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Si Aleksej avait eu l’intuition de ce qu’était en train de lui dire Solveig, c’était toujours difficile d’entendre la femme qu’on aimait admettre ressentir un tel chaos émotionnel. Il se sentait néanmoins soulagé qu’elle se confie à lui à propos de ça. Ces dernières semaines, leurs échanges avait été plutôt consensuels. Il ne pouvait pas entièrement lui jeter la pierre, il avait fait de son mieux pour éviter d’approcher de près ou de loin le sujet de leur voyage. Ou tout autre sujet délicat.

“Je suis désolé que tu ressentes tout ça.”

Il passa son bras autour de la jeune femme et l’attira contre lui. Il ne pouvait pas faire grand-chose d’autre pour elle, mis à part se montrer présent et la soutenir. Être impuissant à ce point le bouffait. Même s’il savait qu’elle n’était pas une petite chose fragile, ne pas être capable de la protéger et de lui éviter ce genre de souffrance le rendait malade. Dès qu’il avait l’impression que leur vie s’approchait de quelque chose de relativement heureux et serein, le retour de boomerang était douloureux. Il n’était pas naïf au point de penser que tous leurs problèmes se régleraient en un claquement de doigts et qu’ils pourraient faire fi de leur passé simplement parce qu’ils étaient ensemble. Mais c’était un espoir qu’il caressait parfois.

“Et je suis désolé de ne pas avoir pris l’entière mesure de la situation. Tu as toujours été si sûre de toi concernant… l’avenir. Est-ce que… est-ce que c’est quelque chose que tu voudrais considérer ? À laquelle tu aspirerais ? Je veux dire… fonder une famille ?”

Elle avait eu le courage de lui tendre la perche, autant jeter le pavé dans la mare. Il n’avait pas été capable de posé un avis sur la question. Il pensait savoir où il se positionnait, mais aujourd’hui, il n’était plus sûr de rien. La seule chose dont il était certain, c'était son désir de la voir heureuse. Et d’être l’homme aux côtés duquel elle pourrait s’épanouir.

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Bien que je sois réellement touchée par le fait qu’Aleksej se sente concerné par mon “mal-être” du moment, je ne veux pas pour autant qu’il soit désolé pour moi. Il n’y est pour rien et je refuse que cela s’ajoute à la pile de choses auxquelles il a déjà à penser H24.

Je me laisse entraîner dans les bras du danois, appréciant la chaleur de son corps contre le mien. Il cherche à me protéger. Je le connais. Quand il me prend dans ses bras de cette façon, ce n’est pas uniquement pour venir chercher un peu de bien-être. Il cherche à m’apporter un certain réconfort. Non pas que je m’en plaigne, au contraire, mais je sais que mon fardeau (si on peut appeler cela ainsi) est déjà en train de devenir le sien et je déteste ça. Si c’était possible, j'aimerais ne partager que les bonnes choses avec lui et laisser le reste derrière. Malheureusement, après le mélodrame chez Alice et Mark, il est impossible de faire semblant plus longtemps.

La suite des propos d’Aleksej, je ne m’y attends pas. J’aurai pourtant dû le voir venir mais une partie de moi continue de vouloir faire la sourde oreille à ce sujet. J’ai toujours été si sûr de moi, je ne comprends pas pourquoi les choses auraient pu changer là-dessus. Ça n'a aucun sens.

– Je n’en sais rien.

Malheureusement pour le danois qui doit s’attendre à quelque chose de plus concret venant de moi, je ne peux rien lui répondre de mieux.

– J’ai toujours tout vu et vécu au travers du prisme de ma carrière…

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Aleksej n’était pas absolument certain de savoir si Solveig était réellement dans le doute où si elle évitait simplement la question. Ses réponses étaient contradictoires. Il aurait pu le relever. Lui dire que si elle admettait ressentir un malaise à l’idée que William puisse fonder une famille et pas elle, la réponse était déjà formulée. Mais il n’en avait pas le courage. Mettre l’ambivalence de ses réponses sur le dos de la confusion était bien plus facile. Parce qu’il avait envie de lui dire qu’il était prêt à en parler, à mettre le sujet sur la table, comme une question ouverte. Sauf que pour lui, rien n’était moins sûr.

Il ne savait pas s’il était capable de changer ce qu’il ressentait à l’évocation d’avoir des enfants. C’était une porte fermée de son esprit, un passage défendu. Une porte qu’il ne chercherait pas à ouvrir que s’il était absolument certain de l’impériosité de circonstances. Un dernier recours, une issue de secours. Il embrassa le sommet du crâne de Solveig avec une infinie tendresse. Malgré leurs discours d’indépendance, ils avaient bien changé tous les deux au contact de l’autre. Aleksej se sentait différent mais paradoxalement plus en accord avec lui-même. Et tout cela ne faisait aucun sens dans sa tête.

