Elle s’est fait marrer toute seule, Carla, quand elle a envoyé le dernier sms au fameux Alexis. Elle allait passer pour une alcoolique entre l’appel en pleine nuit bourrée et ses allusions au fait qu’elle prendrait volontiers plusieurs bières, mais elle est comme ça, elle ne fait pas dans la dentelle. D’ailleurs, elle ne peut s’empêcher de penser que pour une fois, son look bien féminin qui contraste tellement avec sa personnalité sera peut-être un atout. La jeune femme ne s’épanche pas plus que ça sur le qui quoi comment de tout cela, ayant davantage tendance à croire au destin ou aux heureux hasards de la vie qu’à chercher des raisons rationnelles aux choses ; et poursuit sa journée comme si de rien n’était, tout de même impatiente de rencontrer en chair et en os cet Alexis qui a l’air fort bien sympathique.

La jeune femme passe au commissariat, bien qu’étant en jour de repos. Dans la matinée, une hypothèse lui est venue en tête concernant l’affaire sur laquelle elle travaille actuellement, et elle a donc besoin de faire quelques recherches pour savoir si ça ne pourrait pas être une réelle piste. Elle salue un collègue en passant, qui ne prend pas la peine de lui répondre, ce qui ne l’étonne guère, malheureusement ; puis continue son chemin jusqu’à son bureau. Une bonne heure sur l’ordinateur à fouiner dans différents logiciels et la voilà qui va faire un tour dans la salle des pièces à convictions pour n’en ressortir qu’une heure plus tard, le sourire aux lèvres. Persuadée d’avoir mis le nez sur quelque chose, elle met un post-it sur le bureau de son supérieur avant de retourner à sa journée de repos.

Carla passe ensuite à la librairie rapidement, ayant promis à sa mère de lui acheter un présent pour sa visite à venir à New-York et après un petit moment à hésiter, elle acquière ce qui l’intéresse. Enfin, direction l’outpost, bondé à cette heure, pour son plus grand plaisir. Elle s’installe à une table proche du bar, à l’occasion salue quelques connaissances et finit même par accepter une partie de fléchettes, quand soudain elle entend son nom résonner au loin. Elle fait attention à ne pas se retourner, ne voulant pas rendre le jeu trop facile, mais un sourire se dessine sur son visage, amusée par la situation sans pouvoir se retenir.

Jouer ainsi la ravie. Carla n’a pas toujours l’occasion de faire des rencontres énigmatiques ou de vivre des choses un peu folles. Son métier est assez trépidant comme ça pour qu’elle ne ressente pas le besoin de mettre de l’action une fois l’uniforme déposé au vestiaire. Elle scrute Alexis de haut en bas, se voulant assez discrète pour ne pas déjà dévoiler qui elle est et le fait qu’elle est celle qu’il cherche. Elle ne s’attendait pas vraiment à voir quelqu’un qui a sans doute une dizaine d’années de plus qu’elle. Préjugés idiots sur le fait que les quarantenaires sont supposés avoir une famille, être rangés, et ne sont pas censés avoir une répartie qui la fait rire. Déjà qu’à 34 ans, on ne cesse de lui demander pourquoi elle n’est pas mariée, comme si c’était une tare et preuve d’une anormalité surprenante. Mais la pensée en reste là, bien sûr, car elle n’accorde aucune importance à l’âge.

« Ça peut valoir le coup. » Elle hausse les épaules dans un sourire. « Et si vous ne les mettez pas, qu’est-ce que j’y gagne ? » Non pas que donner son prénom vaille une quelconque somme. Il est tellement plus drôle de faire croire encore quelques instants qu’elle n’est pas celle qu’il cherche, aussi pour voir quelles vont être les réactions de l’homme. « Ah, et… j’aurais aussi besoin de savoir pourquoi vous avez besoin de mon prénom. » lance-t-elle comme si de rien n’était. « Juste histoire de m’assurer que vous n’êtes pas un pervers. » Elle rit. Elle n’a pas tort dans un sens, on ne sait jamais à qui on a à faire, mais dans le cas présent, entouré de tout un tas de consommateurs d’alcool en tout genre, elle n’a pas grand-chose à craindre. Et puis, malgré sa petite taille et son apparence frêle, son métier fait qu’elle sait se défendre.

Elle lui tend bientôt la fléchette qu’elle s’apprêtait à lancer avant qu’il ne l’accoste afin qu’il puisse réaliser son tir. « Voyons-voir ce que vous valez aux fléchettes, dans ce cas. » annonce-t-elle, tout sourire, alors que quelques regards sont dirigés vers eux, sans raisons apparentes.