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Dancing in your dreams (PV Jodie)

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Mar 25 Mai - 18:18
Satisfaite de ses maquettes, Cecilia posa ses crayons, avant de regarder sa montre … et de s’apercevoir, horrifiée, du retard cataclysmique qu’elle avait engrangé. Certes, la ponctualité n’avait jamais été une de ses qualités – licence artistique, avait-elle coutume d’offrir comme excuse avec un sourire confondant d’innocence, mais tout de même, Jodie allait l’assassiner. Avec son stéthoscope. Ce qui ferait fort mauvais genre dans la presse, la gynécologue-obstétricienne embarquée pour tentative de meurtre sur une malheureuse peintre en détresse. Bref, il était temps de s’habiller, ce qu’elle fit en enfilant à la va-vite sans trop faire attention à ce qui lui tombait sous la main et en sautillant pour mettre ses chaussures avec la grâce d’un cabri alcoolique, avant d’empoigner son célèbre pardessus rouge et de sortir en trombe de son logis pour retrouver l’autre femme à l’heure presque dite. Pourtant, elle attendait avec une certaine impatience ce rendez-vous, mais, déterminée à donner pleine et entière satisfaction à leur collaboration, et peut-être aussi, à l’éblouir un peu, elle avait retouché une bonne cinquantaine de fois ses propositions pour les flyers de sa future campagne de prévention, cherchant l’idée parfaite, la composition qui arracherait un sourire et une appréciation sincère. D’abord, parce que la cause était trop noble, trop importante, pour qu’elle se laisse aller à sa mélancolie créative et ne soit en mesure de proposer que des maquettes bateaux, sans intérêt, vues et revues. Non, il fallait un ensemble percutant, quelque chose qui parle immédiatement, qui fasse parler aussi, qui permette à une personne de se dire « je peux prendre ce flyer, et peut-être que je vais agir ». C’était devenu l’un des rares moments où elle arrivait à créer véritablement, à laisser libre court à ce qui, jadis, avait fait sa renommée, ce coup de crayon à la fois délicat et sûr, parfois provocant, souvent délicat, toujours empathique, vivace. Elle avait l’impression d’être utile, tout simplement. Et si l’art n’avait pas pour but de l’être, utile, l’artiste trouvait du plaisir à ce que ce soit le cas, au milieu de son marasme ordinaire. Et une petite partie d’elle-même se pressait d’oublier que son attention aux détails était éventuellement lié à la commanditaire, et à des souvenirs qu’elles s’étaient efforcées toutes les deux de mettre de côté, avec un succès plus ou moins grand. La solitude devait lui peser. Voilà pourquoi, parfois, dans son esprit, apparaissait les reflets d’une chambre qui n’était pas la sienne, et que ses mains se prenaient à enserrer un corps qui n’était plus là, mécaniquement, doucement, dans les limbes fantomatiques de ses regrets inavoués.

Après une course homérique, Cecilia arriva, hors d’haleine, au lieu de rendez-vous et s’engouffra avec sa délicatesse habituelle, soit en manquant défoncer la porte en s’écrasant dessus, dans le bar. L’atterrissage se fit donc avec plus ou moins de grâce, et l’artiste pantelante, une fois remise, chercha donc avec curiosité Jodie … qu’elle découvrit déjà attablée, et en apparente conversation avec une touffe de cheveux, de ce qu’elle pouvait apercevoir. N’écoutant que sa logique implacable, la trentenaire en conclut que ladite touffe devait surmonter une tête, et que ladite tête devait appartenir à quelqu’un. Cette conclusion digne de Sherlockette Holmes atteinte, elle s’approcha donc, la curiosité l’emportant. Etait-elle à ce point en retard que Jodie avait abandonné tout espoir de la voir pointer le bout de son nez et avait décidé de passer sa soirée avec quelqu’un d’autre ? Quelqu’une d’ailleurs, manifestement, si elle en croyait la voix qui arrivait à ses oreilles. Quelqu’une particulièrement charmante aussi, si elle en croyait ses yeux. Yeux qui ne risquaient pas de rencontrer ceux de l’inconnue, puisque les siens étaient glués à la gynécologue avec une application qui frôlait l’indécence, du moins de son point de vue totalement objectif et absolument dénué d’une jalousie puérile et stupide. Mue donc par un sens aigu du devoir et une capacité éprouvée à ne pas se laisser démonter par une déconvenue, la trentenaire opta donc pour la voie qui lui semblait la plus normale, à savoir marcher d’un bon pas vers la table, se planter devant et interrompre la conversation d’un sonore :

« Pardon, pardon, je suis affreusement en retard, mais la créativité n’a pas d’heure, et je suis sûre que je saurais me faire pardonner ! »

Et de planter deux bises sur les joues de Jodie d’autorité, avant de se retourner vers l’inconnue et de lui tendre une main particulièrement ferme :

« J’oublie mes bonnes manières, Cecilia Nordgren, et vous êtes … ? »

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Mer 26 Mai - 20:20
dancing in your dreams


Jodie déposa sa blouse dans le bac à linge du vestiaire, et jeta un rapide coup d'œil à sa montre avant de soupirer. Elle aurait pu le prédire : elle n’avait plus le temps de passer chez elle pour se changer. Ce n’était pas très étonnant, il y avait toujours un dernier dossier à examiner, un dernier papier à signer, une dernière autorisation à donner avant de décaler un rendez-vous. Il y avait toujours quelque chose à faire à l’hôpital, et c’était toujours quelque chose de plus important que de prendre une douche et enfiler des vêtements propres ; quelle futilité, n’est-ce pas ?

Jodie n’aurait pas dû s'en préoccuper autant. Vraiment, ça ne valait pas la peine de risquer d’accentuer sa ride du lion de la sorte. Après tout, ce n’était qu’un rendez-vous informel avec une amie. Un rendez-vous qui avait plus ou moins trait avec sa vie professionnelle qui plus est. Alors pourquoi ne pouvait-elle pas s’empêcher d’être agacée à l’idée de ne pas avoir le temps de se rafraîchir un peu ? Et pour ne rien arranger, elle s’agaçait elle-même de raisonner ainsi. Le serpent qui se mord la queue.

