Este ne sent pas bien du tout. Rompre par sms est une chose, concrétiser la situation pour de vrai en est une autre. C'est ce que signifie être adulte cela dit. Une ironie sans doute, puisque c'est justement l'effroyable différence d'âge qui a eu raison de sa relation avec Oscar jusqu'à preuve du contraire. Le bouclé se donne du courage cela dit, ce n'est pas comme si annuler à la dernière minute était une option aujourd'hui de toute façon. Il rejoint leur café préféré, pianote nerveusement sur la table en attendant l'arrivée d'Oscar. Des retards sur toute la ligne de métro, de quoi rajouter au stress qu'Esteban ne peut s'empêcher de ressentir à l'idée de cette conversation bien désagréable.

Quand Oscar fait son apparition, Esteban baisse instinctivement la tête. Rompre dans un lieu public n'est peut-être pas l'idée du siècle, mais au moins cela leur permettra à tous les deux de partir chacun de leur côté une fois le douloureux sujet abordé. Prenant son courage à deux mains, Esteban lève la tête pour prendre les devants.

- Hey...

Que dire, comment mettre le sujet sur la table. Maintenir le contact visuel est déjà douloureux. Esteban a toujours pensé qu'on ne rompait que lorsque les sentiments s'en allaient. Aujourd'nui, avec Oscar, il découvre l'envers du décor. La faute à ses parents sans doute, eux qui lui ont fait croire qu'il y avait toujours de l'espoir tant qu'il y avait de l'amour. Ce n'est pas le cas pour tout le monde visiblement.

- Je ne sais quoi te dire. Ce qu'on est censé dire dans une situation comme ça.

Dans un sens exquis du drama, sans doute, ils se sont donnés rendez-vous dans ce petit café où il semble à Oscar que leur histoire a commencé. Pour la terminer, donc, cette histoire, parce qu’il ne voit pas bien ce qu’il pourrait se passer d’autre. Il a été idiot, il aurait dû être l’adulte, celui qui prend la bonne décision. Celui qui refuse de poursuivre une histoire perdue d’avance au risque de briser un coeur. Il porte, en plus de la tristesse de la situation, de l’amertume qui tapisse son coeur, la culpabilité des yeux tristes d’Esteban. Il se sent terriblement mal. Il a envie de fuir cette conversation parce que la décence lui dicte d’être l’adulte de la situation, et donc de ne pas faiblir. Son coeur lui tient quant à lui un tout autre discours.

- Hello...

Il marmonne, d’un murmure à peine audible.

- Tu n’as pas besoin de dire quoi que ce soit, Este.

Il est passé commander un café et s’installe en face du brun en croisant les bras.

- On sait tous les deux où on veut en venir, non ?

Ils ont déjà rompu par texto, cela devrait rendre les choses plus faciles et pourtant c’est vraiment loin d’être le cas. Esteban regarde Oscar, le cœur battant trop vite pour pouvoir prétendre à l’indifférence. Leurs sentiments ont beau avoir évolué dernièrement, il n’y a rien dans la situation qui puisse être considéré comme quelque chose d’évident. Ils se sont aimés, c’est un fait qu’on ne peut ni nier ni minimiser et les voilà donc sans savoir quoi dire alors que tout a été dit justement.

- Juste peut-être que je suis désolé ? C’est moi qui ai insisté après tout.

Et Oscar est peut être l’adulte dans tout ça, mais Este a ses torts dans l’histoire. Il a été trop optimiste, trop rêveur. S’il avait réfléchi un peu, alors Oscar ne se serait pas laissé avoir par sa candeur et ses jolies bouclettes. Il a entretenu ce déni à un moment où Oscar était fragile. Ils avaient eu besoin de l’un de l’autre et s’étaient foutus des conséquences. Aujourd’hui, ils ne peuvent qu’admirer le résultat des courses.

- Je savais depuis le début que je n’aurais jamais le courage de te présenter à ma famille. Je me suis voilé la face, mais je le savais Oscar. Et tu aurais raison de me détester pour ça.

Il n’a jamais parlé de lui à qui que ce soit en dehors de Reagan. Il a même accepté de jouer les faux petits amis auprès de Bloom. Ce n’était pas vraiment la relation avec le plus d’avenir au monde et se serait mentir de dire que l’idée ne lui a jamais traversé l’esprit.

