Stop panicking

J’ai rarement fait les cent pas comme cela dans mon propre appartement mais il semblerait qu’aujourd’hui soit le bon jour pour. Quoi de mieux qu’un Irlandais pour vous faire grimper le palpitant ? Ce matin, Will est venu chercher Ellie pour qu’ils puissent passer du temps ensemble. Il est vrai que récemment, nous avons un peu alpagué les enfants avec Aleks et j’ai fini par comprendre qu’ils manquaient à tonton Will et vice et versa.

Timothé est dans mes bras, apparemment très heureux de ces cent pas que nous faisons ensemble. Ce petit bout de vie a tout le temps le sourire, je comprends mieux pourquoi Al et Mark étaient toujours heureux malgré les problèmes. Il a amené quelque chose de plus dans leur vie et aujourd’hui, c’est dans celle d’Aleks et moi-même.

J’ai bien dû faire deux kilomètres dans l’appartement quand j’entends soudainement une voix que je connais par coeur dans le couloir de l’immeuble. Je file ouvrir la porte, Tim appuyé sur ma hanche.

– Soooooliiiii ! crie Ellie en fonçant dans mes jambes pour me faire un câlin. “C’était troooop bien ! On a fait des chooooses !”

Impossible de ne pas sourire, amusée par l’élan de joie proposé par Ellie. Je lève less yeux et croise le regard de Will. Je fronce les sourcils et lui montre ma montre Skagen que je porte au poignet.

– On avait dit à 16h, Will.

Il est 16h34. Oui, j’ai paniqué. Oui,  je suis devenue l’une de ses tutrices.

Stop panicking

Tous ceux qui me connaissent savent que j’ai un véritable problème avec la ponctualité. Et croyez-moi, je tente vraiment de faire des efforts pour corriger ce défaut. D’accord, après une quarantaine d’années à tenter d’arriver à l’heure, ça me paraît peine perdue. Mais j’essaie encore, vraiment. Si j’ai un rendez-vous, il peut m’arriver de me lever plusieurs heures en avance. Et allez savoir pourquoi, il y a toujours quelque chose qui capte mon attention, et je finis constamment par me mettre en retard. Pas des retards énormes non plus, soyons clairs. Alors je ne comprends pas tout de suite pourquoi Solveig me parle sur un ton de reproche, les sourcils froncés, en me pointant sa montre qui a dû lui couter (à elle ou à Aleks) quelques centaines d’euros. Je soupire.

- J’y peux rien si ta montre est à l’heure danoise. Pense à la régler.

Je lui adresse un sourire plein d’arrogance, comme elle déteste. Oui, même si je m’entends bien mieux avec Aleks que je considère aujourd’hui comme un ami, je ne peux m’empêcher d’avoir toujours cette petite rancune enfantine contre le Danemark. Je ne vous explique pas mon désespoir quand Saeed a insisté pour que je lui achète des krisprolls pour le petit déjeuner parce qu’il en avait mangé chez eux. Un coup d’Aleks, je suis sûr… Oui d’accord, c’est suédois. Mais pour moi, c’est la MEME chose ! Tous les mêmes de ce côté-là de l’Europe, avec leur Skyr bio tout dégueulasse. Bon d’accord, c’est norvégien, mais c’est la MEME chose !

Saeed, présent également, acquiesce avec un large sourire. Il avait fêté, le mois dernier, son sixième anniversaire. Et je m’étais pris une grande claque dans la figure, tant il grandissait vite. Son caractère n’était plus à faire. Ses cheveux bouclés, qu’il refusait à tout prix de couper (et croyez-moi, c’était une bataille quotidienne), étaient noués en chignon. Et si j’avais le malheur de parler de chignon, le petit garçon me reprenait en m’assurant qu’il s’agissait d’un « bun ». Oui, Saeed a clairement mon caractère. J’adore ça, même si ça créé pas mal de querelles.

- On a fait du poney avec papa !

Saeed et Ellie semblaient très contents de leur journée passée dans un parc animalier aux airs de fermes pédagogiques. Pour ma part, je m’approchais de Tim, lové dans les bras de Solveig et le couvrait de baisers.

- Ca va mon Tim ?

Le petit garçon se mit à sourire et à faire des vocalises en battant des jambes, sans me lâcher des yeux. Je tournais la tête vers Solveig.

- Arrête de faire cette tête. Tu sais que je ne suis pas ponctuel. Et je t’ai ramené Ellie en un seul morceau. Pourtant, vu la chute qu’elle a fait du poney…

Je me mords la lèvre en voyant la tête que fait l’italienne.

- Je plaisante Sol. Personne n’est tombé. C’est une blague.

