Janv. 29

6h30.
Le réveil se met à sonner, j’appuie sur la machine du diable pour l’arrêter et passe mon bras à côté de moi où je pense trouver Aleksej. Rien. Les draps sont aussi vides et plats que je les ai trouvés hier soir en allant me coucher. Mes sourcils se froncent automatiquement, un truc me pinçant brutalement l’estomac. Il n’était pas dans son état quand je lui ai dit que j’allais me coucher, j’aurai peut-être dû attendre qu’il rentre à la maison. Et s’il n’avait pas réussi à trouver ses clés ?
Je soupire et me laisse retomber dans le lit alors que je m’étais redressée.

Finalement, j’attrape mon iphone dans l’espoir d’y voir une notification m’indiquant un nouveau message de la part d’Aleks mais rien. Mon écran est totalement vide de notification quelle qu’elle soit. Il faut dire que c’est calme sur mon téléphone depuis que j’ai viré la plupart des applications qui ne me servaient pas.

Bien décidée à retrouver mon mec, je me lève et décide de faire le tour de l’appartement avant de commencer à passer des coups de fil à droite et à gauche. Vu l’heure, mieux vaudrait-il que je ne réveille pas tout le monde pour rien si c’est pour trouver Aleks dans le canapé ou la chambre d’ami/bureau.

Maroon et Boule me font la fête, bien trop heureux de me voir. Cependant, Maroon ne se dirige pas vers sa gamelle comme il a l’habitude de le faire le matin quand je me lève. Il va en direction du bureau avant de commencer à griffer la porte de la pièce comme s’il voulait y entrer.

- Il est là-dedans, hein ? dis-je à mon chien comme s’il allait me répondre.

La bête se contente d’arrêter et de s’asseoir, comme s’il comprenait que j’allais agir en conséquence.
J’ouvre lentement la porte et trouve Aleks dans la salle de bain adjacente à la pièce. Je lève les yeux au ciel, déjà désabusée alors qu’il n’est même pas sept heures.

Je m’accroupie et pose une main sur l’épaule de l’homme en le secouant gentiment.

- On se réveille, la Belle au bois dormant.

Janv. 29

Comment Aleksej en était arrivé à dormir la tête posée sur le bras lui-même posé sur la cuvette des toilettes était un long enchaînement d’étapes pourtant insignifiantes. Tout ça avait commencé par un simple dîner de confrères. Charles s’était dit qu’il aurait plus de chance de coincer Aleksej à New York qu’à Montauk où le Danois appréciait de rester dans son petit cocon avec sa brune. Il voulait une soirée d’homme à homme. Si Aleksej avait quelques difficultés à sacrifier une soirée avec Solveig pour quelque raison que ce soit, il avait tout de même accepté. Et la soirée avait bien commencé. Il avait toujours apprécié la compagnie de son mentor. Il aimait parler des règles fondamentales du droit avec lui et se lancer dans de grandes réflexions sur la teneur de leur métier.

Mais à mesure que le repas avançait, Aleksej réalisait qu’il y avait un moment qu’il n’avait pas exercé le droit comme on le lui avait appris. Et à la moindre faille qui pouvait poindre dans son discours, la moindre doute qu’il pouvait formuler quant à son job, Charles s’y engouffrait systématiquement lui rappelant qu’il ne pourrait trouver meilleur successeur que lui pour faire tourner Svenssen & Associate. Plus il approchait de la retraite, plus Charles se faisait pressant. Ce qui ennuyait profondément Aleksej. Après un repas tout à fait correct et quelques verres de vin, le vieil homme réussit à le convaincre d’aller boire encore un verre au salon privé de la New York City Bar Association.

Ils rencontrèrent quelques homologues et les échanges se firent plus incommodants. Travailler pour le bureau du procureur mettait Aleksej dans une case à part. Si tout le monde l’enviait, ça ne les empêchait pas de le considérer comme un renégat. Et son statut était la porte ouverte à toutes les remarques. Même s’il ne s’agissait pas forcément d’attaques personnelles, Aleksej n’avait aucune envie ni intention de justifier les décisions prises par le Bureau ou par le Conseil municipal de la ville. Tout ce qu’il l’intéressait au fond, c’était de faire son boulot. Sauf que les derniers temps, là non plus il ne trouvait pas son compte. Il s’était alors installé dans un fauteuil en retrait des autres et avait sorti son téléphone.

Au hasard du pianotement de ses doigts, il était tombé sur le fil Instagram de Solveig. Il aimait beaucoup les photos qui avaient été prises d’elle mais il n’était pas certain d’être tout à fait à l’aise avec l’idée qu’elles soient publiées sur le net, à la vue de tous. Son regard parcouru rapidement les commentaires et l’alcool commençant à faire son petit bonhomme de chemin, les choses commencèrent à prendre une autre tournure. Aleksej n’avait pas de demi-mesure ou très peu. Soit il agissait de manière très rationnelle, trop, soit il laissait ses émotions le submerger en dépit de tout bon sens. Il y avait probablement eu un verre en trop, un verre qui avait fait basculer son cerveau d’un côté à l’autre. Et un premier sms. Suivi d’une spirale infernale de messages et de verres de scotch.

Il était à présent affalé sur le sol de la salle de bain, ses chaussures et sa veste de costume avait été jeté dans la pièce avec désinvolture. Quand la jeune femme pressa doucement son épaule, le Danois se réveilla avec sursaut. La lumière semblait aveuglante, sa bouche était pâteuse et puis la migraine. Une migraine comme il en avait rarement fait l’expérience. Il cacha son visage derrière son bras en poussant un grognement. Son corps entier était douloureux des courbatures d’avoir dormi sur le sol, à moitié plié sur lui-même. Il était absolument incapable de se souvenir de quelle manière il était arrivée là ni la plus grande partie de sa soirée.

Janv. 29

Le grognement qu’il pousse m’amuse parce que je ne peux qu’oser deviner combien de verres il a bu. Je ne l’ai même pas entendu rentrer, c’est dire s’il a, malgré son état, fait preuve d’autant de discrétion que possible.

- Va te doucher, je vais te préparer ce qu’il faut.

