Les cours lui avaient semblé longs aujourd’hui. Pourtant, la matière lui plait, le journalisme en général aussi. Mais là, le prof… Des cheveux pas nets, un regard faux, Bloom n’avait pas aimé cela. Un prof remplaçant, qui doit être à peine plus vieux qu’elle, c’est sans doute ce qui l’avait le plus dérangé. Pour le coup, elle avait songé à sécher les cours mais la pluie tombant dehors à torrent l’en avait dissuadé. Son ordinateur était alors devenu son meilleur ami. Pendant une bonne heure, elle avait continué ses recherches pour la dissertation qu’elle devra rendre la semaine prochaine. Puis, elle s’était mise en quête d’une nouvelle association qui pourrait avoir besoin d’aide, sans trop savoir si elle irait vraiment. Son prof était venu juste derrière elle à un moment, faisant les 100 pas entre les bureaux des élèves. Elle avait toujours détesté ça, n’aimant pas cette sensation d’être observée. Elle avait changé de page au dernier moment, reprenant une prise de note pour ressembler à l’élève modèle qu’elle est la plupart du temps. Et comme par magie, l’heure de fin de cours était arrivée, amenant avec elle un flot d’élèves qui se lèvent dans un vacarme assourdissant. Bloom en avait fait partie, évidemment, trop pressée de rejoindre le bar dans lequel ses amis devraient la rejoindre plus tard dans la soirée.

Arrivée à destination, elle prend place comme d’habitude au comptoir. C’est ce qu’elle fait dès qu’elle est seule car c’est le meilleur moyen pour trouver des personnes avec qui discuter, que ce soit de nouveaux clients ou les serveurs, dès qu’ils ont un petit moment. Bloom n’est pas la seule personne sur terre à avoir besoin de compagnie et pour qui la solitude est difficile à supporter. Elle a besoin d’être entourée, si possible de personnes joyeuses, gaies. « Un Blonde Ristretto Bianco, s’il te plait. » Son sourire est large et sincère. La femme devant elle est ravissante.

Une voix se fait entendre derrière elle et Bloom se retourne. Un homme est monté sur une table, chantant la sérénade, ou on ne sait trop quoi en réalité. « C’est soirée karaoké ce soir ? » Demande-t-elle à la serveuse, connaissant d’avance la réponse. Cet endroit, ce n’est pas trop le genre à faire ce type de soirées aux dernières nouvelles, à moins qu’ils aient changé de politique ? « J’aimerais pas être la nana qu’il admire en secret… » Elle se met à rire. « Il y a de meilleurs moyens d’arriver à ses fins qu’en chantant faux et en se ridiculisant ainsi, tu ne trouves pas ? » Puisqu’il n’y a pas beaucoup de clients qui viennent chercher à boire, elle se dit qu’elle peut monopoliser un peu le temps de la brune.

On pourrait s’imaginer que la matinée est la période la plus agitée du Starbucks, mais non, Sage a remarqué que les fins de journée, début de soirées sont les moments les plus vivants de son métier. Il y a comme une rotation de clientèle. Les amis viennent prendre un café pour discuter, les changements de shifts se font également ressentir, les étudiants viennent travailler, les touristes cherchent un endroit familier pour prendre leur goûter. Bref, des instants de vie qu’elle aime contempler. Ce début de soirée se trouve être plutôt animés. Sage n’arrête pas une seconde, sert les cafés et les gourmandises, elle ne parvient pas toujours à écrire ses petits mots d’encouragement pour chacun de ses clients. Ses collègues la pressent car il faut servir vite et bien. Elle parvient tout de même à écrire rapidement sur le gobelet du Blonde Risseto Bianco "Souris, quelqu’un peut tomber amoureux d’un sourire’"

C’est sûrement débile ce qu’elle fait, certains ne lisent peut-être pas ce qu’elle écrit sur le gobelet, en vrai qu’est-ce qu’on attend d’un barista en général ? Qu’il écorche votre prénom, faire une énième story snapchat ou instagram en décrétant leur incompétence en termes d’orthographe. Sage a décidé de changer la donne. Bloom vient régulièrement, elles ont discuté quelques fois car elle s’installe souvent au comptoir. Ce jour-là, il y a client un peu pompette, il vient du bar d’ne face, hurler son amour à qui veut bien l’entendre, finalement il grimpe sur une table. L’angoisse, les yeux de Sage s’écarquillent. Bloom semble s’amuser de la situation alors que Sage a interpelé son collègue homme pour faire descendre le client de la table. « Personne n’aimerait être l’objet de son désire. » L’homme en question représente ce qui exaspère le plus Sage. Il n’a rien de classe, rien d’élégant, il est vulgaire. « Déjà, l’une des solutions serait de ne pas faire ça sur mon lieu de travail. » L’homme en question attire l’attention, déconcentre les travailleurs et les discussions entre amis, Sage n’aime pas qu’on vienne chambouler le train-train quotidien de ses clients. Elle appuie ses coudes contre le comptoir en soupirant. « Franchement, aucune femme ne rêve de ça. » L’air un peu dédaigneux, Sage désigne l’homme de son menton. C’est à se demander ce que les hommes ont derrière la tête. « Aaah l’homme dans toute sa splendeur. »