Avant qu’elle n’ait pu s’embourber davantage dans ses pensées, la porte du vestiaire s’ouvrit et entra l’une de ses collègues. “Tiens, tu pars déjà ?” s’étonna Olivia en se dirigeant vers son casier. Preuve s’il en fallait que la gynécologue passait décidément bien trop d’heures à l’hôpital. “Oui, j’ai rendez-vous avec une amie. Tu sais, l’artiste peintre qui a fait les flyers.” Elle s’était permis cette précision parce qu’elle savait qu’Olivia avait beaucoup aimé les-dits flyers. D’ailleurs, cela lui donna une idée qu’elle s’empressa de soumettre à sa collègue. “Tu peux venir avec moi si tu veux ! Je suis sûre que ça ne dérangera pas Cecilia.” En fait, si elle était honnête, c’était elle que sa présence rassurerait, et ça la désolait de s’en rendre compte. C’était ridicule. A quel moment avait-elle commencé à craindre de se retrouver seule avec Cecilia ? Inutile de chercher longtemps la réponse à cette question. Jodie savait exactement à quel moment leur relation avait basculé, et elle ne comptait pas y penser davantage. A quoi bon puisque ce souvenir hantait déjà bon nombre de ses nuits ?

Olivia ayant accepté de l’accompagner - son enthousiasme évident faisant sourire Jodie - les deux femmes se dirigèrent ensemble vers le pub où elles s’étaient donné rendez-vous. Elles avaient quelques minutes de retard, mais Jodie ne s’en inquiétait pas outre mesure ; Cecilia était beaucoup de choses, mais la ponctualité n’était définitivement pas son fort. A cette pensée, et en imaginant son amie utiliser la carte de la licence artistique comme excuse, Jodie ne put s’empêcher de sourire discrètement avant de reprendre le fil de sa discussion avec Olivia.

Si Jodie était incapable de dire combien de temps s’était écoulé avant l’arrivée de Cecilia, elle ne pouvait toutefois pas manquer cette dernière. Elle connaissait les manières directes de son amie, bien loin de sa propre discrétion, et ne s’en était jamais offusquée - du moins pas depuis qu’elles avaient terminé le lycée - même si elles lui faisaient parfois lever les yeux au ciel. Seulement cette fois-là, il y avait un je-ne-sais-quoi de nouveau dans sa voix, ou peut-être dans son attitude générale, dans sa tête haute et son menton relevé, dans la manière dont elle planta deux bises sur ses joues. Une fois libérée de son étreinte, la gynécologue porta toute son attention sur Cecilia alors que sa collègue se présentait à son tour et répondait à sa poignée de main. “Olivia, enchantée.” Les joues légèrement rougies par l’effort, les yeux brillants, elle lui faisait penser à un ouragan, une tornade rousse à qui rien ni personne ne pouvait résister. En tout cas pas Jodie. Même si elle refusera de l’avouer.
Reprenant rapidement ses esprits, Jodie se décala légèrement pour laisser un peu de place à Cecilia sur la banquette à côté d’elle. “J’ai proposé à Olivia de se joindre à nous, un troisième avis ne sera pas de trop, n’est-ce pas ?” Evidemment, elle ne précisera pas l’autre raison qui a mené à cette invitation de dernière minute. Elle ne parlera pas de sa lâcheté et des questions qui tourbillonnaient continuellement dans son esprit depuis des mois.

Olivia tourna son visage rond vers Cecilia, et esquissa un sourire avant de s’adresser de nouveau à elle. “Jodie m’a montré les flyers de la dernière fois, je les ai trouvés très réussis. Je n’y connais pas grand chose, mais je suis sûre que tu as beaucoup de talents.” A ces mots, Jodie baissa les yeux et attrapa sa tasse de café pour en avaler une gorgée, alors qu’un léger sourire étirait ses lèvres. Elle n’avait jamais douté du talent de son amie et le lui avait dit à plusieurs reprises, mais elle savait aussi que ces mots avaient une portée différente lorsqu’ils étaient prononcés par une quasi-inconnue. Cachée derrière sa tasse, Jodie en profita pour observer l’échange entre Cecilia et Olivia. Alors que sa collègue lui posait une nouvelle question à propos de sa méthode de travail ou que sais-je encore, Jodie reposa sa tasse sur la table en bois avec plus de force qu’elle ne l’aurait voulu, faisant passer un peu de café par-dessus bord. Sa réaction démesurée la surprit elle-même, mais elle ne s’y attarda pas davantage et préféra réorienter la conversation vers le sujet initial. “Très bien, qu’est-ce que tu nous as apporté de beau, alors ?”

Pendant que Cecilia se penchait sur son sac pour en extraire les fameuses maquettes, Jodie ferma les yeux quelques secondes et tenta de vider son esprit des pensées parasites qui s’y étaient invitées sans son consentement. Les yeux toujours fermés, elle ne remarqua pas Olivia qui tapota sur l’écran de son téléphone. “Je suis désolée, je vais devoir y aller.” La voix de sa collègue la ramena sur terre et Jodie rouvrit brusquement ses yeux. “Oh c’est dommage !” Elle se mordit immédiatement l’intérieur de la joue en réalisant que sa panique était parfaitement audible dans sa voix et son empressement. Elle se reprit bien vite et redevint la Jodie modérée que tout le monde connaissait. “On se voit demain ?” Olivia acquiesça en souriant puis salua Cecilia avant de quitter leur table. Jodie se tortilla discrètement sur la banquette, brusquement terriblement consciente de la proximité entre elles. Tentant de reprendre contenance, elle pencha légèrement la tête sur le côté et jeta un rapide coup d'œil au dossier désormais posé sur la table. “Alors comme ça tu penses que ce sera suffisant pour pardonner ton retard ?”

@Cecilia Nordgren love

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Mer 26 Mai - 23:20
« Plaisir partagé alors. »

