Le temps passe et Bloom pense de plus en plus à ce chevalier brun. La nuit, il lui arrive même d’en rêver. Leur première rencontre avait été dans ce bar où elle se tient actuellement et il lui avait fait une impression que peu d’hommes arrivent à graver en elle. Pourquoi ? Elle aurait bien du mal à l’expliquer mais en elle était monté un sentiment de pouvoir à ses côtés, celle d’être une reine, d’autant plus lorsqu’elle avait gagné au poker contre lui. Leur rencontre suivante, alors qu’elle ne savait pas qui appeler après avoir découvert les vices de son père, avait été décisive. Il s’était avéré encore plus protecteur qu’elle ne l’aurait pensé et en plus d’instaurer le respect autour de lui, elle s’était sentie en sécurité dans ses bras, à ses côtés, et il avait réussi par ses mots à l’apaiser. Ce jour-là, c’est devenu clair dans son esprit, elle le veut, vraiment, pas juste dans un lit. De toute façon, les coups d’un soir ne l’ont jamais vraiment intéressée, sauf quand elle le décide.

Depuis, elle fréquente régulièrement le Scarlet dans l’espoir de le croiser « par inadvertance », dans l’espoir qu’il vienne l’aborder sans qu’elle n’ait besoin d’insister… Car si la jeune femme a pour l’habitude d’obtenir tout ce qu’elle désire et d’agir intelligemment pour faire en sorte que ses souhaits se réalisent, elle n’en reste pas moins une petite princesse qui n’a pas envie de se plier en quatre pour obtenir les faveurs d’un homme. Cet homme doit se rendre compte par lui-même qu’elle est plus que ce petit bout de femme insignifiant de 21 ans, mais pour cela, il faut qu’il ait des occasions de le faire. La première étape avait été de trouvé son adresse, ce qui s’était avéré plutôt facile étant donné leurs relations communes. Y passant plusieurs fois par semaine – ce qui engendrait un petit détour dans son emploi du temps mais peu importe, le prix en valant la chandelle – elle ne s’arrête jamais devant la bâtisse toutefois, espérant juste qu’un jour, il serait là. Oui, l’espoir fait vivre… La deuxième étape est de passer plus de temps au Scarlet, ce qu’elle est justement en train de faire.

Alors qu’elle s’est installée depuis une bonne vingtaine de minutes à une machine à sous qui donne une vue parfaite sur le bar et le couloir qui mène au bureau de Dexter Sciarra, la jeune femme dépense ses jetons l’un après l’autre quand une femme qu’elle a déjà vu entre. A cette heure de la journée, le lieu est loin d’être bondé et elle peut facilement tendre l’oreille pour entendre les conversations qui se déroulent non loin d’elle. C’est ainsi qu’elle entend le nom qui lui trotte en tête. Qu’est-ce que… Son regard foudroie la brune qui vient de prononcer les mots, c’est plus fort qu’elle et en éclair de secondes, elle se souvient d’où elle l’a vu : devant l’immeuble du brun. Bloom se lève d’un bond, elle a besoin d’en savoir plus. Si cette femme est une concurrente directe, elle doit le savoir.

S’approchant du bar, elle fait mine de rien et fait signe à la barmaid afin de commander une pina colada. Pendant que celle-ci s’affaire, elle s’approche de la nouvelle arrivante. « Si vous cherchez Dexter Sciarra, il me semble bien l’avoir vu quitté les lieux il y a environ 30 minutes. » Mensonge, mais elle a besoin d’engager la conversation, et si elle peut en prime montrer qu’elle connait l’homme… Par contre, il ne faudrait pas qu’il décide de monter parce qu’elle serait bien dans la merde désormais… Elle tente sa chance ! « Je m’excuse, je n’ai pas pour habitude d’espionner les conversations mais avec le peu de monde cette après-midi, la moindre discussion devient une distraction bienvenue. » Elle lui sourit de toutes ses dents, espérant que la brune ne verra pas son manège.

