- Je t’aime, tu le sais ça, n’est-ce pas ?
- Oui, bien-sûr que je le sais.
- Alors ne t’inquiète pas. Promis ?
- …
- Calliopé.
- Promis.

Quand je repense à cette conversation que j’ai eu en FaceTime avec Jens hier, je n’ai qu’une envie : me mettre la tête dans le four. J'aurais dû être plus rationnelle, moins fleur bleue et surtout, moins émotionnelle. Oui, j’ai encore pleuré quand j’ai vu son visage apparaître sur l’écran. Voilà déjà plus de deux semaines qu’il est parti au Danemark et je ne m’y suis visiblement toujours pas faite. Pourtant, j’ai tout intérêt à y trouver mon compte puisqu’il ne sera pas de retour avant fin avril. Je déteste ses employeurs. Je déteste sa boîte. Je déteste qu’on me l’arrache encore pendant des mois sous prétexte que c’est l’opportunité du siècle !

- M’man ?
- Oui ?

Brayon s’approche de moi tandis que je suis dans le canapé en train de regarder un documentaire à la télévision.

- Je vais dormir avec toi ce soir.
- Et puis-je savoir pourquoi, jeune homme ?
- Parce que Jens n’est pas là et que tu es triste.

Dans la vie d’un parent, il existe une terreur réelle : celle que vos enfants comprennent que vous êtes au plus bas moralement. Pendant des années, je me suis évertuée à toujours garder la tête haute mais il semblerait que cette fois, j’ai laissé derrière moi toutes mes bonnes habitudes. C’est inadmissible et j’ai tout intérêt à me reprendre rapidement. Hors de question que mes enfants perçoivent mon mal-être. Ici, c’est moi l’adulte, c’est à moi de m’assurer qu’ils vont bien et qu’ils sont heureux, non l’inverse.

- Est-ce qu’oncle Aleks vient toujours ?
- Affirmatif. Je suis quasiment sûre qu’il va encore vous ramener des cadeaux.

Brayon ne parvient pas à retenir un petit sourire enfantin. Celui-là même si me rappelle qu’il est encore très jeune malgré une maturité effarante. Il va avoir 9 ans et il m’épate de jour en jour.
J’embrasse mon fils sur le sommet du crâne et jette un œil à ma montre.

- Il ne devrait pas tarder. Tu peux aller vérifier si ton frère va bien ?
- Il dort.

Comme tout enfant de l'âge de Jaime qui se respecte, le mien dort. Tout va bien, rien à déclarer.

Aleksej avait rapidement bouclé ses dossiers pendant l’heure du déjeuner. Il était impatient de quitter son bureau mais plus encore de retrouver la famille Winshop. Le Danois avait expliqué leur départ à Montauk à son amie et également le fait qu’il allait décrocher un peu de son téléphone et faire une vraie coupure. Il avait besoin de se retrouver avec Solveig. Et de tenter de se retrouver lui-même. Il était tout de même ravi que Callie lui ai envoyé un message, de la voir et de voir les enfants. Son amie lui avait manqué. Et il avait pas mal de choses à lui raconter probablement.

Il sonna à la porte de l’immeuble et se présenta à leur porte. Comme d’habitude, ce fut Brayon qui vint l’accueillir avec enthousiasme. Il enlaça le garçon avec le même entrain.

“Maman a dit que tu allais nous ramener des cadeaux…”

“Ahh... Maman me connaît bien…”

Aleksej ouvrit sa sacoche et en sortit un petit sac en craft qu’il avait pris à la librairie. Les yeux du petit garçon s’ouvrir en grand en déballant le livre, courant vers sa mère pour le lui montrer, laissant choir l’emballage sur le sol. Si Callie et lui ne s’était pas beaucoup vu ces derniers temps, ça ne l’empêchait pas de prendre des nouvelles. Il aimait particulièrement quand elle lui parlait des garçons, quand elle lui racontait comment ils grandissaient. Il ramassa le sac qu’il posa sur la table du salon où Callie venait de se lever et l’attendait, un sourire aux lèvres.

“Tu verras les Vikings sont tellement plus intéressants que les chevaliers…”

Il adressa un clin d’œil à la jeune femme avant de venir l’enlacer avec tendresse. Brayon était déjà installé dans le canapé avec son nouveau livre et ne les écoutait déjà plus.

“Onkel Aleksej kom mor til undsætning …”

- Je n’ai pas besoin d’être sauvée, dis-je en finissant notre étreinte.

Alors que Brayon est déjà avec son nouveau cadeau, je ne peux m’empêcher d’avoir envie de réprimander Aleks. Il ne devrait pas autant choyer les enfants mais j’ai beau le lui dire à chaque fois, il continue. Voilà pourquoi je disais plus tôt à Brayon que je me doutais qu’il aurait encore quelque chose de la part du danois.