Sans attendre, je me redresse et quitte la pièce pour me rendre à la salle de bain. Je prends la serviette d’Aleks et m’en vais la passe au sèche-linge rapidement pour qu’elle se réchauffe et que cela lui soit agréable quand il sortira de la douche. Pendant que la machine tourne, me voilà qui file à la cuisine pour sortir le strict nécessaire au mourant, à savoir de l’ibuprofène et un grand verre d’eau. Pas de café, c’est trop tôt et ça lui retournerait l’estomac.

Une fois toutes ces petites choses faites, je m’en vais arrêter le sèche-linge et ressort la serviette d’Aleks qui est, comme je l’espérais, toute chaude.

Ayant pris ma douche hier soir, nul besoin d’en reprendre une ce matin. Je me rends donc dans notre chambre à coucher et ouvre le dressing dans lequel je récupère mes affaires de sport. Un peu de stretching ne me fera pas de mal, cela m’a d’ailleurs été recommandé par mon chirurgien quand je lui ai demandé quand je pourrais retourner courir. Pas de suite, m’avait-il dit, il faut laisser le temps au corps pour se reprendre entièrement du traumatisme qu’a créé l’opération.
J’ai accepté non sans ronchonner un peu, bien-sûr. Depuis, je m’exerce à d’autres activités, en intérieur.

Janv. 29

Les yeux à moitié fermés, il tentait de reprendre peu à peu ses esprits avec difficulté. Il avait l’impression d’avoir une enclume dans la tête et que quelqu’un s’amusait à assener des coups de marteau avec véhémence. Il entendit néanmoins les paroles de la jeune femme et il s’accorda sur la pertinence de son conseil. Ou plutôt, le ton de Solveig ne laissait pas vraiment de place à l’argumentation. Il s’extirpa avec peine du sol pour se traîner jusqu’à la douche. Une fois sous le filet d’eau chaude, il ferma les yeux et se laissa aller vers l’avant, calant son front contre la paroi.

Après plusieurs minutes, il commença peu à peu à reprendre ses esprits. Il n’avait pas de réel souvenir de sa soirée mais vu l’état dans lequel il était actuellement, cela n’avait pas dû être glorieux. Il se sentait un peu coupable et honteux d’infliger ça à la jeune femme. S’il avait longtemps tiré un trait sur l’alcool par solidarité, Solveig avait fini par le convaincre qu’il n’était pas obligé de sacrifier tous ses petits plaisirs. Seulement il avait dépassé les bornes hier soir. Il ne s’agissait pas de déguster un bon petit Bordeaux pour accompagner un repas ou de s’autoriser un verre de whisky en digestif, il avait largement abusé sur la quantité.

S’envelopper dans la serviette chaude que lui avait préparé Solveig intensifiait son sentiment de honte et de gêne. Il aurait dû être capable de se contrôler par égard pour elle. Il enfila un jogging et un sweat et quitta finalement la salle de bain pour se rendre dans la cuisine. Pas de Solveig à l’horizon mais il pouvait l’entendre dans la chambre. Arrivé au niveau du plan de travail, il avisa le verre d’eau et le cachet qu’elle avait préparé pour lui. Une perle. Il se laissa tomber sur l’un des tabourets et avala la pilule. Le mal de crâne n’était pas près de le quitter et le médicament mettrait un peu de temps à faire effet. Il enfouit son visage dans ses bras en posant la tête sur le plan de travail. La journée allait être très longue.

Janv. 29

Quand j’ai terminé mon quart d’heure de stretching, je décide de retourner à la cuisine pour prendre mon petit-déjeuner. Je ne suis nullement surprise de voir Aleksej, la tête sur le plan de travail ou, plus exactement, la tête dans les bras.

En m’approchant de lui, je passe une main dans les cheveux mouillés de l’homme avant de me diriger vers la machine à café.

- Ça va faire un peu de bruit, dis-je simplement avant d’enclencher la bête.

J’ai déjà eu le genre de mal de tête qu’il a actuellement, je sais parfaitement ce qu’il est en train de vivre. Malheureusement, hormis attendre que ça passe en se reposant, il n’y a rien qu’Aleksej puisse faire.

Dès que la machine en a terminé avec son vacarme, je mets un peu de sucre dans ma boisson chaude que je porte rapidement à mes lèvres, au risque de me brûler. Je n’ai peur de rien.

- Tu devrais aller dormir Aleks, dis-je simplement en prenant place sur un tabouret en face de l’homme encore affalé.

Il est quasiment 7h, je dois quitter l’appartement dans une bonne demie heure. J’ai à peine le temps de gérer un homme à moitié mourant mais je vais le faire quand même.

- Et surtout, ne va pas faire de sport.

Si je lui dis ça, ce n’est pas pour rien.
Un matin, après m’être mise une cuite absolument monumentale, je m’étais dit qu’aller à la salle de sport serait une excellente idée. Ah ! Qu’est-ce que je n’avais pas fait là. A peine quinze minutes passées sur les différentes machines que j’avais senti un haut-le-cœur et j’ai eu vite fait de finir aux toilettes de la salle pour vider mon estomac.

Janv. 29

Aleksej releva légèrement la tête pour regarder la jeune femme qui était à présent face à lui. Malgré la migraine qui l’empêchait de penser plus loin que les deux minutes à venir, il était tout de même capable de relever la tendresse avec laquelle elle avait caressé ses cheveux et dans le ton de sa voix. Ce qui lui arracha tout de même un sourire. Il avait tout de même du mal à imaginer ce qui avait pu le pousser à de tels abus. Il s’était saoulé au point de ne plus avoir de souvenirs de sa soirée. Et même s’il était en piteux état, il n’avait pas l’intention de se soustraire. Il devait assumer son comportement.

“Je suis désolé… si je t’ai réveillé ou dérangé ou… je ne sais plus vraiment.”