Jasmin se fait petit à petit à sa nouvelle vie New-Yorkaise. Elle s’épanouit plutôt bien dans son travail de libraire qu’elle couple à merveille avec son besoin de militantisme et elle se sent bien moins stressée depuis qu’elle a eu l’occasion de discuter posément avec Dexter. Elle se doute et comprend que leur relation ne sera plus jamais la même qu’à San Francisco, que leur amitié a été ébranlée non seulement par la mort d’Evan qui a brisé quelque chose en Dexter, en elle aussi, mais aussi par le temps qui a passé depuis leur dernière conversation. Pourtant, elle ose espérer garder le contact avec son ami récemment retrouvé. Pourquoi pas renouer, petit à petit, une relation durable et saine ?

C’est pourquoi elle se rend au Scarlet après sa matinée de boulot. D’après ce qu’elle a compris, il y passe le plus clair de son temps et elle a plus de chances de le trouver directement sur son lieu de travail qu’à l’adresse à laquelle elle l’avait tracé. Jaz n’est pas une habituée des casinos – elle est mal à l’aise à l’instant même où elle passe la porte. La brune ne se sent pas à sa place, et si ce n’était pour un ami, elle aurait déjà fait demi-tour depuis longtemps. Ses yeux se posent partout. L’endroit n’est pas bondé à cette heure, ce qui ajoute à son malaise. Impossible de se fondre dans la masse, ici. « Excusez-moi, » demande-t-elle d’une voix timide à la barmaid présente, « Je cherche Dexter. Vous savez où je peux le trouver ? »

Si la rousse devant elle ouvre la bouche, la voix que Jasmin entend lui répondre ne vient pas de devant. Plutôt d’à côté. Elle sursaute et se retourne sur une jeune blonde qui semble bien connaître Dexter. Jaz fait la moue lorsqu’elle apprend qu’il est parti. « Oh. Dommage. », lance-t-elle en haussant les épaules. Elle sourit à la barmaid et la remercie malgré tout, puis se reconcentre sur la jeune femme qui s’excuse de s’être mêlée de la conversation. Jasmin se gratte la nuque, définitivement mal à l’aise dans cet endroit mais contente de ne pas être – du moins le croit-elle – dévisagée, mais plutôt aidée par les personnes présentes. « Y’a pas de problème. A tout hasard, vous savez s’il va revenir ? J’aurais besoin de lui parler. » Son sourire ne se fane pas. Un peu naïve, elle ne se doute pas une seule seconde du message ambigu que sa recherche intensive d’un beau brun ténébreux puisse faire passer. « Je pourrais vous faire la conversation en attendant, si vous voulez ? » Après tout, la jeune femme a l’air très agréable et elle ferait bien avec une figure amicale dans ce lieu inconnu.

Bloom hausse les épaules dans un geste qui se voudrait presque naturel, bien qu’au fond d’elle, elle bouillonne de savoir pourquoi cette femme a besoin de parler à l’homme qu’elle convoite. Cela n’inaugure rien de bon, bien que la blonde puisse se rassurer sur un point : si la brune n’a pas rejoint directement le bureau du gérant du Scarlett, c’est sans doute qu’ils ne sont pas aussi proches qu’elle pourrait le penser. Son interlocutrice lui propose bientôt qu’elles discutent, opportunité inattendue qu’elle ferait bien de saisir et qui tombe à pic. « Avec plaisir. » Un beau sourire se fixe sur ses pommettes alors que son cocktail arrive devant elle en même temps. Elle l’attrape et désigne une table juste à côté, qui sera assez éloignée de la serveuse pour qu’elle n’entende pas leur conversation. Manquerait plus qu’elle aille tout balancer à son patron ensuite… ça mettrait l’étudiante bien dans la merde !

