaucoup d’excuses, je trouve. » Qui sont plutôt valables, mais il préfère en rajouter. Après tout, aucun d’eux n’a été très efficace ce soir, et ce n’est pas pour rien qu’aucune de leurs équipes ne l’a emporté. Reece ne réalise que trop tard qu’il vient d’avouer avoir été déconcentré ce soir. C’est vrai, et Sameen l’avait sans doute déjà remarqué, mais le dire, c’est tout autre chose. Surtout qu’elle en joue, et demande pourquoi il a été déconcentré. Forcément, elle veut en savoir plus. Sans doute aurait-il fait pareil à sa place. « Huuum... bonne question. » Il fait mine de réfléchir, avant de se dire qu’il est fichu de toute façon. Alors son regard se pose sur celui de Sameen. Elle a de très beaux yeux. Il n’avait jamais remarqué. « Peut-être que c’est la présence d’une footballeuse qui venait pour la première fois. » Il dit les choses, sans tout avouer. Sans dire que c’est parce qu’elle lui plait plus qu’il veut bien l’admettre. Mais il espère qu’elle va aller dans son sens. Tant pis si ça n’a rien de raisonnable. Il l’a trop souvent été.

Reece s’amuse à nouveau du fait que le soccer n’est pas très populaire aux Etats-Unis, ou en tout cas, pas pour lui. Il connait quand même un minimum le principe, mais prétendre que ce n’est pas le cas pour faire réagir Sameen, ça ne coûte rien. Peut-être se taquinent-ils un peu trop. Peut-être ont-ils trop envie de se revoir. Peut-être que rien de tout ça n’est raisonnable, mais au fond, est-ce que Reece s’en inquiète réellement ? Non. Il se contente de passer un très bon moment, sans se poser trop de questions. « Ça serait malpoli de retirer ton invitation. » Et surtout, ça n’arrangerait pas Reece. « Ce serait mieux de m’apprendre les règles avant, pour que j’applaudisse au bon moment. » En vérité, il devrait pouvoir en être capable, même sans explications, mais si ça implique de prolonger plus la soirée, ou, mieux encore, de prévoir encore une autre rencontre, pourquoi se priver ? Même si le sujet du foot n’est pas celui qui l’intéresse le plus, il voit bien que Sameen en est passionnée.
Tout comme lui, pourrait parler pendant longtemps de son histoire. Il voit bien que la jeune femme n’est pas forcément passionnée mais elle s’intéresse à ce qu’il fait, et semble comprendre les raisons qui l’ont poussé à quitter le monde des écrans pour celui du papier. Aussi, il ne s’étonne pas qu’elle l’interroge sur la possibilité d’en faire un film, si la possibilité se présentait à lui, plus tard. Après tout, il s’est aussi souvent posé la question. « Je n’exclue pas l’idée, et parfois, j’ai encore des réflexes de scénariste. Mais pour l’instant, je ne veux pas trop m’avancer et parler de succès avant même que le livre soit terminé. » Il ne manquerait plus qu’il se porte la poisse. Il a déjà assez de doutes comme ça, même s’il sait aussi qu’il a évolué depuis la première fois qu’il avait tenté d’écrire un livre. A l’époque, il avait plutôt l’âge de Sameen et, même si c’était sa passion, il n’avait peut-être pas eu encore assez de recul pour réussir. Ou de talent. Tout ce qu’il sait, c’est qu’il se sent plus légitime maintenant.