"C’est ok aussi, parfois, de ne pas savoir."

Il fronça alors les sourcils en entendant la jeune femme parler de son travail. Si Solveig avait bien un défaut, c’était celui de s’évaluer en fonction des résultats. Des chiffres tangibles. Pour un homme aussi cartésien que le Danois, c’était un mécanisme tout à fait compréhensible. Mais il n’était pas du même avis que la jeune femme. Il ne serait pas tombé amoureux d’elle si elle n’avait été qu’un bourreau de travail. Ce qui avait attisé sa curiosité de prime abord était tout autre. Cette vulnérabilité sous cette carapace solide.

"Je ne suis pas d’accord avec toi. C’est peut-être la manière dont tu te vois et c’est bien dommage. Mais quand tu choisis de passer du temps avec tes amis, quand tu choisis de t’investir dans une association comme La Parole des Dames ou El Alito, quand tu défends un client qui n’en a pas les moyens, ou quand tu décides de tout laisser en plan pour partir en week-end à Montauk avec moi… ce ne sont jamais des décisions que tu prends à travers le prisme de ton travail… et je pourrais te citer de nombreux autres exemples..."

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Non. Non, ce n’est pas OK de ne pas savoir. Au contraire, même, ça me bouffe complètement sans que je ne parvienne à l’admettre. J’ai besoin de savoir, de comprendre les choses, en particulier celles qui me concernent en premier lieu. Comment suis-je censée tenir bon au quotidien si je ne suis même pas foutue de me comprendre un minimum ?

Mes yeux se ferment brutalement lorsque j’entends Aleksej énumérer bon nombre de choses qu’il considère comme étant des preuves du fait que je ne prends pas toutes les décisions de ma vie vis-à-vis de mon travail.

– Tout ce que je veux dire c’est que… Est-ce que notre travail n’a pas, pendant longtemps, été notre plus gros point commun ? Le fait que toi comme moi ne soyons pas capables de lâcher prise tant qu’un dossier était en cours ? Je ne sais pas ce que c’est que de ne pas travailler, de ne pas me plonger dans des affaires passionnantes qui m’empêchent de dormir. Et je sais pertinemment que tu sais de quoi je parle.

Suis-je claire dans ce que je raconte ? Comprend-t-il où je veux en venir ?

– La vérité c’est que j’ai peur de te voir réussir à décrocher de ton boulot tandis que moi, j’ai l’impression de ne me raccrocher qu’à ça malgré le fait que j’ai autre chose dans la vie.

Est-ce que William a toujours eu raison à mon sujet ? Est-ce que je suis un robot qui ne pense qu'au boulot sans être en mesure de faire passer mes proches avant tout ? Est-ce que je suis bonne pour rester seule parce que je ne sais rien faire d'autre ?

– Qui me dit que tu resteras...?

Ces mots-là m'échappent.

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Les sourcils d’Aleksej se froncèrent une nouvelle fois en entendant Solveig réfléchir à voix haute. Bien sûr, ils avaient tous les deux la passions du droit et une conscience professionnelle aigu. Mais il n’avait jamais considéré cela comme étant leur plus gros point en commun. C’était juste un bonus qui simplifiait leur relation car ils étaient capables de comprendre leurs impératifs de travail respectifs. Mais ce n’était pas ce qu’il considérait comme la pierre angulaire de leur couple. Ce n’était pas ce qui les avait rapproché au début et d’entendre Solveig insinuer le contraire ne sonnait pas de manière agréable aux oreilles du Danois.

“Je ne suis pas d’accord avec ça… en tout cas, ce n’est pas de cette manière que je vois les choses.”

Malgré sa retenue, une pointe d’irritation était perceptible dans sa voix. Mais il ne voulait pas développer ce sujet-là plus en profondeur car il sentait bien que Solveig n’était pas arrivée au bout de son raisonnement. Aleksej déglutit en entendant la jeune femme lui dire qu’elle avait l’impression de ne pouvoir se raccrocher qu’à son travail. Il baissa les yeux et mâchouilla sa lèvre inférieure. Ce n’était pas quelque chose d’agréable à entendre mais il ne pouvait qu’accepter la manière dont la brunette ressentait les choses. Après tout, elle avait dix ans de moins que lui et était prise dans l’élan de sa carrière. Et même s’il espérait que les choses soient différentes, il savait parfaitement dans quelle position elle se trouvait. Son travail avait été la bouée de sauvetage qui l’avait empêché de se noyer après le drame qu’il avait vécu.

“Je… je comprends.”

