Un rapide coup de lavette sur une table avant que les prochains clients s'installent, puis je retourne derrière le bar, comme si c'était ma maison. En réalité, c'est un peu comme si c'était le cas. Je viens régulièrement donner un coup de main à ma sœur le samedi soir quand je n'ai rien à faire et que je ne viens pas en tant que cliente. Ca m'occupe, et puis, c'est pas comme si ça me dérangeait, au contraire, dès que je peux aider, je le fais sans hésiter. Surtout quand il s'agit d'Eryn.

Je prends une petite pause pour, d'un mouvement de la main droite, me faire un peu d'air près du visage. A force de s'activer comme ça, avec le monde qui s'accumule et les températures qui remontent un peu en extérieur, il fait vite chaud dans le pub. Je scanne la pièce du regard, observe les clients, parce que j'aime bien aussi faire attention à ce qu'il ne se passe pas de bagarre ou de geste inapproprié dans le bar. Quand c'est le cas, je courre vers Eryn pour lui dire, et elle décide de ce qu'elle veut faire avec la ou les personnes concernés. Mais ce soir, tout à l'air de bien se dérouler, et tant mieux. La seule chose qui attire mon regard, c'est le jolie blonde au bar, qui semble avoir eu un coup de téléphone qui ne lui a pas plu. Elle a déjà un verre vide en face d'elle, et, telle une véritable Sherlock Holmes, je devine la situation. « Lapin ? » Je lui demande - sans trop de tact, je l'avoue. J'appuie les paumes de mes mains sur le bar, je me suis approchée en face d'elle, puisque je suis toujours derrière celui-ci. « Tu veux un remontant ? C'est pour moi. » Et puisque je ne me permettrai pas de distribuer des verres gratuits aux inconnus, je mettrai un peu de mes sous dans la caisse en fin de soirée. « C'est que ça devait pas se faire, c'est tout. » Je suis un peu nulle quand il s'agit de remonter le moral des gens, surtout de ceux que je ne connais pas. Mais au moins, je ne sors pas de phrase bateau toute pourrie à la "un de perdu, dix de retrouvés", parce qu'il n'y a rien de pire que ça, selon moi.

« Tu sais quoi ? C’est même pas la peine, laisse tomber. » Clare raccroche au nez de son rendez-vous-pas-rendez-vous dans un soupir las et repose son téléphone sur le comptoir du bar. Après un retour de deux semaines sur tinder, persuadée par une amie que ça lui ferait du bien de voir du monde, un seul de ces matches ne l’avait pas déçue après maximum dix échanges de messages. Loin de passer pour un crétin fini, Tom avait réussi à lever chacune des barrières de méfiance que Clare avait à son égard avec une trop grande aisance pour qu’avec le recul, la blonde ne trouve pas ça louche. Depuis le moment où ils avaient convenu de ce rendez-vous, elle n’avait fait que de se plier aux exigences de monsieur, pensant qu’elle lui devait bien ça puisque son emploi du temps de ministre n’avait pas facilité le choix d’une date. Il avait donc décidé qu’ils iraient boire un verre, choisi l’heure qui lui convenait le mieux et surtout le bar, dont l’ambiance musicale sortait totalement la comédienne de sa zone de confort.

Tout ça pour faire plus ou moins le mort pendant une semaine et annuler une demi-heure après l’heure prévue. Fuck it, I’m done. Pour se consoler, elle lève sa pinte, tout cela pour se rendre compte qu’elle avait déjà eu le temps de la vider entièrement. Décidément, les dieux ont décider de tester sa patience. Elle lève les yeux au ciel, définitivement saoulée, et c’est ce moment que choisit la barmaid pour lui adresser la parole.

