J’avais mis presque une heure pour arriver à Bettery Weed, bus, métro, bus et encore un bus. Rien que ça, c’était pas du tout à côté du Bronx, il fallait surtout traverser tout Manhattan puis Brooklyn. J’avais passé la journée à trainer chez moi et à me demander si j’allais finir par réussir à me motiver à bouger ou non, puis il a fallu que Raven m’envoie un message pour me chauffer. De toutes façons, quand il est question de tune, j’étais toujours la première à me bouger. Sa mère avait pris rendez-vous avec moi demain, le genre de femme qui voit toujours tout noir et qui a même voulu s’donner la mort. Raven avait grillé que sa mère avait l’intention de m’appeler pour que j’lui lise les cartes. Il avait court-circuité son rendez-vous en me demandant de lui mentir. Ma propre mère m’avait toujours dit qu’il fallait jamais prendre les cartes à la légère, que les astres ne mentaient jamais et qu’il fallait pas s’en moquer. Le tarot est une science obscure qu’il faut manier avec précaution et si elle savait que j’avais accepté de manipuler les cartes pour les beaux yeux de Raven, je pense qu’elle m’aurait jeté un sort depuis bien longtemps. Mais money is money, business is business, ces rendez-vous me rapportent le double des autres juste parce que Raven est prêt à aligner un peu plus que sa propre mère juste pour lui redonner goût à la vie. Franchement, j’étais pas certaine que ce soit la bonne technique, parce que plus j’la vois, plus elle fait flipper.
La nuit tombait doucement sur New York et on allait sans doute croiser quelques punk à chien dans le vieux fort, bien que ce soit interdit au public, il y avait pas mal d’accès un peu partout où on pouvait passer entre deux grillages abimés ou même en sautant au-dessus d’un muret pas très haut. Le fort était devenu un endroit tellement emblématique pour les explorateurs qu’il y avait de plus en plus de ronde de la police, mais il suffisait de se faire discret pour être tranquille. On allait pas attirer l’attention sur nous en faisant trop de bruit ou en faisant un feu de camp en plein milieu de la cours.
J’attendais Raven, je scrutais la rue à la venue d’une voiture, des phares qui éclairaient la chaussée… pour le moment, rien à signaler mais il devrait plus trop tarder.

@Raven Rose

J’ai l’impression qu’ca fait milles ans que j’attends. Il a plutôt intérêt à venir et à pas m’planter parce que si non, les conneries que j’racontais à sa mère elles allaient s’transformer en une réalité qu’elle voulait pas entendre. C’était le deal. Si Raven voulait voir une version édulcoré de l’avenir de sa mère, il devait m’filer l’argent avant. Si non, ciao les mensonges, bonjour la vie morose et vive la déprime. Même si en vrai, sa mère a pas du tout besoin que j’lui raconte la vie en rose pour aller mieux. Parce qu’il a beau vouloir croire le contraire, sa mère, tôt ou tard, j’suis sûre qu’elle finira par y passer. Il fait que ralentir le processus avec ses conneries et en même temps, franchement, j’peux pas lui en vouloir d’avoir envie de profiter d’sa mère le plus longtemps possible. J’avais pas du tout envie de penser à ça, mais j’ai toujours eu une relation privilégiée avec mes parents, j’les ai toujours vu avec le sourire aux lèvres, l’envie de vivre à en crever même. J’ai du voir ma mère pleurer deux fois dans sa vie, au décès de son père et quand j’suis allée à l’école pour la première fois d’ma vie à quatorze ans. Et mon père, pas une seule larme sur ses joues. C’est pas une question d’égo masculin ou j’sais pas quoi, pas une question de virilité non plus. Il est juste incroyablement toujours heureux. J’ai grandit dans la famille du bonheur, juste nous trois, sur les routes interminable des States et j’ai jamais été aussi heureuse que quand y avait personne d’autre. Les autres, c’est toujours des soucis, des problèmes en veux tu en voilà. C’est les galères. Moi j’suis obligée d’travestir qui je suis vraiment. Pourtant, j’en ai tellement rêvé de cette vie normale, cette vie sociable et depuis que j’suis en plein dedans, j’ai jamais autant rêvé de ma solitude, de mes aventures. Et à la fois, j’ai pas envie d’quitter ce monde là. J’suis plein de contradiction et c’est à ne plus rien comprendre. J’sais pas qui j’suis vraiment, j’sais pas c’que j’veux alors c’est compliquer de faire savoir aux autres qui je suis réellement.
« Ji ! Merde, tu m'attendais ici ! Je me suis garé de l'autre côté. » ah bah voilà, j’pouvais toujours fixer la route et attendre qu’une voiture éclaire la voie. J’me retourne, parce qu’il arrive de l’autre côté. Il s’est pris pour un pirate de la street avec son jean troué ? Tu m’diras, au moins s’il l’abime un peu plus en passant au-dessus des barbelés, ca s’vera même pas. Je chope la lampe de poche qu’il me tend, il est équipé, mieux que moi pour l’occasion. C’est vrai que j’suis venue tellement à l’arrache que j’ai rien prévu, mais j’ai toujours le flash de mon téléphone si besoin. « C’est pas grave, cinq minutes de plus et j’repartais, mais bon, t’es là. On peut y aller ! » je tire du bout du doigt son chapeau qu’il venait de ranger dans sa poche pour le mettre sur ma tête. « Au moins, si on est filmé, on m’verra pas. » j’plaisante, y a pas une seule caméra ici, du moins, pas de ce côté-là. Et les autres sont du côté de l’entrée principale, on risque pas grand-chose. « T'es déja venue? On va contourner voir si y a pas une autre façon d'entrer, sinon.. je vais devoir te faire la courte échelle. » je jete un œil au mur en pierre qu’il éclaire et lui fait signe de me suivre en éclairant le même mur mais un peu plus loin. « Pas la peine. » ouais, j’étais déjà venu, oui, je connaissais bien le coin. C’était pas l’endroit que je préférais à NY mais c’était l’endroit le plus accessible quand on veut s’organiser une petite virée en dernière minute. J’ouvre la marche, y a même pas dix mètres à faire. « là. » je lui montre la partie du mur ébréchée et où quelques pierres manquent à l’appel. « On est pas les seuls à passer par ici. » clairement, avec le temps, on pourrait penser qu’une échelle a été gravée dans la roche. « Par contre, avant qu’on y aille, j’veux les tunes. » et j’lui tends ma main pour pas oublier avant de grimper. On sait jamais c’qu’il se passe dedans et si jamais on est obligé d’se séparer, au moins, j’repartirai pas sans rien. « Fais pas cette tête, ta mère s’en portera que mieux. » pour un temps, en tout cas. J’agitais mes doigts pour qu’il s’active un peu, mon sourire angélique fera passer la pilule.