Seize heure et c’est la fin des cours. Le retour d’après les fêtes n’a pas été très joyeux. Pas qu’elle n’est pas contente de revenir à l’école et surtout de retourner vivre la semaine chez Winter, mais parce qu’elle avait eu son bulletin de mi-année et… eh ben ce n’est pas beaucoup plus reluisant que celui de l’automne. À peine mieux, peut-être. Mais ça n’avait pas plut à son père, ça c’est certain. Il avait tempêté et avait presque réussi à convaincre sa mère que de l’inscrire à l’école publique avait été une mauvaise idée. Elle avait plaidé sa cause et un peu bullshité en prétextant que c’était que parce qu’elle avait été déconcentrée parce qu’elle avait dût se faire des amies en plus de tenter de se concentrer à apprendre le par coeur, mais que comme son petit cercle était plus stable maintenant, ça irait beaucoup mieux. Elle n’est pas certaine que ça fonctionne comme ça, mais il avait semblé accepter cette dernière chance à condition qu’elle passe plus de temps avec le tuteur que lui avait fourni sa grand-mère. Pour la forme, elle avait protesté que plus de temps allait franchement nuire à ses aptitudes sociales et ses loisirs, mais franchement, quelques heures de plus par semaine à reluquer écouter parler Khaled n’était pas pour lui déplaire.

Premier soir d’étude, elle avait déjà prévenu ses copines qu’elle ne pouvait rien faire ce soir parce qu’elle avait des cours privés et si elle avait déjà affirmé que son professeur privé était un pétard, aucune de ses copines ne l’avait encore vu. Du coup, elles ne se gênaient pas pour la charrier un peu. Alors pour ce premier cours de l’année 2021, Tawny avait demandé à Khaled s’il ne pouvait pas venir la chercher, ce qu’il avait accepté. Alors évidemment, elles étaient une demie douzaines de lycéennes de cernières années à s’être attroupées autour de Tawny sur le trottoir en face. Elles attendaient toutes avec fébrilité l’arrivée du fameux prof privé. Évidemment, l’arrivée de son chauffeur l’avait obligée à expliquer qu’elle avait déjà son transport ce soir, ce qui n’avait pas plut au chauffeur. Protestant qu’il était payé pour effectuer un transport, elle lui avait répliqué que si vraiment il voulait faire son boulot, que quelques-unes de ses amies étaient bien prêtes à monter, surtout s’il y avait le soda à volonté à l’arrière. Elle ne lui avait pas laissé le temps de protester et elle avait claqué la porte passager, mais ouvert la porte arrière.

- Les filles, si vous voulez un transport, je vous laisse mon chauffeur, lance-t-elle en revenant vers elles.

Quelques unes se montrèrent très intéressées par la proposition, mais elles allaient faire traîner un peu l’attente parce qu'elles voulaient voir le prof privé. Ce qui ne tarde pas à se faire. Et si Tawny s’attendait à voir Khaled, elle ne s’attendait pas au moyen de transport. Alors elle eut l’air aussi bouche bée que ses copines quand l’engin se contenta de ronronner devant elles.

- Hééé, Khaled… salut… mmm, dit-elle en rougissant quand même un peu.

Un brin mal à l’aise, elle tente toutefois de faire bonne figure. Tawny n'avait pas vu Khaled depuis près d'un mois, avant les vacances, et franchement, il est sûrement encore plus beau que dans ses souvenirs. Pourtant, son regard s'attarde surtout sur la moto. Elle ne peut pas dire qu’elle est super familière et à l’aise avec l'idée de monter sur une moto. Mais elle se félicite d’être en jeans et non en jupe.

Un sifflement admiratif se fait entendre, dès que le ronronnement de la moto cesse. Tawny rougit un peu, mais se fait violence pour garder une contenance détachée et naturelle. Quelques gloussements se font entendre. Elle roule des yeux, toutefois, sans doute pour affirmer sa contenance, justement.

- Oh, c’est très impoli, dit-elle de son ton le plus snobinard possible.

Elle a toutefois la décence de ne pas nommer son amie, parce que bon, elle ne veut pas non plus l’intimider. Ce n’était peut-être pas une bonne idée de vouloir faire la fanfaronne. Enfin, elle suppose que c’est ce qu’on récolte quand on fait la prétentieuse. Mais quand même, il donne un show où il bouge naturellement au ralenti ? Enfin, non, il n’est pas au ralenti, mais… presque… ok, d’habitude ses copines sont très bavardes, alors pourquoi personne ne piaille comme des moineaux ? Un léger câlin, elle se retient de ne pas inspirer profondément l'odeur de son parfum. Elle se demande si ce qui la rend si nerveuse c’est lui ou si ce sont ses copines qui l’observent… les observent.