Un sourire aux lèvres, Cecilia répondit à Olivia tout en enlevant son pardessus, avant de s’asseoir aux côtés de Jodie sur son côté de la banquette, cette dernière s’étant décalée pour lui faire de la place. L’artiste peintre la frôla légèrement, puis le contact s’en fut aussi soudainement qu’il était arrivé alors qu’elle remettait de la distance entre elles. Tournant la tête vers la gynécologue pour l’écouter lui expliquer les raisons de ce trio impromptu, son regard ne put s’empêcher de fureter sur le visage de l’autre femme, alors que le souvenir de ses lèvres sur ses joues, quelques secondes auparavant, venait la hanter, parce qu’elle avait humé pendant de fugaces instants le parfum si particulier de la sœur de Julian. La trentenaire avait toujours été sensible aux odeurs, ayant coutume de dire que chacun en avait une particulière. C’était plus particulièrement vrai pour les femmes qu’elle aimait. Il y avait quelque chose de magnifique à découvrir un corps pour la première fois, mais plus encore à le sentir, à le respirer, au moment où la respiration, précisément, se perdait souvent dans d’autres lèvres, sur une autre chair, et que l’attention dérivait vers les sens. Le kaléidoscope hypnotique de sensations qui résultait de cette acmé si particulière n’avait pas d’équivalent, en ce monde. Et elle avait souvent essayé de la saisir dans ces toiles, de capturer sur le châssis cet afflux, cette merveille, cet enfer, en grands aplats colorés dont elle avait le secret, parsemé de traits bruts, pour démontrer le jaillissement du plaisir qui affleurait, comme parfois, de sentiments plus complexes. La flagrance de Jodie lui revenait, de même que les souvenirs. Il était difficile de leur résister. Il le fallait, pourtant. Une expression nonchalante étira ses lèvres, si typique de Cecilia, tandis qu’elle répondait finalement à l’assertion de celle qu’elle observait :

« Bien sûr. Plus on est de folle … »

Et elle tourna son regard vers Olivia, pour lui décocher un clin d’œil amusé. Cette dernière prit la parole, expliquant avoir apprécié ses dernières propositions. Cela eut le don d’attirer pleinement son attention, et de la détacher de Jodie. Parler d’art était l’un des meilleurs moyens d’avoir une Cecilia toute ouïe en face de soi, et évidemment, complimenter le sien avait tendance à obtenir le même résultat. Surtout en cette période de doutes qui se prolongeait, où même ses galeristes ordinaires tentaient aussi poliment que possible de lui expliquer que ses créations n’avaient plus leur faveur. Trop attendue, incapable de se renouveler, commerciale, vulgaire parfois : elle avait tout entendu, sur tous les tons, de toutes les façons possibles. Alors, évidemment, savoir qu’elle était encore capable de créer quelque chose de satisfaisant, même pour des yeux simplement amateurs … Oui, c’était agréable. Elle n’allait pas le nier. Et elle passa donc les minutes qui suivirent avec une joie presque enfantine à répondre aux questions d’Olivia, détaillant avec passion ses différentes techniques, son processus créatif … Ses mains s’agitaient toutes seules, tandis que son visage s’était animé, et sa voix s’était faite légèrement plus précipitée. Transfigurée, Cecilia respirait pour sa peinture, et pour le plaisir de faire partager la grande passion de son existence à une tierce personne. Parce que sa plus belle maîtresse, son merveilleux amour, c’était son pinceau, c’était sa toile, c’était leur combinaison. Et si elle avait commis des adultères en se perdant dans les bras de la sculpture, de la plastique, elle y revenait encore et toujours, à ce duo infernal, dans un triolisme artistique qui battait de l’aile, mais survivait malgré tout, dans les yeux intéressés d’Olivia, dans ceux de toutes ces personnes qui appréciaient son travail. Puis Jodie reposa sa tasse – avec suffisamment de force pour décorer un peu le bois de la table, ce qui l’amusa – et mit fin à cette parenthèse en rappelant que l’objet de l’appréciation de son amie était encore dans son sac, et qu’elle était là pour montrer ses projets, et non pour disserter des mérites de la peinture à l’huile. Avec un sourire d’excuse, Cecilia mit donc fin à sa conversation avec Olivia et se pencha pour récupérer ses maquettes, soigneusement enveloppées dans son sac. Elle les posa devant elle, et sembla réellement déçue quand leur troisième comparse parut vouloir leur fausser compagnie. Gentiment, la Nordgren répondit donc :

« Rien de grave, j’espère. En tout cas, ce fut une conversation délicieuse. Au plaisir de se recroiser, Olivia. »

Un bref instant, Cecilia laissa son regard couler pour suivre le départ de la jeune femme, avant de reporter son attention sur Jodie, assise à ses côtés. Qui n’avait pas l’air si ravie que cela de leur position, à en juger par la légère tonalité paniquée dans sa voix au moment où Olivia était partie. Et la peintre de tenter de ne pas être trop vexée. Tout de même, elle n’était pas de si mauvaise compagnie … A moins que la gêne, encore ne soit trop présente ? La révélation la laissa pantoise, et elle contempla Jodie, peut-être un peu trop longtemps sans rien dire, avant de rendre compte que cette dernière avait reporté son attention sur elle après avoir salué sa collègue. Reprenant contenance, l’artiste afficha un sourire cette fois conquérant, avant de lui donner un léger coup de coude taquin :

« Eh bien … Si ce n’est pas le cas, il me reste toujours l’option de te soudoyer en t’offrant un autre verre. »

La phrase faisait écho à une autre soirée. Et brusquement, quelques flashs revinrent. Qu’elle écarta aussi vite que possible, et, pour rattraper sa bévue un peu trop charmeuse, ajouta en une tentative de disgression par l’humour, tactique de fuite bien connue :

« Si tu as le temps, bien sûr. Ton oreiller mérite de te voir de temps en temps, vu que tu lui fais des infidélités répétées. »

Tout en parlant, elle avait dévoilé la première maquette. On y voyait une silhouette à une fenêtre prendre un téléphone. En face, en arrière-plan, une autre, plutôt masculine, paraissait menacer une silhouette féminine à terre. L’ensemble était baigné dans l’ombre, seul le téléphone étant éclairé par une utilisation classique mais efficace du clair-obscur. Et au-dessus, en lettres blanches, les mots « Tous témoins. Tous responsables. ». Avec en bas, le plus attendu : « Si vous êtes témoins de violences conjugales, appelez. ». Elle la tendit à Jodie pour qu’elle observe le rendu. La seconde était plus explicite, moins attendue aussi. Une silhouette derrière des barreaux, tête baissée, dans l’ombre encore, se trouvait sur la gauche. Celle d’une femme, souriante malgré des traces sur le visage. Libre. Enfin. Et au-dessus le slogan tracé en lettres rouges « La honte doit changer de camps. » Avec en bas, le numéro d’appel pour les victimes. Le troisième, enfin, présentait deux femmes enlacées dans une pièce avec sur les murs le signe de l’association à laquelle participait Jodie, et le slogan « Plus jamais seules. ». Laissant Jodie les observer toutes les trois, Cecilia finit par demander, un peu nerveuse :

« Tu en penses quoi ? Ce ne sont que des ébauches, je peux encore changer les couleurs, la disposition … Bon, tout si vraiment, ça ne convient pas, ça me prendra juste un tout petit peu plus de temps pour le rendu final. J’ai réfléchi à ce dont tu m’as parlé la dernière fois, et j’ai essayé de traduire tout ça dans les maquettes, mais j’ai pu me tromper, ou c’est peut-être trop … »

Cecilia, ou l’art de se perdre dans une logorrhée fébrile. Alors, en attendant le verdict, elle finit par se taire. En espérant ne pas avoir trop déçue la gynécologue qui lui avait fait confiance.