- Tu veux boire quoi ?

Le connaissant, il est fort probable qu’il me réponde “un café” mais comme je ne cherche pas à être présomptueuse, je le laisse prendre la décision. Après tout, Aleks a peut-être opté pour l’une de ces bonnes résolutions à la noix dont l’une d’elles serait “ralentir sur la caféine”, il semblerait que ce soit la mode pour beaucoup de personnes, ce qui ne fait pas mes affaires. Me concernant, je n’ai pas revu ma consommation à la baisse et ce ne sera pas pour demain la veille, surtout quand j’ai un homme à l’autre bout de l’Atlantique qui m’appelle à des heures incongrues.

- Comment va Solveig ?

Impossible que ce ne soit pas l’une de mes premières préoccupations. Quand Aleks m’a appris qu’elle était malade, j’ai eu de la peine pour le couple. Et puis les choses ne sont pas allées en s’arrangeant mais ne voulant pas m’imposer, je n’ai pas posé plus de questions que cela. En réalité, je me suis contentée d’être l’amie présente qui faisait des bons petits plats tandis que le Danois se laissait presque mourir de faim chez eux.

Aleksej se laissa tomber dans le canapé. Il avait toujours aimé venir se réfugier chez Callie quand il avait du baume au cœur. Elle avait un don pour le faire relativiser. Sans forcément le pousser outre mesure, elle arrivait à lui faire mettre le doigt sur les choses qui le tracassaient et selon le cas à revoir son jugement. Il avait toujours trouvé étonnant qu’elle et Solveig ne s’entendent pas plus que ça. Callie l’avait souvent fait se remettre en question dans sa relation en le poussant à essayer de prendre le point de vue de Solveig. Mais ce n’était pas plus mal comme ça. Aleksej n’avait jamais été très partageur. Concernant l’une ou l’autre.

Il avait bien fallu cependant qu’il prenne un peu de distance quand Jens était entré dans la vie de son amie. Mais il n’avait pas eu de problème avec ça. Il avait rapidement reconnu qu’il était un homme bon et respectable. Et Callie méritait d’avoir un homme comme ça dans sa vie. Au contraire, il avait appris rapidement à apprécier son homologue danois. Et quand il avait reçu des nouvelles de son amie, il avait bien compris qu’elle avait un peu le bourdon concernant le départ prolongé de Jens.

“Je prendrais un café si tu t’en fais un.”

Le regard d’Aleksej se posa sur Brayon qui semblait plutôt inspiré par les Vikings. Aleksej balaya la pièce du regard et conclu que Jaime devait probablement être à la sieste. Aleksej se gratta le menton tout en regardant Callie qui était partie faire des cafés.

“Plutôt bien étant donné les circonstances et tout ce qu’elle traverse. Ce n’est pas facile tous les jours mais elle a toujours eu beaucoup de volonté. Et d’obstination… Les médecins sont plutôt positifs quant à sa rémission mais le contre-coup est plus difficile à gérer, tout ce que ça implique… Mais globalement, je crois qu’on s’en sort pas trop mal.”

Un petit sourire se dessina sur son visage alors qu’un souvenir furtif revint à son esprit. Quelques textos. La salle de bain. Il sentit le rouge monter à ses joues et chassa cette pensée de son esprit.

“Toi par contre, tu ne serais pas en train de me faire un gros bourdon ?”

Il observait la jeune femme avec attention. Malgré l’air décontractée qu’elle tentait de se donner, elle pouvait difficilement cacher sa tête de six pieds de long. Il avait bien compris dans ses messages qu’elle avait besoin de parler ou au moins d’un peu de compagnie. Et il était là pour ça, comme elle était toujours là pour répondre à ses appels de détresse même quand il ne les lançait pas.

Ceux qui me connaissent bien savent que je ne suis pas du genre à me laisser facilement abattre. Il en faut beaucoup pour me voir poser le genou à terre. Malheureusement, lorsqu’il est question d’amour, je deviens particulièrement vulnérable. Voilà pourquoi, pendant de nombreuses années, j’ai refusé la compagnie du moindre homme. Après les événements douloureux vécus pendant mon adolescence, je ne souhaitais aucunement retomber dans les méandres de faux sentiments et d’un cœur en miettes. J’avais assez donné de ce côté-là.