- C’est vrai qu’il est sexy… Il fait toujours ça comme ça ? Vous avez entendu ? Il a ses bonbons préférés ! Ooooouuuuh !

Ah ouais, elle se disait bien qu’elles resteraient pas silencieuses longtemps. de discrets piaillements se font entendre et surtout, de grands sourires. Alors ouais, il a ses bonbons préférés ? Elle a toujours des Werther's Original dans son sac, mais elle ne le précisera pas, c’est trop gentil de sa part. Elle espère qu’aucune de ses copines ne la vendra.

- Oui, bien sûr ! Oh, merci !! C’est super gentil !!! dit-elle avec peut-être un peu trop d’enthousiasme.

Elle a un petit rire nerveux, surtout à l’énonciation de la moto. Ah oui, ok, elle va effectivement devoir y monter. Elle jette un rapide et, espère-t-elle, discret regard vers le SUV. Elle ne va quand même pas se dégonfler et dire à Khaled de suivre le VUS… surtout pas devant ses copines. Et pis bon, il lui présente un casque, ça ne doit pas être si dangereux… non... sûrement pas…

- Non. Non, non, pas du tout, dit-elle avec un sourire en prenant le casque.

C’est pas le genre de truc qu’elle met tous les jours et un instant de réflexion lui confirme que sa queue de cheval n’entrera pas dans le casque ou risque d’être inconfortable. Alors elle redonne le casque à Khaled et détache ses longs cheveux bruns. Quelques secondes de plus pour les recoiffer, parce qu’elle est une Thorvaldsen-Hirsch et que  même sous un casque ils sont un minimum coiffés. Ce qui, pour la majorité est un presque maximum… mais bon… Elle reprend le casque et le met sur sa tête. Elle glousse un instant et se retourne vers ses copines.

- Alors, vous en pensez quoi ? Elles ne répondent pas tant avec des mots qu’avec des interjections et des approbations. Elle ricane. Je suis prête !

Elle laisse Khaled reprendre la place sur sa moto et démarrer. Ensuite, elle prend place à son tour, essayant de prendre une place adéquate derrière Khaled… mais c’est pas évident de garder une distance « respectable » derrière lui. Mais une moto, c’est pas vraiment le truc pour la distanciation.  Tawny tente de se trouver une posture détachée et à l’aise, mais elle ne l’est pas tant que ça. Une chance que le casque cache le  malaise.

- Bye les filles ! lance-t-elle avec bonne humeur.

Elle cherche où placer ses mains un moment. Ouais, non, pense-t-elle. Khaled remet en marche la moto et accélère doucement, mais c’est assez pour qu’elle soit un brin déséquilibrée et qu’elle s’accroche soudainement à Khaled. La poussée d’accélération. Ouais, elle est pas trop nulle en science.

- Désolée ! Désolée ! Désolée !

Heureusement que le trajet ne sera pas trop long entre l’école et chez Wilhelm !

Elles ne sont pas du tout discrètes. Elle aurait dû garder ses réflexions pour elle-même au sujet de Khaled. Mais bon, elle ne s’attendait pas non plus à un tel engouement de leur part. Elle ne sait franchement pas trop à quoi elle s’attendait, en vrai. Se vanter, peut-être. Ouais, c’est sûrement ça, question d’avoir quelque chose à dire, question de se faire remarquer, peut-être… un peu… non, c’est sûrement ça. Son père le lui reproche souvent. Enfin, il le lui reprochait souvent. Disons qu’ils ne se voient pas beaucoup. Du coup, ce n’est pas la première fois qu’on le lui reproche. Ou peut-être plutôt qu’on le lui signale ? C’est sans doute vrai.

- Oh… oui… bien sûr… je suppose qu’en avoir déjà plein la tête est plus facile que de devoir m’y mettre, dit-elle, bien que parfois elle se dise que ce serait peut-être préférable de faire une pause entre les deux, question de se changer les idées.