Oscar soupire un peu et dévisage Esteban sans trop savoir que faire de plus. Il est un peu las, de sorte qu’il lui parait difficile de trouver les mots justes pour remonter le moral du brun, alors même que lui est aussi triste, sans doute. Il devrait pouvoir jouer les détachés, lui offrir un sourire et repartir de plus belle, mais il n’y parvient pas. Il n’arrive qu’à penser, égoïstement, à son coeur blessé à nouveau, au fait qu’il est vieux et qu’il va sans doute mourir seul, et qu’il va lui falloir se remettre de cette nouvelle relation dans laquelle il s’est engagé alors qu’il aurait dû savoir que tout était perdu d’avance.

Il soupire, un peu, et retient une grimace quand Este lui dit qu’il savait depuis le départ qu’il ne le présenterait jamais à sa famille. Ca ne le surprend pas, et pourtant, il est blessé d’être l’homme dont on a honte, celui qu’on veut dissimuler. Cela conforte l’opinion qu’il a de lui-même, et il s’interroge sur cette capacité qu’est la sienne à toujours vouloir s’enticher personnes qui sont « trop » pour lui. Trop jeunes, trop bien, trop intelligentes, trop cultivées, trop belles. Il n’a pas envie de s’engager dans une compétition du malheur cela dit, et préfère donc balayer la question d’un revers de la main.

- On a pas besoin de trouver de coupable, Este. On fonctionne juste pas ensemble, c’est triste mais c’est comme ça. Il vaut mieux s’en rendre compte maintenant, c’est moins douloureux que dans quelques mois.

Il offre un sourire mince et hausse une épaule, en lutte avec l’agitation qui occupe son coeur.

- C’était bien. Moi, en tout cas, je n’ai pas de regrets.

Si ce n’est celui de ne pas avoir su prendre les bonnes décisions d’adulte qui s’imposaient ; mais à quoi bon aborder ce sujet là maintenant ?

Trouver un coupable c'est plus facile cela dit, et c'est probablement pour cette raison qu'il s'y attelle avec tant d'insistance Esteban. Dans ce petit café qui avait pour habitude d'être sa bulle de bonheur, il se sent mal pour la première fois de sa vie. Il ne sait pas pourquoi jouer les adultes lui a paru une bonne idée, ni même pourquoi il a proposé à Oscar de faire ça dans ce petit café qui à bien y réfléchir n'est peut-être pas aussi bien qu'il se l'était imaginé et où le café est finalement excessivement cher. Venir ici ne sert pas à grand chose non plus, si ce n'est pour répéter ce qu'ils se sont déjà dit par texto. La gorge d'Esteban se serre. Il a envie de partir d'ici.

- Au point ou en est, c'est douloureux dans tous les cas. Un mois ou deux de plus n'aurait pas changé grand chose.

Este réplique, bras croisés, un peu plus rudement qu'il ne l'aurait voulu. Il se sent oppressé, son cœur lui fait mal malgré tout la rationalisation d'Oscar à ce sujet. Il a l'impression d'avoir fait n'importe quoi et d'en subir les conséquences désormais. Alors ses ongles s'agitent nerveusement sur la table en bois, et son regard se perd sur la fenêtre. Inévitablement, il doit faire face à Oscar de nouveau. Oscar qui n'a pas de regrets. Esteban ne peut pas en dire autant, mais c'est surement le privilège de la maturité.

- Tant mieux pour toi et content de l'entendre. Je pense que je vais rentrer chez moi par contre. Il n'y a pas grand chose à dire qui n'a pas déjà été dit de toute façon. It's all good if you ask me.

Este se lève, ne prend même pas la peine d'embarquer son café avec lui. Il se sent submergé par un maelstrom d'émotions qui feraient mieux de ne pas éclater en public. Esteban est une drama queen, mais on lui a fait suffisamment la réflexion pour qu'il sache parfaitement quand se retirer. D'ici quelques heures, il s'excusera à Oscar, mais en attendant il est bien plus prudent qu'il batte en retraite.

Oscar pense sincèrement que le temps passant, la rupture n’en n’aurait été que plus difficile. Il sentait son coeur s’attacher de plus en plus au jeune brun, et peu à peu, la souffrance de la relation vouée à l’échec s’est installée. Esteban a commencé à fréquenter une fille de l’université - dans le cadre d’une fausse relation, bien entendu, mais quand même. Et Oscar a pris conscience, peu à peu, qu’il serait toujours l’homme bien plus vieux qu’Este ne pourrait jamais présenter à personne. C’est douloureux pour lui, mais le pire, c’est la peine que cela lui cause pour Este lui-même - il est censé vivre ses jeunes années, faire ses expériences, ramener ses petits-amis à ses parents le dimanche, angoisser. Avec lui, rien de tout ça n’est possible.