Et puis, il y a eu Alistair à qui j’ai bêtement et naïvement donné ma confiance pour qu’il me laisse tomber du jour au lendemain. Puis ce fut au tour de Thomas. Une perle, celui-là. Mon amour de jeunesse devenu un caïd comme on en voit qu’à la télévision de nos jours. Un caïd qui m’a donné un enfant pour finir derrière les barreaux. Et soudain, comme sorti de nulle part, un danois est passé devant mon café, un soir pendant que j’étais en train de fermer. Il m’a demandé si je voulais de l’aide, ce que j’ai immédiatement refusé. Je pouvais me débrouiller seule. J’en étais parfaitement capable. Il a insisté et, évidemment, j’ai craqué. Nous avons commencé à parler en danois et très vite, un truc a fait tilt chez moi. Je me suis profondément détestée. Mais il a été charmant. Gentil. Attentionné. Il n’a pas cherché à être brusque, il m’a invité à boire un verre, un soir, puis un autre soir, il m’a invité à dîner. Et ainsi de suite jusqu’à ce que je lui accorde un peu ma confiance.

Cette confiance a fini par tellement bien s’installer que nous avons commencé à passer beaucoup de temps ensemble, seuls ou avec les enfants. Brayon l’a tout de suite adoré. Je craignais sa réaction car il ne semblait pas vraiment remis de l’arrestation de Thomas. Cet épisode l’a particulièrement choqué. Mais non, ça s’est étonnamment bien passé et Jens a réussi à obtenir sa confiance, à lui aussi. Aussi surprenant que cela puisse paraître en 2021, nous n’avons fait l’amour qu’après deux mois de fréquentation. Il connaissait mon passé (car je lui ai tout avoué un soir après avoir bu un verre de Pinot de trop) et a compris que le temps jouerait en notre faveur. Tout s’est fait naturellement, comme le fait qu’un matin, après qu'il se soit levé à trois heures du matin pour gérer les pleurs de Jaime, j’ai vu Jens endormi sur le canapé, mon fils dans ses bras, protégé, à l’abri de tout. C’est là où j’ai su. J’ai compris que Jens était le bon.

Evidemment, il a fallu qu’un truc cloche : ici, c’est sa carrière professionnelle. Architecte et d’origine danoise, l’homme navigue entre les deux continents depuis des années maintenant sans que cela n’est jamais vraiment posé problème puisqu’il n’avait pas de relation sérieuse. Calliopé Winshop, aka moi, est venu mettre le souk dans cette organisation presque militaire. Il ne me l’a cependant jamais reproché. Aujourd’hui, cependant, c’est moi qui commence à lui en tenir rigueur. Je flanche face à une distance qui m’effraie.

- Jens ne reviendra pas avant fin avril, dis-je simplement à Aleksej en lui tendant le café que je lui ai préparé en même temps que je naviguais entre les eaux sinueuses de mes pensées.

Aleksej compatissait avec son amie. Il avait déjà du mal à passer une soirée loin de Solveig alors il n’arrivait pas vraiment à imaginer plusieurs mois. Callie connaissait les tenants et les aboutissants liés à la profession de Jens mais il semblait que cela commençait à lui peser. Un autre signe qui prouvait que la jeune femme envisageait cette relation avec plus de sérieux. Elle n’avait pas besoin de son avis mais il avait vite approuvé cette relation. Quelque part, ça le rassurait un peu. Callie était mère et entrepreneuse, depuis aussi longtemps qu’il la connaissait, elle avait toujours été au four et au moulin.

Avoir Jens dans sa vie leur apportait une certaine stabilité, à elle et aux garçons. Aleksej avait beau être doué pour jouer les oncles gâteaux, il avait toujours été d’avis que ce n’était peut-être pas suffisant. Jens aimait les enfants, un autre point commun qu’il avait avec le Danois. Il avait su apprivoiser toute la famille, Aleksej y comprit. Quand elle était avec lui, Callie rayonnait. Et cette douceur était communicative. Aujourd’hui c’était à lui d’être là pour elle, alors que son prince charmant était de l’autre côté de l’océan.

“Et quand il reviendra, vous vous retrouverez comme si pas un jour n’était passé…”

Il lui adressa un sourire encourageant et pressa doucement son épaule. Il n’avait pas de paroles plus intelligente à dire. Tout ce qu’il pouvait faire c’était être là pour elle et la laisser se confier si elle en sentait le besoin.

“Peut-être que ce serait l’occasion de prendre un peu de temps pour toi. Tu navigues entre le café, les enfants et Jens sans jamais prendre une seconde pour respirer.”

C’était comme ça qu’elle fonctionnait, elle ne perdait pas de temps. Il en connaissait une autre comme ça. Il espérait que ça se calmerait avec l’âge, pour l’une comme pour l’autre. Parfois tout ça allait trop vite pour lui.

“Si jamais tu voulais prendre quelques jours avec les garçons, je serais ravie de te donner les clés de Montauk. À cette époque de l’année, c’est plutôt calme et il doit probablement encore y avoir un peu de neige. Ou même si tu veux prendre un week-end juste pour toi, je pourrais garder les garçons.”