Stop panicking

Je rêve de t’arracher les yeux, ai-je envie de répondre à Will qui, non content de lui, sait très bien que je me retiens autant que je le peux car nous avons les enfants autour de nous. Même si je sais que son père n’est pas toujours un exemple, je refuse de dire des gros mots devant Saeed. Saeed qui, d’ailleurs, semble déjà en mesure de sortir son père de certaines galères. Le petit m’annonce qu’ils été faire du poney et puisque les chevaux sont l’animal préféré d’Ellie, je ne peux m’empêcher d’être attendrie par l’attention choisie pour occuper les enfants cet après-midi.

– Du poney, hein ? Vous avez dû bien vous amuser, dis-je à Saeed et Ellie qui me regardent tous les deux avec des étoiles dans les yeux. J’en connais une qui va bien dormir ce soir. Quelque chose me dit qu’il en sera de même pour son compagnon d’aventure du jour.

Sous l’impulsion de joie de Tim en voyant Will, je décide de tendre le garçon à l’irlandais. Mes bras m’en remercient à peine avoir lâché le petit. Il grandit à une vitesse phénoménale, j’ai l’impression qu’une journée représente deux mois parfois avec lui. Il a enfin commencé à parler- chose que je n’évoquerai pas avec Will pour des raisons qui me regardent.

– Q- Quoi? dis-je en m’étranglant presque tandis que Will me dit qu’Ellie est tombée de cheval…avant de se rétracter et de m’avouer que c’est totalement faux.

Je jette un coup à Ellie et lui fait signe de venir vers moi. Sans attendre je me mets à sa hauteur et lui fais un câlin. Au fond de moi, je sais très bien que Will ne laisserai jamais rien arriver aux enfants, qu’il soit question des siens ou des m- D’Ellie ou de Tim.

– Il y a encore des æbleskiver. Vas donc en faire goûter un à Saeed, tu veux ?

Ellie acquiesce vigoureusement de la tête avant d’entraîner Saeed vers la cuisine.

– Entre, dis-je à l’irlandais. “Tu veux boire quelque chose ?”

Stop panicking

Savoir occuper les enfants est quelque chose qui m’est simple. Probablement car je suis moi-même encore un gamin dans ma tête. Il faut juste savoir qu’avec moi, les petits reviennent rarement très propres. Et on peut en juger juste aux pantalons d’Ellie et de Saeed qui sont tachés de terre et d’herbe au niveau des genoux. Qu’on ne se plaigne pas, il fait beau. Sinon, vous pouvez être sûrs que si on croise une flaque d’eau, on va tous sauter dedans. J’ai toujours pensé qu’un enfant heureux est un enfant qui a le droit de salir ses vêtements. Et puis, il y a une petite forme d’interdit qui laisse de beaux souvenirs, n’est-ce pas ? Si Solveig m’en voudra peut-être pour les tâches sur les vêtements d’Ellie, elle finira par me remercier car ce soir, la petite va tomber très vite de fatigue.

Je prends Tim dans mes bras, sans émettre la moindre résistance. J’aime ce petit de tout mon cœur. L’enfant me regarde avec des grands yeux et m’adresse un magnifique sourire dont la sincérité me touchera toujours. Je le couvre de bisous ce qui le fait immédiatement rire, et le serre contre moi comme si je voulais m’imprégner de sa présence. C’est ainsi le moment parfait pour faire croire à Lazzari qu’Ellie est tombée de cheval. Bien évidemment, je lui dis aussitôt qu’il s’agit d’une blague, vu son air affolé.

- Fais attention, je trouve que tu as de plus en plus des réactions de maman poule.

Etonnant, n’est-ce pas ?

Je perds bien vite mon sourire arrogant lorsqu’elle propose des « Trucskiver » à Saeed, comme pour me faire chier. J’adresse à la jeune femme un regard exaspéré tandis que l’estomac sur pattes qui me sert de fils, se rue dans la cuisine avec Ellie pour goûter la spécialité danoise, tous deux, main dans la main.

- Je crois qu’il y a de l’amour dans l’air., lançais-je à l’italienne sur le ton de la confidence, en lui montrant d’un signe de la tête les deux enfants de cinq et six ans, non sans afficher un sourire amusé. Quelque chose que j’avais remarqué bien plus tôt dans la journée. En même temps, j’entre avec Tim, pour accepter l’invitation de la jeune femme.

- Je veux bien un café, s’il te plaît.

Je reporte aussitôt mon attention sur Tim qui, les yeux rieurs, fait des grimaces que je reproduis avec amusement et qui a pour résultat de le faire rire une nouvelle fois.

Stop panicking

Je me retiens de faire tout commentaire quand je l’entends me dire que je commence à ressembler à une maman poule. Qu’il ne commence pas sur ce terrain-là, je ne suis pas encore en capacité d’accepter le rôle qui m’incombe pourtant depuis des mois maintenant.