Le fait qu’il ce soit retrouvé dans la salle de bains du bureau était pourtant un bon indice. Il avait dû rentrer assez tard pour savoir que Solveig serait déjà au lit et choisit de se rabattre sur cette pièce. Étant donné que ses chaussures étaient dans la salle de bains également, il en déduit que son état était plutôt sérieux pour qu’il ne prenne pas le temps de les retirer. Il tentait tant bien que mal de rassembler les pièces d’un puzzle qu’il avait disséminé sur son chemin. Il tendit ses mains vers celles de Solveig pour saisir sa tasse de café. Il en but une gorgée avant de la lui rendre et de reposer sa tête sur la table.

Il ne pouvait rien faire d’autre que d’attendre que ça passe. Il ne voulait pas aller au lit tout de suite. Pas avant que Solveig ne soit partie au travail en tout cas. Il se sentait déjà assez ridicule sans lui laisser une nouvelle occasion de le voir en position de faiblesse. S’il savait qu’il pouvait tout lui dire et baisser ses défenses avec elle, il savait également qu’il y avait une limite à ça. Si ne lui montrait que faiblesses, doutes et incertitudes, Solveig finirait par se lasser.

“Je vais aller promener les chiens dès que l’ibuprofène aura fait effet…”

L’air frais serait probablement un bon remède à la gueule de bois. Sans aller jusqu’à pratiquer une vraie activité physique, marcher lui remettrait peut-être les idées en place.

Janv. 29

- En vérité, je ne t’ai même pas entendu rentrer, dis-je simplement.

J’évite de faire des longues phrases parce que je sais que quand on est dans l’état dans lequel se trouve actuellement le danois, on a tout sauf envie de causer. Et puis, c’est la vérité. Je ne sais pas à quelle heure il est rentré cette nuit, je ne l’ai vraiment pas entendu revenir. On ne pourra pas dire qu’il n’a pas été discret, sur ce coup là.

- Tu sais comment tu es rentré, au moins ?

Il n’a pas pris la voiture pour partir rejoindre Charles en début de soirée donc je sais qu’au moins, il n’a pas mis sa vie en danger hier en prenant le volant. Je me demande cependant s’il a eu la bonne idée de prendre les transports en commun pour rentrer ou si c’est une voiture qui a raccompagné ce fringant jeune homme de 45 ans.

Après m’avoir piqué mon café sans la moindre gêne pour me le rendre presque aussitôt, Aleks m’explique qu’il ira promener les chiens tout à l’heure. Je ne peux m’empêcher de hausser un sourcil, douteuse du fait qu’il soit seulement capable de sortir du lit une fois qu’il aura atteint le Saint Graal.

- Je peux rentrer à midi pour les sortir, aussi.

Au fond, je sais que c’est ce qu’il y aurait encore de plus simple.

- Tu as envie de me dire ce qui t'a amené à te coller une mine pareille, Svendsen ?

Janv. 29

Pour toute réponse, Aleksej se contenta de maugréer et d’un haussement d’épaules. Il n’avait pas la moindre idée de la manière dont il était rentré. Il se souvenait être allé à la NYCBA mais après ça tout s’enchaînait dans un certain flou artistique. Et plus il essayait de retrouver de la précision dans l’enchaînement des évènements et plus sa tête devenait douloureuse. Quoi qu’il en soit, il était chez lui, il n’avait pas l’air d’avoir d’autres séquelles que celles laissées par l’alcool. Juste les courbatures que lui infligeait son corps pour avoir dormi sur le carrelage froid de la salle de bain. Il faudrait néanmoins qu’il appelle Charles pour faire le jour sur cette soirée et peut-être également pour s’excuser. Cette idée le mortifia.

Le Danois ne supportait pas ne pas avoir le contrôle et avoir un black-out était pire que tout. Il réalisa d’ailleurs que ça n’avait quasiment jamais dû lui arriver. Il espérait ne pas avoir eu un comportement inapproprié en présence de son ancien patron et des autres pontes de la profession. Il ne serait probablement pas le premier ni le dernier à se saouler en public mais ce genre de choses n’arrivait pas à Aleksej Svendsen. Il ne se donnait pas en spectacle. À cette pensée, il sentit tout de même une vague de panique le parcourir. Il fallait qu’il sache si avait causé des dégâts. Après tout, il ne pouvait pas laisser n’importe quoi entacher sa réputation.

“Je ne me souviens pas…”

Il se sentait risible de l’admettre mais c’était la pure vérité. Pas besoin d’essayer de se voiler la face ou de garder la tête haute sur ce coup-là. Il releva la tête et balaya la pièce en quête de son téléphone. Il l’aura probablement posé quelque part en rentrant. Ou peut-être qu’il était dans la poche intérieure de son veston. Il s’était levé avec la ferme intention de mettre la main dessus. Trop vite. Il agrippa le plan de travail pour se stabiliser. Les murs de l’appartement n’étaient pas décidés à rester en place, pas encore. Il vacilla quelques secondes avant de réussir à trouver un certain équilibre.

“Il faut que j’appelle Charles… lort…”

Janv. 29

Je me lève aussi rapidement que possible quand je vois le danois qui quitte son assise. Qu’est-ce qu’il croit qu’il fait, exactement ? N’a-t-il pas compris qu’il n’était pas en état d’entreprendre de telles choses à l’instant T ? Je lève les yeux au ciel et l’attrape par le bras pour l’aider à se stabiliser.

- Tu ne vas pas appeler personne. Tu vas aller te coucher, Svendsen et basta. J’appellerai Charles pour toi quand j’arriverai au bureau, tout à l’heure. Je suis sûre qu’il va bien.

Mon ton ne laisse pas de place à la discussion, il est l’heure qu’Aleksej m’obéisse et qu’il se fasse tout petit. Le fait qu’il se soit collé une cuite ne me pose pas de problème, il est majeur et vacciné sans parler du fait que je ne suis pas du genre à lui dire quoi faire. Cependant, maintenant que je sais qu’il ne se souvient plus de comment il est rentré à l’appartement, ça oui, ça m’inquiète et ça m’agace un peu.

Au fond, je sais très bien qu’Aleks finira par me dire la raison pour laquelle il s’est mis dans un état pareil. Ses SMS en disaient long mais peut-être que ça vaut la peine que j’enquête un peu plus. Il a commencé à vriller pour une histoire de commentaires sur des posts de mon compte Instagram et puis on a commencé à parler mariage et j’ai fini par jouer avec ses nerfs parce que j’adore ça.