Elle hoche la tête. Si ceci est censé être une belle preuve d’amour, alors autant rester célibataire, ou être avec quelqu’un qui ne montrera jamais ses sentiments. Typiquement le genre de comportement qui confirme à Bloom qu’elle ne devrait pas croire à l’amour et qu’une vie sans attache est bien mieux. « Ni nulle part ailleurs. » marmonne-t-elle entre ses lèvres, plus pour elle-même qu’autre chose. La brune a l’air de prendre les choses plus personnellement qu’un serveur standard ne le devrait, se dit Bloom alors qu’elle ne quitte pas une seconde son interlocutrice des yeux, cherchant à l’analyser comme elle le fait souvent avec les gens. « C’est sans doute pour cela que de plus en plus de femmes deviennent lesbiennes. » lui lance-t-elle dans un sourire. Ce n’est pas tout à fait exact, et elle le sait pertinemment, mais elle a envie de savoir comment elle se positionne par rapport à cela, et c’est donc une manière subtile de s’informer. L’étudiante n’a pas de préférence, elle, quant à la gente à fréquenter. Elle se contente de se laisser guider par son cœur de pierre, ou plutôt par les opportunités qui se mettent sur sa route. Elle sait pertinemment que ses parents préféreraient la voir marier avec un homme de son rang, tant qu’à faire quelqu’un qu’ils pourraient manipuler à leur convenance. Ils la voudraient dans un mariage ‘standard’, puis qu’elle devienne une mère respectable… Bref, la femme parfaite qui ne doit rien dire et rien ressentir. Quelle bêtise. C’est peu connaitre leur fille que d’avoir encore de pareilles illusions. « Et après, on va nous dire que les femmes sont compliquées, difficiles à comprendre, d’humeur changeante, etc etc. » Elle roule des yeux. La jeune femme prend son gobelet entre ses mains et le faire tourner mécaniquement. Puis, elle avale une gorgée avant de poser ses yeux sur l’inscription, qu’elle n’avait pas encore lu. Instantanément, elle sourit. Est-ce que la brune pense qu’elle ne sourit pas assez ? Il faudra qu’elle lui pose la question. Elle profite d’une pause dans la discussion pour aborder le sujet. « C’était un message subliminal ? »

Mieux vaut être seul que mal accompagné. C’est bien ce que l’on dit non ? Sage aurait pu l’écrire sur le gobelet de notre homme au cœur brisé, oui mais voilà, il pue l’alcool et Sage ne l’a pas servi. Contrainte de devoir supporter ses plaintes pour la soirée, elle avait trouvé refuge auprès d’une de ses clientes habituelles et forcément la discussion s’est orientée sur le trouble-fête. Lorsque la jeune femme évoque le fait que de plus en plus de femmes optent pour aimer une femme c’est sans aucun doute à cause de mec comme lui, Sage ne peut s’empêcher d’esquisser un sourire. Son cœur n’a jamais flanché pour une femme, elle en avait conclu qu’elle était 100% hétérosexuelle, mais elle n’a jamais exclu la possibilité d’aimer une femme, l’occasion ne s’est jamais présentée. Puis, elle réfléchit un bref instant à la sexualité de son interlocutrice, fait-elle partie de ses jeunes femmes fatiguées des hommes qui ont décidé de prendre pour amant une femme. En soit, ce n’est pas important, simple réflexion qui a piqué au vif sa curiosité. « Peut-être que les hommes se comprennent entre eux et nous les femmes entre nous. » C’est sans doute la même chose pour les chiens et chats.

