Ezra avait la tête ailleurs, et ce depuis le début du service. Ce n’était ni le jour ni le moment. Comme chaque samedi, les clients affluent particulièrement et on compte sur lui. Ses gestes ont beau être méthodiques et presque automatiques avec l’expérience, lorsque la tête ne suit pas, il n’est pas possible de préparer des mets de qualité. C’est l’odeur d’une lotte qui crame dans la poêle qu’il est censé surveillé qui le ramène à la réalité. Et il râle, contre lui-même, contre sa maladresse, contre la terre entière. Les propos de Briséïs lui restent en tête, se mêlant dans ses pensées, se répétant comme un refrain. Il revoit son visage, et plus précisément son regard, aussi, quand la veille, il y avait été particulièrement fort. La culpabilité le ronge. Encore et encore. Toujours. Et il ne voit aucune issue, augmentant ses peurs et son mal-être. Faire du mal à un être aimé… S’il s’en croyait capable, Dieu sait qu’il n’aurait jamais cherché à se mettre en couple. Ou peut-être que si ? Une fois de plus, il s’était juré qu’il prendrait rendez-vous avec un psychiatre dès le matin, qu’il demanderait à se faire interner pour se faire soigner, mais une fois de plus, il était 14 heures et il n’avait toujours pas composé le numéro. Pourquoi ? Lui seul le sait.

Son regard croise bientôt celui de sa cheffe, Lizbeth. « Désolé… Je fais pas autant de merdes d’habitude. » Elle le sait pertinemment. Il est plutôt du genre sérieux dans son boulot, appliqué, passionné par ce qu’il fait… mais juste pas ces derniers temps.

Catastrophe sur catastrophe, Lizbeth subissait la pression des commandes qui affluaient sans discontinuer, il ne fallait pas plier, il ne fallait pas se laisser déborder, c'est pourquoi Lizbeth durant toute l'heure du service n'avait pas plaisanter, quitte à avoir une nouvelle fois le surnom de gorgone, elle avait l'habitude. Elle réfléchissait à un nouveau met à présenter à la carte la semaine prochaine, histoire de se renouveler un peu, mais l'odeur de brûlé la tirait de ses songes. Elle serrait les dents et les poings pour ne pas s'énerver sur Ezra, mais elle le fusillait du regard, pour qu'il comprenne que ce n'était pas le moment de merder, avant de finir de dresser son assiette et de l'envoyer. Quand elle regarde l'heure, elle souffle. Bientôt la fin du service. Elle récupère les commandes et lance la préparation avant de commencer le dressage de l'assiette avec une minutie qui ne connaît qu'elle. Quand la dernière assiette sort de la cuisine, elle souffle et se passe les mains sous l'eau avant de croiser le regard d'Ezra « Oui, je sais. Mais tu sais qu'il faut que tu te resaississes. » Elle essuie ses mains dans le torchon qu'elle balance pour qu'il aille à la laverie avant de sortir son téléphone pour voir une photo de sa fille, elle s'autorise un sourire « les problèmes restent en dehors des cuisines, on l'a déjà dit, non ? »

Le regard furibond qu’elle lui avait lancé en disait long sur son mécontentement. En même temps, même lui se serait mis des claques. Pas professionnel pour un sou. Qu’est-ce qu’il croit ? Lui qui se veut si irréprochable – au travail en tout cas. « Ouais. » Il baragouine dans sa barbe, n’aimant pas vraiment se prendre des remarques, surtout quand elles sont si fondées… « Je m’énerve moi-même donc c’est dire… » finit-il par avouer. Oui, les problèmes restent à la maison, ou en tout cas en dehors du restaurant. On lui avait assez répété comme ça, mais le mieux serait qu’il n’ait pas de problème, ainsi tout serait parfait. « De pas faire mieux qu’un apprenti qui sort de l’école… » Il soupire et souffle en même temps. Trop perfectionniste, il n’accepte pas la moindre erreur venant de lui-même, et applique les mêmes principes pour les autres, pour le coup.
Bref, il est temps de passer à autre chose, Ezra, alors on respire et on se ressaisit. Il emmène les ustensiles qui ne vont plus servir pour ce midi en plonge et donne quelques consignes au plongeur. Puis, il revient avec de la vaisselle propre qu’il range. Ne jamais faire un aller-retour pour rien. Eviter les gestes inutiles. Être productif. Toujours productif. « Tu voulais faire un point, pour ce soir ? J’ai crû comprendre qu’il allait y avoir des absents ? Ca va encore être chaud… » En sortie d’hiver, il n’était pas rare que certains employés soient malades, mais Ezra avait l’impression que c’était pire cette année que d’habitude. Ils arrivaient toujours à se débrouiller mais certains services s’était avérés plus difficile ces dernières semaines lorsqu’ils étaient en sous-effectif.