Bloom s’installe confortablement, croise les jambes et boit une gorgée de son verre. « Par simple curiosité, vous vouliez lui parler de quoi, à M Sciarra ? » Voilà, elle sera la simple cliente qui passe un peu trop de temps ici et qui aime les ragots. Il faut juste qu’elle se force à ne pas appeler le gérant par son prénom, car naturellement, elle a pris cette habitude quand elle pense à lui et ça serait bien capable de lui échapper involontairement. « Il est bien rare qu’il ait des visites de ce que j’ai pu remarquer. En dehors des entretiens d’embauche, mais vous n’avez pas une tête à travailler ici. » Elle se met à rire de bon cœur. Bien qu’elle ne sache pas exactement ce qui se passe au sous-sol de l’établissement, elle a eu quelques échos sur les activités illégales qui y siègent. Il suffit d’observer la dégaine des employées que Bloom ne voit jamais remonter travailler à l’étage pour se faire une idée assez précise de toute façon. « J’ai pas grand-chose d’autre à faire que d’observer ce qui se passe quand mes amis ne sont pas là… » Explique-t-elle bientôt pour rester dans le rôle qu’elle s’est mise en tête.

Si Jasmin ne se sent particulièrement pas à sa place à l’intérieur d’un casino, elle tombe assez rapidement sur une jeune femme, une belle blonde aux airs très sympathiques qui accepte assez vite de rester avec elle en attendant le retour de Dexter. La brune ne compte pas attendre des heures, et s’il ne revient pas d’ici une petite heure, elle se contentera de lui laisser un message et rentrera chez elle. La présence d’une figure amicale la rassure cependant, alors elle décide de se commander un cocktail à l’instar de son interlocutrice qui l’emmène quelques mètres plus loin.

Jaz s’installe, toujours un peu tendue mais oubliant presque où elle se trouve. La blonde parle très vite, avec un grand sourire, et arrache un éclat de rire à l’indienne. En effet, elle ne vient pas pour un job. Par contre, elle ne comprend pas ce que « sa tête » a à voir là-dedans. Elle n’a pas vraiment le temps de se demander quelle tête un employé de casino est supposé avoir, cependant, que la jeune femme continue son discours. Et c’est tant mieux. Si Jaz avait vent des activités illégales se déroulant au sous-sol de l’établissement, elle ne réagirait à première vue pas de la meilleure des manières. Mais elle n’est pas au courant, n’est-ce pas ? Alors reprenons là où nous étions arrivés. « Non, je ne viens pas pour un entretien ! », confirme-t-elle, « Dex et moi nous connaissons depuis... oh là là, assez longtemps. » Jasmin n’a pas envie de compter, mais elle sait que ça remonte à plusieurs années. « Disons que je profite de mon récent déménagement à New-York pour le voir un peu plus souvent. »

Elle évite soigneusement d’ajouter qu’il s’agit d’ailleurs de la raison principale qui l’a poussée à quitter San Francisco. Ça, personne d’autre qu’elle-même n’a besoin de le savoir, elle en a déjà assez honte comme ça. Naïvement cependant, loin d’imaginer qu’elle pourrait entretenir une confusion déjà présente, elle ajoute : « C’est un très bon ami. » Son cocktail arrive, alors elle remercie et paie la serveuse puis porte le verre à ses lèvres. « Vous venez souvent ici, alors ? », demande-t-elle à la blonde qui lui fait face.

Bloom en apprend bientôt davantage sur la relation qu’entretienne Dexter et sa nouvelle amie-ennemie, et c’est loin de vraiment lui plaire. La jeune femme est reine lorsqu’il s’agit de se faire des idées ou de s’imaginer des choses, et quand ça concerne l’objet premier de ses désirs, c’est encore pire. L’étudiante se retient de laisser échapper un petit cri de protestation et sert un peu plus fort son verre entre ses fins doigts. « C’est sûr qu’il serait bête de ne pas profiter de ce rapprochement pour renouer plus amplement le contact. » Que nenni ! Elle n’en pense bien sûr pas un mot. Elle a juste envie de lui dire de retourner d’où elle vient, dans le fond, qu’elle soit certaine que cette femme qui semble si parfaite et si agréable ne soit pas une rivale potentielle.