Il n’était pas rare qu’Aleksej joue les baby-sitters mais en général c’était l’occasion d’une après-midi ou d’une soirée. Quand ça arrivait il venait à l’appartement ou emmenait les enfants en promenade ou pour une activité. Brayon avait déjà suggéré qu’il pourrait partir en vacances chez Tonton Aleksej mais ce n’était pas une idée avec laquelle il était particulièrement confortable. Il gardait toujours les garçons seul en général. C’était son moment à lui avec Brayon et Jaime.

J’aurai dû me douter qu’il ne comprendrait pas. Pour lui, tout est simple, il n’est finalement question que de quelques mois loin de Jens mais c’est bien plus compliqué que ça.

- Tu réagirais aussi bien si Solveig était loin de toi pendant tant de temps ?

Oui, je sais que cette question est injustement posée mais je n’ai pas la patience de gérer les bonnes paroles de mon ami aujourd’hui. Je ne veux pas entendre que ça va aller, je ne veux pas entendre que ce n’est pas la fin du monde car je sais déjà toutes ces choses. Cela ne les rend en rien plus faciles. Je suis déjà éreintée de devoir de nouveau gérer ma vie telle une bonne vieille célibataire que j’étais il n’y a pourtant pas si longtemps que cela.

Un soupir s’échappe de mes lèvres tandis que je me passe la main dans les cheveux.

- Excuse-moi, je suis injuste. Ton offre est adorable mais je ne préfère pas m’éloigner de New York. Brayon ne peut pas manquer l’école.

Et je suis parfaitement incapable de partir loin de lui et de Jaime. Même si je sais qu’ils seraient en totale sécurité chez Aleksej et Solveig. Le problème n’est pas là, je ne sais juste pas vivre sans eux. Je n’imagine plus ma vie sans eux à mes côtés. Passer une journée sans eux, passe encore mais au-delà, j’en ferai une crise cardiaque ou pire.

- Tu veux une part de gâteau ? J’ai fait un gâteau au yaourt ce matin pour Brayon.
- Je peux en avoir ? lance une voix depuis le salon.
- Dans une heure, répondis-je après avoir vérifié l’heure à ma montre.
- Pourquoi oncle Aleks a le droit, lui ?
- Parce qu’oncle Aleks est un adulte.
- C’est injuste.

Impossible de ne pas lever les yeux au ciel en entendant Brayon dire ça. C’est sa grande phrase en ce moment, tout lui semble particulièrement injuste.

- Ton neveu est en pleine crise d’injustice, ces temps-ci, dis-je au Danois.

Aleksej tentait de désamorcer la situation sans succès. Il voulait être un support pour la jeune femme. Lui apporter un peu de réconfort mais c’était sans succès et peut-être qu’il n’avait pas à faire tant d’effort. Callie avait également tentée de réconforter Aleksej quand Solveig était partie chez Alice et Mark mais y avait-il réellement quelque chose qui pourrait l’apaiser ? Même s’il adorait Callie et que ses intentions étaient des plus sincères, peut-être que ce n’était pas sa place à lui. Il ne voulait pas s’immiscer dans son histoire avec Jens. Il voulait simplement la soulager d’un poids.

“Non, tu as raison… Je ne suis pas en mesure d’imaginer passer ne serait qu’un jour loin de Solveig… et je ne suis pas en mesure non plus d’imaginer ce que pourrait signifier être loin de Jens pendant aussi longtemps…”

C’était la dernière preuve dont il avait besoin. La dernière preuve qui montrait que cet homme représentait plus. Il ne s’agissait pas d’une simple histoire de flirt. Callie semblait ressentir quelque chose de fort pour le Danois. Et peu importait l’avis d’Alesksej au final. Mais à force de fréquenter Jens, il pouvait deviner qu’il n’était évidemment pas indifférent à la jeune femme. Son comportement avait rallié Aleksej à sa cause. Cet homme était patient et attentif. Et la manière qu’il avait de regarder son amie.

“Mais je crois qu’il est amoureux de toi et je ne pense pas que quelques mois puisse venir à bout de ce que vous ressentez l’un pour l’autre…”

Il n’avait jamais été dans cette situation. Pour sa part, il s’était agit de tout l’inverse. Bien avant que les choses ne deviennent aussi sérieuses, Solveig et Aleksej était déjà assignés à résidence. C’était comme ça que c’était construit leur relation. Ils étaient ensemble quasiment toute la journée, la nuit aussi. À tel point qu’il était difficile pour Aleksej de passer du temps séparé d’elle. C’était presque maladif. Après le confinement, après la maladie, son cerveau tournait en rond encore et encore. Il ne voulait rien d’autre. Rien d’autre que d’être avec elle. Rien d’autre n’avait d’importance à ses yeux et il ne trouvait d’intérêts dans rien.