Ezra sait pertinemment que Lizbeth ne laissera rien passer, jamais. Pas dans ses cuisines. Les états d'âmes, les peines de coeur et autres sensibleries n'ont pas lieu d'être. C'est peut-être même pour ça qu'elle l'a comme sous chef, parce qu'elle pensait qu'il tenait le coup. Tout le temps. Mais non. Mais elle ne lui en tient pas ou peu rigueur, elle sait comment il est habituellement. « Un apprenti qui sort de l'école aura envie de bien faire et de laisser ses problèmes au placard. Mais ça va pour cette fois. » explique t-elle avec un sourire en finissant de ranger ce qu'elle était en train de faire. Et une fois qu'elle avait terminé, elle regardait Ezra en se faisant craquer la nuque « Oui, John est absent, et aux dernières nouvelles Vanessa aussi. » Elle souffle un peu en passant une main derrière sa nuque « Ça va être la course ce soir. Je compte sur toi pour assurer hein. » lui demande Lizbeth en le regardant. Non sans un regard insistant. « Tu veux un café ? »

Il se racle la gorge pour faire définitivement passer la pilule de ses échecs professionnels et laisser le tout derrière lui pour ce soir. « Plutôt deux fois qu’une, cheffe ! » dit-il sur un ton gay, imitant un aspect presque militaire, large sourire aux lèvres. Il allait profiter de l’après-midi pour se réconcilier avec Briséïs, ils s’excuseraient une énième fois, ils se diraient qu’ils s’aiment et le tout serait oublié, le service du soir roulerait comme sur des roulettes. Il hoche la tête quant à la proposition d’un café, prenant les devants pour aller servir deux tasses à la machine à café. Non pas par galanterie, ni pour se faire pardonner ses erreurs, juste l’habitude de vouloir bien faire.
En peu de temps, chacun d’eux se retrouvent avec un café entre les mains. De quoi réchauffer les mains si tant est que ce soit nécessaire. « Comment va ta fille ? » se hasarde le sous-chef dans le but de faire la conversation. Il a toujours aimé faire connaissance avec les gens, et notamment ceux qu’il est amené à côtoyer presque tous les jours, mais entre les coups de rush et tout, ils n’ont pas toujours le temps de sympathiser outre mesure ; ou alors il y a du monde avec eux. « J’imagine que c’est pas toujours évident, avec les horaires… » dit-il comme s’il réfléchissait pour lui-même à sa vie dès qu’il aurait lui-même des enfants.

Lizbeth n'était certainement pas du genre à être le genre de chef qui crie, hurle sur ses employés, est persuadée d'avoir raison. Non, Lizbeth cherche à comprendre pourquoi, pour elle la communication est essentielle. Et tant qu'il n'y a pas de communications, il n'y aura pas de réussites. Elle hoche simplement la tête quand il imite presque le salut militaire et elle ouvre la bouche pour rétorquer qu'elle peut se faire le café toute seule mais visiblement, il est bien décidé à se faire pardonner. Elle attrape la tasse dont elle hume l'odeur avec un sourire et elle le regarde « Elle va bien. » commence t-elle avant de regarder si elle n'a pas un énième message « J'ai eu de la chance de tomber sur une nanny qui a accepté de vivre à la maison et qui ne compte pas ses heures. » explique t-elle en haussant les épaules. Parce qu'elle a réellement eu de la chance, dans cette histoire d'être tombé sur quelqu'un de conciliant. Elle boit une gorgée de café en approuvant ses dires « Oui, ce n'est pas facile. C'est pour ça que je fais en sorte de ne pas travailler le samedi soir et le dimanche au moins une fois par mois. Pour voir ma fille plus que le matin quand je dois l'amener à l'école. » explique t-elle en prenant une seconde gorgée de café et avec une petite moue, elle s'hasarde à demander « Tu ne voudrais pas d'un enfant toi ? Tu sais, tu peux très bien coordoner la vie de sous-chef, et de parent. Enfin... J'espère que ça ne te gêne pas de parler de cela. »