« Presque tous les deux jours. » Elle lance comme si c’était normal. « Je ne suis pas vraiment une addict des jeux d’argent, mais j’aime l’ambiance qui règne ici et… il se passe toujours des choses assez dingues entre les perdants qui pètent les plombs, les hommes qui cachent à leur femme qu’ils jouent et qu’elles le découvrent ensuite… On s’ennuie rarement. » Si ce n’est pas pour cela qu’elle traine autant dans le lieu en réalité, elle ne ment pas dans ces paroles, ayant observé bien des choses au cours des dernières semaines. La plupart des situations la font beaucoup rire, et elle est même demandeuse. Il faut dire que c’est presque aussi divertissant que de regarder une bonne teen série.

La blonde cherche un moyen d’orienter la conversation vers le sujet qui l’intéresse le plus, mais elle ne voudrait pas éveiller de quelconques soupçons. Finalement, autant foncer dans le tas, la brune prendra peut-être ça pour l’innocence et l’impétuosité de la jeunesse. « J’aurais pas imaginé le gérant avoir des amis… Il a l’air plutôt solitaire comme homme… Bien qu’il ait le charme nécessaire pour avoir tout un tas de sex friends et briser des coeurs… » Son regard se pose plus longuement sur Jasmin et ne la quitte pas, alors que d’un geste sûr, Bloom amène son verre à ses lèvres, en buvant très lentement une gorgée.

Un peu naïve, Jasmin se lance sans qu’on ait besoin de la pousser outre mesure dans des explications sur ce qu’elle fait dans un casino et la nature de sa relation avec le maître des lieux. Elle voit en Bloom une personne aimable et aurait bien tort, à ses yeux, de se retenir d’entamer une discussion avec elle. « Tout à fait, c’est une bonne opportunité ! » Jaz sourit. Elle n’évoquera pas ses tentatives désespérées de retrouver Dex, son deuil à peine entamé, son périple désespéré – et un peu pathétique – afin d’avoir des réponses à ses questions. Elle est encore un peu honteuse d’avoir tout plaqué pour rejoindre son ami à New-York et n’avouera probablement jamais qu’il s’agissait de la raison principale de son déménagement. Depuis, les bienfaits d’une nouvelle vie ont ajouté des arguments vitaux à son désir de s’installer à l’autre bout du pays et d’y rester, alors elle s’accroche à ces derniers.

Bloom passe beaucoup de temps au Scarlet et si au départ la brune ne comprend pas vraiment l’attrait pour l’endroit, elle finit par comparer cette situation à la sienne avec la librairie, où elle passe bien plus de temps que nécessaire – parfois bien au-delà de ses horaires de travail. « Oh, je vois ! », finit-elle par lancer en sirotant son cocktail. « Moi qui pensais naïvement que les jeux d’argents étaient l’unique distraction par ici, j’étais loin du compte ! » Ca semble pourtant logique, maintenant qu’elle y pense, pourtant. Jaz a cependant grandi dans une famille où aller au casino signifie rater sa vie. D’une manière, elle n’a jamais réfléchi à ce que ça ferait d’y mettre les pieds, d’où son ignorance sur le sujet.