Son intervention suffit à lui rendre le sourire. Une véritable gentillesse se dégage d’elle et elle hausse les épaules. « Yup. », se contente-t-elle de grogner comme toute réponse. « Je veux bien une autre bière, s’il te plaît. Mais je la paierai, j’y tiens - j’allais en commander une autre de toute façon. » Elle lui adresse un sourire sincère. Evidemment que ça ne devait pas se faire, si elle avait voulu être un tout petit peu honnête avec elle-même, elle s’en serait doutée et ne se serait même pas donné la peine de sortir de chez elle. « J’arrête les mecs à tout jamais, c’est dit. On vient de se rencontrer mais je te charge d’ores et déjà de la lourde tâche de me le rappeler à chaque fois que j’aurai la bonne idée de vouloir recommencer. » A peine dramatique… Clare hausse les épaules et ricane. « Vaut mieux en rire, tout ça tout ça. Enfin, j’arrête, tu dois en avoir marre d’entendre les plaintes de tous les clients qui passent, à force. »

Je tourne les talons pour aller lui servir une seconde pinte, tournant le dos quelques secondes à la blonde. Après lui avoir posé sa boisson en face d'elle, j'esquisse un léger sourire à ses mots. On ne va pas se mentir, ce genre de phrases, je les ai souvent entendues, mais pas par le biais de clients, plutôt de la bouche d'amis. « Un client grognon qui se plaint en faisant la gueule, c'est une chose, » je commence, tout en appuyant mes coudes sur le comptoir du bar « mais quelqu'un qui rigole de sa situation et prend pas tout au premier degré, c'en est une autre. » Et en soi, les plaintes régulières que je peux avoir de la part de clients au café ou ici ne me dérangent pas plus que cela en règle générale. Sauf le jour où j'avais eu ce problème avec la machine à café, là c'était un peu différent. « Tu le vois depuis longtemps, ce mec ? » Je me permets de faire la conversation à la jeune femme, m'intéressant à ses histoires, sans trop me rendre compte de si je dépasse les bornes ou pas avec mes questions. Mais tant qu'elle ne me le dit pas, je ne saurai pas si je fais un faux pas, loin de moi l'envie de l'embêter, mais elle a l'air plutôt sympa et il n'y a pas de client qui attend une commande, pour une fois que j'ai quelque minutes de répit depuis le début de la soirée, j'en profite pour faire connaissance avec la blonde. « Après, faut pas généraliser non plus, des types bien y'en a. J'sais pas où, mais y'en a. » Même si parfois, tu crois que tu fais une belle rencontre avec quelqu'un de cool, et puis tu finis par te rendre compte que c'est juste un autre petit con parmi tant d'autre. *tousse* Noah *tousse Malgré tout, j'essaye toujours de voir le verre à moitié plein. C'est plus agréable de vivre sa vie comme ça.

Si Clare est du genre discrète en temps normal, on ne peut pas nier qu’elle vient du monde très dramatique du musical theatre. Ce soir ne déroge pas à la règle puisqu’elle se rend coupable de mélodrame face à une parfaite inconnue, à qui elle s’empresse de s’excuser. Peut-être bien que la première pinte qu’elle vient de terminer était plus forte que prévu, peut-être aussi qu’en commander une seconde n’était pas l’idée du siècle. Oh, au pire, elle prendra le taxi. Foutu pour foutu… « Si je devais chouiner à chaque fois qu’un mec se comporte comme un abruti, je serais pas rendue. », ricane-t-elle cependant à la remarque de la barmaid. Elle lui fait la gentillesse de prétendre s’intéresser à son histoire de date raté et si la comédienne doit être honnête, elle doit reconnaître qu’elle y met du cœur. Suffisamment pour que ça lui fasse plaisir. Désinvolte, elle répond : « Non, ça fait deux semaines qu’il me bassine pour qu’on boive un verre. Tout ça pour annuler alors qu’il est déjà en retard. Un classique, en somme. » Clare hausse les épaules, à peine dépitée. A vrai dire, elle n’est pas surprise, elle ne s’attendait pas à grand-chose non plus. Autant passer à autre chose.