Il écoute attentivement Lizbeth, occultant le temps d’une conversation qu’elle est sa supérieure. Il hoche la tête dans un sourire lorsqu’elle mentionne la nanny qui s’occupe de sa princesse. Ce ne serait pas la première fois qu’il entendrait qu’il est compliqué de trouver des personnes à la fois qualifiée, conciliante et de confiance pour garder des enfants. Cela semblait être un parcours du combattant à entendre la plupart des parents, alors si Lizbeth avait trouvé la perle rare, c’était vraiment tant mieux. « C’est une sacrée chance ! » La question suivante le laisse perplexe, non pas qu’elle le gène, et d’ailleurs, il s’empresse de le préciser à la brune dans une dénégation de la tête. « Je n’y ai jamais trop songé pour l’instant. J’ai plus tendance à vivre dans le présent, et donc à me concentrer sur mon mariage à venir que sur le reste. Mais… je ne me suis jamais dit que je n’en voulais pas ou n’en aurais pas en tout cas. » Aussi étrange que cela puisse paraitre, ce n’était pas un sujet récurrent entre lui et sa fiancée, bien au contraire. Sans doute comme lui se disait-elle que ça viendrait quand ça viendrait, sans avoir en tête de délai ou date précis. « Je sais que certaines personnes n’en veulent pas du tout, et chacun ses choix bien sûr ; mais pour moi, ça fait partie de la continuité de la vie. » Il hausse les épaules dans un sourire alors qu’au fond de lui, l’idée que son enfant puisse hériter de ses accès de violence lui semble insupportable. Il chasse cette pensée aussi vite qu’elle est apparue.

C’était bien la première fois qu’Ezra et Lizbeth discutait ainsi après le service. Peut-être parce qu’elle redoutait le moment où elle devrait rentrer chez elle, peut-être parce que pour une fois, elle voulait prendre le temps. Le temps de souffler, peut-être qu’elle ferait mieux de ne pas rentrer chez elle après tout, Roxanne est chez ses grands-parents, alors pourquoi rentrerait-elle ? Elle pourrait en profiter pour se faire une session shopping. Ça pourrait être une bonne idée, ou pour se boire un verre avec des amies. Il faudrait encore qu’elle les prévienne. « Oui, et la nanny n’est vraiment pas compliquée. Elle a son étage à elle et un bon salaire, peut-être que ça joue, mais en tout cas, je n’ai pas à me plaindre. » Et elle espérait sincèrement qu’elle ne lui fasse pas faux bond un jour. Elle ne supporterait pas de perdre sa nanny, celle qui est avec elle depuis deux ans. Et qui a permis à Roxanne d’évoluer comme la petite fille joviale qu’elle est. « Tu verras, la vie de parents c’est quelque chose. Mais ce n’est pas un regret. » Et elle sourit avant de boire une gorgée de café avant de faire craquer sa nuque. Une nouvelle gorgée de café, elle regarde son collègue avec un sourire « Mais oui, concentre toi sur le mariage, le bébé vous avez tout votre temps. Vous êtes encore jeune. Enfin je ne connais pas ta fiancée mais je suis sûre que vous allez avoir un joli mariage et puis une jolie famille par la suite. » rétorque t-elle en souriant. « Mais pas de pression, c’est votre décision à vous, pas aux autres. Seulement à vous. » Même si elle, elle n’avait jamais eu l’idée d’avoir un enfant si tôt, mais Roxanne était arrivée et elle s’était révélée être la meilleure des choses dans sa vie.

Il hoche la tête, tout en prenant une gorgée de son café. « Elle semble avoir la vie rêvée de nanny. » plaisante-t-il de son large sourire. Il repense aux jeunes filles au-pair qu’il fréquentait pendant ses études. La plupart était bien traitées et heureuse de la famille qui les accueillait, mais pour d’autres, l’expérience n’était pas très positive. Comme son atout séduction pour mettre une fille dans son lit à l’époque, était de faire preuve d’une écoute attentive comme s’il s’y intéressait vraiment – spoiler alert : ça marchait du tonnerre – il a le recul de ces conquêtes pour analyser la situation décrite par Lizbeth aujourd’hui. « J’en ai connu pendant mes études et elles m’ont toutes dit qu’elles attendaient qu’on leur fasse confiance, qu’on fasse preuve de respect, qu’on leur laisse liberté d’agir avec les enfants – dans une certaine mesure tout du moins – et qu’elles soient payées décemment. Donc oui, ça doit jouer. » Il se met à rire avant d’ajouter : « Oui, j’avoue que je suis aussi étonné de savoir ce genre de choses. » Son sourire s’élargit.

