C'est fou ce que ça pouvait être bruyant les repas de famille. Il y avait toujours plein de monde, il fallait réussir à suivre plusieurs conversations en même temps, mais ça faisait plaisir de revoir la famille. Alexis ne se sentait pas totalement à sa place, parfois, elle avait encore du mal avec le côté maternel de sa famille. Ils parlaient de sa mère quand elle était jeune, ils étaient heureux et elle, elle avait dû mal à se souvenir de quoique ce soit. Elle avait cette impression de n'avoir jamais connu sa mère et de ne rien pouvoir apporter à ce genre de discussion. Elle aimait bien les écouter, oui, ça lui permettait de connaître ce parent dont elle ne se souvenait plus, mais c'était en même temps très fatiguant. Heureusement, tout le monde était plutôt gentil et elle pouvait compter sur Agnes. Si elle n'avait pas cherché à connaître plus de chose sur sa mère, elle ne l'aurait jamais rencontrée et elle ne pourrait même pas prendre part à ces repas de famille.

Ce n'était clairement pas la même ambiance qu'avec son père, il y avait moins de risques qu'elle s'engueule avec quelqu'un pour des broutilles. Ça restait tout de même très énergivore pour elle, elle était plutôt introvertie et elle avait cette impression de devoir mettre en place un masque dans ce genre d'événement. Il y avait parfois un trop plein, trop de bruits surtout, mais du coup c'était pas très agréable. Heureusement, le repas était terminé, la discussion était toujours animée, mais chacun pouvait commencer à vaquer à ses occupations s'il voulait. Beaucoup était resté dans le jardin, il faisait beau, donc autant profiter du soleil le plus longtemps possible.

Alexis avait suivit sa cousine à l'intérieur pour prendre un café et le calme lui faisait le plus grand bien. Elle aimait bien dire qu'elle appréciait les gens, mais à petite dose. Avec d'autre, elle devait faire attention, se forcer parfois et ce n'était pas toujours facile, ça ne lui venait pas forcément naturellement. Faire la conversation pouvait s'avérer difficile. Surtout qu'elle n'avait pas l'impression de faire partie du même monde qu'eux. Agnes a une grande carrière de comédienne et on peut dire qu'elle a plutôt réussi sa vie, alors qu'Alexis a parfois l'impression de ramer sérieusement. Elle sait bien qu'elle n'arrivera jamais à être au même niveau de vie que sa cousine, elle n'a de toute façon pas la prétention d'être capable d'être à sa hauteur. Tout ce qui compte, c'est qu'elle est heureuse actuellement, son boulot lui plait et elle commence sérieusement à travailler sur elle, notamment avec ses séances de sport à la salle. Ça l'aide, Alexis cherche petit à petit à prendre confiance en elle, et peut-être qu'un jour elle se sentira de tenter beaucoup plus de chose, comme sortir sa basse devant d'autres gens. « Je commençais à fatiguer avec tout le bruit. J'ai l'impression que le repas a bien plu. Ça fait du bien de se retrouver en famille, mais je suis pas sûre d'être capable de faire ça tous les weekend. » Elle dit ça sur le ton de la plaisanterie, elle essaie de commencer une conversation pour prendre des nouvelles de sa cousine. C'est toujours important de s'assurer que les autres vont bien. « Ça va toi ? Tu es pas trop surchargée de boulot en ce moment ? »

De manière générale, les repas de famille sont toujours, pour Agnes, une expérience particulière. Au travers des années, il est devenu assez clair assez vite que sa chère mère n’était intéressée que par une chose, la voir fonder une famille modèle qu’elle pourrait traîner aux brunchs et barbecues du dimanche. Agnes a essayé, parfois, avec certains petits-amis. Elle les a amenés, présentés, tentant de répondre aux attentes de sa mère, non pas par conviction personnelle mais pour avoir un peu la paix. Ces présentations ont toujours fini par une surenchère de questions, de pressions supplémentaires sur la perspective d’un mariage, la volonté d’avoir des enfants, et tant d’autres sujets sans cesse ramenés sur le tapis.

Damian n’est aujourd’hui plus dans le paysage, et Agnes a donc annoncé qu’elle venait seule. Avec un peu de chance, la prochaine fois, c’est avec Harry qu’elle se présentera - mais pour l’instant, elle a jugé plus opportun de venir elle-même non accompagnée, pour que sa mère se fasse à l’idée de son célibat, qu’elle devrait accepter, à force. La pression familiale rend les idées d’Agnes confuses ; elle ne sait même pas elle-même ce qu’elle veut réellement, habitée par une seule certitude, celle de l’homme qu’elle aime et avec lequel elle voudrait se cacher dans sa jolie maison pendant plusieurs semaines, récompenses ultimes à l’attente patiente et à la frustration ressentie pendant des années.