Mais la barmaid n’en a pas fini avec elle. Vraiment, elle est adorable, et elle donne presque l’impression de ne pas s’ennuyer. Ou du moins, d’en avoir quelque chose à cirer. Les doigts de Clare pianotent, faisant tinter ses ongles contre son verre. Si elle ne doute pas qu’il y a des mecs bien sur terre, elle n’est pas certaine d’avoir envie de réitérer l’expérience de sitôt. D’abord ce crétin de Damian, dont elle avait mis plusieurs mois à se remettre – non pas qu’elle ait été si accrochée à cet homme en particulier, il n’est finalement qu’un abruti parmi les autres, mais cet abruti-ci lui aura mené la vie dure -, puis cette mésaventure ? Pas étonnant qu’elle préfère boire. « Yeah, call me when you’ve found one. In the meantime, I’ll stick to beers. » And anyone who doesn’t refer to themselves as cisgender male, as far as she’s concerned. Elle tait sa pensée cependant, réalisant qu’elle en a déjà beaucoup avoué à une parfaite inconnue. Aussi, elle lève son verre en guise de remerciement, de toast, peu importe. « Au moins j’aurai découvert un bar dans lequel je ne serais jamais rentrée autrement, j’ai pas tout perdu. C’est sympa. C’est toi qui gères ? » D’habitude, Clare n'est pas du genre à faire du small talk pour le principe, sûrement pas à de pauvres barmaids qui n’ont rien demandé. Mais celle-ci lui a l’air sympathique et ouverte à la discussion, et après tout, la blonde est destinée à passer sa soirée seule. Autant en profiter.

Je soupire en entendant la blonde me raconter l'historique du date avec ce gars, qui clairement avait déjà l'air d'être un chouille forceur, à en juger ses paroles. « T'as pas l'air d'avoir loupé grand chose, » je parle sans même connaître le fameux garçon, alors que si ça se trouve, il a vraiment eu un imprévu ce soir et il a peut-être une excellente raison pour annuler ce date. Je devrais peut-être lui laisser le bénéfice du doute or whatever. Mais honnêtement, flemme maintenant. Moi aussi j'ai été ditched comme un sac poubelle par des mecs, usually des mecs. « Honnêtement, on dirait que c'est lui qui passe à côté de.. quelque... chose. » Je me racle la gorge, soudainement lucide face à mes propres paroles. Avant que les mots se glissent entre mes lèvres, je ne m'étais pas rendu compte de ce que je disais. Je baisse brièvement les yeux, faisant mine de chercher quelque chose derrière le bar. Je sens mon visage chauffer, damn, je rougis, act quick Daisy act quick, et, comme si ça allait cacher la nouvelle teinte rosée de mes pommettes, je replace mes mèches de cheveux derrières mes oreilles, et me retourne rapidement pour me verser un verre d'eau.

Quand je me retourne, la blonde dit qu'elle préférera la compagnie de bières plutôt que de mecs dorénavant, et lève son verre. Je l'imite, trinquant avec elle avec mon verre d'eau, « T'as pas tort, elles au moins ne te poseront pas de lapins ! » Un peu maladroit, certes, mais je ne m'en rends pas vraiment compte tout de suite. Non, ça ça sera ce soir, alors que je serais sur le point de m'endormir et que je me referrai toutes les conversations de la journée en boucle dans ma tête. Là, je me rendrai compte d'à quel point j'ai été awkward avec la jolie blonde. « Non ! J'suis même pas vraiment employée, » je lui réponds en riant un peu, avant de prendre une gorgée d'eau. « c'est le bar de ma soeur. Je lui donne un coup de main quand elle a un employé en arrêt, quand elle est en galère, quand y'a du monde ou juste... quand je m'ennuie, comme ce soir.  » Je hoche la tête et fais un signe de la main pour montrer les murs, la déco à l'image d'Eryn. « C'est cool hein ? Elle a vraiment bien géré son truc.  » Et puis ça marche ! Je suis particulièrement fière de ma soeur quand je vois ce qu'est devenu l'Overkill.

La barmaid est décidément très mignonne. Et pleine de sagesse. Enfin, sagesse n’est peut-être pas le mot, on pourrait plutôt parler de bon sens, j’imagine. En effet, Clare n’a pas l’impression de louper grand-chose de son date écourté du jour. Il se pourrait même qu’elle en ait déjà fait le deuil. Parce qu’au fond d’elle, la blonde n’avait peut-être pas très envie de rencontrer ce mec, finalement. Alors, elle gratifie la jeune femme face à elle d’un sourire amusé alors qu’elle secoue la tête : « Non, non, c’est sûr. », commence-t-elle doucement, pour ponctuer le discours de la brune. Mais en entendant sa réplique suivante, son sourire s’élargit, le rouge aux joues. « M… merci ? », elle bredouille au milieu d’un rire gêné. Un peu perturbée, pas certaine d’avoir le droit de l’être, d’ailleurs, elle baisse les yeux et se noie dans sa pinte. La barmaid quant à elle s’enfuit quelques instants, aussi, Clare décide de mettre cet instant de côté dans un coin de sa tête. Il n’y avait sûrement rien d’autre à y voir qu’un simple compliment. C’est tout.