“Ce serait hypocrite de dire que je suis en mesure de comprendre… ou en tout cas de te conseiller de prendre sur toi… Je ne pourrais jamais prendre de recul quand il s’agit de Solveig et ce serait malvenu de te demander de le faire avec Jens… mais le fait est qu’il sera absent un certain temps. Je déteste te voir dans cet état mais je n’ai aucun doute quant aux motivations de cet homme… Être séparé est désagréable mais je n’ai aucun doute sur le fait que LUI ne t’en aimerais que plus... “

Une sorte de sourire mis figue mis raisin se dessina sur les lèvres du Danois. Il savait que Callie lui ferait confiance en ce qui concernait les garçons mais elle n’était tout de même pas prête à passer ce pas-là. Peut-être qu’il ne l’était pas non plus. Il ne savait pas vraiment. Ces derniers jours, ces dernières semaines avaient été un peu compliquées pour lui. Les sous-entendus, les non-dits, avaient été trop nombreux dans un si court laps de temps. Il ne savait pas exactement où Solveig se situait dans sa place de femme, dans la possibilité ou l’envie d’avoir des enfants.

Il n’avait pas pu y réfléchir. Il s’était contenté de cloisonner ce genre de pensée. Quand Solveig serait prête, elle lui dirait ce dont elle a envie, besoin, ce qu’elle en pensait et il ferait avec. Mais il savait parfaitement que rien ne serait pire que de s’imaginer des choses qui n’arriveraient jamais. L’espoir était le plus sournois des sentiments. Il ne voulait pas espérer, se faire d’idée. Tout ça restait sous scellé.

Un sourire se dessina sur le visage du Danois en entendant le petit garçon se plaindre. Bizarrement, il comprenait parfaitement sa demande, sa frustration peut-être aussi.

“J’attendrai la bonne heure… être un adulte n’est pas une raison suffisante… Brayon et moi goûterons ensemble…”

Il sourit au petit garçon qui semblait surpris de la réaction d’Aleksej. Les adultes prenaient rarement le parti des enfants finalement. Aleksej réalisa qu’il avait souvent été du côté de Rebecka mais pas toujours. Il avait besoin de parler avec son ex-femme, il avait besoin de parler avec la mère de son enfant. Pour savoir. Ces derniers temps, il réalisait que sa vérité n’était pas toujours une vérité absolue.

Je sais bien que les mots d’Aleks devraient me rassurer, malheureusement c’est presque l’effet inverse qui se produit. Quand il dit je crois qu’il t’aime, ce n’est pas ça que je veux entendre. Si Aleks était sûr de lui il dirait je sais qu’il t’aime. Or, en choisissant le verbe « croire », l’homme me prouve qu’il n’en a finalement pas la moindre idée et qu’en rien, il ne peut me rassurer.

Comme par miracle, il se rattrape en me disant qu’il n’est pas en mesure de comprendre à proprement parler la situation dans laquelle je suis, mais qu’il essaie. L’entendre me dire qu’il ne doute pas de Jens devrait me rassurer mais malheureusement, rien n’y fait, je suis imperturbable dans ma propre désolation aujourd’hui.

Proposer quelque chose à manger à mon ami me vient naturellement. Aussi, c’est une manière pour moi de changer de sujet plus qu’autre chose. La politesse fait partie de ma vie de tous les jours, et ceux qui me connaissent le savent pertinemment : on ne vient pas chez moi sans ne rien avoir à manger.

- Un jour, il faudra mettre un terme à cette manie que tu as de ne jamais te désolidariser de Brayon, dis-je au danois en souriant d’un air amusé.
- C’est parce qu’oncle Aleks est gentil, m’man.
- Est-ce que cela signifie que je ne le suis pas ?

Un long silence s’impose dans la pièce, un silence que je ne suis pas sûre de vraiment apprécier. Qu’est-il censé représenter, celui-là, encore ? Mon fils me considère-t-il maintenant comme la figure maternelle intransigeante que je m’efforce pourtant de ne pas (trop) devenir ?

- Brayon Winshop ?
- C’est pas pareil, dit le petit avant de se lever, avec son nouveau livre dans les bras, pour filer droit dans sa chambre sans demander son reste.

Une fois le petit disparu, je pose une main à l’emplacement de mon cœur et prends un air dépité.

- Est-ce que mon fils essaie de m’anéantir ?

Aleksej avait la bizarre impression que chacun des mots qu’il prononçait pour essayer de remonter le moral de la jeune femme agissait comme un caillou qu’il jetterait dans la mare. Il était loin d’être un expert quand il s’agissait des mots de cœur des femmes. Son propre couple en attestait largement. Il nageait en eaux troubles mais il essayait de faire de son mieux pour être un bon ami pour Callie. Pour rattraper toutes les fois où elle avait su lui ouvrir les yeux, le pousser dans la bonne direction avec Solveig.