Le temps de s’installer sur la moto, de la trouver inconfortable, d’être gênée de se retrouver si proche de Khaled, de tomber presque de la moto lorsqu’il démarre, elle se contente d’émettre un bref ricanement nerveux lorsqu’il lui dit de s’accrocher à lui. C’est franchement pas ce qu’elle préfère d’être aussi collé contre les gens… elle cherche de l’attention, peut-être, elle peut en convenir, mais pas ce genre d’attention. Pour être franche, elle n’apprécie pas particulièrement la balade… c’est juste… comment dire… inconfortable… très inconfortable, dans tous les sens du terme. Elle préfère le regarder en face, à vrai dire. Le trajet est heureusement rapidement exécuté et une fois arrêté, elle descend le plus rapidement possible de la moto et retire le casque. Elle le laisse terminer de se stationner et lui plante presque le casque entre les mains. Ouais, non, ce n’était pas agréable. Elle se sent beaucoup mieux une fois les pieds bien au sol. C’est terrifiant la moto… au moins une voiture possède quatre roues, c’est stable… on n’a pas à suivre le mouvement du conducteur…

Tawny reprend son aplomb assez rapidement. Elle n’a pas encore tout à fait dix-huit ans, mais elle est la fille de sa mère et la petite-fille de sa grand-mère. Le dos droit, elle relève le menton et inspire. Elle replace ses cheveux, parce que sous le casque, c’est un désastre, évidemment. Ne pas montrer ses faiblesses et surtout pas son malaise. Ne pas laisser croire qu'elle a été prise au dépourvue. Non, tout va bien. Tout est ok, tout est normal. Il n’y a absolument rien pour la troubler.

- Wilhelm n’est pas là, dit-elle, bien inutilement, puisque la voiture n’est pas là.

C’est bon, ils pourront s’installer sur la table de la cuisine, ça lui fera plus de place pour placer son montage. Elle déverrouille la porte et désactive le système d’alarme.

Ouais, c’est pas une mauvaise idée, ça, de ne plus jamais monter sur cette moto. Tawny hoche la tête. Elle essaie d’avoir l’air détachée, mais même si elle s’est retrouvée très près de Khaled, c’était vraiment pas confortable. Instable, inconfortable et pas rassurant du tout. Ouais, ok, elle manque décidément d’expérience avec les motos ? Peut-être qu’elle appréciera mieux la prochaine fois. S’il y en a une. Elle se dit que c’était vraiment pas la meilleure idée. L’inverse aurait peut-être été plus amusant, qu’il lui montre comment la conduire ? Peut-être… à réfléchir… ou non, va savoir… Ouais… on verra… c’est ma faute. Je n’aurais pas dû renvoyer le chauffeur, pense-t-elle avec une sorte de ressentiment envers elle-même. Elle a voulu faire la fanfaronne et voilà le résultat. Après tout, c’était bien la première fois qu’elle montait sur une moto… et elle n’avait pas voulu l’avouer, peut-être que ça aurait été plus délicat. Bref… tant pis.

- Oh, on s’installera sur la table de la cuisine.

Comme les gens normaux, pense-t-elle. Parce que bon, c’est pas tout le monde qui peut se permettre d’avoir une salle d’étude. Mais bon, chez Wilhelm, c’était pas comme ça. Évidemment, sa chambre était bien aménagée pour une étude au calme, sans distraction, mais Tawny préférait la table de la cuisine. Et pis bon, sa chambre, c’est sa chambre, c’est là qu’elle dort… Il faut avouer qu’avec les années de différence d’âge entre ses aînées et elle, elle n’avait pas longtemps dû partager les espaces avec eux. Donc faire ses devoirs dans sa chambre n’a jamais vraiment été quelque chose qui lui a été inculqué. Sa chambre était concrètement pour dormir… ok, plus tard elle y a amené des copines pour jouer, mais sa chambre a toujours été un endroit personnel, un refuge. Sa chambre à coucher, chez Wilhelm ne fait pas exception.

- Euuuuh… émet-elle en se reprochant aussitôt d’avoir émis ce son. C’est pas très chic. Mais bon, elle est à l’école publique… ouais, ok, c’est pas une excuse. Histoire, je crois, ajoute-t-elle en fouillant dans son téléphone pour y trouver son agenda. Oui, c’est ça, histoire. Elle pose ses chose sur la table. Je vais me changer et je reviens, dit-elle.

Elle ne fera surement pas ses devoir habillée comme elle a passé la journée. Elle a besoin de porter quelque chose de plus confortable. De moins… scolaire. Et pis bon, perdre l’habitude de se changer à chaque nouvelle activitée ne se perd pas en un clin d’oeil. Et parce que bon, elle n’est pas une sauvage à se laisser aller quand même. Elle est une Thorvaldsen-Hirsch. En passant près du frigo et en jetant un coup d’oeil à l’intérieur.

- Tu veux quelque chose à boire ? Manger ?

Ouais, bon ça, elle en a rapidement pris l’habitude, par contre.