Un énième soupir lui échappe en voyant son collègue en galère pour canaliser l’homme dont le cœur a réellement dû être abimé pour être dans un état d’ébriété aussi important. Bloom attire une nouvelle fois l’attention de Sage en pointant sur doigt le gobelet qu’elle avait servi il y a quelques minutes. « Oh… » C’est rare qu’on vienne lui parler de ses phrases, souvent les clients se contentent de la remercier avec un sourire poli. « C’est une réalité, je pense. Vous sembliez… pas de bonne humeur, moins souriante que d’habitude. C’est un mémo, il ne faut pas oublier de sourire. Il se passe beaucoup de chose grâce au sourire. »  Sage est cette femme enjouée, le sourire toujours au bord des lèvres, les mots pour faire rire. Elle s’absente une minute pour servir un couple de client avant de revenir vers Bloom. « Je me suis trompée ? Je me trompe rarement. »

« Peut-être. » Elle lui adresse un sourire, ne sachant que rajouter à ce sujet. Finalement, elle aborde ensuite la phrase indiquée sur son verre. Bloom est de nature curieuse. Elle aurait tendance à inspecter tout ce qui se trouve sous ses yeux, vouloir comprendre comment le monde tourne autour d’elle. La méconnaissance l’insupporte, le mystère ne l’intéresse généralement pas. Elle a besoin de savoir et sa patience est d’ordinaire liée à ce sentiment, même si cela peut fluctuer selon les jours. « Je ne pensais pas que quelqu’un aurait pu le remarquer. » C’est vrai que sa journée avait été moins intéressante que d’habitude, ce qui a tendance à jouer sur son humeur, même s’il ne s’est rien passé au point qu’elle puisse dire qu’elle a passé une mauvaise journée. Elle se met en tête qu’elle va sourire à la jeune femme. Ce n’est pas bien difficile, elle est mignonne comme tout et elle donne envie de mettre le monde à ses pieds. Elle s’absente, puis revient. « Non. J’ai passé une bonne partie de la journée à m’ennuyer et autant dire… que je déteste ça. » Elle hoche la tête un coup, pour renforcer ses paroles. « Je m’ennuie rarement. J’adore la vie, mais là… » Il y a des jours avec et des jours sans. Il y a des jours plus motivants que d’autres, des rencontres qui changent tout, des personnes qui ont un impact incroyable sur votre humeur. « Mais tu as ravivé ma journée ! » Des paroles encourageantes, un sourire contagieux. Il en faut peu à Bloom de toute façon pour être de bonne humeur. « T’as manqué ta voix de psychologue ? » Elle fronce les sourcils, confuse. « J’veux dire, pour analyser les gens comme ça… Tu as déjà pensé à en faire ton métier ? A moins que ce soit en cours… » Elle est peut-être étudiante après tout. Le Starbucks pourrait être un emploi étudiant. Bloom n’a jamais eu besoin de travailler pendant ses études. Elle a fait des stages, souvent pistonnée par son père d’ailleurs, bien qu’elle déteste l’admettre et qu’elle préfère croire que c’est grâce à son propre carnet d’adresses et ses propres talents. Mais Bloom respecte ceux qui ne sont pas comme elle, qui n’ont pas eu la chance de naitre dans le cercle fermé des riches de son espèce. Il y a tellement de moments où elle se demande d’ailleurs comment cela se fait qu’elle soit privilégiée ainsi, et qu’elle s’en sente presque coupable.

« T’as manqué ta voix de psychologue ? » Ses parents auraient sans doute que Sage choisisse cette voie plutôt que de se perfectionner dans les arts. Une filière plus conventionnelle, pour un emploi stable et reconnu. Il faut croire que Sage ne voulait pas de ce genre de vie. Les expériences avant tout non ? Quand Bloom lui dit qu’elle analyse les gens, Sage hausse les épaules. Ce n’est pas une profileuse, elle prête juste attention aux gens, plus qu’elle ne le devrait certes mais elle ne peut pas s’empêcher de s’imaginer des choses, l’imagination débordante et ça depuis qu’elle est gosse. En faire son métier n’a jamais été une option, elle n’a jamais été intéressé par une carrière comme les adultes l’entendent. Ce n’est pas que Sage ne soit pas ambitieuse, mais son ambition est autre, elle cherche à s’épanouir, à vivre des choses plus qu’à gagner de l’argent. « Non j’ai pas fait psycho. J’ai fait des études d’arts. » Dans le fond Sage a toujours cru que son intérêt pour les détails insignifiants vient du fait qu’elle ait un œil aguerri pour la photo. Il faut se regarder ce que personne ne voit, ce n’est pas prendre en photo quelque chose de beau mais quelque chose qui raconte une histoire. Accepter de marcher pendant des heures s’il le faut, avoir froid ou trop chaud, être dans des positions inconfortables bien souvent. « Je fais de la photo pour être exacte. » Ce n’est pas facile de vivre de son art, elle en a toujours été consciente. « Je pense pas analyser les gens, je pense que je fais juste attention, plus que les autres. » Elle sourit, elle aime être à l’origine des sourires, des bonnes humeurs de jour. Être psy, ça voudrait dire qu’elle devrait entendre le malheur des gens, ce n’est pas vraiment son genre, elle aime les bonnes nouvelles, les bonnes énergies. « Et vous vous faites quoi dans la vie ? » Elle se permet de nourrir un peu sa curiosité aussi, en savoir un peu plus sur la vie de Bloom pour fantasmer d’autres informations.