Le Danois ne put s’empêcher de sourire quand la jeune femme le sermonna gentiment de prendre le parti du petit garçon. Il n’y pouvait rien. La relation qu’il avait noué avec Brayon au fil des années était tendre et amicale. D’ailleurs si on lui posait la question, il répondrait probablement que son meilleur ami avait 8 ans… Aleksej n’avait pas beaucoup d’amis hommes. Il s’entendait très bien avec Jens, mais il restait le petit-ami de Callie. C’était elle son amie. Bizarrement, il en était de même pour Alice et Mark. S’il s’entendait bien avec le couple, c’était avec Alice qu’il avait le plus d’affinités.

“Qu’est-ce que tu veux que je te dises… du jour où j’ai tenu Rebecka dans mes bras pour la première fois, j’ai su que je serais toujours de son côté… ou de celui de n’importe quel enfant… je suis faible et ils le savent...”

Il aimait la manière dont les enfants réfléchissait, l’innocence de leur question, la pureté de leurs sentiments. Avec les enfants, les choses étaient plus simples aussi. Pour lui en tout cas. Leur honnêteté ne laissait aucune place à l’interprétation. Pour un esprit cartésien comme celui d’Aleksej, c’était une zone de confort. Il leva un sourcil en souriant en voyant Callie jouer la désabusée. Il ne pouvait évidemment pas nier que la remarque du garçon flattait méchamment son égo.

“J’aimerais bien pouvoir te dire que c’est la préadolescence mais je ne suis pas allé aussi loin…”

Il poussa un soupir avant de sourire tristement et de plonger son regard dans sa tasse de café.

Aleksej Svendsen ou l’homme capable de plomber l’ambiance en moins de temps qu’il faut pour le dire. Voilà un titre de roman que je devrais potentiellement exploiter si je cherche à devenir célèbre.
Il est rare que le danois évoque sa fille avec moi (ou avec les autres, pour ce que j’en sais) mais j’admets volontiers que j’aurai tout autant préféré qu’il ne le fasse pas du tout aujourd’hui si c’est pour jouer la carte de la petite phrase déstabilisante.
Que suis-je censée répondre à ce qu’il vient de dire ? Comment puis-je enchaîner sans le brusquer ?

- Ne me parle pas de pré-adolescence, ce n’est qu’un bébé.

Voilà comment. Je vais mettre en avant mon incapacité à accepter le fait que mon fils est en train de grandir sous mes yeux sans que je ne puisse rien y faire.
Brayon est encore jeune mais je vois bien, chaque jour durant, les changements qui s’opèrent chez lui, dans son comportement notamment. Alors qu’avant, il ne rechignait à rien, je sens aujourd’hui parfois une certaine lassitude ou une simple non envie de faire telle ou telle chose. C’est aussi perturbant que agaçant.

- Je pense que Jens lui manque aussi, c’est tout.

Bonjour, moi c’est Calliopé Winshop et j’adore me voiler la face. C’est plus facile pour avancer dans la vie.

- Bon, assez parlé de ma solitude terne et pesante. Parle-moi de comment ça se passe à la maison; pour toi.

Avec le peu d’informations que j’ai eu, je sais que les derniers mois ont été particulièrement compliqués pour Aleksej mais aussi pour Solveig. Je n’en ai pas parlé avec la brunette parce que je ne me suis pas sentie en droit de le faire. Je suis l’amie de son compagnon, pas son amie à elle. Pas vraiment, du moins. Nous apprécions la compagnie l’une de l’autre quand nous sommes amenées à passer un moment ensemble, mais nous sommes si différentes qu’il est évident que nous ne pourrions pas passer une semaine ensemble sans se trouver dans une étrange atmosphère de malaise. Nous n’aurions probablement rien à nous dire, à un moment donné. Ce n’est pas grave, je n’en fais pas une affaire d’Etat. Pour moi, l’important est qu’elle rende mon ami heureux et je pense que c’est le cas.

Aleksej parlait très peu de son passé, encore moins de sa fille. Mais depuis l’annonce du cancer de Solveig, depuis la pause qu’ils avaient fait dans leur couple et finalement leur réunion et l’opération réussie, il avait senti qu’il avait passé un cap dans leur relation. Il voulait lui faire confiance, être capable de tout lui dire. Au moins essayer. Et c’est dans ce sens qu’ils avançaient. Un pas après l’autre, mais toujours en avant. Lena n’était pas tout à fait innocente dans ce changement de comportement non plus. Quand Aleksej était au plus bas, elle lui avait ouvert les yeux sur ce qu’il avait eu et sur ce qu’il avait.