Impossible de ne pas fondre de tendresse devant l’image qui s’adonne à nous. Ellie et Saeed se tiennent la main en allant dans la cuisine, endroit où je leur ai promis monts et merveilles.
Il ne manquerait plus que ma f- ma filleule tombe amoureuse du fils de mon ex, tiens. Quoique, la vie a un tel sens de l’humour à mon égard depuis quelque temps que plus rien ne me surprendrait véritablement.

– Allez, viens, dis-je en lui faisant signe de me suivre, lui aussi.

Très vite, nous nous retrouvons tous dans la cuisine où je prépare un café à l’irlandais. Pour ma part, je me contente d’un smoothie. Un de mes trucs fit comme il dirait. Je sais que Will n’a jamais changé d’avis concernant les choses qui sont censées nous donner une meilleure forme et une meilleure santé. Bien qu’il m’ait avoué avoir fait beaucoup d’efforts sur le sujet depuis l’arrivée d’une ribambelle d’enfants dans sa vie, je sais que cet homme ne crachera jamais sur un faux-filet. Jamais.

– Regarde-nous, avec des mômes… Qui aurait cru, dis-je en lui servant son mug fumant de café.

Et dire que, de base, nous pensions en avoir ensemble… Finir nos vieux jours ensemble. Bien des choses ont changé en quelques années.

– Comment vas-tu ? demandé-je de la façon la plus banale qu’il soit. Comme si rien n’avait jamais été un problème entre nous.

Stop panicking

Saeed et Ellie ont toujours été proches depuis qu’ils se connaissent, ce qui remontent déjà à quelques années. En fait, pour être exacts, ils font partie de la vie de l’autre depuis leurs plus lointains souvenirs. Lorsque j’avais passé un an au Sri Lanka avec Sarah et Saeed, mon fils avaient souvent parlé d’Ellie. Il avait même ramené une certaine quantité de coquillages pour les lui offrir à son retour. Aujourd’hui, les deux bambins semblaient ressentir plus que de l’amitié envers l’autre. Si ça ne m’avait jamais vraiment surpris, je trouvais ironique que cela arrive au moment où c’est mon ex-compagne qui a récupéré la tutelle de la petite fille. Je me souviens encore de longues discussions avec Mark et Alice où, en plaisantant, on parlait de leur futur mariage. J’imaginais leur rire s’ils voyaient ce qu’il se trame entre les deux enfants.

Je réceptionnais le mug fumant de café en remerciant Solveig. J’en pris une gorgée, tout en l’écoutant. Je relevais la tête et croisais son regard avec un sourire non dissimulé.

- On en parlait à une époque. Ce qui est étonnant finalement, c’est que ce ne sont pas des enfants que nous avons en commun.

Oui, car cela avait été un projet à une époque, bien avant son infertilité et notre tentative de seconde chance. Lorsque nous avions eu pour projet de nous marier, nous avions également eu envie de fonder notre famille, même si ça n’aurait pas été dans l’immédiat. Aujourd’hui, nous avions chacun nos enfants.

- Qui sait, un jour, ce seront peut-être les petits-enfants que nous aurons en commun.

Je me mordillais la lèvre inférieure, amusé. Oui, ça, ça serait très ironique. Bien évidemment, je plaisantais. Il y avait de très faibles chances qu’un amour d’enfance subsiste à l’âge adulte. Mais après tout, la vie aime bien se foutre de notre gueule alors… pourquoi pas ?

– C’est surtout à toi qu’il faut poser la question. Ca se passe bien avec ces deux crapules ?, lui demandais-je en désignant Ellie et Tim que j’avais redonné à Solveig pour éviter de renverser du café brûlant sur le petit. Oui, être parent, c’est avoir machinalement toute sorte de réflexes.

Stop panicking

Impossible de ne pas sourire en voyant nos deux petits bouts qui se tiennent la main. Y a-t-il mieux que l’innocence des enfants ? Je ne pense pas, non. Mais je sais aussi que leur innocence peut vite dérailler et partir en cacahuète. Ellie a beau être une enfant incroyable, cette petite ne manque jamais d’imagination pour nous causer des peurs bleues avec Aleksej de temps à autre.

– N’allons pas trop vite en besogne, O’Connor, tu veux ?Laissons-les dans l'étape amitié aussi longtemps que possible. Je n'ai pass le coeur à gérer des histoires d'amour entre enfants.

Imaginer Ellie et Saeed ensemble dans le futur me fait sourire. Evidemment, cela n’arrivera pas mais ça n’en reste pas moins agréable à imaginer ne serait-ce que pour quelques minutes. En vérité, tout ce qui m’importe, c’est qu’ils continuent à être amis en grandissant.