@Jodie Dawley Dancing in your dreams (PV Jodie) 2881807329

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Ven 28 Mai - 9:04
dancing in your dreams


Il existait un océan de différences entre Cecilia et Jodie. L’enthousiasme et la passion d’une artiste d’un côté ; la discrétion et la minutie d’une médecin de l’autre. L’une était flamboyante quand l’autre se fondait aisément dans le décor. D’ailleurs, tout au long de leur scolarité, qu’elles avaient passée côte à côte, elles n’avaient jamais été particulièrement proches. Pas les mêmes centres d’intérêt, pas la même manière de fonctionner. Elles se croisaient pourtant chaque jour, que ce soit en classe où chez les Dawley, parce que pour une raison que Jodie n’avait jamais cherché à comprendre, Cecilia était la meilleure amie de Julian. Elle avait cru au départ qu’il y avait plus que de l’amitié entre eux. Quand Julian lui avait assuré que leur relation était strictement platonique, elle s’était dit que, peut-être Cecilia était secrètement amoureuse de son frère aîné et n’osait pas lui avouer. Jusqu’à ce que Julian lui rit au nez en lui assurant que si sa meilleure amie devait être secrètement amoureuse d’un Dawley, il était mille fois plus probable que ce soit d’elle que de lui. Jodie avait rougi et, vexée, s’était enfermée dans sa chambre jusqu’au dîner. Ce n’était d’ailleurs pas la première fois qu’elle se vexait à propos de Cecilia. Elle avait d’abord été vexée en réalisant que malgré leurs innombrables différences, elle ne parvenait pas à rester insensible face à elle. C’était vexant parce qu’elles n’avaient jamais réellement discuté de quoi que ce soit, et que cela sous-entendait que son attirance était principalement physique. Or Jodie se targuait d’être l’intellectuelle de la fratrie. Alors en tant que telle, elle aurait dû être attirée par des idées, un raisonnement, des questionnements, pas par des cheveux de feu et un regard pétillant. Fort heureusement, depuis, Jodie avait mûri et son arrogance de première de la classe s’était atténué. Elle avait aussi compris que cette fameuse attirance n’était pas que physique. Certes, elle n’était toujours pas insensible aux reflets du soleil dans ses cheveux roux ou à son regard flamboyant, mais ce n’était pas tout. Il y avait aussi son humour piquant, sa sensibilité et ses convictions affirmées. Parce qu’avec le temps, les deux jeunes femmes avaient réussi à se trouver presque autant de points communs qu’elles avaient des différences. Quant à son crush d’adolescente, vous remarquerez de vous-même que Jodie avait bien du mal à s’en débarrasser.

Pour sa défense, Cecilia ne lui facilitait pas la vie non plus. Comme lorsqu’elle sous-entendait qu’elle pourrait toujours lui offrir un verre pour la convaincre. Or, n’était-ce pas exactement de cette manière que l’incident avait débuté ? C’était d’ailleurs pour cela qu’une tasse de café - vide maintenant - était posée devant elle, et non pas un verre de vin. Consciente que ce n’était pas le moment de laisser ses pensées divaguer, Jodie tenta de ne rien laisser paraître de son trouble. Fort heureusement, des années de pratique lui permettaient d’arborer un masque neutre dès que la situation l’exigeait. Cela ne l’empêcha pas de répondre de manière assez enjouée à son amie lorsque cette dernière remarqua qu’elle dormait peu en ce moment. “Oh peut-être que boire un verre m’aidera à m’endormir plus facilement que ces derniers jours,” soupira-t-elle. Il fallait dire qu’entre son emploi du temps plus que chargé, les imprévus de dernière minute, et surtout le retour de Julian, son esprit surchargé ne lui laissait que peu de répit et qu’elle peinait chaque soir à trouver le sommeil.

Jodie n’eut pas l’occasion d’épiloguer davantage, puisque Cecilia avait commencé à dévoiler ses maquettes. La gynécologue accorda donc aux travaux de son amie toute son attention. Et dès l’instant où ses yeux se posèrent sur la première maquette, elle sut qu’elle avait eu raison de lui faire confiance. Le contraste des couleurs attirait précisément l’attention sur le message qu’elles souhaitaient faire passer. Grâce à son style, reconnaissable entre tous, elle n’avait pas de simples flyers publicitaires entre les mains, mais presque une pièce d’art que l’on garde précieusement chez soi, que l’on distribue à ses amies, autant pour l’esthétique que pour le message. Et c’était exactement ce que Jodie avait voulu.

Lorsque Cecilia lui tendit la troisième maquette, la gynécologue sut immédiatement qu’elle tenait là sa favorite. Au-delà des violences - qui était le sujet principal des premiers flyers - il y était question de solidarité, de sororité même. Plus que le présent douloureux de ces femmes, on y lisait la promesse d’un futur plein d’espoir, entourée de personnes bienveillantes et à l’écoute. Jodie resta silencieuse de longues minutes, observant avec minutie chaque détail et notant mentalement les quelques légères modifications à apporter. Son silence eut l’air d’inquiéter Cecilia, qui commença à lui expliquer nerveusement qu’elle était prête à tout modifier si besoin. Cela eut le mérite de faire revenir Jodie sur terre. Elle releva alors les yeux et les plongea dans les iris océan de son amie, posa sa main sur son avant-bras - réfrénant tant bien que mal un frisson face à cette proximité physique - et lui adressa un sourire qu’elle voulait réconfortant. “Hey respire, c’est parfait, comme d’habitude.” Jodie retira ensuite sa main et reprit la troisième maquette pour l’observer une dernière fois avant de la pousser vers Cecilia. “Je proposerai les trois au bureau de l’asso, mais c’est celle-ci ma préférée. Ça change de ce qu’on voit partout et de ce qu’on a fait la dernière fois. J’y vois de l’espoir, et de la sororité, et je crois qu’on a aussi besoin de ça en ce moment. Certaines femmes ont besoin d’être rassurées sur ce qu’elles trouveront une fois qu’elles seront parties du seul quotidien qu’elles connaissent depuis parfois des années. Bref, je m’égare, et je t’ai déjà parlé de tout ça la dernière fois.” Jodie conclut sa tirade par un léger rire gêné et reporta son regard sur Cecilia. “Tout ça pour dire, que tu as encore fait un super travail, Cecilia.” L’espace d’un instant, Jodie se perdit dans le regard de son amie, et des bribes de souvenirs d’une certaine nuit lui revinrent en mémoire. Réfrénant le rougissement de ses joues du mieux qu’elle le pouvait, elle détourna son attention sur les travaux de Cecilia et reprit sur un ton qu’elle espérait à la fois professionnel et amical. “Tu m’autorises à les montrer aux autres ?” Évidemment, elle n’était pas la seule à avoir son mot à dire sur ces flyers, mais elle ne doutait pas de l’enthousiasme qu’ils susciteraient dans le bureau de l’association.