« Elle est magnifique alors il n’y a aucun doute sur le fait que ses enfants le seront aussi. » Ce n’est pas pour ça qu’il est avec elle, bien sûr, ou pas que en tout cas. « En tout cas, j’aime ta vision des choses ! Parfois, les gens ont des avis bien plus étriqués et estiment qu’on doit suivre leur exemple quoi qu’il en coute. » Heureusement, sa cheffe ne semble pas être ainsi, non pas qu’il en ait déjà doutée. « J’ai bien trop longtemps fait passer mon travail avant tout, pour évoluer dans ma carrière, mais il arrive un âge où il faut se rendre compte que ça ne fait pas tout dans la vie. Je le réalise depuis que j’ai rencontré Briséïs. »

Elle est plutôt heureuse de voir que malgré la difficulté du service, l'état d'esprit d'Ezra dans ce dernier, Lizbeth est plutôt heureuse de voir que tout va mieux, ou plutôt que tout va bien. Et elle n'est pas gênée de parler ainsi de sa vie. Après tout, Ezra ne l'a jamais jugé, ou du moins pas réellement, et pas en face d'elle. Peut-être qu'il parle d'elle dans son dos et elle s'en fiche. Il fait bien ce qu'il veut. À l'explication d'Ezra, Lizbeth hausse les épaules « Je pars du principe que tant qu'elle est efficace, que j'ai confiance en elle, et qu'elle prend bien soin de ma fille, malgré mes horaires compliquées, je dois la payer en conséquence. » Et puis, Lizbeth est tombée sur une vraie perle. Alors elle ne voudrait jamais la laisser partir, même si elle doute qu'un jour, elle devrait voler de ses propres ailes. « Moi je ne suis pas étonnée. Bizarrement. » explique t-elle, en souriant un peu en prenant une nouvelle gorgée de café.

Un sourire sincère se dresse sur ses lèvres en le regardant « Vous verrez bien tout les deux. Et ma mère a un esprit assez étriqué, je ne vais pas en rajouter, mon père risquerait de faire une crise de nerf. » explique t-elle « Sa fille qui fait un enfant presque toute seule, disons que ça lui a fait un choc. » conclut-elle en haussant les épaules et elle reprend une gorgée de café avant de finir sa tasse d'une traite. « Ça fait longtemps que vous êtes ensemble ? Si ce n'est pas indiscret ? » demande t-elle avec un petit sourire en coin, presque gêné. « Mais oui, c'est bien de se rendre compte qu'on ne doit pas faire passer le travail avant tout. » Lizbeth a bien levé le pied depuis qu'elle a eu Roxanne, même si elle se doute qu'elle travaille un peu trop « Parce que quand on a perdu quelque chose, on s'en rend compte trop tard. Et après on s'en mord les doigts. »

« C’est sûr. » répond-t-il plus par formalisme qu’autre chose, dans un sourire que lui seul connait, sourire qui s’élargit bientôt lorsque Lizbeth lui fait comprendre qu’il a tout l’air d’avoir un passé de Don Juan. « Je n’ai jamais été un grand coureur, contrairement à ce qu’on pourrait penser. » Il se met à rire. Ses conquêtes, il est loin de les compter sur les doigts d’une main, mais il n’a jamais vraiment cherché à ne pas avoir de relations sérieuses. C’est plutôt qu’il a focalisé son énergie sur sa carrière, et que ça a souvent eu foi de ses relations.

Un hochement de tête vient se greffer à la discussion. « On sent énormément la génération d’écart dans ces moments. » Lui-même a dû batailler sur quelques points avec ses parents, surtout quand il leur avait fait croire qu’il allait ramener un homme à la maison. Non pas qu’Ezra s’amuse de l’homosexualité, mais juste qu’il voulait tester un peu les réactions de ses parents un peu arriérés par moment. « En couple depuis deux ans et on habite ensemble depuis un an. » Ça semble à la fois si peu et tellement de temps. En deux ans, il a le temps de s’en passer des choses.