Les bavardages vont bon train, et le soleil autorise un déjeuner dans le jardin. Agnes tente de participer mais ses pensées l’arrachent bien souvent à cette grande table fleurie pour l’entraîner dans un autre paysage, vers d’autres gens ; aussi, une fois les plats vidés, elle décide de débarrasser un peu et, adressant un sourire complice à sa cousine Alexis, qui a bien l’air d’avoir besoin de respirer un peu loin du brouhaha ambiant, se dirige vers la cuisine avec sa complice de fuite. Elle met les plats dans l’évier et les rince à l’eau clair pour que la saleté n’attache pas, puis remet, difficilement, à plus tard leur nettoyage plus approfondi pour se concentrer sur la machine à café qu’elle a proposé à Alexis de faire marcher.

- Ne t’en fais pas pour ça, moi non plus je ne serais jamais capable de faire ça tous les week-end. Le charme d’un déjeuner comme ça, c’est bien qu’il n’arrive qu’occasionnellement.

Agnes sourit - puis grimace à l’idée qu’un tel repas pourrait être organisé toutes les semaines. Ses parents sont très demandeurs, sa mère surtout.

- L’avantage quand on se retrouve occasionnellement, c’est que tout le monde est à peu près content de se voir...

Elle s’autorise un rire léger et tend à Alexis une tasse de café fumant.

- Ca va plutôt, oui, je te remercie. Je vais bientôt entamer les répétitions de School of Rock, j’avoue que j’ai hâte de remonter sur scène, ça me manque assez. Et pour toi ? Comment ça va ?

Agnes la connaissait bien, elle avait compris que la clameur de leur famille commençait à la gêner. Il y avait trop de bruit pour qu'elle se sente bien et elle fatiguait de plus en plus. Elle avait donc suivit sa cousine jusqu'à la cuisine, rapportant au passage quelques couverts sales qu'elle posa dans l'évier en arrivant. Elle regardait sa cousine rincer rapidement des assiettes puis laisser à plus tard cette tâche. Elle commença ensuite à préparer le café se saisissant alors de tout le nécessaire, des tasses et deux capsules. Le café c'était clairement sa spécialité, elle aimait sentir l'odeur des grains fraichement moulu et le sourire qui se dessinait sur le visage de ses clients en recevant une tasse chaude. Elle aimait définitivement son travail et même si parfois elle enviait la vie de star de sa cousine, elle n'en changerai pas de si tôt.

Bien vite, les deux tasses sont remplies et les deux femmes se retrouvent donc avec leur café de l'après-midi. Alexis écoute sa cousine, elles ont eu une vie bien différentes et pourtant sur bien des aspects elles se ressemblent. Elles ont cette envie de réussir, de devenir meilleure. Agnes l'a toujours encouragée à poursuivre ses rêves, à continuer à jouer de la basse, à aller plus loin que ce qu'elle pourrait jamais penser atteindre. Parfois, Alexis imaginait que sa mère serait un peu comme ça si elle était encore vivante. Elle ne se rappelait plus grand chose d'elle et c'était un vide qu'elle ne parviendrait jamais à combler. Adolescente, elle avait désirée la connaître plus que ça, retrouver des gens qui pourraient lui raconter qui elle était. Elle avait rencontré Agnes et tous les autres membres de cette grande famille. L'ambiance n'était pas la même qu'avec son père, elle ne saurait dire si elle arriverait à totalement trouver sa place, mais ça lui avait fait du bien d'apprendre à connaître sa mère. Et depuis, une amitié avait grandi entre Alexis et Agnes.

« Je trouve ça agréable de revoir tout le monde, mais comme tu dis, je pense que si on se voit trop souvent, on commencera à se disputer. Au moins ici, c'est pas comme avec mon père, je déteste aller manger là-bas. Soit on s'engueule et du coup ça casse l'ambiance, soit je l'évite pour ne pas qu'on s'engueule. C'est chiant à force tout ça. Mais là, j'ai passé un bon moment et je peux profiter de ma cousine préférée ! » Elle avait un grand sourire en écoutant les dernières nouvelles d'Agnes. C'est toujours avec le sourire qu'elle répondit à ses questions. « J'essaierai de venir te voir sur scène quand ça sortira. J'aime bien te regarder jouer, je sais pas comment tu fais pour habiter comme ça un nouveau personnage. De mon côté ça va très bien, le boulot me plaît toujours. Je crois que je vais pas en changer avant un moment. J'aime bien voir les gens heureux en leur servant une boisson ou une viennoiserie, c'est assez gratifiant. »