Riley a l'impression d'être dans un univers parallèle. Pendant trois ans, elle a gardé dans un coin de sa tête cette envie de retrouver son identité et ce qui lui était arrivé mais elle avait commencé à se faire une raison. La rencontre avec ce journaliste est un sacré coup du destin, elle avait une chance sur des milliers de le croiser et qu'il reconnaisse son visage sans même qu'elle connaisse son propre prénom. Tout ceux qu'elle a croisé ces dernières années l'ont appelé Jane en référence à cette fameuse expression qui désigne une personne non identifié. Beaucoup lui ont conseillé de se forger une nouvelle identité, de se trouver quelqu'un, de recommencer sa vie de zéro mais elle n'en a jamais eu le courage. Elle a continué à vivre, à voyager mais sans jamais vouloir effacer celle qu'elle a été. Cette opportunité que ce journaliste lui a offerte, elle l'a saisi, sans hésiter, persuadée qu'en revoyant tout ceux qu'elle aimait, tout lui reviendrait. La déception et la frustration sont dures à accepter, le retour à la réalité et l'écrasement de tous ses espoirs également mais elle garde un fin sourire accrochée à ses lèvres malgré tout.
Elle n'a pas eu la force d'affronter sa mère et ses sœurs, trop d'émotions d'un coup, la panique qui s'est emparée d'elle et elle s'en veut parce qu'elle se doute que sa réaction a dû leur faire mal au cœur. Elle tente de chasser cette culpabilité alors qu'elle marche dans la rue aux côtés de Noah. Sa compagnie lui semble tellement naturelle qu'elle n'est même pas mal à l'aise en sa présence alors que sa mémoire refuse de lui rappeler tous les bons moments qu'ils ont vécu. La seule chose dont elle est convaincue c'est qu'elle est en parfaite sécurité avec lui et qu'elle peut lui faire confiance les yeux fermés.
Cette chanson, c'est presque un automatisme quand la mélodie arrive à ses oreilles, elle se met à la fredonner, elle connait les paroles par cœur et elle n'a jamais su d'où. Elle ne remarque pas les traits de Noah qui change dès qu'elle se met à chanter ce petit bout de souvenir qu'il lui reste, trop absorbée par cet air qui se fraye un chemin dans sa tête. Elle acquiesce quand il insiste pour qu'elle prenne quelque chose, elle le laisse commander parce qu'après tout il doit mieux connaître qu'elle se qu'elle apprécie.
Ton mariage. L'évocation de ce mot lui fait instantanément relever les yeux, ses prunelles se plongent dans celles de Noah, prient pour qu'il lui en dise plus et ce qu'il laisse échapper la laisse sans voix. Que voulait-il dire par là ? Est ce qu'il est l'homme qu'elle devait épouser ? Elle déglutit difficilement, se demandant à nouveau comment elle pourrait oublier une chose pareille. Elle n'ose pas embrayer sur le sujet parce qu'elle n'est pas certaine qu'il ait fait exprès de le mentionner.
« Mon mariage... wow, hum.. » Elle se racle la gorge, perd ses mots, répète les siens alors qu'une vague de tristesse l'envahit, ses yeux se posent sur la bague qu'il porte. Toujours plus de questions envahissent son esprit mais elle se contente de les faire taire, de les murer dans un silence. Déstabilisée, elle se rend compte que cette chanson est en réalité un rappel constant de ses souvenirs qui tentent de se frayer un chemin dans les ténèbres de son cerveau. Tout espoir n'est peut être pas perdu. Elle se passe rapidement une main sur le visage pour reprendre ses esprits alors qu'ils changent de sujet.
« Je compte y passer, régulièrement, j'ai eu l'air d'une grande sauvage à l’hôpital tout à l'heure mais j'étais convaincue, égoïstement, qu'en revoyant ma famille tout redeviendrait comme avant. J'ai paniqué. Mais je ne veux pas vivre avec eux, j'ai besoin de mon propre espace. » Elle hausse les épaules, elle a 35 ans après tout et même si elle est dans l'inconnue elle ne veut pas s'imposer à sa mère ou chez qui que se soit. Elle soupire à l'évocation de ce frère jumeau qui ne lui donne aucun déclic.
« On dit toujours que les jumeaux ont une connexion spéciale, j'espère que c'est le cas. J'irai très certainement le voir aussi.. J'ai juste peur de décevoir tout le monde, de leur faire mal, te faire mal, parce que j'arrive me souvenir de rien » Elle l'écoute, prend en compte ses remarques et conseils tout en hochant la tête tandis que la serveuse dépose leurs boissons devant eux.
« Je comprends où tu veux en venir et je changerai peut être d'avis mais dans l'immédiat j'ai besoin d'avoir un semblant d'autonomie même si je suis aveugle » Elle accompagne ce dernier mot de guillemets qu'elle mime avec ses doigts pour appuyer la métaphore de son amnésie.
« Je sais que tu es mal à l'aise avec ce que la psychologue t'as imposé et je comprendrais que tu ne veuilles pas, je veux pas m'imposer ou être un poids pour toi mais j'aimerais bien garder contact, je ne t'harcelerais pas promis » qu'elle ajoute sur une note d'humour. Elle ignore si l'homme en face d'elle a refait sa vie, elle ne veut qu'il se sente obligé d'être là pour elle si il n'en a pas envie. Son regard se plante sur l'horloge derrière eux et elle grimace en terminant son verre.
« J'espère qu'ils ne veut pas me garder encore des heures, je dors à l’hôtel ce soir et je rêve d'un grand bain chaud » Les minutes défilent, bien trop vite à son goût et les voilà déjà sur le départ pour retourner à l’hôpital. Juste avant que Noah s'en aille, il lui glisse donne son numéro de téléphone afin qu'ils puissent continuer à communiquer.
FIN