La dernière phrase de sa supérieure fait écho, alors qu’il pense à la distance qui se met naturellement entre lui et Briséïs depuis quelques temps. Parfois, il se dit qu’il est trop tard, qu’il l’a perdue, et oui, il se mord les doigts de ne pas avoir pu contrôler cette maladie qui le ronge. « C’est tellement vrai… » Son ton laisse apparaitre un brin de culpabilité mêlé à de la nostalgie et afin de changer de sujet, il ose alors une question qui le titille. « Et le père de ta fille… il n’est plus du tout dans votre vie ? » Elle avait mentionné le fait d’avoir fait un enfant presque toute seule et la réaction de son père face à cela.

Ezra était peut-être le collègue avec qui elle s'entendait le plus. Même si pour Lizbeth, lieu de travail ne rimait pas avec amitié ou avec affinité, c'était tout de même beaucoup mieux de travailler avec des gens qu'on apprécie qu'avec des gens qu'on ne supporte pas. Lizzie ne peut s'empêcher de rire quand il se défend d'avoir été un don juan avant d'hausser les épaules. Il avait bien pu être qui il était, mais au moins, il était devenu quelqu'un de bon dans son métier.

« Oh, je pense que c'est surtout ma mère. Elle est très... spéciale. Même si je l'aime beaucoup, elle me fatigue dans sa façon d'être. » Elle rit un peu en finissant par sourire « Elle doit en avoir assez que ses enfants la déçoivent. » explique t-elle avant de regarder sa tasse de café, vide. En reprendre un est une mauvaise idée. « Et bien, je vous souhaite d'être heureux encore longtemps. »

Parce qu'au fond, elle aurait voulu être heureuse avec Adriel, si ça avait pu marcher, elle aurait été la plus heureuse du monde. Mais ça n'avait pas été le cas. Ils étaient bien trop carriéristes tout les deux pour que ça marche, elle aurait dû le sentir Lizbeth. Et la question d'Ezra ne l'étonne pas. Parce qu'elle n'en a jamais parlé à personne. Elle secoue négativement la tête. « Non, il n'est plus du tout dans notre vie. » explique t-elle, le regard un peu dans le vide, le coeur qui bat un peu irrégulièrement. « Quand j'ai appris que j'étais enceinte de Roxanne, je l'ai prévenu et disons qu'on avait des perspectives d'avenir différents. Nos carrières étaient bien trop importante pour qu'il assume sa paternité pleinement. Il paye une pension mais il n'a jamais vu Roxanne. » continue t-elle avant de penser à sa fille qu'elle tente d'élever avec tout l'amour qu'il lui est possible de lui donner. « mais si jamais, un jour il a envie de la connaître, je ne sais pas si je serais capable de lui dire oui. Elle a un environnement stable, je ne veux pas qu'il vienne pour repartir quand bon lui semble. Roxanne a besoin de stabilité. Et c'est ce que je m'applique à lui donner. »

Ezra se met à rire. Chacun a une vision de sa propre famille, de ses propres parents. On est souvent peu satisfait de ce qu’on a, sans se rendre compte que les choses pourraient être bien pire. « C’est à ce point ? » Il a du mal à se dire qu’on peut être déçu de ses enfants, à moins que vraiment, ils soient des délinquants ou de vraies larves qui ne feront rien de leur vie ; mais il ne sait pas ce que c’est, en réalité, alors il ne juge pas. « Tes frères et/ou sœurs sont si terribles que ça ? » Il la remercie d’un signe de tête quand à ses souhaits qu’ils soient heureux. C’est tout ce qu’il espère, lui aussi.

Finalement, elle lui parle du père de Roxanne et Ezra écoute avec attention. « Je sais pas comment il fait… J’aurais du mal à me dire que j’ai un enfant quelque part et de ne jamais avoir voulu le voir, je crois. » Si quelqu’un de son passé venait lui apprendre du jour au lendemain qu’il est père, il sait déjà qu’il voudrait faire la connaissance de l’enfant. « Enfin… J’imagine que je peux comprendre qu’on ne puisse pas assumer pleinement la paternité. D’ailleurs, vaut peut-être mieux ça que d’être un père violent… » Sans s’en rendre compte, il bloque complètement à ce mot. Parce que oui, la violence s’est installée dans son couple et pour la première fois, il se dit que peut-être, il serait incapable de se contrôler le jour où il sera père. Non, l’idée est impensable ! Il secoue alors la tête et reprend ses esprits.