Oui, j’ai dit mariage. Je sais. Ca fait déjà deux fois qu’on évoque vaguement le sujet, lui et moi. Jamais en face à face, toujours par message interposé. Je sais très bien ce que ça veut dire, du moins me concernant. Si j’en parle uniquement par SMS, c’est que je n’ose pas encore en parler en vrai. Au final, j’associe parfois les SMS à une vie moins « réelle » tandis qu’une conversation en face à face n’a rien de plus véritable. Peut-être en est-il de même pour le danois. Ce sera quelque chose à creuse aussi, j’imagine.

- Allez, au lit, dis-je en l’entraînant vers notre chambre à coucher. « Si tu vomis au lit, t’es mort. »

Juste au cas où cela ne soit pas clair dans son esprit, le doute vient d’être réduit à néant.

Janv. 29

JC’était plutôt rare qu’Aleksej reçoive des ordres de qui que ce soit, probablement encore plus quand il s’agissait de Solveig. Mais ceux-là, il savait qu’il devait y obéir. C’était sans appel. Elle avait probablement raison, il n’était pas en état d’appeler qui que ce soit. Il tenait à peine debout et sa bouche était tellement pâteuse qu’il avait du mal à articuler correctement. D’ailleurs même si ça avait été le cas, il n’était pas sûr que son cerveau puisse aller plus loin que le basique. Sa tête lui faisait toujours atrocement mal.

Il se laissa entraîner jusqu’à leur chambre sans rechigner. Il n’en était de toute façon pas capable. Mais avant de se laisser tomber dans les limbes il se retourna vers elle, serra doucement sa main et lui adressa un regard tendre, en gage de remerciement. Elle n’était pas obligée de s’occuper de lui comme ça. Il avait fait un écart et il en était le seul responsable. La logique aurait voulu qu’il prenne pleinement ses responsabilités. Il se laissa tomber sur le lit comme une masse et ne tarda pas à s’endormir.

Il se réveilla deux bonnes heures plus tard. L’alcool devait avoir peu à peu quitté son corps mais il se sentait toujours un peu barbouillé. Il se leva tout de même pour se diriger dans la salle de bain. Il se lava rapidement les dents pour se débarrasser de l’arrière-goût avant de filer sous la douche. Il laissa le filet d’eau chaude couler sur lui un long moment. Une fois sortie, il ne pouvait pas dire que les choses étaient plus simples. Il avait passé 45 ans, son corps ne tenaient plus les mêmes promesses que quand il en avait 20. Le manque de sommeil avait toujours un fort impact sur sa forme alors ne parlons pas de l’alcool.

Il se regarda dans le miroir et soupira en sentant le mal de crâne revenir le harceler. Il ne servait à rien de lutter. Le danois ne prit même pas la peine de se rhabiller avant de se relaisser tomber sur le lit. Au pied de celui-ci, Maroon observait son maître avec un regard circonspect et une pointe d’espoir.

“Hors de question.. oh et puis fait ce que tu veux…”

Aleksej s’était déjà endormi alors que les deux chiens avaient pris leur quartier sur le lit à ses côtés.

Janv. 29

C’est sans trop de surprise que je ne parviens pas à me concentrer au bureau. Ce n’est pourtant pas faute d’essayer mais rien n’y fait, je ne pense qu’à Aleksej qui doit être en train de haïr la vie, caché sous les draps.

J’ai appelé Charles, tout à l’heure. Comme je m’en doutais, l’homme va très bien et a étonnamment beaucoup moins mal à la tête que son comparse. Aleksej est rentré en taxi, Charles s’en est assuré puisque c’est lui qui a appelé le chauffeur après que le danois ait commencé à déblatérer des élucubrations que son ancien patron a refusé de me communiquer. Il m’a simplement dit que ces choses ne méritaient pas d’être répétées. Je n’en sais donc pas beaucoup plus, malheureusement pour ma curiosité.

- Tu m’écoutes ?

Mon collègue, Roman, me regarde avec un air grognon.

- Excuse-moi, j’ai la tête ailleurs.
- Je vois ça mais il faut qu’on termine ce dossier de fusion d’entreprises, Solveig.
- Bien entendu, vas-y, tu as toute mon attention.

Je n’ai pas menti, je suis restée ultra concentrée pour le restant de la matinée, cependant j’ai annoncé que je finirai la journée en télétravail. Personne n’a rien dit. Je travaille aussi bien au bureau qu’à la maison. Finalement, ma présence dans les bureaux n’est requise que lorsque nous devons rencontrer les clients concernés par les dossiers sur nos bureaux. Comme nous sommes vendredi, il n’y a aucun rendez-vous, résultat ; je peux me permettre de finir ma journée professionnelle dans mon petit nid douillet.

Quand j’arrive à l’appartement, je trouve l’atmosphère beaucoup trop calme. Je fronce les sourcils et commence à inspecter toutes les pièces majeures jusqu’à arriver à notre chambre à coucher.

Impossible de ne pas prendre une photo de mes trois loustiques endormis dans le lit. Je lève les yeux au ciel en voyant qu’à peine a-t-il une gueule de bois qu’Aleksej oublie bon nombre de règles de vie comme : ne pas avoir les chiens sur le lit.

Maintenant que je sais où est tout le monde, je ferme la porte et m’en vais dans la cuisine pour me faire à manger avant de retourner à mes activités professionnelles. Dieu sait quand le danois refera surface.

Janv. 29

Quand Solveig referma la porte de la chambre Aleksej releva doucement la tête et entrouvrit les yeux. En voyant les deux chiens couchés à côté de lui il poussa un grognement. Il se souvenait pourtant qu’il n’avait pas protesté beaucoup quand Maroon était monté sur le lit mais à présent ses esprits étaient un peu plus clairs. Il observa Boule un sourcil levé. Comment celui-ci avait réussi à monter sur le lit, c’était un mystère. Mais même s’il était petit et maladroit, qu’il n’était pas le plus finaud des chiens, on ne pouvait pas dire qu’il n’était pas persévérant. Il se leva finalement et poussa les chiens du lit avant de leur ouvrir la porte de la chambre.