– J’aimerai me plaindre et crier à l’enfer mais… Tout se passe bien, dis-je avec toute la sincérité dont je suis présentement capable. Aleks serait probablement du même avis bien qu’il y ait des hauts et des bas. J’imagine que c’est pareil chez tout le monde au fond. Aucun couple, aucune famille ne traverse pas de moment plus difficile que d’autre.
Oui, j’ose parler de famille maintenant et je ne parle pas juste d’Aleks, les chiens et moi. Les enfants en font partie et notre clan agrandi me convient parfaitement. Je sais que c’est contre les attentes de tous mais je me fais petit à petit à ce nouveau rôle qui est le mien.

– Je ne te dis pas que c’est facile tous les jours, au contraire, mais je n’ai pas le droit de me plaindre. Ils sont super. Ellie a encore quelques cauchemars de l’accident mais on gère…

Enfin, on essaie. Parce que les cauchemars restent encore le pire. Calmer Ellie après l'un d'entre eux se relève parfois être une véritable épreuve du combattant. Je ne compte plus les nuits passées par Aleks au pied du lit de la petite pour la tranquilliser.

Stop panicking

Il n’est pas difficile de se rendre compte que Solveig, qui portait déjà beaucoup d’amour à ces petits bouts, les a parfaitement intégrés à sa vie. Elle les considère comme ses enfants, même si je ne le lui dirais pas, bien que l’envie me démange de la taquiner à ce sujet. Elle est désormais une louve, prête à tout pour protéger les siens. Et cela me rend heureux. Pour les enfants, pour elle, mais aussi pour Aleks. Désormais, ils vont apprendre à lever le pied sur le travail et à passer du temps ensemble, en famille. Je lis dans les yeux de Solveig que son travail ne tiendra plus jamais la place numéro une, ce que je lui avais souvent reproché à l’époque où nous étions ensemble. Ce n’est pas avec moi qu’elle a changé, mais aujourd’hui, je ne ressens plus de jalousie à ce sujet. Au contraire. Je suis sincèrement heureux pour tout ce petit monde.

Et si Ellie fait encore des cauchemars de l’accident, tout se passe relativement bien. Et cela me rassure. Solveig et Aleks ont beaucoup de courage pour faire face ensemble a toutes ces nouveautés. J’adresse un sourire encourageant à la jeune femme.

- Tu sais, Morgana et moi on peut prendre les enfants un weekend, pour que vous puissiez souffler et vous retrouver tous les deux.

Oui, elle le sait. Ce que je ne sais pas, c’est si elle oserait me faire cette demande un jour, même si elle sait parfaitement que cela ne me dérangerait pas et qu’au contraire, je serais enchanté par cette idée. J’aime beaucoup trop Ellie et Tim pour voir cela comme quelque chose de désagréable.

Je me rends compte aussi à quel point nous avons mûri par rapport à notre relation. Qui eut crû qu’avec des prises de tête si importantes, si violentes, on aurait été capables de se comporter comme de vrais amis.

- Et promis, je te les ramènerais en un seul morceau., lui lançais-je avec un brin de taquinerie, en faisant référence au fait que je venais de lui faire croire qu’Ellie était tombée de son poney, quelques heures plus tôt.

Stop panicking

J’ai conscience que la proposition de William vient du cœur et qu’il ne la ferait pas s’il n’en avait pas envie. Cependant, je n’ai ni la force ni l’envie de laisser les enfants loin de moi, ne serait-ce que le temps d’une nuit. Quand je parle de force, c’est parce que je n’ai pas encore assez de courage pour les laisser loin de moi ou d’Aleksej. Il n’y a pas qu’eux que l’accident a traumatisé, malheureusement. Et pour ce qui est de l’envie, je dis ça parce que William et Morgana ont assez de choses (et d’enfants) à gérer de leur côté également. Cela ne serait pas juste de leur ajouter le poids de deux petits supplémentaires.

– Tu ne crois pas que vous avez déjà assez à faire ?

William me connaît suffisamment bien pour savoir que je ne dis pas cela pour être méchante. Mon inquiétude est réelle. Vu l’année que lui et sa compagne viennent de passer, est-il vraiment nécessaire de s’imposer - ne serait-ce que temporairement - la présence de deux autres enfants chez eux ?

– Je sais que cela peut paraître fou mais Aleksej et moi, on ne s’en sort pas si mal, tu sais.

Si on oublie les disputes et le manque de communication positive entre nous depuis des mois maintenant. Même si je n’en parle pas trop, de notre côté aussi la coupe est pleine. Malheureusement, nous devons faire avec et, surtout, aller de l’avant car les enfants ont besoin d’un cadre stable et sérieux. Je sais au fond de moi qu’Aleks et moi finirons par nous retrouver. Il nous suffit de communiquer. Nous avons simplement quelque peu perdu cette bonne habitude-là, dirons-nous.