Il releva la tête en entendant Solveig lui poser une question à laquelle il ne s’attendait pas. La crainte que ressentait la jeune femme à l’idée que le Danois puisse penser à la quitter, il ne l’avait pas vu venir. Dans sa tête, cette idée était inconcevable. Aleksej caressa la joue de Solveig et l’attira doucement vers lui avant de poser son front contre celui de la jeune femme.

“Je t’aime et tout ce que je veux, c'est qu’on soit ensemble. Est-ce que ça t’en dit assez ?”

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“Je ne suis pas d’accord avec ça… en tout cas, ce n’est pas de cette manière que je vois les choses.”

Nous nous sommes rencontrés grâce au travail, ça, Aleksej ne peut pas le nier. Sans ce fameux gala professionnel auquel il était convié lui aussi à l’époque, nos chemins ne se seraient jamais recroisés. Comment ne peut-il pas penser que nos destins ont été liés grâce à notre milieu professionnel ? Comment parvient-il à voir au-delà du caractère juridique de notre rencontre initiale ?

“Je t’aime et tout ce que je veux, c'est qu’on soit ensemble. Est-ce que ça t’en dit assez ?”

En tous les cas, je souhaite que ce soit assez. Cependant, j’ai peur de ne pas être assez pour Aleksej sur le long terme. Encore une fois, les paroles de William à mon égard ont été difficiles à encaisser mais cela ne les rend pas moins vraies pour autant.

Je redresse suffisamment la tête et viens l’embrasser tendrement avant de recoller nos fronts l’un contre l’autre. il y a une véritable symbiose entre le Danois et moi, j’en ai parfaitement conscience. Malheureusement, je crains que cette symbiose ne s’effrite avec le temps et mes coups de nerfs comme celui qui s’est produit chez Alice et Mark. Combien de temps Aleks acceptera-t-il de subir tout cela ? Pourquoi aurai-je constamment le droit à une nouvelle chance quand on sait qui je suis et ce que j’ai pu faire par le passé ?

– Tu m’aimes malgré le fait que j’ai empoisonné ta nourriture il y a toutes ces années ?

Si je pose cette question, c’est parce que je sais qu’elle va faire sourire Aleks. Il m’a déjà dit m’avoir pardonné depuis longtemps mais je ne peux pas m’empêcher de ramener le sujet sur la table de temps à autre, de manière à faire retomber la pression. Comme maintenant, donc.

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Aleksej aurait voulu que Solveig puisse le prendre au mot. Mais il voyait bien dans le regard de la brunette que le doute persistait. Il lui rendit son baiser avant de la serrer un peu plus contre lui. Comment lui prouver que ce qu’il ressentait n’étaient pas juste des paroles en l’air alors même qu’il avait l’impression qu’il devait lui donner plus d’espace. Il avait conscience qu’en deux ans les choses étaient allées très vite. Pour lui en tout cas. Mais il n’était pas question de mettre un frein à ses sentiments. Cela faisait aussi partie de l’homme qu’il était. Il n’avait pas de demi-mesure. Il ne pouvait pas aimer Solveig un peu, ou juste à moitié.

Quand Solveig remit l’histoire de l’empoisonnement sur le tapis, le Danois laissa échapper un léger rire. Il secoua doucement la tête en souriant avant de relever le menton de la jeune femme pour venir l’embrasser avec tendresse.

“Ma belle empoisonneuse… Techniquement, si on y pense, l’un ne va pas s’en l’autre. C’est parce que tu m’as drogué que je suis tombé amoureux de toi… Enfin, pas parce que tu m’as drogué mais enfin… c’était une réaction en chaine.”

Parce qu’elle avait abordé ce sujet-là, Aleksej comprit qu’elle n’était pas prête à mener ce combat plus en avant. Il savait pourtant qu’il y avait encore des abcès à crever, des voiles à lever. Mais des combats, il y en aurait d’autres. Qui jalonneraient leur vie à deux. Comme tout le monde, probablement. Un pas après l’autre. Ils avaient peut-être assez avancé pour ce soir. Était-ce un comportement lâche ou simplement prudent ? Ce dont il était sûr en tout cas, c’était l’effet que lui faisait son regard sur lui, la chaleur qui se diffusait dans son corps quand elle posait ses lèvres sur les siennes, la manière dont ses muscles se détendaient quand elle passait sa main dans ses cheveux.

“Mais pour effacer le moindre doute, il est évident que je vais me dévouer pour te montrer comme je t’aime…”

Tout en soulevant doucement la jeune femme, il l’entraîna avec lui sur leur lit. Parce qu’il la désirait. Mais également parce qu’il n’existait pas pour lui de preuve plus pure de son amour pour elle.