La vision de la jeune femme concernant Dexter arrache un rire à Jasmin. Elle ne connaît pas ce Dexter, le mystérieux et solitaire. Elle l’a connu plein de vie, drôle, bien entouré. La seule chose qui semble ne pas changer, c’est son sex appeal, ce qui déclenche l’hilarité de la brune. « Si vous saviez ! Je l’ai connu marié, figurez-vous. » Elle n’entre pas dans les détails, ni le décès d’Evan, ni la véritable nature de sa relation avec le couple. Ça entre dans la sphère du privé et elle n’imagine pas s’épancher sur leur vie sexuelle à une femme tout juste rencontrée – encore moins sans l’accord de Dexter. « Il n’avait rien de mystérieux et solitaire, à l’époque. », elle s’autorise tout de même, « Un homme tout à fait charmant. » Jasmin sourit. « J’imagine que quand on bosse dans un endroit comme celui-ci, cela dit, il faut mettre une distance entre ce qu’on est et ce qu’on veut faire paraître. » Ou bien un deuil peut réellement changer une personne. Mais encore une fois, elle n’a pas vraiment envie d’entrer dans les détails croustillants de la vie d’une tierce personne avec une inconnue. Elle en dévoile déjà beaucoup.

Bloom se met à rire de bon cœur, tout en observant les bonnes manières, apprises depuis sa plus tendre enfance, alors que Jasmin lui avoue qu’elle n’aurait pas pensé à toutes ces distractions. Puis, elles en viennent à parler de Dexter, l’étudiante en journalisme révélant ce qu’elle sait de lui, ou plus précisément ce que tout un chacun fréquentant le casino sait : M Sciarra est mystérieux, distant et semble avoir un nombre de conquêtes incalculables – un dernier point qu’elle veillera à voir cesser dès qu’elle arrivera à mettre la main sur l’homme en question. Partager, ce n’est pas vraiment sa tasse de thé.

Et voilà qu’il semblerait que Dexter n’ait pas toujours été ainsi. La curiosité de Bloom est doublement attisée. « J’ignorais qu’il était ou avait été marié. » dit-elle alors en toute sincérité. Et s’il l’était encore, il ne l’avait jamais mentionné à qui que ce soit à sa connaissance. Sans doute divorcé, alors ? Quoi qu’il en soit, il a le comportement d’un homme célibataire, ça c’est certain… Donc si ce n’est pas le cas, il y a de quoi plaindre sa moitié. Encore une idée qui révulse la jeune femme. Se serait-elle fourvoyée à ce point concernant son nouveau crush ? Difficile de demander plus de détails sans éveiller de soupçons.

« J’espère que vous retrouverez l’ami que vous avez connu et que ce n’est en effet qu’une façade pour le travail. » Mais étrangement, elle en doute. Elle a passé un peu de temps avec lui, quand même, depuis leur rencontre. Certes, il ne s’est jamais vraiment confié, ne s’est pas non plus laissé aller mais elle a vu en lui une solitude énorme, telle qu’elle-même la connait. « Je ne suis pas capable, moi, de mettre des distances… » se confie-t-elle. Bloom, est entière en toute circonstances. Elle sait mentir, ça oui, mais souvent, ses mimiques finissent par la trahir. Elle ne saurait donc pas jouer un jeu trop longtemps et s’entend à rester un minimum sincère, même quand elle joue. C’est son seul moyen de paraitre crédible. « Un masque, c’est difficile à tenir sur la durée. Il doit falloir des années d’entrainement pour parvenir à en maintenir un sur la durée… Sans compter la culpabilité qui doit s’installer… Quoi que, parmi le Gotha, les gens n’ont aucun scrupule pour la plupart. » Triste constat qui entraine une moue sur son beau visage. C’est une particularité des gens riches qu’elle ne supporte pas, qu’elle n’a jamais supporté d’ailleurs. Elle s’y est faite avec le temps, et doit même en faire autant mais ce n’est pas pour autant qu’elle le cautionne.

« J’espère que vous retrouverez l’ami que vous avez connu et que ce n’est en effet qu’une façade pour le travail. » Le visage de Jaz s’illumine d’un sourire triste, emprunt de nostalgie. Elle aussi espère retrouver son ami. Elle ne se fait pas vraiment d’illusions – l’horreur qui a heurté Dexter de plein fouet briserait n’importe qui en petits morceaux irréparables. La brune s’était fait une raison avant même de le retrouver. Evan lui manque. L’insouciance avec laquelle ils se retrouvaient, tous les trois, lui manque également beaucoup. La disparition de ces deux piliers dans sa vie avait perturbé son équilibre et malgré qu’elle sache que rien de tout cela ne reviendra, elle prie tout de même chaque jour pour Dexter. Pour qu’il s’apaise un peu.