Il pouvait s’estimer heureux d’avoir été le père d’une petite fille aussi extraordinaire que Rebecka. À présent, il pouvait s’estimer heureux d’avoir une jeune femme aussi incroyable que Solveig dans sa vie. Et c’était le cas. Il était parfaitement conscient de sa chance. La balance de cet amour profond était le sentiment de vide qu’il ressentait en son absence. Mais il était conscient qu’il ne pouvait pas constamment être sur ses talons. Solveig était indépendante et affranchie de tout et de tous. Et c’est lui qu’elle libérait.

Maintenant qu’il avait passé cette étape dans son couple, il sentait qu’il pouvait être un peu plus à l’aise avec ses amis. Notamment avec Callie. Elle avait toujours été là pour lui ces dernières années, à l’écouter ou à le deviner.

“Ne t’en fais pas, va… même en grandissant, il restera toujours ton petit garçon… et tu seras toujours sa maman… Et je parle d’expérience…”

Il lui adressa un clin d’œil malicieux. Aleksej était un fils à maman et il avait fait la paix avec cette idée il y a bien longtemps. Aujourd’hui il l’assumait totalement. Aucune femme ne remplacerait jamais sa mère. Ces deux-là avaient une relation bien particulière et il imaginait que ce devait être le cas de beaucoup de mères et de fils. Aleksej posa sa tasse sur la table du salon et leva les yeux au ciel en remarquant comment son amie avait habilement changé de sujet.

“Et bien… ça va… Solveig a repris le travail… moi aussi… la vie reprend son cours... “

Son ton était emprunt de nostalgie. Ils semblaient loin les jours passé à flâner en amoureux à Montauk. Loin le calme et la sérénité.

“Je serais hypocrite d’essayer de te dire que la distance entre toi et Jens n’est que temporaire et que le sentiment de solitude va s’atténuer… J’arrive difficilement à passer une demi-journée sans voir Solveig… et j’ai toujours cette impression que ce n’est pas suffisant… d’en vouloir plus…”

Contrairement à Aleksej, je ne suis pas arrivée au point de ne pas réussir à passer une demi-journée sans Jens. Heureusement, vu nos emplois du temps respectifs, si j’en étais arrivée à ce niveau-là, je serai déjà en dépression nerveuse, je pense.
Un petit sourire amusé vient prendre place au coin de mes lèvres tandis que je lance un regard vers mon ami, un regard qui en dit très long sur ce que je pense actuellement.

- On ne serait pas devenu un peu accro à sa copine, Aleksej Svendsen, par hasard ?

Même si je pose la question, je n’ai pas vraiment besoin de réponse. Lui comme moi savons pertinemment qu’il est totalement accro à Solveig depuis le jour où il a posé les yeux sur elle quand ils se sont rencontrés au Callie’s pour je ne sais plus quelle raison. Je n’oublierai tout bonnement jamais cet après-midi pour de multiples raisons : d’un, il est tombé amoureux ce jour-là, deux il a fait une crise d’angoisse telle qu’il a fini aux Urgences. Oui, mon ami aime faire les choses de manière toujours très théâtrale, il semblerait.

- Jens va rentrer, je le sais. Je suis juste un peu dépassée en ce moment.

Oui, dépassée. Je pense que c’est le terme. Les crises à répétition de Brayon n’aident pas non plus mais je ne peux pas en vouloir à l’enfant. Lui aussi gère la situation comme il le peut et ce, même si je ne trouve pas que ce soit de la meilleure des façons.

Un sourire en coin se dessina doucement sur les lèvres du Danois en entendant Callie parler de sa dépendance envers Solveig. Son regard se perdit l’espace de quelques secondes dans le vide et il poussa un long soupir. Il avait cette femme dans le sang, c’était évident. Il ne s’en cachait pas d’ailleurs. Il n’avait pas de demi-mesure, c’était un fait. Il l’aimait de tout son cœur, de ton son corps et de toute son âme. Elle était celle qui lui avait refait croire en l’amour.

“Dire que c’est toi qui a mis le doigt là-dessus avant tout le monde… avant moi…”

Callie avait déjà des intuitions sur les sentiments d’Aleksej avant même que l’idée ne lui traverse la tête. D’ailleurs c’était peut-être elle qui avait allumé sans le vouloir cette petite étincelle qui brûlait à présent ardemment le cœur du quadra. Ce n’était pas souvent que Calliopée admettait être en position de faiblesse. Elle avait toujours le contrôle sur sa vie, était indépendante et fonceuse. Il posa sa main sur l’épaule de la jeune femme qu’il pressa gentiment.

“Tu as déjà vu bien pire…”

Il pensait au café, à Thomas Kray, au tueur de New-York, à tout ce qu’elle avait traversé les années passées. Peut-être que l’accumulation avait érodé peu à peu la confiance de la jeune femme. Il espérait que non. Elle lui avait parlé des petites complications qu’elle avait avec Brayon et il en était navré. Il semblait que les problèmes allaient et venaient avec les différents voyages de Jens.