L’enthousiasme dont ils firent preuve pour rejoindre la cuisine confirma au Danois que la brune était rentrée et qu’il l’avait bel et bien entendu. Au moins de ce côté-là, ce n’était pas une illusion due à son niveau d’alcool trop élevé. Il attrapa un boxer dans la commode ainsi qu’un tee-shirt et un jean qu’il enfila avant de se rendre dans la cuisine. Il s’approcha timidement de la jeune femme et tenta une légère caresse dans son dos. Il savait qu’il devrait probablement encore s’excuser une ou deux fois du fait qu’elle l’ai retrouvé dans cet état ce matin.

“Bonjour…”

Elle ne rentrait pas du travail entre midi et deux ce qui voulait probablement dire qu’elle avait pris l’après-midi ou qu’elle travaillerait depuis la maison, ce qui le faisait se sentir encore un peu plus coupable que ce n’était déjà le cas. Il fit le tour de l’îlot pour aller jusqu’au frigo et en sortir une bouteille d’eau pétillante qu’il s’enfila quasiment cul sec. Son corps avait besoin d’être réhydraté.

Janv. 29

Je ne m'attendais pas à voir Aleksej émerger de la chambre à coucher aussi rapidement. Il est évident que j'ai dû le réveiller par inadvertance. Non pas que je me sente particulièrement coupable vu l'heure qu'il est mais parce que je sais qu'il ne se sent pas bien, impossible de ne pas avoir une légère pointe de culpabilité malgré tout.

- Désolée de t'avoir réveillé, dis-je simplement en l'observant boire comme un assoiffé.

Le MacBook Pro ouvert devant moi, je sais qu'il faut que je me replonge dans mes dossiers rapidement sans quoi je n'avancerai jamais dans mon travail. On a beau être vendredi, je n'ai pas pour autant le droit de faire les choses à moitié.
En ce moment, deux gros dossiers me restent quelque peu sur les bras : une fusion d'entreprises et un rachat d'entreprise.

- Tu devrais essayer d'avaler quelque chose si ton estomac le permet.

Evidemment, j'ai beau avoir les yeux rivés sur mon écran tout en croquant dans mon sandwich de fortune, il m'est impossible d'ignorer la présence du Danois à mes côtés. Il va sans dire que je ne peux pas non plus faire comme s'il était au top de sa forme tandis que j'ai conscience du contraire.

- Je sortirai les chiens dans une petite heure.

Je n'ai pas besoin de réfléchir beaucoup pour comprendre qu'Aleksej n'a probablement pas trouvé la force de sortir Maroon et Boule après sa douche. C'est tout naturel quand on est dans l'état dans lequel il se trouve actuellement.

- Il faut juste que je relise des compte-rendus important avant.

Janv. 29

Aleksej se tourna vers la jeune femme et secoua la tête doucement pour acquiescer. Elle avait sans doute raison mais l’idée de manger ne lui disait pas grand-chose. Il avait l’impression d’avoir marché des kilomètres, il était fébrile et le moindre mètre lui demandait un effort effroyable. Quoi qu’il en soit, il fallait qu’il élimine les toxines de son corps. Dormir et s’hydrater était les premières marches de sa purge.

“Je suis désolé de t’avoir fait rentrer du travail plus tôt… Tu n’aurais pas dû… je survivrais et puis sinon, je l’aurais probablement mérité.”

Il tenta un vague sourire. Il aimait qu’elle se préoccupe de lui mais il n’était pas à l’aise avec l’idée qu’elle mette ses activités entre parenthèse parce qu’il n’avait pas pu contrôler sa consommation d’alcool. Et ce sentiment de culpabilité le tiraillait bien plus tout en sachant le parcours que la jeune femme avait dû faire pour se sortir de sa dépendance. Ce n’était pas très correct envers elle.

“Je vais aller promener les chiens, comme ça tu pourras continuer à travailler au calme. J’en profiterais pour prendre une soupe chez le Thaïlandais. Tu veux que je te ramène quelque chose ?”

Même s’il se sentait encore un peu groggy, sortir prendre l’air lui ferait le plus grand bien. Marcher également, même lentement. Il siffla doucement les chiens qui n’eurent pas besoin qu’on le leur dise deux fois pour venir cavaler dans l’entrée. Il enfila sa veste et attrapa ses clés et les laisses avant de sortir. Quelques secondes plus tard la porte de l’appartement se rouvrit sur un danois rouge de honte. Il enfila ses chaussures avant de faire un signe à la jeune femme.

“À plus tard…”

Aucun commentaire n’était nécessaire. Il pourrait difficilement tomber plus en ridicule. Peut-être au moins qu’en partant un petit moment, Solveig oublierait un peu ce qui s’était passé, ou du moins, elle arrêterait d’y penser un moment. Lui de son côté profiterait de la marche pour essayer de rassembler les pièces du puzzle et peut-être se rafraîchir la mémoire. Ce n’était pas son genre de se laisser perdre le contrôle. Il y a bien un moment où il avait basculé du côté obscur de la force.

Une petite heure plus tard, un Aleksej un peu plus frais fit son retour dans l’appartement, Boule sous un bras et les plats Thaïlandais sous l’autre. Il posa le chien au sol et retira sa veste avant de passer derrière la jeune femme pour embrasser doucement le creux de son cou. Il se rendit ensuite dans la salle de bain ou il entreprit rapidement de mettre ses vêtements au linge et surtout tenter de retrouver son portable. De retour dans la cuisine, il entreprit d’ouvrir les plats, le téléphone à l’oreille.

“Charles… Ja ... lever stadig …”

Son mentor se moquait de lui sans aucune gêne. Aleksej voulait se rassurer sur le déroulement de la soirée. N’avoir aucun souvenir lui causait une petite pointe de stress. Mais Charles le rassura. Après avoir encaissé plusieurs remarques, il avait pris la mouche et s’était mis à l’écart. Il avait probablement dû enchaîner les verres car quand il fut l’heure de partir, le barman tendit à Charles les clés du danois en lui disant que celui-ci aurait besoin d’un chauffeur. C’était toujours fascinant comme le personnel de ce genre de club huppé faisait preuve d’une efficacité redoutable.