@Cecilia Nordgren love

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Ven 28 Mai - 13:19
« Si je peux t’aider à faire de beaux rêves, alors c’est une mission d’utilité publique. Deal. »

La réplique, là encore, résonnait curieusement aux oreilles de Cecilia, comme si une part d’elle-même ne pouvait s’empêcher de tendre la perche pour se faire battre, puis repoussait l’idée et se réfugiait dans l’humour pour atténuer la tension qu’elle venait de créer, et qui n’existait peut-être que dans son imagination. Le pire étant que parfois, elle sentait confusément que Jodie n’était pas entièrement insensible à ses pirouettes. Puis, elle balayait la chose d’elle-même, pour ne pas l’entendre le faire. C’était idiot, que de savoir qu’on plaisait à une personne, ou plutôt, qu’on avait plu, sans être certaine que ce soit toujours le cas, sans réellement oser creuser la question, de peur … de peur de quoi au juste ? D’être rejetée, déçue ? De voir une amitié douce, facile, se morceler pour une histoire un peu bancale ? D’être la cause d’une fragilité dans le dispositif qui s’était peu à peu mis en place autour de Julian pour l’aider à aller mieux ? Il avait besoin d’elle, comme il avait besoin de sa sœur, et il n’avait absolument pas besoin que les deux femmes se disputent, ou qu’il y ait un conflit entre elles, un malaise. Sans parler d’Alban. Son père commençait à mieux se débrouiller autour du petit garçon, mais il avait encore besoin d’aide. Alors pourquoi ne pouvait-elle s’empêcher de commettre bévue sur bévue, de marcher sur la corde raide de leurs sentiments respectifs ? Pourquoi n’arrivait-elle pas entièrement à ne pas se demander, de temps en temps, si elle n’avait pas manqué quelque chose, si, finalement, la réponse à ses questions avait toujours été plus proche qu’elle l’avait pensé, fut un temps ? Pourtant, il aurait été faux de dire qu’elle ne l’avait jamais envisagé. Bien sûr que non. Elle l’avait même fait un peu trop tôt. Parce qu’au-delà d’être une femme charmante, Jodie était une femme intelligente, dont le calme serein avait tendance à apaiser son tempérament bouillonnant, à la conversation toujours agréable, à l’engagement sincère. Dès leur adolescence, Cecilia l’avait observée de loin, décelant chez l’appliquée bonne élève une couleur plus chaude, furtivement. Elle voyait l’éclat d’amusement luire dans ses yeux, à certaines de ses extravagances. Cela l’intriguait. Son instinct affuté d’artiste en devenir lui soufflait qu’il y avait là un secret à dévoiler, qui se méritait. Curiosité de jeunesse, assurément, mue en partie par le maelstrom complexe de découvertes qui arrivait à cet âge, et évidemment de cette attirance qui se révélait pour les femmes, et non pour les hommes. En vérité, Cecilia n’était pas certaine d’avoir eu un jour une réelle épiphanie. Cela lui était paru logique. Et puis, elle l’admettait, un jour, en classe, alors qu’elle rêvassait en regardant par la fenêtre, puis en balayant la classe de son regard clair, elle s’était rendu compte que Jolie était vraiment jolie, baignée dans la lumière douce du début d’après-midi, penchée sur ses feuilles, appliquée, à prendre des notes, la concentration se lisant sur son visage. C’était arrivé sans crier gare, sans qu’elle ne s’en rende compte, à bas bruit, insidieusement. Et ça lui avait éclaté à la figure. En fait, ses actes manqués se comptaient par dizaines. Jusqu’au dernier, qui avait à la fois été le franchissement de la ligne interdite, et encore un échec. Parce qu’elle avait été certaine que ce n’était qu’une erreur, qu’un égarement dû à la solitude et au mal-être, à l’envie d’oublier et en même temps de le faire avec une figure familière, qui comprenait ce qu’elle traversait. C’était ce qu’elles avaient conclu, non ? Et elle avait tiré un trait, puis avait eu d’autres relations, plus ou moins éphémères. Et maintenant, elles étaient seules toutes les deux, proches toujours, et Jodie était toujours aussi jolie, à la lumière tamisée de la lampe éclairant mal leur table, à être penchée sur ses maquettes. C’était difficile à oublier, encore plus quand l’autre femme mit sa main sur son avant-bras, que le contact soudain la surprit, et en même temps, l’enveloppa dans une forme de bien-être confus. Puis la main s’en alla, tandis que Jodie commentait ses propositions, enthousiaste.

