Ton plus gros problème à l’heure actuelle ? Outre le fait de ne pas savoir qu'elle sera ta prochaine vocation et si tu finiras par rester à New York, tu dirais que c'est le fait de ne pas savoir quoi faire concernant les romans que tu as écrits. Parce que tu sais que si tu venais à publier ton prochain roman, on t'accuserait d'avoir plagié un autre romancier ou de lui avoir volé l'une de ses œuvres simplement parce que le style d'écriture serait le même. Parce que c'est ton travail à la base. Et puis, est-ce que tu ne devrais pas faire face au parcours du combattant pour qu'on accepte de publier une autrice qui, en théorie, est une novice dans le paysage livresque ? Qui accepterait de croire que tu es une romancière ayant publié des best-sellers dont la paternité ne t'est pas reconnue ? Qu'on te comprenne bien, tu n'as aucune envie de le laisser profiter de ton dur labeur une seule seconde de plus, parce que cet argent, de même que la reconnaissance qui va de pair, tu les mérites. Mais qu'est-ce que tu es censée faire ? Ce genre de cas juridique a-t-il déjà existé ? Est-ce que tu as de quoi prouver tes dires ? Que de questions sans réponses et avec le recul, tu te dis que tu t'es laissée entraîner dans un bourbier monstrueux et que tu ne sais pas comment en sortir.

Une addiction à déclarer ? Tu as une légère addiction à la cigarette. Tu ne fumes que lors des soirées, mais c'est probablement suffisant pour avoir une incidence sur ta santé. Tu sais que c'est paradoxal et que certains protesteraient sur cette décision en te rappelant le calvaire que tu as vécu lorsque tu étais atteinte d'un cancer des trompes de Fallope. Tu t'en fiches, parce qu'après tout, tu es déjà en pleine rémission, alors au moins, tu serais sûre de savoir ce qui te tue à petit feu. Les médecins t'ont déjà dit que tu avais davantage de chances d'en développer un second dans les années qui viennent, alors pourquoi ne profiterais-tu pas de la vie comme elle vient ?

Comment s’est terminée ta dernière relation ? Avant de parler de la fin, peut-être que tu devrais évoquer la relation en elle-même. Peut-être que tu devrais parler du fait que tu as été la victime d'un phénomène dont tout le monde entend de plus en plus parler. Le grooming, tu crois que c'est comme ça que ça s'appelle. Dans ton cas, c'était par l'un de tes professeurs à l'université. L'homme qui avait une quinzaine d'années de plus que toi. Celui qui trouvait normal de séduire une étudiante de dix-neuf ans. Une jeune femme qui sortait à peine de l'adolescence. Lui, celui qui t'a manipulé, abusé et exploité. Celui qui est devenu célèbre en s'appropriant tes écrits. Celui qui te gardait dans l'ombre. Celui qui t'a fait renier ta famille et qui t'a isolé. Alors, pour répondre à la question, tu dirais que ce fut la libération, malgré qu'il l'ait extrêmement mal pris. Qu'il ait tenté une fois de plus de te manipuler et qui ne t'a quasiment rien laissé après avoir claqué la porte. Tu t'en fichais, parce qu'après onze années, tu as goûté à la liberté dont il t'avait privée. Parce qu'il t'a volé ta jeunesse et ton innocence. Parce qu'il a ruiné ta vie avant que tu ne la reprennes en main en te libérant des chaines qui t'entravaient.

Le dernier texto que tu as envoyé ? Pour être honnête, tu n'en as aucune idée. Ça fait cinq jours que ton téléphone a disparu et que tu attends de recevoir une nouvelle carte SIM pour aller en acheter un nouveau.

Ta relation avec tes parents, on en parle cinq minutes ? Tu ne peux parler d'aucune relation, parce qu'il n'y a rien à dire concernant ta famille. La dernière fois que tu les as vus, tu avais vingt ans. Ils venaient de convoquer une réunion de famille afin de t'ouvrir les yeux sur ta relation amoureuse et sur les intentions de ton partenaire de l'époque. Aveuglée par la naïveté et portée par les murmures du cœur, tu avais fait la sourde oreille et tu avais claqué la porte de la maison, sans le moindre regard vers l'arrière. Après ça, ils ont essayé de te contacter, mais ce fut le silence radio de ton côté. Ton partenaire t'avait si bien manipulée. Depuis que tu es en rémission à la suite de ton cancer, tu te dis que tu devrais les contacter, mais la honte et les remords ne te permettent pas de sauter le pas. Tu as ajouté cet objectif à ta bucket-list et tu te dis que ça te motivera à renouer une quelconque relation avec eux. Éventuellement.

En dehors du boulot, des études, tu fais quoi ? Tu partages ton temps entre deux activités : la rédaction de ton prochain roman et la réalisation des objectifs de ta bucket-list. Tu as repris l'écriture récemment. Tu as eu une idée d'intrigues et depuis, tu t'efforces de la coucher sur le papier. C'est laborieux et ça te prend davantage de temps que pour tes récits précédents, mais l'écriture te passionne toujours autant. Tu penses même que ce sera ton meilleur roman et tu envisages l'idée d'en faire une saga. Après tout, tu ne te refuses plus rien. Pour ce qui est de ta bucket-list, tu l'as rédigé lorsque tu étais à l'hôpital pour l'une de tes séances de chimiothérapie. Tu te disais que ce serait un excellent moyen de rattraper le temps perdu et d'accomplir tes désirs les plus fous si tu venais à survivre. Au final, tu as vaincu le cancer et tu as commencé à cocher les objectifs. L'un après l'autre. C'est même grâce à ça que tu as un fait un road-trip d'un an et demi avant de t'installer à New York. Tu as tendance à penser que, si tu réussis à remplir toute la liste, tu pourrais mourir en paix si jamais tu venais à faire une rechute.

Un fait peu glorieux à nous raconter ? Peut-être le fait qu'avant d'être son officielle, tu as été sa maîtresse. Tu ne l'as pas été de ton plein gré, bien sûr, parce que le manipulateur qu'il est t'a fait croire qu'il était séparé de sa femme et en instance de divorce. Parce que tu n'as vu que du feu dans le fait que votre relation reste un secret pendant quelques mois. Parce que tu n'as posé aucune question. Parce que tu ne t'es pas questionnée sur le fait de ne pas avoir l'opportunité de rencontrer ses enfants ou d'être présentée à ses amis. La réalité, c'est que tu as participé malgré toi au fait de briser une famille et que des années après, il y a toujours ce sentiment de honte qui t'habite, alors qu'il fut le seul fautif.