Avant de raccrocher, le vieil homme taquina gentiment Aleksej sur le fait que si sa petite amie avait été obligé de l’appeler il devait être en piteux état. Il s’excusa également d’avoir peut-être un peu exagérer les choses à propos de leur soirée. Aleksej leva les yeux au ciel.

“Hvad fortalte du hun?”

Charles ne prit pas la peine de répondre et lui raccrocha au nez impunément. Aleksej n’avait pas de mal à imaginer son ancien patron s’esclaffant dans la chaise de son bureau. Il leva son regard bleu sur la jeune femme et sourit tendrement. Si Charles en avait rajouté une couche, pas étonnant que Solveig se soit mise en mode bon samaritain. Elle ne pouvait pas s’en empêcher et il l’aimait aussi pour ça mais ça ne l’empêchait pas de se sentir coupable, au contraire.

“Je ne sais pas ce que Charles t’a raconté mais il a probablement largement exagéré…”

Une chose pourtant le rendait un peu plus serein. Avoir discuté avec Charles le confortait dans l’idée qu’alcool ou pas, il n’allait pas faire étalage de sa vie et de ses émotions dans un lieu public. Ce n’était simplement pas dans sa nature. Et s’il appréciait Charles comme une certaine figure paternelle, il se confiait rarement. S’il en savait tellement sur lui, c’était surtout parce que Denise avait un don d’observation innée. Aleksej ne se confiait à personne. Du moins jusqu’à très récemment. Il réalisa alors que ce n’était plus si récent que ça. Presque deux ans. Le temps passait à une vitesse incroyable.

Janv. 29

- Je veux bien une salade Thaï aux crevettes, dis-je en réponse à la question du Danois que je trouve tout à coup fort entreprenant.

A croire qu’il ne s’est rien passé, qu’il n’a pas picolé à outrance hier et qu’il n’est pas en train de subir une gueule de bois monumentale. Il s’en veut. Je le connais assez aujourd’hui pour être certaine de cela. Il m’a vu rentrer à la maison et il s’en veut. Pourtant, finir mon vendredi en télétravail n’a rien d’extraordinaire, cela m’est déjà arrivé par le passé. Bien-sûr, c’est son état qui m’a fait rentrer aujourd’hui mais il ne devrait pas trop se monter la tête à ce sujet pour autant.

Impossible de retenir un éclat de rire quand je le vois qui revient, pieds nus. C’est bien ce que je pensais : trop entreprenant pour un état trop peu sûr.
Avec un peu de chance, je me dis que Maroon surveillera Aleksej. Malheureusement, mon chien ne sait pas encore se servir d’un téléphone portable donc si quelque chose venait à se passer, il ne pourrait pas me prévenir. Au pire, il fera ce que tout bon chien fait : il aboiera comme un taré et attirera l’attention de quelqu’un dans les alentours.

Quand le Danois rentre avec l’un des chiens sous le bras, j’ai terminé mes relectures et suis en train de compléter l’un des deux dossiers sur lequel j’ai à travailler aujourd’hui.
Il dépose la nourriture Thaï et je l’en remercie avec un sourire puis, je replonge dans mes documents.

Ce n’est que quand je l’entends parler danois que je détache mes yeux de mon écran d’ordinateur. Il a appelé Charles. Je me retiens tout juste de lever les yeux au ciel devant un tel comportement. Aleks n’est pas habitué à se mettre dans un état comme celui dans lequel il était hier soir, c’est évident. Il a besoin de récolter toutes les informations pour recoller les morceaux de sa soirée.

- Je ne balancerai pas ma source la plus sûre mais je ne crois pas qu’il ait grossi le trait, dis-je en réponse à ces propres à mon égard une fois son appel terminé. “Tu te sens mieux ?”

Janv. 29

Aleksej leva une nouvelle fois les yeux au ciel en entendant son commentaire à propos de ce que Charles aurait pu lui dire. Il n’aimait pas ça non plus. Que son ex-patron et sa petite amie puisse être de connivence alors qu’il ne se souvenait pas de la plupart des évènements de sa soirée depuis le moment où il avait mis les pieds dans le club house. C’est vrai que Charles et lui s’était laissé aller à déguster quelques très bons crus. Aleksej n’avait plus l’habitude. L’étape au bar était probablement de trop.

“Ça ira, ne n’inquiète pas…”

Il servit la salade de crevettes dans une assiette et la tendit à Solveig. Son bouillon transvasé dans un bol, il s’installa en face de la jeune femme. Ne voulait pas interrompre une nouvelle fois la jeune femme dans sa lecture, le danois se plongea dans son téléphone. Tout en buvant sa soupe avec une grande cuillère, il parcourait les infos vaguement. Ce n’est que par hasard qu’il ouvrit sa boîte de textos. Depuis quelques jours, il aimait bien relire le dernier échange qu’il avait eu avec Solveig. Celui qui s’était soldé par un échange beaucoup plus torride.

Mais ce n’est pas ce qu’il trouva en ouvrant la conversation. Aleksej et Solveig avait échangé des SMS hier soir. Son visage se décomposa et son teint devint livide. Il remonta toute la conversation jusqu’à trouver le premier message dont il était l’auteur. Plus ses doigts faisait défiler l’écran et plus le danois se ratatinait sur son tabouret. Son visage passa du blanc au rouge vif en un quart de seconde. Ses joues le brûlaient de honte. Il n’avait jamais fait ouvertement preuve de jalousie de cette manière. C’est quand il lut la réponse de Solveig en danois et la photo qui suivi qu’il faillit s’étouffer avec sa soupe.

Il toussa dans son point pour essayer de reprendre contenance. Mais la suite n’allait pas être mieux. Solveig avait mesuré son doigt… À cet instant précis, il se sentait tellement gêné qu’il n’osa pas relever les yeux vers elle. Toutes ces informations faisaient des tours dans son cerveau. Il se contenta de continuer sa lecture, incapable d’aligner deux pensées. Il passa sa main sur son visage en lisant les commentaires licencieux qu’il avait envoyé à la jeune femme. S’il était le seul responsable pour l’état dans lequel il s’était mis, il commençait un peu à comprendre l’escalade de sa consommation. Solveig avait un pouvoir certain pour mettre le doigt sur les insécurités du danois. Il posa son téléphone sur la table sans lever les yeux de sa soupe. Il pouvait sentir le regard de la brunette sur lui.

