A nouveau, Samia fait défiler tous les cintres dans son placard. La seule robe qui pourrait lui plaire ne ferme plus jusqu’en haut, conséquence de son ventre, désormais bien arrondi. Autant dire qu’elle avait laissé échapper quelques larmes quand elle l’avait essayée en début de semaine. Autre conséquence du ventre. Enfin des hormones qui vont avec, plus précisément. C’est un tout, qui n’est pas toujours très agréable, mais elle doit en passer par là. C’est le prix à payer, pour avoir ce bébé dans quelques mois. Ce ventre sert à cela. Mais en attendant, il n’accepte de rentrer dans aucune robe qu’elle juge assez belle pour la soirée à laquelle Caleb et elle sont invités. Un départ en retraite à son travail, avec ses collègues qu’elle connait à peine. Forcément, elle préférerait ne pas avoir l’air d’une baleine, même si Caleb lui répète sans cesse qu’elle est très belle. Enfin elle le sera encore plus avec une jolie robe, qui lui ira, une fois qu’elle l’aura trouvée.
C’était pour cela qu’elle avait donné rendez-vous à Ofelia aujourd’hui. Elle n’avait pas hésité à présenter les choses comme une urgence, certaine que son amie l’aiderait dès qu’elle le pourrait. Et comme son emploi du temps à elle, est plutôt libre, elles avaient facilement trouvé un créneau entre les horaires de bureau d’Ofelia. Alors, après avoir refermé son placard, Samia avait fini de se préparer, et avait ensuite rejoint le ferry. Pendant le trajet, elle avait pris le temps de dessiner un peu, d’envoyer un message à sa mère pour préparer sa visite prochaine. Puis un peu de métro, avant de rejoindre le bon point de rendez-vous. Elle retrouve peu à peu des habitudes de new yorkaise, bien loin de sa vie à San Francisco. Il faut dire qu’à part le trajet en tramway vers l’aéroport pour aller travailler à bord d’un avion, elle n’empruntait pas beaucoup les transports en commun. Ici, elle n’a pas le choix si elle veut se déplacer. Mais elle retrouve ses marques, de quand elle était adolescente. Elle ne se trompe plus de ligne, et repère mieux les correspondances les plus intéressantes. Tout un art de vivre. Tout cela la fait arriver avec quelques minutes d’avance dans le centre commercial, où elle sort son téléphone pour lire la réponse de sa mère, tout en guettant l’arrivée d’Ofelia. Celle-ci ne se fait pas attendre trop longtemps, et Samia sourit en voyant son amie arriver. « Salut ma belle. » Certains surnoms subsistent toujours, du temps si lointain où elles ont formé un couple. Un temps qui semble presque irréel désormais. « J’espère que tu n’avais rien de mieux à faire. Parce que j’ai peur qu’on en ait pour un moment. »

Le besoin d’adapter sa garde-robe à son ventre grandissant est réel et urgent, mais il faut bien admettre que c’est un prétexte bienvenu pour sortir de la maison et passer du temps avec une amie. En théorie, Samia devrait pourtant avoir beaucoup de temps pour s’occuper de sa vie sociale, mais elle a tout de même quelques impératifs dans ses semaines, et ses amis en ont forcément aussi. Alors quand Ofelia avait accepté aussi rapidement, elle avait été ravie, et l’est encore plus quand elle la voit arriver. « Je n’en attendais pas moins de toi ! » Elle sourit, ravie d’avoir son amie pour l’après-midi entier. Ça devrait leur laisser de temps de trouver des vêtements, mais sans doute aussi de boire ou manger quelque chose – ou les deux – en discutant. Un bel après-midi qui s’annonce. Et même si le beau temps n’est pas au rendez-vous, elles sont à l’abri dans un centre commercial, alors rien qui puisse entacher le temps passé ensemble.
« Maintenant que tu le dis, j’hésite… » Elle tire la langue à Ofelia, avant de sourire. Elle n’a rien à redire sur sa garde-robe. De toute façon, elle n’a jamais été du genre à juger le style des autres, tant qu’ils sont heureux dans leurs baskets ou escarpins. Chacun doit avoir le droit de porter ce qu’il veut. « Non, c’est plutôt pour la mienne. J’ai besoin de la compléter, avec des habits dans lesquels je peux rentrer, et pour les prochains mois aussi. » Si elle n’a pas trop pris en dehors du ventre et de la poitrine, Samia a tout de même besoin de vêtements plus larges. Et elle sait que ça ne va pas aller en s’améliorant. « Et puis il y a une petite soirée au travail de Caleb dans quelques jours, je n’ai rien trouvé à me mettre pour l’instant. D’où l’urgence, je savais que tu comprendrais. » Et même si ça n’avait pas été vraiment urgent, Samia sait qu’Ofelia aurait été présente. Tout comme l’inverse aurait été vrai. Maintenant qu’elles habitent dans la même ville à nouveau, elles peuvent être plus présentes l’une pour l’autre. « Mais on peut aussi regarder pour toi. Pas dans les mêmes rayons cela dit. »

« Mais oui, ne t’inquiète pas. Et de toute façon, le principal, c’est qu’elle te plaise, à toi. » Ce qui n’est pas le cas de la garde-robe de Samia. Enfin elle lui plait, mais elle ne rentre pas dedans, ce qui peut avoir l’effet contraire. Autant dire que ce shopping avec Ofelia était une urgence. En plus, elles pourront rattraper un peu le temps perdu, ce qui est un bonus non négligeable. Enfin elle est heureuse qu’Ofelia ait répondu si vite à son appel à l’aide. Samia sait que son amie est occupée, contrairement à elle. Actuellement, leurs vies ne vont pas du tout au même rythme donc, même si elles habitent dans la même ville, il est difficile de se voir souvent. « Exactement, tu as tout compris. Et de préférence des habits que je pourrais garder jusqu’à la fin de ma grossesse, pour ne pas avoir besoin de passer mon temps à faire les magasins. Enfin sauf si tu m’accompagnes à chaque fois, mais pas sûr que ton emploi du temps soit d’accord, ou même mes pieds. » Elle part un peu dans tous les sens, mais ses idées se superposent en même temps que ses mots. Elle préfère mettre ça sur le compte des hormones, qui l’empêchent de réfléchir correctement. Qu’est-ce que ça sera dans quelques mois.
« On pourra regarder tout à l’heure alors. » Après tout, elle n’est pas la seule à pouvoir faire des achats. Si elle peut conseiller Ofelia pour quelques vêtements pour le travail, pourquoi pas ? Les deux amies avancent dans la galerie, sans pour autant entrer dans un magasin pour l’instant. Ofelia l’interroge sur le style souhaité, avant d’ajouter une question qui fait rire Samia. « Les deux ne sont pas pareils ? » De son point de vue, si. Pour attirer les regards, il faut en mettre plein la vue. Non pas qu’aucun des deux soit réellement son but. Elle veut juste se sentir jolie, et non pas énorme. Même si elle peut très bien être les deux à la fois. Pas facile à accepter. « Je t’avoue que j’avais pensé à une petite robe noire, je reste dans le classique. C’est pour un pot de départ en retraite, donc je ne voudrais pas voler la vedette au nouveau retraité. » Elle sourit, pour bien signifier qu’elle plaisante. Elle n’a pas une si haute estime d’elle-même qu’elle pense se faire remarquer à ce point. « C’est juste que c’est la première fois que je vais les rencontrer, donc j’aimerais bien être jolie. » Et puis il n’y a rien de mal à ça, non ? D’autant qu’il lui semble qu’Ofelia lui ressemble sur ce point.