Oscar se sent mal, et il a du mal à le dissimuler. Il lutte pour ne pas se laisser déborder par les émotions, et sans s’en rendre compte, envoie sans doute le mauvais message à Esteban qui interprète ses paroles avec la fougue de la jeunesse et de la rébellion. Il grimace alors que le brun se lève pour s’en aller, ne sachant que faire ; s’il doit le rattraper ou le laisser s’enfuir. il se lève finalement et prend la suite d’Este.

- Este, attends ?

Il grimace un peu, accélère un peu et attrape le bras du brun. Les gens le regardent un instant, interloqués.

- Je voulais simplement dire que je ne regrettais pas d’avoir tenté. Même si ça n’a pas marché.

Il lâche son bras et soupire un peu, tendant son café oublié à Este.

- Quand tu seras prêt, un jour, appelle-moi ?

Il aimerait bien garder contact, mais il ne peut pas en demander trop non plus. Et puis, une fois qu’il aura rencontré d’autres gens de son âge, Esteban passera sans doute à autre chose une bonne fois pour toute. Quel jeune de son âge voudrait pour ami un homme comme lui ? Au delà de leur différence d’âge, ils ne viennent même pas du même monde.

Si Esteban pensait pouvoir s'échapper et pleurer toutes les larmes de son corps son casque sur les oreilles, Oscar ne lui laisse pas l'opportunité de pouvoir le faire en toute tranquillité, s'accrochant à son bras pour le retenir et l'empêcher de rejoindre la bouche de métro qui lui offrirait pourtant un espace ou noyer sa tristesse sans jugement. Este retient ses larmes, la dernière chose dont il a envie, c'est bien de pleurer devant son ancien amant. Tout ce qu'il veut c'est s'en aller, ne pas avoir à faire face à ces yeux là une demi heure de plus, car quoi qu'ils disent, cela ne changera pas l'issue de cette conversation. Il se sent suffisamment honteux pour ne pas en rajouter en couche en jouant les drama king du dimanche. Oscar comparé à lui ne surréagit pas à la situation, ce qui rend Esteban d'autant plus mal à l'idée d'en faire trois tonnes comme il sait bien le faire. A l'explication d'Oscar Esteban prend donc une inspiration en essayant de pas succomber à ses vieux travers.

- Je sais. Mais j'ai besoin d'être seul Oscar ? Je n'ai pas envie de dire des choses que je pourrais regretter.

Il soupire, baisse les yeux.

- Je ferais ça.

Fuir, voilà une solution pour les lâches, mais c'est la seule solution qu'il a trouvé pour composer avec ses émotions trop violentes. Alors il prend son café, embrasse la joue d'Oscar et fuit sans se retourner.

Oscar n’aurait pas dû le rattraper, il le voit assez rapidement à la mine confit d’Esteban. Alors il le laisse récupérer son café, embrasser sa joue, et prendre ses jambes à son cou, sans opposer la moindre résistance. Il le regarde partir, planté sur le trottoir comme un adolescent que l’on vient de quitter pour la première fois. Il connait cette rengaine, pourtant ; il a déjà chanté ce refrain. De nombreuses fois. Il a plus souvent été quitté qu’il n’a quitté ; et même si là, ils ont pris la décision tous les deux, en quelque sorte en tout cas, il n’empêche que la tournure des derniers instants lui donne l’impression qu’il vient de se faire plaquer. Il attend qu’Este disparaisse au loin pour mettre ses mains dans ses poches et faire demi-tour à son tour, pour marcher jusqu’au prochain métro, ou peut-être jusqu’à son petit appartement empli de solitude où ne l’attend qu’un chat, égratigné par la vie, peut-être. Comme lui. Oh, il n’a jamais rien vécu de terrible, il n’est pas si malheureux. Pourtant ce soir, la réalité s’impose à lui encore une fois, comme une vieille copine que l’on avait pas envie de revoir si vite. Il fait froid, il fourre son nez dans son col, marche lentement, errant presque vers la solitude. Esteban a réussi à éclairer ses journées, mais son rayon de soleil vient de s’éteindre, et il n’arrive pas à penser à quoi que ce soit qui, ce soir, pourrait le consoler.