“Tu as fait de sacrés progrès en danois…”

Janv. 29

- N’est-ce pas ? C’est fou ce qu’on peut faire de nos jours avec Google Trad.

Mon niveau de danois s’est nettement amélioré, il est vrai mais pas au point de comprendre tout ce qu’a pu m’envoyer Aleksej hier soir. Les dieux de l’Internet me sont venus en aide une fois ou deux au cours de la soirée, je dois bien l’admettre.
Je ne peux ôter ce petit sourire satisfait du coin de mes lèvres. Maintenant qu’il a relu notre conversation de la veille, il doit commencer à mieux comprendre pourquoi je suis rentrée à la maison cet après-midi. Au-delà d’être là pour lui en cas de vomito improvisé, je veux surtout que nous puissions discuter un tant soit peu de ce qu’il s’est passé hier par message interposé.

- Je n’ai pas particulièrement apprécié ta crise de jalousie sortie de nulle part, avouai-je, de but en blanc.

Loin de moi l’envie de jouer les langues de bois. Si des choses doivent être dites, ainsi soit-il. Je ne vais pas tout garder pour moi et j’espère qu’il en sera de même pour l’homme toujours attablé face à moi.

- Mon compte Instagram ne reflète que ce que je veux bien montrer aux autres. Aussi, j’ai entendu ta plainte hier et tu n’y apparaîs plus. Enfin si, il doit rester une photo ou deux mais rien d’autre. Satisfait ?

Janv. 29

La tête baissée comme un écolier qu’on sermonnerait, Aleksej écoutait Solveig, les dents serrées. Étant donné les propos qu’il avait tenu dans ses messages, il s’étonnait qu’elle ne soit pas plus en rogne contre lui. Au-delà de la honte et de la culpabilité, il ressentait une profonde colère envers-lui même. Il aurait compris qu’elle lui en veuille, qu’elle fasse plus de tapage. Elle semblait étrangement calme étant données les circonstances. Le visage du danois s’était fermé.

“Non… je ne suis pas satisfait.”

Il avait laissé valser sa cuillère contre son bol avant de passer une main sur son visage, frottant ses tempes comme si elles le brûlaient.

“Je n’aurais jamais dû t’écrire tout ça… tenir ce genre de propos… c’est… ridicule. Et irrespectueux. En aucun cas je n’ai à te dire ce que tu peux faire ou non.”

Il avait notifié que depuis sa séance photo, Solveig avait attiré une certaine attention sur elle. Il n’était effectivement pas très à l’aise avec cette idée mais la scène qu’il lui avait faite par sms interposées était simplement puérile. Il aurait pu simplement le lui dire, en discuter avec elle. Le fait qu’elle l’ait pris au pied de la lettre était d’autant plus amer. Il avait toujours bien aimé l’idée qu’elle poste des petits clins d’œil. Peut-être que ça aussi c’était un peu égoïste, finalement. Il aimait le fait qu’elle affiche leur amour. Mais pas trop. Quoi qu’il en soit, il avait eu tort.

“Et en aucun cas je n’estime avoir une quelconque droit d’autorité ou… de propriété vis-à-vis de toi... “

La jalousie ne lui allait pas bien, c’était le moins qu’on puisse dire. Et ce n’était pas comme cela qu’il avait été élevé. Il avait bien ce petit côté oldschool et chevaleresque d’homme galant mais il avait toujours considéré les femmes et les hommes comme des égaux. Cela ne faisait pas exception à son couple. Même si la considérait comme SA femme, elle ne lui appartenait pas.

“Je suis désolé… j’ai été grossier et tout cela était inapproprié. Et l’alcool ne peut pas être une excuse. Je te présente toutes mes excuses. Sincèrement.”

Ce n’était pas quelque chose de courant pour le danois de s’excuser. Il avait rarement tort. Mais il savait le reconnaître quand c’était le cas. En tout cas quand il s’agissait d’elle. D’eux. Depuis le début de leur relation, il n’avait pas d’autre motivation que de faire les choses correctement, se donner le plus de chance possible. Hier soir, il avait largement failli à ce vœu personnel.

Janv. 29

Je ne m’attendais pas à un tel acte de mea culpa de la part d’Aleks. Bien-sûr, je savais que nous allions être forcés de parler de ce qu’il s’est passé (et c’est ce que je voulais) et je m’attendais à ce qu’il ait deux ou trois phrases toutes prêtes pour moi. Là est ma surprise : il n’a pas de phrase toute faite, il n’a rien préparé. Il vient de se rendre compte de ce qu’il a pu me dire hier soir sous l’effet des whiskys consommés et maintenant, il regrette.

- Ce qui est fait, est fait. Mais j’aimerai que tu me parles de ce genre de choses qui te perturbent quand tu es sobre, Aleks. Je ne te cache pas qu’au fond, tout ça m’a fait sourire plus qu’autre chose mais je sais aussi que lorsque tu es contrarié ET sous alcool, certaines choses peuvent arriver.

Comme exploser un verre sous l'effet de la colère, par exemple.
Je ne sais pas s’il se souvient de cet épisode. C’était quand je venais d’emménager chez lui après l’annonce d’un confinement sur New York à cause de l’épidémie. J’étais totalement perdue, mon père venait de mourir et j’avais clairement besoin de réconfort. Aleks a su être présent et, un jour, j’ai fini par débarquer chez lui avec mon chien et une petite valise. A bien y repenser, mon comportement était totalement inadapté et quelque peu puéril mais sans ça, serions-nous là où nous en sommes aujourd’hui ?

- Mon compte Instagram ne me définit pas, d’accord ? Ca me plaît de poster des clichés de moi, surtout des clichés professionnels qui, de toute façon, sont dans un magazine en librairie. Cependant, je comprends et accepte tout à fait que tu ne veuilles pas que je poste des choses de notre vie privée. D’ailleurs, je pense que tu as raison à ce sujet.

