Assise sur cette chaise pas confortable, en plein milieu de ce commissariat de police sordide, ses longues jambes croisées, Livia avait le regard baissé. Des mèches de sa longue chevelure blonde lui tombaient devant les yeux comme un rideau. Elle remarqua alors quelques fourches et se fit la réflexion qu’il faudrait qu’elle aille chez le coiffeur dès que possible. Oui mais pour aller chez le coiffeur, il faut avoir de l’argent. Oui mais voilà, elle économise le peu qu’elle a la possibilité de garder sur un compte qu’elle utilisera lorsqu’elle reprendra ses études. Ce n’est pas qu’elle n’aime pas son travail – elle est conseillère conjugale au Planning Familial – parce que ce n’est pas le cas mais elle avait un autre plan de carrière.

Voilà 3 ans qu’elle travaillait au planning familial comme conseillère conjugale, et avant ça, quand elle était à la fac de psycho, elle animait bénévolement 2fois/mois un groupe de parole sur le consentement dans les relations amoureuses. Elle aurait aimé s’investir un peu plus mais elle travaillait la nuit dans un dinner pour se faire un maximum d’argent. Elle avait commencé à faire ça au lycée : d’abord en travaillant à Macdo mais ce n’était pas pratique ni bien payé donc elle avait opté pour le Dinner. Ses parents – tous les deux petits-enfants d’immigrés italiens arrivés dans la grosse pomme dans les années 40 – n’avaient pas les moyens de l’aider et encourageaient leur fille à s’autonomiser le plus tôt possible. Livia n’a pas chômé pendant ses années fac : elle alternait les jours en journée, le bénévolat au planning familial en début de soirée et le Dinner la nuit entre 21h et 3h du matin. Et tous les matins, il fallait y retourner mais elle n’avait pas baissé les bras parce qu’elle savait qu’au bout du compte, elle aurait son diplôme. Sauf que ça ne s’était pas passé comme ça. Pas du tout même !

Livia était en dernière année – une année décisive donc ! – et sa mère tomba malade. Un cancer du sein fulgurant qui nécessita des soins lourds et onéreux. Le peu d’argent qu’elle avait de côté, elle le donna pour payer les soins de sa mère, le salaire du Dinner également … Olivia le faisait parce qu’il fallait qu’elle aide ses parents mais en parallèle, elle plongea. Littéralement. Lorsque fut l’heure de payer les derniers semestres à la fac, elle en fut incapable. Elle n’avait plus d’argent ! La bourse ne suffisait pas à payer quoi que ce soit et en plus, elle donnait cet argent qui servait aux soins de sa mère. Alors, elle dût faire un choix et laissa tomber la fac.

Tant pis ! c’était ce qu’elle avait répondu à ses parents et surtout à son père qui voulait prendre plus d’heure au garage où il travaillait. Tant pis, je reprendrais l’an prochain. Le temps que maman se remette. Se remette de sa double mammectomie. Supporte les rayons et la chimiothérapie à haute dose. Se remette de tout ça et après ça ira mieux.

Et puis, Livia ne l’avait dit à personne mais ça l’arrangeait bien de fuir la fac parce qu’il y avait son petit ami en cours avec elle. Ex petit ami désormais. Jason c’était un gentil garçon, de bonne famille, qui n’avait pas de problèmes d’argent – comme elle – et qui, par conséquent, n’avait pas à travailler avant et après les cours. Cette nuit-là, il n’avait pas arrêté de la harceler de sms au travail au point où elle avait dû mettre son portable sur silencieux. Chose qu’elle n’aimait pas faire parce qu’elle avait pris l’habitude de rester disponible à n’importe quel moment s’il y avait un problème avec maman. En tout cas, Jason voulait qu’elle vienne dormir chez lui. Livia était fatigué, elle voulait juste dormir et si possible dans son lit à la colloc’ mais Jay’ avait insisté et elle avait cédé. Elle avait aussi cédé quand, à peine arrivée dans le petit appartement de son petit ami, celui-ci l’accueillit trop chaleureusement. Il n’avait pas compris le « Non » plutôt clair de la belle blonde. Ce n’était pas du viol, il ne l’avait pas obligé mais il n’avait pas entendu son refus. Et plutôt que d’envenimer les choses et d’entendre ses reproches du style : « Aller bébé, on a plus du tout de temps pour nous deux. Tu veux plus rien faire, c’est chiant ! » Du coup elle avait laissé coulé . . . Et elle avait laissé couler son couple parce qu’elle ne pouvait plus lui faire confiance ! Le consentement bordel !!

« Mademoiselle Cinaglia ? Veuillez me suivre s’il vous plait. » La voix de l’officier de police la tira de ses pensées. Si elle attendait dans ce hall de commissariat, ça n’était pas par plaisir. C’était la directrice du Planning familial qui l’avait poussé à porter plainte. Deux heures plus tôt, elle avait été agressé par un père de famille furieux contre elle. Furieux parce que sa femme était venue plusieurs fois au planning familial, guidée et encouragée par Livia qui lui avait obtenu un rendez-vous avec une sage-femme pour se procurer une contraception. Elles avaient aussi longuement parlé des agissements de monsieur et de la violence physique dont il faisait preuve depuis qu’il avait perdu son travail. Résultat ? Livia se demandait s’il ne lui avait pas cassé des côtes en plus du coup qu’elle avait reçu à la pommette.