Ainsi donc, elles lui plaisaient. Les compliments ravirent Cecilia, qui, compte tenu de son estime de soi quelque peu foulée aux pieds par un certain nombre de galeristes ces derniers temps, en avait bien besoin. C’était peut-être l’une des autres raisons qui faisait qu’elle était attachée à la gynécologue, à savoir son inébranlable soutien dans son art, et sa capacité à l’encourager, même si elle ne comprenait pas forcément toutes les nuances que la Nordgren lui expliquait entre telle ou telle technique. Peu importait, in fine : elle-même n’était pas certaine de saisir, la moitié du temps, le quart de ses explications médicales, mais l’essentiel était ailleurs, dans la sororité trouvée, qui tenait contre vents et marées, et s’était muée de la gentillesse de l’ancienne amitié d’enfance distante à la mutuelle venant de deux femmes adultes qui croyaient aux vertus de l’entraide féminine, et avaient également conscience de l’importance qu’une telle posture pouvait avoir. Du reste, elle était heureuse de voir Jodie si emballée, au point de commencer à lui parler de cette voix passionnée qu’elle appréciait tant chez les autres, et encore plus particulièrement chez la discrète médecin. Jodie n’en était que d’autant plus captivante, à s’animer ainsi, à vibrer pour sa cause. Avec son œil si particulier, Cecilia la peignait dans sa tête comme une toile au fusain qui se mouvait au gré des lignes, qui trouvait soudainement sa pleine expression. Avec une touche de pastel pour souligner l’éclat des yeux, les joues qui se coloraient, les mains qui s’échauffaient. Avec cette once de couleurs qui éclatait sur son châssis imaginaire et face à elle. Elle avait presque envie de sortir son carnet pour capturer l’instant. A la place, elle se contenta de l’observer, et quand leurs yeux se croisèrent, elle ne se déroba, prolongeant aussi longtemps que possible l’échange muet, l’enveloppant de ses iris incandescentes, de cette curiosité pour le tableau de contraste qu’était Jodie. Pour aussi, tout ce qu’elle avait envie de peindre dans ce fameux tableau, toutes les couleurs qu’elle aurait aimé y ajouter. C’est pourquoi elle mit un petit temps à répondre à la question posée par la gynécologue et bégaya légèrement avant de se reprendre :

« Oh euh … Oui, bien sûr, évidemment, les maquettes sont là pour ça. »

Peut-être parce qu’elle avait été happée par un autre monde, celui qui vivait dans sa tête et qu’elle laissait transparaître dans ses toiles, à moins que ce ne soit la collusion entre les souvenirs d’avant et les visions d’aujourd’hui, elle laissa échapper, dans une franche candeur :

« Désolée, je pourrai t’écouter des heures quand tu es passionnée ainsi. Tu ressembles aux lignes colorées d’un tableau qui se met en mouvement et qui éclatent soudainement. »

Sans doute qu’un tel compliment ne devait pas vouloir dire grand-chose pour des oreilles profanes. Bon, Jodie était habituée, depuis le temps, à ces éclats un peu farfelus. Elle penserait probablement que Cecilia était encore partie très loin, dans son univers si particulier. Elle l’espérait. Et pour changer de sujet, la trentenaire ajouta :

« En tout cas, si tu as besoin que je vienne pour expliquer des choses aux autres, répondre à leurs questions … ça ne me dérange pas, on peut se caler ça à ta convenance. Même si tu n’en auras pas réellement besoin puisque tu as parfaitement saisi le message que je voulais faire passer. C’est vrai que la première esquisse est plus classique, et la seconde … peut-être plus percutante, plus indignée. Mais la troisième, oui, je voulais créer une bulle dans le dessin, comme celle que vous essayez de créer au sein de l’association, montrer que si partir et demander de l’aide, c’est vertigineux … c’est aussi une lumière, c’est ne plus être seule.

Je suis contente que ça se voit. »


Dans un souffle, elle ajouta, aveu un peu triste :

« J’entends rarement de telles éloges, en ce moment. Alors … c’est bien, si ça convient. Surtout que je sais que ça servira à quelque chose d’important. Je veux dire, ce ne sont que trois flyers, l’essentiel, c’est ce que vous faites, avec l’association. Pour tout d’ailleurs, pas que pour ça.

Je dois dire que j’admire cet engagement. C’est … concret. »


@Jodie Dawley Dancing in your dreams (PV Jodie) 2881807329

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Ven 4 Juin - 18:50
Aux yeux d’un observateur extérieur, l’existence d’une gêne entre les deux jeunes femmes était certainement évidente. Leur langage corporel, autant que les hésitations de leurs voix ne trompaient pas. A tour de rôle, Jodie et Cecilia se cherchaient du regard avant de baisser les yeux avec obstination pour éviter de croiser les iris de l’autre. Elles s’effleuraient avant de s’éloigner, se souriaient parfois timidement et d’autres fois non, fronçaient les sourcils et mordaient leurs lèvres inférieures quand elles regrettaient une phrase immédiatement après l’avoir prononcée. Honnêtement, elles n’étaient pas faciles à suivre. Pourtant, Jodie s’était comme habituée à cette gêne sous-jacente qui colorait chacune de leurs interactions. Il fallait dire qu’elle ne datait pas d’hier. Cecilia était la meilleure amie de Julian, pas la sienne, et Jodie avait toujours mis un point d’honneur à bien faire la distinction. Mais alors qu’était-elle pour elle ? C’était une question à laquelle elle n’avait jamais réellement trouvé de réponse. Parce qu’elle s’était perpétuellement refusée à empiéter sur l’amitié qui la liait à son frère sans pouvoir empêcher une certaine connexion entre elles. Parce qu’elle avait longtemps été fascinée par cette personnalité aux antipodes de la sienne, tout en y trouvant des points d’ancrage qui l’attirait inévitablement, mais que là encore, elle s’était toujours refusée à aller plus loin. Parce qu’il y avait eu cette unique nuit aussi, qui avait encore davantage brouillé les lignes entre elles. Et comme souvent quand Jodie se trouvait empêtrée dans des sentiments qu’elle ne parvenait pas à démêler les uns des autres, elle préférait occulter plutôt que s’y confronter. Alors elle avait fini par s'habituer à cette gêne, qui était progressivement devenue un élément à part entière de leur relation, sans que l’une ou l’autre y trouve quelque chose à redire.

Alors quand Cecilia parlait de l’aider à faire de beaux rêves et que leurs joues à toutes les deux prenaient une délicate teinte rosée face à ce que cela pourrait sous-entendre, Jodie trouvait presque ça normal. Il y avait là de quoi faire lever les yeux au ciel dudit observateur extérieur, mais personne dans leur entourage n’avait encore eu le courage de les obliger à faire face à ce qu’elles cherchaient continuellement à éviter depuis des mois, des années peut-être. Alors elles continuaient obstinément à simplement attendre que la gêne se fasse moins visible, qu’elle les laisse parler sans faire trembler leur voix, que leurs joues reprennent leur teinte habituelle. Le travail était pour cela très utile ; parler de ces flyers était une manière efficace de laisser ces étranges sentiments de côté le temps de quelques minutes. Jodie pouvait ainsi se concentrer sur autre chose que la douce chaleur qui gagnait ses joues à chaque fois que leurs regards se croisaient, ou ses mains devenues soudainement moites. Concentrez-nous donc sur ces maudits flyers, voulez-vous.