Vais-je parler de l’autre sujet évoqué hier soir par sms ? Non. Comme je l’ai dit, j’ai encore du travail et je ne me sens pas d’évoquer un potentiel mariage maintenant. Je ne dis pas que je n’y pense pas, je dis juste que ce n’est pas à l’ordre du jour. Nous n’avons même pas encore fêté nos deux ans et… Il faut du temps pour ces choses-là.

Janv. 29

Aleksej soupira non sans un certain allègement. D’une certaine manière, il était soulagé que Solveig réagisse de cette manière. Il ne voulait pas être la cause d’une nouvelle crise même si ça aurait été tout à fait légitime. Il n’aimait pas les confrontations entre eux, même si elles étaient souvent nécessaires pour les faire avancer. Les mois passés avaient été compliqués alors s’ils pouvaient éviter de repasser par de nombreux tumultes, ce serait un luxe pour tous les deux. Un temps mort dans les turpitudes de la vie. Le danois se leva de son tabouret pour venir se placer derrière la jeune femme. Il passa ses bras autour de sa taille et vint poser sa tête au creux de son épaule.

“Tu n’as pas besoin de te justifier… Je suis désolé… Pardon… pardon…”

Il avait enfoui son visage contre le cou de la jeune femme. Il était vraiment navré et il savait que la honte de son comportement ne le quitterait pas de si tôt. Une chose était sûre, la leçon était retenue. Il savait que la jeune femme avait encore du travail et il ne comptait pas la distraire plus en accaparant toute son attention mais il voulait tout même avoir sa petite dose. Sentir sa chaleur entre ses bras, son odeur. Il finit par relever la tête, un léger sourire au coin de lèvres.

“S’il te plaît, ne raconte jamais ça à ma mère... je serais mort de honte… et je tiens à rester son fils préféré…”

Il embrassa la jeune femme au creux de l’oreille avant de lâcher son étreinte. C’était déjà suffisant qu’il la fasse revenir sur l’heure du déjeuner, il n’allait pas pousser le bouchon plus loin. Il s’engagea à faire sa vaisselle puis celle de la jeune femme une fois sa salade terminée. Si le danois avait peu à peu adopter l’habitude de Solveig de prendre des plats à emporter, il avait toujours insisté pour manger dans de la vaisselle et non dans des boîtes. Tout en essuyant son bol, il observait la jeune femme, concentrée sur son écran d’ordinateur. Il sourit avant de partir d’installer sur le canapé, les mots croisés à la main. Rien de bien violent pour le reste de l’après-midi.

Couché sur le canapé, il grogna en sentait Maroon grimper sur la banquette. Ce dernier profitait largement de l’état d’Aleksej pour prendre certaines largeurs. Une nouvelle fois il laissa faire le chien. Après tout, pouvait-il vraiment refuser quoi que ce soit à qui que ce soit aujourd’hui ? Boule avait suivi son acolyte et se tenait au chevet d’Aleksej, ses grands yeux benêts pointés sur le danois. Aleksej laissa échapper un petit rire. Ce chien aura sa peau un jour. Il attrapa la boule de poil qu’il posa doucement contre son abdomen où elle se lova. L’après-midi s’annonçait paresseuse. D’ailleurs Aleksej ne tarda pas à s’endormir à nouveau.

Janv. 29

Bien que je sois enchantée de constater qu’il ne cherche pas à me contredire, je ne m’attendais pas pour autant à ce qu’Aleksej se mette en position de soumission comme il vient de le faire en se collant à moi et en demandant pardon à de multiples reprises. Comme si j’allais lui en tenir rigueur. Il avait un verre de trop dans le nez, il a dit des choses que je trouve absurdes, nous en avons discuté, je considère donc le problème comme réglé.

Impossible de ne pas lâcher un rire lorsqu’il me demande de ne jamais en parler à sa mère. Qu’il peut être idiot quand il s’y met. Une idiotie que j’aime tout particulièrement chez lui car c’est sa manière à lui de me montrer qu’il reste quelqu’un de sensible malgré ses grands airs de dieu scandinave. Je n’exagère même pas sur le terme, il suffit de voir comment les autres femmes le reluquent quand nous sommes dans la rue. Croyez bien que si nous n’étions pas ensemble, elles lui sauteraient toutes dessus sans attendre rien en retour.

- C’est terrible, tu me demandes déjà de cacher des choses à ma belle-mère.

Le terme est sorti sans que j’y prête attention. Évidemment, il finit quand même par me percuter tandis que je me mets à prier tous les dieux pour qu’Aleksej ne bloque pas sur ce que je viens de dire. Autant dire qu’il n’y a que mon côté naïf qui peut avoir un tel espoir à l’instant T. Evidemment qu’il a entendu. Évidemment qu’il y réfléchit déjà. Tout ce que j’espère, c’est qu’il ne relèvera pas à voix haute. J’ai vraiment du boulot et je n’ai pas le temps pour ce genre de conversation maintenant. Je ne suis pas certaine d’en avoir particulièrement envie non plus.

- Je te laisse gérer la maisonnée pendant que je bosse ?

Et c’est ce qu’il fait. Aleks gère ce qui doit l’être avant d’aller s’installer sur le canapé pour s’endormir peu de temps après, accompagné par nos deux chiens. Je finis par me demander si ces deux-là ne se sont pas bourrés la gueule non plus la veille au soir pour avoir besoin de dormir autant.

Quand j’ai enfin fini, il est 16h. Je ne pensais pas que cela me prendrait tellement de temps mais l’important est que tout soit bouclé et envoyé à mes supérieurs. Je ferme le MacBook Pro dans l’espoir de ne pas avoir à le rallumer avant lundi. Cette journée aura été longue mais intéressante malgré tout, que ce soit d’un point de vue professionnel comme privé. Aleks va bien et n’est visiblement pas prêt de se mettre une murge comme celle d’hier et mes patrons ne diront pas que le boulot n’a pas été fait en temps et en heure. Je considère donc que tout est en ordre et que je peux, à mon tour, me laisser aller au repos.