Bloom s’informe sur la jeune femme. Elle est de nature bavarde, la blondinette, et curieuse sur les gens qui l’intéressent. Finalement, elle avait fait entièrement fausse route, concernant la barista. « L’art, c’est loin d’être mon domaine… » Elle hausse les épaules. Elle est pleine d’imagination à ses heures perdues, mais la plupart du temps, elle a trop les pieds sur terre pour réussir à développer une certaine créativité. Chacun a des dons, mais l’art n’est pas un des siens. « Etudes de journalisme. » Elle sourit, s’imaginant déjà refaire le monde. « Qui sait ? Un jour, tu illustreras peut-être un de mes articles. » Elle est déjà intimement persuadée qu’elles formeraient une bonne équipe. Si Sage a réussi à entrevoir la mauvaise journée de Bloom avec ce sourire absent, alors elle possède ce don utile à la photographie, oui, ce qu’elle dit tout simplement : l’art de faire attention aux petites choses. « Tu fais quoi principalement comme type de photos ? » Elle se dit qu’elle aimerait bien les voir ses photos. « Des nudes ? » Un petit clin d’œil taquin, une forme de défi lancé comme ça, complètement improvisé, totalement idiot. Elle aime bien taquiner les gens, Bloom, voir ce dont ils sont capables. Et puis, elle aime bien les mettre mal à l’aise aussi, les déstabiliser et les faire sortir de leur zone de confort, parfois, voir comment ils s’en sortent sous la pression. On pourrait dire que c’est un peu garce comme type d’approche, mais elle ne le voit pas du tout ainsi. C’est juste que suivant la réponse, la personne sera susceptible d’attiser son intérêt ou non. Façon pour elle de savoir si elle doit creuser ou passer son chemin.

L’art, il n’y a que ça qui la fasse réellement vibrer. Sage comprend que cela puisse laisser de marbre certaines personnes, que ça ne les touche pas, qu’on ne comprenne pas. Ça ne l’étonne donc pas que l’art ne soit pas vraiment le domaine de Bloom, du moins Sage ne s’en offusque pas. « Le journalisme, c’est un peu de l’art. » L’art de manier les mots, les titres accrocheurs, les bons sujets à étudier, parfois c’est un job infâme, cruel, mais on peut raconter des jolies histoires dans le journalisme. Voilà que Bloom s’intéresse à ce que Sage réalise comme photo. On ne lui avait jamais autant posé de question sur son lieu de travail. Habituellement personne ne s’intéresse à la barista, ce n’est qu’une serveuse, elle prend la commande, encaisse l’argent et sert, ça s’arrête là. Elle mentirait si elle disait que l’intérêt de sa cliente pour elle ne le faisait pas plaisir. C’est rare qu’on la regarde, Sage est une personne commune, pas toujours très intéressante. Elle rougit quand elle lui demande si elle fait des nudes, c’est surprenant, inattendu. « J’ai étudié le corps mais… non je suis pas photographe de charme. » Elle rigole, ça gagne bien pourtant, plus que ce qu’elle fait actuellement mais ça ne l’intéresse pas. « Je fais un peu de tout, mais tout ce qui est shooting organisé je n’aime pas. Je préfère capturer des instants de vie. J’aime ce qui est vivant, spontané, inédit. Des moments non calculés. Je travaille aussi avec une troupe de théâtre. Mais je reste amatrice, c’est compliqué de se professionnaliser. » Un soupire un peu triste passe rapidement sur son visage et puis elle reprend ses esprits. « En attendant, je sers des boissons, ça paie les factures au moins. » Et c’est déjà pas mal, elle a un toit, un emploi, des amis, elle n’est pas à plaindre.