“Tu sais que je serais plus que ravi de m’occuper un peu des garçons mais je n’insisterais pas plus… j’ai bien senti que tu n’étais pas prête à les confier à quelqu’un et je comprends parfaitement.”

Il n’aurait pas non plus laissé la garde de Rebecka à n’importe qui. Même à ses meilleurs amis. Du moins durant les premiers mois. Il avait couvé sa fille comme la chose la plus précieuse qu’il avait au monde et il comprenait qu’avec le contexte de la naissance de Jaime, Callie ferait tout pour préserver leur équilibre.

- Appelle-moi Cupidon !

Je ne peux pas dire que je ne suis pas fière d’avoir vu juste concernant Aleksej et Solveig. Il suffisait de les voir, ce jour-là. La tension entre eux était palpable, évidente. Oui, voilà, tout entre eux était évident.

- Quand on pense qu’elle t’a empoisonné...et maintenant, te voilà accro.

Impossible de ne pas en rire.
Tout le monde ne doit pas savoir comment ces deux-là se sont rencontrés. Ce n’est pas quelque chose qu’Aleksej doit avoir envie de crier sur les toits, je ne peux que le comprendre. A sa place, je n’aurai probablement pas osé en parler.

- Tu me prenais pour une folle furieuse quand je t’ai dit que tu avais rencontré la femme de ta vie. Tu vois, j’avais raison.

Peut-être que je devrais créer des soirées speed-dating au café, un soir par mois. En vérité, cette idée m’a traversé l’esprit plus d’une fois mais je n’ai jamais rien couché sur le papier. Il serait intéressant que je vérifie si quelque chose pourrait être fait à ce niveau-là. Après tout, moi qui adore aider les gens, peut-être pourrai-je réussir à créer un couple ou deux. Ce serait une sacrée réussite dans ma carrière !

- Je suis heureuse que tu sois heureux, Aleks. Je ne le dis pas assez.

Je lui souris et ne peux m'empêcher de lui mettre un petit coup dans l'épaule.

- Tu sais que je te fais confiance avec les enfants. C'est juste...je n'ai pas envie de me séparer d'eux alors que Jens n'est pas là. La solitude...tu sais que ça ne me réussit pas.

Le Danois ne pu s’empêcher de lâcher un petit rire quand la jeune femme se déclara être Cupidon. Il était vrai qu’elle avait un certain talent pour lire à travers les gens. Même une fois les choses devenues sérieuses avec Solveig, il s’était souvent tourné vers elle dans les moments de doutes. Elle lui donnait un point de vue féminin dont il avait grandement besoin. Avoir grandi entouré de femmes ne faisaient pas tout et parfois il se retrouvait désemparé face au comportement de la jeune femme. Callie mettait un nouvel éclairage sur sa vision des choses. Il rigola à nouveau en repensant à cet épisode de leur passé qui lui semblait bien loin à présent.

“Ce n’était pas gagné d’avance… mais peut-être que ça valait le coup de se faire empoisonner…”

Il adressa un clin d’œil à la jeune maman. Si Solveig restait toujours un peu piquante quand le sujet était abordé, Aleksej n’avait aucun problème à évoquer le contexte de leur première rencontre ni a en rire. Il aimait bien la taquiner gentiment avec ça. D’une certaine manière, il trouvait ça plutôt romantique. Un nouveau sourire sur les lèvres du danois vint illuminer son visage quand Callie évoqua le fait qu’il avait trouvé la femme de sa vie.

“Je suis content que tu ais eu raison…”

Aleksej prit la main de la jeune femme dans la sienne. Il ne voulait pas paraître insistant mais il ne voulait pas non plus la laisser encaisser continuellement sans rien pouvoir faire. Calliopée avait toujours été là pour lui et elle n’avait pas hésité à mettre ça vie de famille entre parenthèse quand il avait eu besoin d’être épauler au moment où il s’en faisait pour Solveig.

“J’ai bien compris que tu ne voulais pas te retrouver toute seule. Mais peut-être que de passer un moment avec Brayon, juste toi et lui pourrait te permettre d’arrondir un peu les angles. Il a probablement besoin d’un petit peu plus d’attention.”

Aleksej jeta un coup d’oeil vers la chambre du garçon. Il avait beau grandir à une vitesse folle et faire preuve de beaucoup de maturité pour son âge, il resterait toujours le fils de sa mère. Et parfois, ce dont un enfant avait besoin c’était de se comporter comme un enfant et d’être choyé comme tel.

“Je pourrais passer prendre Jaime un matin et tu pourrais revenir le chercher en fin de journée, Brayon et toi pourriez dîner à la maison avec nous. Si tu mets une fournée d’Abaelskiver dans le sac, Solveig n’y verra que du feu…”