i'm ready to dig into all of it, abandonnement issues, dissociative episodes, my dad...Tes mains dans ta tête, tu soupires. Tu ne sais pas trop comment tu en es arrivée-là. Comment ta vie a pu t'échapper à ce point. Tu y réfléchis encore et encore. Mais rien ne vient. Du plus loin que tu te souviennes, t'as toujours été relativement heureuse.

Niveau famille, tu n'as pas vraiment eu ce qu'il y avait de plus stable, c'est vrai. Parce que t'es le fruit d'un adultère, mais ton père t'a reconnue et tu as toujours fait partie intégrante de ta famille du côté de tes deux parents. Ta mère a eu du mal à se reconstruire après ta naissance, mais tu as été élevée par ton beau-père qui s'est toujours efforcé de te considérer comme sa fille. Un papa à plein temps davantage que celui qui est responsable de ta venue au monde. Ton père, ça a toujours été ton papa à temps partiel. Pour les vacances, les week-end, les sorties, mais jamais pour les punitions. C'est comme ça que tu l'as toujours aimé. Lui et sa femme un peu pète-sec avec toi. Et leur fille. Ta soeur. Lemony. Même si vous faire passer du temps ensemble n'a pas toujours été de tout repos en terme d’organisation, vous vous êtes toujours relativement bien entendues. Avec vos disputes de frangines, si facilement réconciliables parce que vous aviez le temps de vous calmer avant de vous revoir.... Alors c'est vrai, ton enfance, du moins du côté familial n'a pas toujours été de tout repos.

Tu passes la main dans tes cheveux en t'efforçant de respirer le plus profondément possible pour chasser l'angoisse qui te prend au ventre. Tu penses à lui. Comment ne pourrais-tu pas ? Tu n'arrives même pas à penser à son prénom, à le nommer, ni dans ta tête, ni à voix haute, sans que ça te couple le souffle et que la béante blessure de ton cœur ne saigne abondamment.

Vous vous êtes rencontrés au lycée et vous avez tout de suite eu des atomes crochus. Amis en premier lieu, c'est vrai, mais l'ambiguïté a toujours été de mise. Peut-être ses sourires qui ont si vite su faire fondre ton cœur comme du chocolat sous trente degrés et en plein soleil. Ou peut-être juste que comme on rencontre son âme-sœur tu l'as rencontré, quête d'une vie vite réalisée. Votre relation a toujours tout eu d'idéal à tes yeux. Tout, sauf ta mère, qui pour une obscure raison a décidé, dès la première fois qu'elle l'a rencontré, qu'il n'était qu'un plouc de plus dans ta vie et que tu méritais mieux. Alors forcément, quand votre couple a commencé à devenir sérieux, elle s'est mis en tête de le défaire. Ton beau-père a tout tenté pour la dissuader. Ça n'a pas fonctionné. Alors quand il t'a demandé en mariage, t'as bien failli finir par ne plus jamais adresser la parole à ta mère. Mais ton beau-père a fait tampon, tout simplement. Comme il l'a toujours fait, à te calmer avant que tu ne partes au quart de tour.

Mais rien n'a réussi à entacher cette idylle, si parfaite à tes yeux que ta vie aurait pu rester ainsi. Avec lui. Amis, amour et amants. Tout ce dont t'aurais toujours pu rêver. Vous en avez vécu des belles choses. Quelques disputes, bien entendu, mais quel couple ne se dispute pas ? Pourtant, t'as pas vu les choses dégénérer et, un beau jour, il est porté disparu. L'enquête bat son plein et il est supposé mort. Le début de ta descente aux Enfers.

Rapidement après cette annonce, tu refuses de sortir de chez toi, t'enfermant peu à peu dans une routine qui est la tienne. T'as coupé le contact avec tes amis, avec ta famille, et tu refuses même d'ouvrir ta porte. Au début, tu te refuses à manger. Et puis un jour, environ quatre mois après ça, tu fais un malaise. Dépression diagnostiquée, tu échappes comme tu peux au travail et n'y vas qu'en cas de nécessité. Le verdict tombe. Enceinte. Tu n'as même pas remarqué que ton corps a changé, que tes symptômes ressemblaient à ce que tu as parfois vu autour de toi. À ce moment-là, tu acceptes de reprendre contact avec Lemony, ta sœur qui, elle-même, sort d'une mauvaise passe de sa vie. Elle est la seule personne avec qui tu acceptes de communiquer. Mais l'annonce de ta grossesse ne te laisse plus trop le choix. Tu n'as désormais plus vraiment le choix que de sortir, participer aux groupes de paroles, ne pas te laisser dépérir comme tu étais prête à le faire.

À la fin de ta grossesse, tes parents se sont donnés la divine mission d'être une épine dans ton pied. Toujours présents même quand tu veux pas d'eux, ils accaparent ton fils, sous prétexte de te soulager. Tu ne noues par conséquent pas le lien qu'une mère devrait avoir avec son bébé dans les premiers mois de sa vie. Et tu te renfermes un peu plus, incapable de développer ton instinct maternel. Même si ça part d'une bonne intention, celle de te soulager et de t'aider à te soigner sans t'ajouter de charge mentale, tu vois ce retour dans ta vie comme une véritable intrusion. Plus encore quand ta mère arrive à convaincre ton beau-père de la soutenir dans son idée folle de te remarier. Pour toi, c'est inenvisageable. Bien que, techniquement, tu sois veuve, tu te refuses à te faire passer un autre anneau que celui du grand amour de ta vie. Pourtant, t'es dans l'inaction et c'est Lemony qui prend les armes pour toi, éloignant ta mère comme elle le peut, réussissant parfois à faire revenir ton beau-père à la raison jusqu'à la prochaine manipulation de sa femme.

Alors tu acceptes de te plier à quelques rendez-vous et à l'organisation d'un mariage à laquelle tu n'assistes même pas, noyée dans ses émotions négatives, incapable de sortir la tête hors de l'eau. Seul point positif : tu arrives à nouer une vraie relation avec ton fils, port d'ancrage de cette vie que tu avais où tout était parfait, lui qui déjà ressemble à son père à quelques mois à peine.

Et là, c'est le constat. Tu soupires de nouveau et frottes tes mains contre tes yeux. Ta vie n'a pas été la plus mouvementé et tu as aimé ce fleuve tranquille dans lequel tu t'es laissée bercer. Sauf qu'il est temps de réagir. Tu attends donc ce moment où l'électrochoc sera là, où tu pourras enfin reprendre le contrôle de ta vie. Enfin... si ce moment arrive.