Ton plus gros problème à l’heure actuelle ? Apprendre à aligner un pied devant l’autre sur une piste de danse.
Ina est du genre à s’investir dans les activités associatives de son lieu de travail. En grande adepte de karaoké, elle vient tout juste de rejoindre le Glee Club du lycée dans lequel elle bosse. Et si elle se débrouille pour chanter à peu près correctement, elle devient une catastrophe ambulante dès qu’il s’agit de danser. Hors de question qu’elle bousille les efforts de tout le monde en gigotant n’importe comment pendant les chorégraphies... Il va donc lui falloir quelques cours de salsa pour régler ce petit problème de coordination. De toute urgence.

Une addiction à déclarer ? (Le café et les réseaux sociaux comptent aussi bien entendu on est là pour être honnêtes). Un crush éperdu sur son lieu de travail, ça compte ? Ina sait que c’est stupide, elle-même se trouve ridicule. Pourtant, elle ne peut pas s’empêcher de faire des plans sur la comète et de frémir au moindre regard échangé au détour d’un couloir. Une vraie adolescente.

Comment s’est terminé ta dernière relation ? Sa dernière relation amoureuse est assez anecdotique. En revanche, Ina a été très marquée par une relation amicale fusionnelle, qui remonte à ses vingt-et-un ans.
Ina venait à peine de quitter le cocon familial. Submergée par les défis de la vie d'adulte, elle a ressenti le besoin de se raccrocher à quelque chose. Ou plutôt à quelqu’un. Elle a jeté son dévolu sur une jeune femme un peu plus belle, un peu plus apprêtée et un peu plus aisée qu’elle. Très vite, les gens ont eu tendance à comparer les deux amies, à les mettre en compétition, ce qu’Ina a très mal vécu. Leur amitié s’est doucement transformée en haine, jusqu’à voler en éclats.
Depuis, Ina se méfie des amitiés trop intenses. Elle a également beaucoup de mal à supporter les femmes qu’elle juge « trop sophistiquées » ou « trop girly ». Elle qui se targue d’être féministe, elle aurait bien besoin que quelqu’un lui explique le concept de sororité.

Le dernier texto que tu as envoyé ? Au groupe Messenger de son équipe de roller derby : « La première qui arrive en retard à l’entraînement sera de corvée nettoyage des vestiaires pour le restant de ses jours (je suis sérieuse) » suivi, quelques minutes plus tard, d’un « réflexion faite, je la découpe en morceau et je l’enterre sous un parterre de pétunias (je suis toujours sérieuse) » – Ina ne plaisante pas avec la ponctualité.

Ta relation avec tes parents on en parle cinq minutes ? Ina a grandi sans sa mère. Elle a longtemps pensé qu’elle n’éprouverait jamais son manque. Mais avec le recul, elle se rend compte que son absence a créé un vide. Ina n’a eu ni sœur, ni tante pour occuper ce poste de figure maternelle laissé vacant. C’est sans doute pour cette raison qu’elle se retrouve aujourd’hui, à 31 ans, avec sa féminité sur les bras.
Son père, lui, s’est montré très aimant. Lorsqu’elle était enfant, il lui écrivait des lettres en les signant du prénom de sa mère, comme si celle-ci n’avait jamais cessé de penser à eux. Mais élever une fille est un challenge qui l’a très vite dépassé. Alors il a fait comme il a pu. Pas convaincu par le système éducatif, il a poussé Ina à quitter les bancs de l’école aussi tôt que possible pour qu’elle vienne bosser dans son garage automobile, jusqu’à sa majorité. Un choix discutable, qui a néanmoins permis à Ina de développer une certaine habileté de ses dix doigts, ainsi qu’une facilité à s’imposer dans un monde exclusivement masculin.
Une part d’Ina regrette aujourd’hui cette décision : au fond, elle aurait aimé qu’on lui donne toutes les clés pour se sentir moins étrangère aux milieux « huppés » et « intellectuels ». C’est pour cette raison qu’elle a choisi de travailler au lycée de Staten Island. Elle espère contribuer à donner aux jeunes les moyens d’échapper au déterminisme social.

En dehors du boulot, des études, tu fais quoi ? Ina est capitaine d’une team de roller derby, les Cherry Bombs – en référence au morceau des Runaways. Les cherries, c’est son safe space. Elle a pensé le groupe comme étant le plus inclusif possible et a fait en sorte qu’il s’inscrive dans la perspective émancipatrice inhérente au roller derby. Lolitrash (son derby name) est une vraie compétitrice, pourtant on lui reproche parfois d’être un poil trop maternante, de ne pas suffisamment éprouver son équipe. Car au-delà de « la gagne », ce qui importe surtout à Ina, c’est de conserver l’harmonie et la cohésion des cherries.
Au roller derby, auquel elle consacre ses week-ends entiers, s’ajoutent les cours de salsa,  les répétitions du glee club plusieurs soirs par semaine, et les surveillances de nuit à l'internat des filles... Autant dire que l'emploi du temps d’Ina est bien rempli.

Un fait peu glorieux à nous raconter ? Faire un resto-basket éméchée, voilà qui n’est pas très malin, surtout quand le restaurant en question est situé juste en bas de chez soi. Ina s’en veut mais n’a jamais osé y retourner pour payer l’addition. Depuis, lorsqu’elle passe devant (soit tous les matins en allant bosser), elle se sent obligée de baisser la tête ou de plonger le nez dans son téléphone pour que le malaise soit un peu plus soutenable.