Tentant tant bien que mal de retrouver une couleur humaine – à savoir, le blanc cadavérique qui lui sert habituellement de peau -, elle boit une longue gorgée de sa bière avant d’oser refaire face à la brune qui a refait surface face à elle. La remarque de cette dernière, maladroite, arrache à Clare un éclat de rire. Loin de se moquer, au contraire, elle réplique : « C’est clair ! Et c’est pas cette bière qui risque de me décevoir, finalement, elle va faire exactement ce qu’on attend d’elle. » Elle lève son verre de quelques centimètres puis hausse les épaules. « Enfin, pour ça faudrait peut-être que je la boive moins vite, sinon je vais autant regretter qu’un mauvais rencard. » La blonde se complaît beaucoup de la manière dont tournent les évènements. Et puisqu’elle a vraiment très envie de continuer à discuter avec cette pauvre barmaid qui ne fait que son job, elle commence à lui poser des questions. « C’est hyper cool, elle peut être fière. », elle acquiesce d’un signe de tête approbateur. « Pas du tout mon style musical à la base, je vais pas te mentir, mais je pense qu’on aurait tort de se refuser de découvrir quelque chose de nouveau parce que ça nous semble inconfortable. Bref, désolée, c’est la bière qui tape, ça me rend bavarde. » Ses joues se teintent à nouveau de rose et elle secoue la tête, embarrassée. « Je, je m’appelle Clare, au fait. » Comme si elle en avait quelque chose à faire, Perkins. Oui, décidément, il va falloir boire un peu d’eau. Ou manger un truc.

La jolie blonde assise au bar en face de moi m'aide à passer le temps de cette soirée où il n'y a pas tant de monde que ça au bar. Je lève mon verre d'eau quand elle lèves a bière, et bois quelques gorgées quand elle me révèle qu'elle boit trop vite pour le bien être de son système digestif. « Fais attention, t'as pas envie de te lever avec une gueule de bois demain matin. » Puis je hausse les épaule et fait la moue. « quoi que, peut-être que si en fait, j'en sais rien. Mais saches que je ne laisse jamais un client rentrer chez lui en voiture après avoir trop bu, alors j'espère que t'as pris ta carte de métro.  »

Puis on parle de l'Overkill et ma fierté de petite soeur prend le dessus, j'ai le sourire jusqu'aux oreilles et je ne serais pas étonnée si on me disait que j'avais des étoiles dans les yeux. « Je pense qu'elle l'est, en tout cas, moi j'le suis pour elle. T'écoutes quoi, toi comme genre de musiques ? » J'enchaîne en me reversant de l'eau dans mon verre. Parce qu'elle vient de me dire que c'est pas le rock son truc, mais il y a des tonnes de styles de musique différents, et savoir ce qu'elle écoute pourrait peut-être m'aider à en savoir plus. J'ai toujours trouvé que fouiller les playlists de quelqu'un en disaient longs sur l personnalité de cette personne. Parce que généralement, la musique qu'on écoute va avec notre mode de vie, ce qu'on aime faire et ce qui est important pour nous. Pas que quelqu'un de doux ne puisse pas écouter de hardrock ou que les fans de heavy metal aiment crier dans leur temps libre; non. Mais si on &écoute de la musique pour danser, souvent c'est qu'on est quelqu'un qui aime faire la fête, s'amuser, si on écoute de la musique pour les paroles, je trouve que souvent on est quelqu'un de sensible, d'empathique. Bref, il y a pleins de justifications possibles à ma théorie. Et je suis sûre qu'il y a pleins de contre exemples aussi. C'est juste comme ça que je vois les choses. « Moi c'est Daisy. Et non, je n'ai pas de petit copain qui s'appelle Donald. » Je souris, parce que c'est une blague qu'on a souvent essayé de me faire, et que je préfère get it over with myself.