Bloom aime l’idée que le journalisme soit un peu de l’art, alors elle sourit, sans pour autant s’appesantir sur le sujet. Puis, elle demande à la jeune femme de lui en dire plus sur ses photos, finissant pas demander si elle fait des nudes. Avide de connaitre sa réponse, Bloom finit par être presque déçue que la barman soit aussi commune. Même s’il est toujours temps de faire changer les choses. Une idée lui traversant l’esprit, la blonde laisse éclater un petit rire. « Je suis vivante, spontanée et inédite. » Elle hausse les épaules, haut, dans un sourire. « Tu pourrais étudier mon corps. » Ça lui plairait, à Bloom, d’être au centre de l’attention et qu’on la mette en valeur sur des photographies, organisées ou non. Elle pourrait tout à fait vaquer à sa vie, naturellement dans sa chambre, dans le plus simple appareil, après tout. Elle se plait déjà à penser que les yeux de la serveuse pourraient s’arrêter sur chaque partie de son corps. « Sans vouloir me vanter, j’ai une certaine notoriété qui pourrait t’aider à te faire connaitre, si tu en avais envie. » Elle a des amis. Enfin, non, pas des amis, des connaissances, beaucoup, beaucoup de connaissances. C’est ça quand on est riche et qu’on vit dans le milieu des paillettes. On participe à des tas d’événements, on rencontre un tas de monde, on développe son réseau. La contrepartie est qu’il est difficile de garder des gens réellement proches. Il y en a peu en qui on peut réellement avoir confiance et qui seront là en cas de coup dur. Le jour où il vous arrive un malheur, vous ne pouvez compter sur personne. Mais c’est le jeu. Tout le monde en est conscient.

Sage est une fille humble dans son travail, sans doute trop humble. C’est peut-être pour ça qu’elle ne perce pas dans la photo, ce n’est pas un problème de talent ni de qualité mais de mise en avant de son travail. Alors forcément quand Bloom lui propose son aide, elle rougit légèrement sans trop savoir où se mettre. « Eh bien, si jamais vous voulez un shooting on peut arranger ça. » Elle n’est pas non plus contre l’idée d’être mise en avant par une personne populaire. Sage fait partie des invisibles, les gens lambdas, classiques, la masse New Yorkaise. Si on lui propose un coup de pouce, elle n’est pas contre, un petit coup de projecteur sur ce qu’elle sait faire de mieux ne peut pas lui faire de mal. « Donc comme ça Vous êtes quelqu’un de connu ? » Ça la fait sourire car elle n’a strictement aucune idée de la raison qui pousse Bloom à avoir de la notoriété. De nos jours il y a plein de raisons qui font qu’on peut avoir de la reconnaissance. S’il y a bien une chose que Sage a bien compris depuis qu’elle est arrivée à New York, on ne sait jamais sur qui on peut tomber et les opportunités peuvent être n’importe où, il suffit de tendre l’oreille. « En tout cas, ici ou ailleurs, je suis simplement serveuse. » Il y a des jours où cela lui suffit et d’autres où elle aimerait être un peu plus. Sage s’empare d’un morceau de carton qui sert à se mettre autour des boissons chaudes pour ne pas se brûler, avec son marqueur noir, elle y écrit son numéro avant de le tendre à Bloom. « Si jamais vous êtes toujours intéressée par une séance photo et que la proposition est sérieuse. C’est mon numéro. » Sage n’est pas difficile à contacter, encore moins à retrouver, après tout, elles sont sur son lieu de travail.

Bloom ne peut s’empêcher de rire quand la serveuse lui demande si elle est connue. L’innocence du ton, le fait qu’elle ne sache pas du tout qui elle a face à elle, pourrait perturber la jeune étudiante mais pas du tout. Quand certains s’offusqueraient qu’on les prenne pour des personnes lambda, elle n’y voit aucun mal. « Pas mondialement, loin de là même. Mais disons que mon statut social fait que je côtoie beaucoup de monde. Le nom Walton te dit quelque chose ? » Son nom est réputé à New York comme dans tous les Etats-Unis, ses parents possédant une des plus grandes fortunes du pays, et diverses entreprises qui ne manquent pas de faire parler d’elle. Elle ne veut pas se vanter d’être une héritière, surtout qu’elle n’a rien fait pour mériter cela, si ce n’est de naitre dans la bonne famille. Elle veut juste donner toutes les infos à Sage.

Bientôt, celle-ci lui tend son numéro, que Bloom observe, comme à chaque fois qu’elle voit des chiffres, pour voir s’il n’y a pas une certaine symétrie, ou un truc du genre. Quelques secondes suffisent pour qu’elle relève enfin les yeux. « C’était sérieux ! Je t’appellerais ! » Elle y compte bien, ces paroles ne sont pas en l’air. Cette femme l’intrigue et elle aimerait bien en savoir plus. Quelques minutes plus tard, les amis qu’elle attendait franchisse la porte et elle leur fait de grands signes de la main. « Je crois que je vais devoir vous laisser. »

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