Ce serait toutefois plus facile à faire si Cecilia ne la fixait pas de son regard perçant. Ce regard qu’elle réservait d’ordinaire à ses toiles et aux modèles qu’elle peignait avec passion. Jodie ne l’avait que rarement vue à l'œuvre, mais à chaque fois le spectacle l’avait bouleversée. Elle avait alors entreaperçu une autre facette de celle qu’elle considérait maintenant comme une amie. Si elle trouvait déjà Cecilia relativement fascinante avant cela, ce n’était rien par rapport à ce qu’elle avait alors découvert. Et maintenant, ce regard habité était dirigé directement vers elle, et tout cela était bien trop intense pour l’équilibre mental de Jodie. On n’avait pas idée d’être aussi intense. Fort heureusement pour elle, Cecilia finit par reprendre pied dans la réalité avant qu’elle ne perde définitivement la raison. Jusqu’à ce qu’elle la compare aux lignes colorées d’un tableau qui se met en mouvement. Evidemment, tout aurait été bien trop simple sinon. Jodie sentit ses joues rougir de nouveau et elle détourna vivement le regard pour le tourner vers un espace plus sûr, quelque chose qui la porterait pas au bord du malaise cardiaque du moins, et elle fut reconnaissante de trouver les flyers sur son chemin. La gynécologue tenta de reprendre la main sur sa respiration erratique. Après tout, cela n’était pas nécessairement un compliment, n’est-ce pas ? Elle pourrait être en train de la comparer à un tableau de Picasso, et dans ce cas elle insinuait peut-être que les traits de son visage n'étaient pas des plus harmonieux, qui sait ? Comme Jodie n’était pas certaine de vouloir avoir une réponse à cette question absurde, elle resta silencieuse et laissa Cecilia poursuivre sur un sujet plus terre à terre. “Je n’osais pas te le demander,” lui répondit la gynécologue en lui souriant doucement. Jodie avait effectivement pensé proposer à Cecilia de venir présenter son travail devant les autres membres de l’association. Elle méritait d’entendre de vive voix les éloges qui allaient sans aucun doute être faits sur son travail, comme cela avait été le cas lors de la fois précédente. “Je ne voudrais pas que ça empiète trop sur ton emploi du temps, surtout maintenant que tu travailles aussi pour l’université, mais personne ne peut aussi bien les présenter que toi.” Jodie savait que Cecilia traversait une période relativement compliquée depuis quelque temps. L'accident de Julian, entre autres, l’avait ébranlée, et son inspiration se faisait fluctuante depuis. Le sujet avait déjà été abordé entre elles, mais il restait assez sensible, et Jodie ne se sentait pas légitime pour parler d’art, elle qui n’y connaissait pas grand-chose. Pourtant, elle connaissait le talent de son amie, et n’avait jamais douté de sa capacité à rebondir. “Tes flyers sont importants, Cecilia. Il n’y a pas de petit soutien de toute manière, dans une cause comme celle-là. Et ça nous aide vraiment, crois-moi.” Sans s’en rendre compte, Jodie avait une nouvelle fois posé sa main sur l’avant-bras de la jeune femme, comme pour appuyer ses propos, pour lui montrer sa reconnaissance de toutes les manières possibles. Ce n’était d’ailleurs même pas un mensonge. La situation était telle que l’association dont Jodie faisait partie ne refusait aucune aide, aussi minime soit elle, et les flyers de Cecilia avaient très bien circulé dans la région, les aidant à se faire connaître auprès d’un cercle de personnes beaucoup plus élargi qu’auparavant.

“Ton art est important, d’ailleurs, quoi qu’en disent ces snobs de galeristes.” Cette fois, Jodie était peut-être un peu moins objective, mais ça ne diminuait pas la sincérité de ses propos. Elle le pensait réellement, et elle espérait que ces remarques n’affectaient pas trop la confiance de Cecilia, même si elle avait la preuve, devant ses yeux, dans le regard triste de son amie, que c’était tout de même le cas.

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Sam 5 Juin - 14:41
Dans une autre vie, face à une autre personne, Cecilia aurait poussé son avantage. Elle aurait cherché, en voyant les joues de Jodie s’enflammer et son regard s’enfuir face à l’intensité du sien, à ce que la couleur ne quitte jamais son visage, parce que le rouge lui allait trop bien, surtout quand c’était elle qui provoquait son apparition. Il y avait quelque chose de superbe à percer, même brièvement, cette merveille de composition et de calme qu’était la gynécologue, à réussir à voir, au moins un instant, la douceur, la beauté pure de l’émotion sous la logique scientifique, et sans doute aussi, si elle était honnête avec elle-même, la sensualité sous le masque de l’amitié simple, et au-delà de la relation platonique. Oui, il y avait de la perfection dans cette brutale et soudaine imperfection, dans ce chassé-croisé de regards, dans ses mots qui se perdaient, dans ses compliments qui s’échouaient, et dans la tension qui se créait, et qu’elle ne cherchait pas à fuir, pas encore. Si seulement le temps pouvait suspendre son vol, et lui laisser savourer les rapides délices des plus beaux de ces jours-ci, avant que tout n’éclate et qu’elles ne reprennent leurs positions de pieuse ignorance d’une réalité dérangeante, que le professionnel ne fasse taire le personnel, et que ses espoirs déçus par elle-même arrêtent de surgir, vils tentateurs. Et pourtant … Encore une fois, elle ne pouvait s’empêcher de penser qu’elle effleurait du bout des doigts et du creux de son regard les contours de quelque chose, dont elle ne connaissait pas le contenu, ou plutôt, qu’elle craignait de trop bien reconnaître et qu’elle s’évertuait pourtant à fuir. Comme si, confusément, Cecilia se refusait la possibilité de croire à ce qu’elle voyait. Comme si elle se l’interdisait. Oui, dans une autre vie, sa main se serait aventurée vers le menton de Jodie pour lui faire gentiment tourner la tête vers elle. Elle aurait laissé ses doigts tracer l’ovale des joues, savourer leur texture et apprécier le frisson de la peau sous sa propre chair. Elle se serait penchée pour lui murmurer à l’oreille qu’elle était l’un des plus beaux tableaux qui lui avait été donné de voir. Son souffle aurait dérivé de l’oreille à ses lèvres. Et après … Avec un soupir intérieur, elle repoussa l’image qui s’imposait en elle, semblable à ses souvenirs d’une autre nuit, dans une autre vie. La sienne, et en même temps, celle d’une autre, tant ce temps lui apparaissait confus, complexe, instable. Elle avait tenté, mais n’était pas parvenue à oublier. Sans doute parce qu’elle savait que cette scène s’était jouée de nombreuses fois dans sa tête, et elle avait renoncé à chaque fois. Et quand enfin, elle avait surmonté ses craintes … L’avait-elle fait pour les bonnes raisons ? Pas entièrement. Pas seulement. Ce qui aurait dû être pur avait été teinté. Elle n’avait pas pu y croire entièrement. Et le lendemain, tout avait été effacé. C’était mieux ainsi. Cette phrase, à force de se la répéter depuis ses dix-sept ans, était devenue l’ombre familière d’un regret latent, d’une interrogation douce, de ce si qui hantait leur relation, de ce point final qui se refusait à être mis au profit de ces trois points de suspension qui ponctuaient désormais leurs interactions, de leurs couleurs si étranges : vert de la jalousie, rouge de la gêne et jaune du mensonge. Tableau criard, doucereux, amer. Tableau de regret. Tableau jamais terminé, car il y avait toujours sous les aplats de couleurs de leurs sentiments mêlés le blanc de la toile, le blanc de l’espoir. A moins que ce ne soit le blanc du peintre qui désire consacrer son canevas à une toute composition. Plus apaisée. Plus joyeuse. Peut-être. Mais trop tard.