Hochant la tête pour toute réponse, elle laisse la jeune femme face à elle continuer la conversation. Elle non plus n’est pas capable de mettre de véritable distance entre elle et le travail. Elle est trop passionnée. Trop intègre aussi, un peu, incapable de bloquer les muscles de son visage et de rester impassible. Bref, elle ne peut qu’être d’accord avec la vision de la blonde face à elle. Tout cela doit être bien compliqué. « Je suis d’accord. J’en serais incapable, moi aussi – je suis un livre ouvert ! » Elle hausse les épaules. « Je comprends votre point de vue, du coup. Mais si vous voulez mon avis, vous m’avez tout l’air de quelqu’un de chouette, vous n'avez pas besoin de façade. » Et elle est sincère. Si elle ne l’avait pas été, on aurait pu le voir sur son visage. Le livre ouvert, toutes ces choses-là.

L’air soudain curieux, elle se penche sur la table. « Par contre, au risque de paraître inculte, qu’est-ce que le Gotha ? » Un doux rire s’échappe de ses lèvres. « Je ne suis à New-York que depuis quelques semaines. », se justifie-t-elle, « J’ai commencé à travailler dans une librairie et avec mon propre quartier, c’est à peu près le seul coin que je connaisse. » Et elle a bien envie d’en savoir un peu plus sur cette ville qui semble regorger de merveilles, alors si elle peut élargir sa culture d’une manière ou d’une autre, elle fonce.

Le compliment la touche de plein fouet, et un large sourire vient alors se glisser sur ses lèvres. Il est rare qu’on lui dise de telle chose, et pour tout dire, ça doit bien être la première fois qu’on l’a qualifiée de « chouette ». Ses amis n’ont pas vraiment ce vocabulaire dans leur langage et utilisent plus généralement des « incroyable » et « merveilleux » à tout va quand ils ne se tournent pas vers « le langage des jeunes », comme dirait la mère Walton lorsqu’elle ne comprend pas sa fille. « Merci ! C’est très gentil ! » répond-t-elle alors sincèrement, sans fioriture. « Vous avez l’air de quelqu’un de bien aussi ! » ajoute-t-elle, sincère, bien que ça la fasse un peu suer dans le fond, d’avoir à admettre ça d’une femme proche de Dexter Sciarra.

Un petit rire monte en elle à la question de son interlocutrice. L’innocence de la femme est enivrante et si plaisante, rafraichissante même. C’est à ce moment-là que Bloom réalise à quel point il manque dans sa vie des personnes simples et sans prise de tête. Heureusement, elle a tout de même Esteban et Tristan qui répondent à ces critères. « C’est un monde qui ne gagne pas à être connu. » Et Jasmin devrait en rester loin pendant qu’elle en a encore l’occasion, d’ailleurs. « C’est ainsi que l’on appelle la population huppée de New-York, ou les riches si vous préférez. » Et elle en fait partie, Bloom, de par sa naissance, de par son nom de famille. Elle ne rêve pas de s’en éloigner, parce qu’elle est ancrée dedans bien trop profondément, mais pour autant, il lui arrive de s’imaginer une vie où elle serait née dans un autre milieu, avec d’autres valeurs et un bonheur tout différent. « Vous habitez dans quel quartier ? » poursuit-elle, curieuse. « Je ne suis pas une grande adepte des librairies, ni même de la lecture de manière générale, mais ça reste un monde fascinant. » Elle aimerait s’y mettre, le met dans ses projets de vie, mais ne se donne pas le temps de s’y mettre.