Journée éprouvante, une fois de plus qui se conclue par un regard noir porté vers un de ses collègues abrutis, vous savez, ceux qui la traitent comme une moins que rien. Une réflexion de plus qui n’a absolument pas sa place au sein d’une brigade qui prône pourtant la tolérance. La preuve qu’il y a un monde entre les valeurs portées par la hiérarchie et ce qui se passe réellement sur le terrain au sein du commissariat. Mais ceci n’entachera pas la bonne humeur de Carla, pas ce soir tout du moins. Elle doit retrouver Jahia après plus de deux semaines sans s’être vues, en compagnie d’une bière – enfin de plusieurs. Ses amis, c’est ce qui compte le plus aux yeux de la policière. Avec la famille bien sûr. Alors, pour tout dire, il ne se passe pas un seul soir sans qu’elle ne passe voir untel ou untel pour avoir des nouvelles. Dans le pire des cas, ce sont des heures passées en videochat à jouer à la console en même temps. Carla, elle déteste être seule chez elle. Elle déteste être seule tout court. Parce que lorsqu’elle est seule, elle s’ennuie. Et l’ennui, ça la tue. M’enfin, peu importe, là n’est pas la question pour ce soir.

Elle enfourche sa trottinette électrique, moyen idéal pour traverser le tout New-York sans trop se fatiguer tout en évitant les embouteillages. Elle a l’air fine, là-dessus, avec sa jupe volant au vent. Elle a laissé la tenue professionnelle dans son casier, bien sûr. Elle atteint bientôt les 15 km/h, préférant ne pas pousser trop pour garder le contrôle alors qu’elle slalome au milieu des patients. Fichue rue sans piste cyclable. Encore un combat de plus qu’il faudra mener. Mais pour l’instant, d’autres priorités l’attendent. D’ailleurs, après une bonne dizaine de minutes de trajet, elle aperçoit Jahia qui l’attend sur leur banc habituel, celui où elles ont papoté pendant des heures après des années d’absence lorsque Carla est venue vivre à New-York, il y a de cela 13 ans. C’est comme si c’était hier tellement le souvenir semble frais dans l’esprit de la brune. Son amie lui avait tellement manqué pendant toutes les années à distance, malgré les échanges de mail et les coups de téléphone. Il y avait bien cet été où elles avaient pu se retrouver, bien trop brièvement.

Elle descend de son engin et replie l’appareil dans un geste devenu automatique au fil du temps. L’objet est un peu lourd pour son petit gabarit mais heureusement pour elle, il est rare qu’elle porte la trottinette très longtemps. « Ça ne fait pas trop longtemps que tu m’attends au moins ? » Elle remet en place les plis de sa jupe, non que ça lui tienne vraiment à cœur. « Encore un abruti de collègue qui m’a fait perdre 3 minutes précieuses avec ses remarques inutiles et désobligeantes… Des fois, je regrette de ne pas faire 30cm et kg de plus pour pouvoir leur mettre mon poing là où je pense ! » Elle lève les yeux au ciel, ce qui en dit long sur son état d’esprit. « Mais passons, il ne vaut pas le coup que je perde mon temps à parler de lui. Explique-moi plutôt ce que c’était que ce message répondeur incompréhensible l’autre nuit ? » Un petit sourire malin se loge sur son visage alors qu’elle se doute qu’il y a une histoire rigolote à se mettre sous la dent.

Une journée parmi tant d’autres. Depuis qu’elle avait eu l’occasion de discuter avec Ofelia, Jahia était un peu rassurée par rapport à l’avenir de cette union grotesque. Un mariage ridicule qui n’aurait jamais dû avoir lieu, et dont elle n’avait pas encore eu l’occasion de parler avec Carla, sa plus vieille amie. Carla et elle avaient grandi à Stanford, elles se connaissaient depuis tellement longtemps mais Jahia se rappellerait toujours de la première fois où ses yeux s’étaient posés sur la maison des voisin, maison qui abritait une petite fille qui allait bien vite devenir sa meilleure amie.
Mais Jahia était stressée pour le moment, et il était évident que ce mariage était en train de jouer sur ses nerfs. Non seulement elle devait en parler à Carla, mais en plus de ça elle allait devoir justifier pourquoi elle ne l’avait pas fait avant. Simple : elle se démenait depuis plus d’une semaine pour que ce mariage soit annulé, mais visiblement, les choses étaient plus compliquées que prévues et elle allait devoir user de ses charmes et de ses talents surtout pour venir à bout de cette supercherie.

Carla et elle s’étaient donné rendez-vous dans un bar, comme c’était souvent le cas, histoire de discuter tranquillement autour d’une bière ou dix. Il fallait dire que, si Jahia n’abusait jamais réellement de l’alcool, elle ressentait le besoin maladif de noyer son chagrin, sa colère et sa frustration, dans l’alcool. La bière était devenue sa meilleure amie mais attention, jamais au point de se bourrer la gueule et de ne plus se rappeler de ce qu’elle faisait. Ca, c’était une chose qu’elle ne ferait plus jamais, on ne l’y reprendrait plus !
Jahia était arrivée la première au bar, il n’y avait pas encore trop de monde à cette heure-ci. Vêtue d’un tailleur jupe crayon du plus bel effet, elle attendait patiemment que son amie arrive et rapidement, elle aperçut la silhouette de Carla qui arrivait dans sa direction, une trottinette pliable dans la main.

Non ne t’en fais pas, je suis seulement là depuis quelques minutes. Je comprendrai jamais comment t’arrives à te déplacer sur ce truc.

Pour elle, il n’y avait que la voiture qui comptait : la sienne, taxi, Uber, peu importe tant que c’était pratique et que ça la conduisait d’un point A à un point B. La jeune femme serra son amie contre elle avant de reprendre la parole pour répondre à sa remarque. Une femme forte dans un monde d’hommes, Jahia ne comprenait que trop bien et elle savait qu’il fallait s’imposer avant qu’on ne s’impose à vous.

Pas besoin d’être si grand pour le coup, un bon coup de genou exactement au même endroit, ça fait effet tu peux me croire.

La jeune femme prit place à un endroit tranquille du bar, où elles pourraient discuter en toute intimité, et le moins que l’on puisse dire, c’est que Carla mettait les pieds dans le plat directement, sans aucune forme de ménagement. Jahia leva à son tour les yeux au ciel avant de lui répondre :

Ben tu n’y vas pas par quatre chemins toi. Tu veux pas commander un truc avant que je te raconte ? Crois-moi, tu vas avoir besoin de boire pour y croire.

Boire avait justement été le début de ses ennuis, mais elle ne pouvait pas faire autrement. Elles n’étaient pas venues dans un bar pour compter les cacahuètes après tout…