Pourtant, l’envie revenait, dès que Jodie reprenait la parole. Dès qu’elle la complimentait. Dès qu’elle croyait en elle. Dès que sa main se perdait contre son épaule. Cecilia savait qu’elle aurait dû, après son incartade précédente, se dégager subtilement, en s’étirant par exemple. Elle ne le fit pas. Au contraire, elle resta parfaitement immobile, se contentant de ne pas rompre le contact visuel, de se gorger de la passion dans les yeux de la gynécologue, de celle qui teintait à ses oreilles quand elle parlait, de tout ce qui, finalement, la caractérisait. Lentement, elle sentit ses yeux se poser sur les lèvres qui bougeaient, qui délivraient leurs encouragements, dont, à sa grande honte, elle se trouvait avoir tant besoin. A nouveau, la vision de ce qu’elle aurait voulu, à ce moment précis, se matérialisa sous ses yeux, avant d’entrer en collision avec ce dont elle se souvenait. Il lui semblait que le passé et le futur qui n’arriverait pas se moquaient d’elle, accentuant une mélancolie profonde que le rappel de ses échecs n’arrangeait en rien. La reconnaissance se mêlait, à cet instant précis, à une insondable peine. Toute sa vie, Cecilia avait su croire en elle. Au début, elle l’avait contre la plupart de son entourage, notamment ses parents. Et de ses camarades de classe, dans sa jeunesse, peu avait réellement cru que l’éternelle rêveuse en train de griffonner sur tout ce qui lui tombait sous la main, de préférence un cahier de cours, parviendrait à se faire nom dans ce milieu si fantasmé et concurrentiel. Mais ce n’était pas grave. Le plus important, c’était qu’elle-même croit en sa vision, en ce qu’elle pouvait partager. Quand est-ce que ça avait cessé ? La réponse était facile. Quand son équilibre avait éclaté, quand elle avait appris l’accident de Julian, quand l’un de ses piliers s’était abattu au sol, et que le temple de son existence s’était ébranlé, s’était même écroulé avec. Alors, elle avait définitivement perdu l’envie de se battre pour prouver que son message avait encore du sens, parce que plus rien n’en avait de sens. Et alors qu’il était revenu, contre toute attente, contre tout espoir … Rien n’avait changé. Parce que ces trois années ne se rattraperaient jamais. Parce que rien n’avait changé, mais tout avait changé. Furtivement, sa main se posa sur celle libre de Jodie, l’enserrant, pour la remercier, alors que l’émotion l’empêchait de parler. Puis elle la relâcha, parce que la proximité était trop merveilleusement intolérable, et qu’elle aurait probablement eu mouvement que toutes deux auraient regretté. A la place, elle murmura :

« Je viendrai. »

Bien sûr. Peu importe l’heure, elle s’arrangerait. Parce que cela avait du sens, et que tout en manquait cruellement. Même maintenant.

« Merci de croire en moi, quand je n’y arrive pas. »

Aveu cruel. Aveu nécessaire.

« C’est juste que … Julian nous est revenu, mais moi, j’ai l’impression d’être restée. »

Là-bas, dans ce continuum de trois ans qui n’avait pas de fin, dans cet entre-deux où il avait fallu vivre, sans y parvenir tout à fait. Où il y avait des joies, et des peines. Où elles étaient présentes, à dérouler leur vie, quand la sienne était suspendue à des machines. Ou les souvenirs s’étaient fabriqués, en dépit de son absence. Et parfois, en raison de l’absence.

« Comme si je n’arrivais pas à … avancer. Tu vois ce que je veux dire ? Comme si … soudainement, je comprenais que ces trois ans, on ne les rattrapera jamais. Qu’ils seront toujours là. »

Cette fois, elle chercha fermement son regard, avant de conclure, avec franchise :

« C’est la première fois depuis presque trente-cinq ans que je ne lui dis pas tout, y compris des choses qui ont compté.

Et en même temps, j’ai conscience qu’elles sont arrivées … parce que … »

Parce qu’il n’était pas là. Pudiquement, elle n’acheva pas. Elle n’avait pas non plus indiqué précisément à quoi elle faisait référence, mais l’expression de son regard, alors qu’elle enveloppait Jodie de ce dernier, avec une tendresse indéfinie, une once de regret et un soupçon d’incertitude, était trop transparente pour qu’elle ne devine pas. Non, Cecilia n’avait pas oublié. Comment aurait-elle pu ? Quoique. En réalité, l’avait-elle seulement voulu ?

« Il faut que je retrouve le monde que j’ai envie de transmettre aux autres. Alors, je sais que je serai capable de produire à nouveau quelque chose qui aura du sens.

Quelque part, en travaillant sur ces flyers … J’en ai effleuré une petite partie. Et j’ai envie de continuer. De raconter … ce que je n’ai pas encore peint. Ou de le faire différemment. »

Pensive à nouveau, elle contempla Jodie, et acheva :

« Tu n’as pas … l’impression d’être face à une toile blanche, et d’avoir perdu les pinceaux avec lesquels peindre ta vie, depuis trois ans, et même après quatre mois ? »

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