Si Clare avait su qu’elle sympathiserait avec la barmaid plutôt que de subir un date avec un énième mec inintéressant, elle aurait beaucoup moins hésité, beaucoup moins stressé aussi. Comme quoi, elle n’est vraiment pas prête à recommencer à voir des gens, n’en déplaise à ses potes qui l’ont un peu charriée pour qu’elle se fasse un profil sur différentes applications de rencontre. Il faudra qu’elle leur dise. Et qu’elle désinstalle tout ça. Flemme, après tout. La compagnie est cependant agréable ce soir, et Clare s’autorise à se détendre un peu maintenant qu’il est certain qu’elle n’aura pas à faire bonne impression face à un type dont elle n’a que peu à faire, bien que la bière commence à lui taper sur l’organisme. « Nan, mais t’as raison, puis boire seule, tu parles d’une super soirée. Definitely not worth the hangover. » La brune hausse les épaules et repousse son verre un peu plus loin d’elle pour ralentir sa consommation. Une chose est sûre, après ça, elle repasse au soft. Et peut-être bien qu’elle s’offrira un petit quelque chose à manger, tiens.

La conversation dérive sur le bar, sur sa gérante qui est en fait la grande sœur de la jeune femme, et sur les goûts musicaux de chacun. Difficile de ne pas passer à côté de l’atmosphère de l’Overkill. Clare ne juge pas le moins du monde, ne s’en trouve même pas mal à l’aise, que du contraire, même si elle doit bien l’avouer, sans un coup de pouce du destin, elle n’aurait jamais pensé à mettre les pieds dans ce genre d’établissement. Et lorsque la barmaid lui demande ses goûts musicaux, Clare répond sans hésiter : « De tout. Je sais, ça fait générique un peu comme réponse, mais c’est vrai ! Du moment que ça me parle. Les paroles jouent beaucoup, en fait. Du coup c’était peut-être pas très vrai d’avoir dit que j’écoutais jamais de rock, juste… c’est vrai que je connais moins ? » Elle offre à la jeune femme un sourire amusé, puis après avoir tendu l’oreille quelques secondes, continue sur un ton enjoué : « J’aime bien ce qui passe, là, par exemple. Mais c’est pas très violent non plus, tu vois ? » Clare hausse les épaules. « Je dois vraiment passer pour une petite précieuse, gneugneu j’aime pas quand ça crie, tout ça. », conclut-elle en riant doucement.

Daisy se présente, prévenant au passage une blague même pas un tant soit peu marrante sur son prénom. Clare lève les yeux au ciel. « Mais non, les gens te font ça ? Les cons, c'est même pas drôle. » Puis, elle adresse un sourire à la barmaid, lui tendant la main pour lui serrer : « Hi, Daisy. You do have a very pretty name. », lance-t-elle avec conviction. Et parce qu’elle lui tient la jambe depuis un bon moment maintenant, elle ose demander : « Je peux t’offrir un verre ? »

Je ne saurais trop l'expliquer, mais quelque chose chez la jolie brune m'intrigue, quelque chose me pousse à me renseigner sur elle. Je veux en savoir plus, et je ne sais pas vraiment pourquoi. Sa façon se s'exprimer, peut-être, quelque chose dans son regard aussi, possiblement. Peu importe ce que c'est, elle importe plus que le couple dans le coin qui attend qu'on prenne sa commande. Après tout, elle a besoin d'être cheered up, elle s'est fait poser un lapin ce soir, quand même. Et pas besoin de culpabiliser plus longtemps à propos de ce couple de clients, car un autre serveur s'approche d'eux. Et en vrai, je suis là en plus ce soir, alors qu'il n'y a pas beaucoup de monde. Je ne sais même pas si j'ai prévenu Eryn de ma venue du jour, comme ça m'arrive souvent de m'incruster dans l'équipe, de temps en temps, elle découvre ma présence sur les lieux en plein milieu de la soirée.

J'écoute donc la jeune femme me parler de ses goûts en musique avec un léger sourire sur les lèvres. Elle a l'impression de donner une réponse vague à ma question, mais j'en ai tiré tout ce que je cherchais. Clare a l'air d'avoir plusieurs facette à sa personnalité, et c'est exactement ce qui, je trouve, fait de la personnalité de quelqu'un une personnalité "intéressante". Je secoue la tête, frottant le bar avec un torchon comme pour avoir quelque chose à faire face à elle, parce qu'il n'y a rien à frotter à cet endroit. « Non, tu passes pas pour une précieuse. On a tous des trucs qu'on aime pas trop. Par exemple, j'suis pas très "hit de l'été" si tu vois ce que je veux dire, ni "boom boom de boîte de nuit". Après concernant le reste, je m'adapte. » Parce que comme elle, j'aime beaucoup quand les paroles d'une chanson me parlent, quand je peux zoner dessus assise sur une chaise, la tête en arrière avec ma clope au bec sur le balcon de mon appartement. « J'aime trop ça, la musique. C'est super important dans une vie. Ca t'accompagne quand t'es heureuse, quand t'es triste, quand t'es en colère... peu importe ce que tu vis, y'a toujours une chanson pour t'aider à le traverser. Et à deal with it. »