« Enfin, oui, ce qui compte, c’est la stabilité de Roxanne. » tente-t-il dans un sourire. « Au moins, elle sait à quoi s’en tenir, et tant qu’elle ne peut pas réellement prendre de décision par elle-même sur ces sujets, tu es la mieux placée pour savoir ce qu’il faut faire. » Il lui sourit, réellement convaincu par ces derniers propos. « Et puis, peut-être que ça ferait du mal autant à la fille qu’à la mère, s’il réapparaissait ?! » laisse-t-il échapper.

L’orage est passé et fait maintenant place à l’arc-en-ciel. Après avoir râlé un bon coup après Ezra, les voilà tout les deux à discuter comme s’il ne s’était rien passé. A s’offrir des confidences que Lizbeth n’avait jamais dit à personne parce qu’elle ne voulait pas que les gens percent à jour son jardin secret. Elle qui n’a jamais vraiment parlé de sa famille à ses collègues. Ezra en serait le seul. Puis ce n’était pas n’importe quel collègue quand on y réfléchissait sérieusement. « Non, mes frères et soeurs, ça va. C’est plutôt ma mère le problème, mais ça lui passera. Disons qu’elle pense savoir à tout prix ce qu’on doit faire comme étude et comme métier pour être bien. Pour elle, mon frère devait rester au bureau du procureur et ne pas ouvrir de boutique de fleurs et moi, elle me voyait dans la médecine. Dommage, elle n’a pas tiré les bons numéros du loto. » Quand on sait à quel point Madame Walsh est arrêté sur ses idées, pas sûre qu’elle cesse d’être un jour, un peu trop protectrice envers sa petite fille et ses enfants.

S’il y a bien un sujet sur lequel Lizbeth pourrait parler durant des heures, c’est bien sa fille. Roxanne est arrivée à un moment de sa vie où Lizzie était un peu perdue et elle ne remercierait jamais assez le ciel d’avoir mit sa fille sur son chemin, même si elle n’avait pas eu la relation qu’elle espérait avec Adriel, elle était plutôt heureuse que sa fille soit venue dans sa vie pour lui permettre de maintenir un semblant de vie normale, et un semblant de vie tout court. « Il sait qu’elle est là. Il verse une pension chaque mois. Mais il n’est pas présent dans son éducation. » Elle ne se souvenait plus vraiment si elle lui avait dit précédemment. Mais elle se sentait obligée de lui dire, pour qu’il ne pense pas qu’Adriel était un con qui n’avait pas prit en compte la possibilité d’avoir un enfant et elle ne voulait pas non plus qu’il pense qu’il avait été égoïste au point de la laisser se débrouiller seule. Quand il évoquait la violence, Lizzie eut un frisson qui lui parcourait l’échine. « La violence c’est quelque chose que je ne tolère pas, alors savoir que quelqu’un pourrait lever la main sur ma fille, je préférerais encore l’émasculer ou le balancer du haut d’une tour que savoir qu’il ou elle a levé la main sur son enfant. » Et elle fait craquer sa nuque pour se remettre d’aplomb.

Un sourire tendre se dresse sur les lèvres de Lizzie alors qu’elle l’écoute « Oui, j’accepterais ses décisions quand elle aura la pleine capacité de compréhension. Mais pour l’instant, je ne veux que son bien. » conclut-elle. Elle rit un peu à la question d’Ezra avant d’hausser les épaules. « Non, je pense que ça ne me ferait pas de mal. Enfin, on a vécu quelque chose de beau, mais on est tout les deux bien trop carriériste pour que ça colle. On en a fait les frais quand on s’est séparés. » explique t-elle en soufflant un peu. « Je pense qu’on ne pourrait pas revivre quelque chose de similaire. Les affres du passé seraient bien trop présent. » Et elle s’échappe un instant pour laver sa tasse et revenir vers lui « Mais toi, tu devrais prendre soin de ta fiancée. On ne chérit pas assez les gens qu’on aime avant qu’on ne les perde. »