Discuter de leurs carrières respectives avait sans doute paru comme une conversation plus normale, plus classique entre deux personnes qui ne se sont pas vues depuis longtemps. Deux personnes liées initialement par le père d’une d’entre elles. Pour autant, ils ne tardent pas à recommencer à flirter, toujours dans cet esprit de compétition qui les anime depuis le début de la soirée. L’effet soirée trivia sans doute. « Si tu le dis. » Autant dire que Reece ne les trouve pas vraiment bonnes, ses excuses. Mais en même temps, les siennes ne sont pas excellentes non plus. Il faut dire que la seule vérité, c’est qu’il a été assez médiocre parce que la présence de Sameen l’a perturbé. Non pas qu’il soit incollable d’habitude, mais juste un peu plus concentré. Lui avouer cela n’est sans doute pas une bonne idée. C’en est même très certainement une mauvaise. Mais ce n’est pas la première de la soirée. Peut-être pas la dernière non plus. Mais il a envie de savoir s’il était le seul, parce qu’il n’en a pas l’impression, mais il veut en être sûr. Et quand Sameen confirme avoir elle aussi été déconcentrée par lui, il ne peut s’empêcher de sourire. « Voilà, on partait avec un handicap. Pas étonnant que ce soit une autre équipe qui ait gagné. » Raisonnement assez logique. Certes, ils n’étaient pas seuls dans leur équipe, mais ils n’ont pas rapporté beaucoup de points. Enfin Reece se moque bien d’avoir perdu. « Dommage que tu ne m’aies pas vu un autre soir, tu aurais été impressionnée. » D’accord, il en fait clairement trop, mais il s’amuse réellement.

« Jamais de match en entier, non. Mais de ce que j’en ai vu, par petits bouts, ça a l’air d’être plus intéressant quand le ballon va dans le but, donc j’en déduis que ce sont les points. » Il en rajoute, volontairement. Il s’y connait un peu plus que ça, même s’il lui semble qu’il y a aussi pas mal de règles qu’il ignore, un peu plus compliquées. Mais il n’a pas besoin d’être un expert, on lui demande juste de regarder un match et d’applaudir au bon moment. Après, si Sameen veut lui apprendre, il ne dira pas non. Même si, à choisir, il préfère parler d’autre chose avec elle. Mais s’il faut cela pour passer à nouveau du temps avec elle, il acceptera. Mais ils ne manquent pas d’excuses pour se revoir.
Tout comme ils ne manquent pas de sujets de conversation. Et Reece a réellement l’impression qu’elle le comprend et l’écoute. Ça fait du bien. Surtout parce que la plupart des gens qu’il connait l’ont qualifié de fou quand il a quitté Hollywood pour écrire. Mais au fond, peu importe ce que les gens, eux, pensent être synonyme de bonheur et de réussite, il faut faire ce dont on a envie. Et c’est la raison pour laquelle Reece ne peut qu’encourager Sameen à croire en ses rêves. Certains ne se réalisent pas toujours, mais au moins, on a fait quelque chose qu’on aimait, et on vit sans regret. Des regrets, Reece en a. Mais revenir à l’écriture n’en est pas un. Pour ce qui est d’imagine son histoire en film, il n’en est pas encore là, même s’il sait que ça pourrait être envisagé. « Oui, c’est l’avantage, je connais déjà le milieu, alors je saurais comment faire en sorte que mon histoire soit respectée. » Dans ce sens, ça pourrait fonctionner. Mais il ne pense pas encore à ça. Finir son roman est déjà la première étape.
Même si l’écriture et ses personnages sont à des milliers de kilomètres de ses préoccupations de ce soir. Il préfère nettement trouver des excuses à leur médiocrité lors de la soirée trivia. Tout en continuant de se taquiner chacun leur tour. A croire que c’est plus fort qu’eux. « On mériterait un prix de consolation. » Pour une fois, ils sont d’accord pour dire qu’ils partaient avec un handicap, chacun. En effet, leur petit jeu ne les a clairement pas avantagés, à part peut-être sur les questions cinéma. Mais Reece éprouve quand même le besoin de lui dire qu’il aurait été meilleur un autre soir. Ce qui n’est pas forcément tout à fait vrai. C’est peut-être un peu une question d’égo. Mais surtout pour le principe, de la titiller encore un peu. « C’est l’avantage justement. Si je gagne, parfait. Par contre, si je me trompe, je pourrais dire que c’est parce que tu me déconcentrais. » Ce qui serait une technique parfaite, s’il ne venait pas de la lui avouer. Mais ce n’est pas comme s’il comptait vraiment faire ça. Il boit une nouvelle gorgée de son cocktail, qui arrive bientôt au bout. Devrait-il proposer un autre verre, prolonger la soirée, ou se montrer un peu raisonnable ? Au moins un peu. « Tu as un entraînement demain du coup ? » Il demande à moitié pour savoir si elle devrait rentrer, à moitié parce qu’il serait curieux de la voir en action.