Un léger soupire, et je m'appuie avec mes avants bras sur le bar. « Si si, on me l'a déjà fait. » Je ris légèrement, un poil de cyniquement. « I'm big, I'm adopted and I'm a girl. Si tu savais toutes les blagues de mauvais goûts auxquelles j'ai eu droit. » Ce n'est pas le lieu ni le moment pour s'étaler à ce sujet, mais on va dire qu'on m'a souvent fait ressentir que je n'étais pas à ma place, peu importe le cercle dans lequel je suis. Hum, hum, merci Noah, hum hum Mais c'est un sourire sincère qui prend place sur mon visage. Plus doux, plus rassuré, quand Clare me dit que j'ai un joli nom. Et me propose un verre. Je balaye la pièce du regard, m'assure que les employés n'ont pas vraiment besoin de moi avant de poser mon torchon sur le comptoir. « Why the hell not. Mais un soft alors. Un coca ou quoi. Au cas où ils ont besoin que j'aille les aider à un moment de la soirée. » Et aussi parce que j'aime bien rester raisonnable face aux belles inconnues du bar.

Pour bien des raisons, Clare n’est pas mécontente que son date ait annulé leur rendez-vous en dernière minute. Parler à des inconnu·e·s n’est pas un exercice difficile pour la comédienne extravertie qu’elle est, cependant elle n’imaginait pas un seul instant se mettre à faire la conversation avec une jolie barmaid ce soir. Pas que ça la dérange fondamentalement – loin de là, même. Et lorsqu’elle se met à parler musique, Claire se tortille un peu sur sa chaise. Il s’agit là de son sujet de conversation préféré. Et si on la laisse faire, elle pourrait passer deux heures à épiloguer sur les bienfaits de l’éducation musicale ou, vraiment, rien que l’accès à la culture en lui-même. Aussi, elle plonge dans la discussion la tête la première : « Carrément. Tu prêches une convertie, la musique, c’est… well, c’est toute ma vie. Depuis toujours. Bon, je suis pas bien vieille, mais t’as compris. » Clare hausse les épaules, un sourire taquin sur le visage. « J’ai pas un seul souvenir intense où la musique m’a pas aidée ou accompagnée. » Elle avait surmonté bien des épreuves, et si elle ne peut pas dire qu’elle s’en est sortie uniquement grâce à la bande originale du Moulin Rouge, elle peut sans aucun doute argumenter qu’elle aurait eu bien plus de difficultés sans. « Enfin, bref, je suis d’accord avec toi. Peu importe ce que t’aimes en vrai, du moment que ça te fait kiffer. », elle conclut finalement.

Lorsqu’elle comprend l’ampleur des moqueries dont a pu être victime Daisy, la brune grimace de dégoût. Vraiment, elle ne comprendra jamais l’être humain. « Ew. To hell with them. You seem to me like a fantastic queen, si les gens sont pas capables de voir ça, c’est qu’ils ont un sérieux souci. » Finalement, elle offre à Daisy un joli sourire, de ceux qui signifient I see you, you matter et qu’elle réserve en général à ses proches. Mais la jolie brune lui inspire de bonnes ondes, assurément. Et elle finit immanquablement par lui proposer un verre. « Bien sûr. C’est toi qui décides, je compte pas te forcer à boire de l’alcool, ce serait sacrément foireux de ma part. » D’un coup, elle débarrasse le tabouret à ses côtés de son sac et de sa veste afin de laisser la place à la jeune femme. « Du coup, si t’es juste là pour filer un coup de main à ta sœur, c’est indiscret de te demander ce que tu fais en dehors ? Hésite pas à me faire taire, je suis juste curieuse. Un peu pompette, aussi. »